Il me revient de vous présenter les crédits de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca. Placée auprès du Premier ministre, cette structure anime et coordonne les initiatives de l'État en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances.
Un mot, d'abord, sur la situation des addictions dans notre pays. D'abord, la consommation de tabac poursuit sa diminution. D'après l'édition 2019 du baromètre annuel de Santé publique France, le nombre de fumeurs a baissé de 1,6 million, soit 12 %, en deux ans. Ces bons résultats sont sans nul doute le fait des politiques conduites depuis des années : hausse du prix du tabac, paquet neutre, opération « Mois sans tabac », etc. Les enquêtes qualitatives montrent en outre que la perception du tabac a été efficacement dégradée : 54 % des personnes interrogées estiment que l'on est moins bien accepté quand on est fumeur.
La situation de l'alcool est plus ambigüe, en raison de l'image qu'il garde dans l'esprit des Français. La part de l'usage régulier est en recul et celle de l'usage quotidien s'est stabilisée autour de 10 %, alors qu'elle atteignait 22 % en 2000.
Mais pour 56 % de nos concitoyens, offrir ou boire de l'alcool fait partie des règles de savoir-vivre, et près d'un sur deux estime qu'il est acceptable de boire son premier verre d'alcool avant 18 ans. En conséquence, la consommation d'alcool reste une pratique courante, près de 90 % des personnes déclarant une consommation au moins une fois dans l'année. Surtout, près de 10,6 millions de personnes dépassent les seuils de consommation à moindre risque fixés par les pouvoirs publics sur recommandation des experts sanitaires : pas plus de 10 verres par semaine et 2 par jour ; respecter des jours sans consommation.
Plus globalement, il faut rappeler que tabac et alcool continuent à faire des ravages dans notre pays : le tabac tue chaque année 75 000 personnes et l'alcool 41 000.
S'agissant des autres psychotropes, le tableau est également contrasté : le cannabis recule chez les jeunes mais semble s'installer chez les adultes, et les stimulants et euphorisants de toutes sortes rencontrent un succès certain, quoique dans des publics très choisis.
La prévalence de la consommation de cannabis est toujours la plus élevée d'Europe, chez les jeunes comme chez les adultes. L'expérimentation concerne 45 % des adultes de 18 à 64 ans, et l'usage régulier, qui a diminué de deux points en trois ans chez les jeunes de 17 ans, a été multiplié par deux chez les adultes depuis 2000 pour atteindre 11 % ! Un quart des usagers présentent un risque élevé d'usage problématique ou de dépendance, progression en hausse de quatre points depuis 2014 : plus d'un million de personnes sont concernées.
L'usage déclaré de la cocaïne au cours de l'année écoulé a été multiplié par 8 entre 2000 et 2017, mais ne concerne que 1,6 % de la population. Les consommateurs de crack, forme basée de la cocaïne, sont de plus en plus nombreux, et les saisies sont les plus élevées depuis 2000. Le marché progresse en Ile-de-France et dans le nord de la France.
La part des expérimentateurs d'héroïne est stable, à 1,3 % des 18-64 ans. Les opioïdes restent les produits les plus impliqués dans les décès directement liés aux drogues, mais leur consommation est orientée à la baisse et la surveillance des pouvoirs publics a pour l'heure contenu la survenance d'une crise comme celle qui sévit aux États-Unis.
Les espaces festifs restent propices à l'expérimentation de préparations chimiques euphorisantes, solvants, ou nouveaux produits de synthèse. Leur consommation est donc limitée à des publics restreints, mais ils peuvent avoir des conséquences sanitaires sérieuses. Le poppers est ainsi l'un des produits psychoactifs les plus expérimentés par les jeunes de 17 ans après l'alcool, le tabac et le cannabis, et l'usage détourné du protoxyde d'azote, peu cher et accessible légalement, connaît un certain succès chez les plus jeunes. Depuis la rentrée, c'est le Buddha Blue, un cannabinoïde de synthèse, qui inquiète les autorités sanitaires, en Normandie notamment.
