Nous abordons là le cœur du système dans ce qu’il a de plus choquant, comme je l’ai longuement expliqué dans mon intervention liminaire.
Je le répète, l’avis du Conseil d’État n’a jamais évoqué la création de lieux sanctuarisés où le magistrat ne pourrait pénétrer sans une décision préalable de déclassification, les choses se déroulant ensuite comme précédemment si cette déclassification est décidée. Mais l’essentiel est là : par qui cette décision sera-t-elle prise, puisque la commission n’a qu’un avis consultatif ? Elle le sera par le Premier ministre lui-même ! Par conséquent, c’est l’autorité administrative – ici le pouvoir politique – qui décidera de rendre des lieux inaccessibles à un magistrat en quête d’éléments de preuve d’une infraction.
Que faites-vous, alors, de ce qui est la mission première de la justice pénale et qui relève d’une obligation constitutionnelle ?
Nous sommes donc passés de la recherche de l’équilibre à un évident déséquilibre : le lieu est interdit à la justice, sauf si une déclassification est décidée. C’est le point le plus choquant. Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est d’ailleurs exprimé avec beaucoup de vigueur à ce sujet.
À ce stade du débat, je voudrais simplement vous poser deux questions, monsieur le ministre. Je suis en effet sans illusion sur l’importance des déclarations des parlementaires au regard de l’analyse des travaux préparatoires quand une juridiction, je pense en particulier au Conseil d’État, est à la recherche de la pensée du législateur. En revanche, je sais qu’il n’en va pas de même des propos du ministre.
Hier, vous nous avez indiqué que la liste établissant les lieux sanctuarisés pourrait faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. J’aimerais que vous précisiez votre pensée à cet égard. Pensez-vous sérieusement qu’un arrêté du Premier ministre établissant la liste des lieux classifiés – où un magistrat ne pourra donc plus accéder – pourra être soumis au contrôle a posteriori du Conseil d’État ? Si oui, par qui ? Par ceux auxquels cet arrêté ferait grief, le maire de la commune, par exemple ? Autrement dit, comment concevez-vous l’exercice de ce recours ?
Ma deuxième question est encore plus importante. Admettons que le juge d’instruction demande la déclassification d’un lieu et qu’on la lui refuse. Il ne peut donc agir. Dans ces conditions, le magistrat de l’ordre judiciaire pourra-t-il saisir le Conseil d’État pour faire annuler le refus de déclassification du Premier ministre ?
J’attends de savoir ce qu’il en sera. Pour l’heure, les choses étant ce qu’elles sont, là encore, je suis sans illusion. M. Warsmann a d’ailleurs rappelé que, dans ce domaine, le juge, qu’il soit judicaire ou administratif, ne va pas très loin. Vous me direz peut-être que ce ne sera désormais plus le cas, ou vous ne me le direz peut-être pas. En tout cas, vos réponses auront une importance particulière pour l’avenir, même si je pense que le plus simple serait de supprimer cette disposition, comme je le préconise, mais je ne crois pas que je parviendrai à obtenir ce résultat.