Cette année, j'ai en outre souhaité m'intéresser plus particulièrement à la dépendance chez les jeunes, en auditionnant notamment le docteur Olivier Phan, chercheur à l'Inserm. L'addiction aux jeux vidéo est encore mal connue. Elle se développe sur un terrain psychologique fragile, souvent de type phobique ou propice à l'isolement, fragilités sur lesquelles la prévention a peu d'effets. Il faut donc encourager le repérage précoce de ces comportements à risques, parfois plus dangereux pour l'adolescent que le cannabis, au sein de l'éducation nationale, et agir plus transversalement en limitant l'exposition des jeunes aux écrans.
L'année 2019 a été marquée par le lancement du nouveau plan d'action gouvernemental, baptisé cette fois « plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ». Plusieurs fois annoncé et reporté, il a finalement été validé par le cabinet du Premier ministre en décembre 2018. Derrière le changement sémantique se cache, en première analyse, une arborescence touffue d'axes, de priorités et d'objectifs, hérissée de plus de 200 mesures.
Ces 130 pages, aussi avenantes que les meilleurs documents budgétaires, font d'abord craindre, sous couvert d'efficacité technocratique, une certaine dispersion de l'action publique et un regrettable saupoudrage des moyens.
Le risque de dispersion a été encore accru par la création, à l'article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, d'un fonds de lutte contre les addictions au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie. Sa gouvernance a été mise en place par le décret du 21 juin 2019, et sa capacité atteint les 120 millions d'euros. L'idée est intéressante, mais le Fonds d'intervention régional, le programme 204 de la mission « Santé » ou la Mildeca elle-même financent déjà des actions analogues, ce qui peut conduire à s'interroger sur la juxtaposition des structures de financement.
Il faut sans doute déplorer l'absence de mesure emblématique en matière de lutte contre l'addiction à l'alcool, la priorité étant mise sur le respect de l'interdiction de vente aux mineurs, ou de plan national de prévention des dangers du cannabis.
Notons toutefois quelques éléments de satisfaction : le plan tient compte de quelques préconisations de notre commission sur les plans antérieurs, s'agissant notamment de l'équivalence des soins en prison, de la prise en compte des addictions outre-mer, ou de l'attention accordée aux addictions sans substance.
De plus, un arrêté du 15 juillet 2019 a réduit de 3 à 1 an la durée minimale de fonctionnement des salles de consommation à moindre risque et ouvert leurs portes aux consommateurs autres qu'injecteurs - aux inhalateurs, par exemple - ainsi que je l'avais suggéré l'an dernier. L'ouverture d'un nouveau centre est cependant, hélas, retardée par la perspective des prochaines municipales.
Pour relever ces défis, la Mildeca dispose de moyens assez réduits, et dont la baisse se poursuit en 2020 : 17,1 millions d'euros, soit une diminution de 2,3 % par rapport à 2019. Il faut en outre se rappeler que son budget avait déjà diminué de 25 % depuis 2012.
La Mildeca bénéficie cependant aussi d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués aux trafiquants de drogues. Leur montant devrait retrouver à la fin de l'année les niveaux enregistrés il y a dix ans, soit près d'une vingtaine de millions d'euros. La Mildeca consacre cette somme à des actions de prévention. Bonne nouvelle en apparence pour la Mildeca, cette somme témoigne aussi de l'efficacité de forces de police sans doute, mais aussi de la vigueur des trafics...
Les deux opérateurs de la Mildeca, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad), voient leur subvention pour charges de services publics très légèrement diminuer.
La baisse de la dotation de l'OFDT tient en réalité compte du déménagement de l'organisme dans des locaux domaniaux, ce qui lui économise des charges de loyers non négligeables. L'OFDT dispose d'un programme d'études chargé pour l'an prochain, qui devrait mieux tenir compte des addictions sans substances, et son organisation interne devrait être refondue pour plus d'efficacité.
Le Cifad, quant à lui, est chargé de renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les drogues avec les États de la Caraïbe et d'Amérique latine. Il est basé depuis sa création, en 1992, à Fort-de-France. La forte baisse du nombre d'actions menées par le Cifad en 2018 a conduit la Mildeca à proposer qu'il fasse l'objet d'une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA). Celle-ci a préconisé en juin dernier de modifier substantiellement ses missions, son organisation et son mode de pilotage. Sa transformation devrait être conduite l'an prochain.
Sur ces considérations, je vous propose, mes chers collègues, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.