Il me revient de vous présenter l'avis budgétaire relatif au programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » dans le projet de loi de finances pour 2020, en remplacement de notre collègue Nelly Tocqueville qui s'en était chargée les années précédentes.
Pour rappel, le programme 190 a pour objet de financer la recherche dans les domaines du développement durable, de l'énergie, des risques, des mobilités, de la construction et de l'aménagement.
Les crédits du programme 190 ont pour objet, plus particulièrement, d'apporter des subventions à sept opérateurs, dont les principaux bénéficiaires sont le CEA, l'IRSN, l'IFP Énergies nouvelles et l'IFSTTAR.
Les travaux de ces opérateurs sont indispensables pour respecter les engagements de la France, qu'il s'agisse des objectifs de développement durable de l'ONU, du contenu de l'Accord de Paris de 2015, ou encore des objectifs que le Gouvernement s'est fixé en matière de programmation pluriannuelle de l'énergie. Au-delà des nécessités du changement de notre modèle énergétique, je voudrais également souligner le rôle que la recherche en matière de développement durable joue sur la compétitivité et l'excellence de notre pays dans de nombreux domaines : énergies deìcarboneìes, construction, mobilités, gestion des risques.
Enfin, je ferai le lien avec l'actualité parlementaire récente, en particulier la discussion au Sénat, en 2019, de textes importants comme le projet de loi « Énergie et climat », dont notre commission s'est saisie pour avis, et surtout des projets de loi « Orientation des mobilités » ou encore « Économie circulaire ». La concrétisation de ces réformes suppose un vrai effort d'innovation, notamment en matieÌre de production d'eìnergies deìcarboneìes, de stockage d'eìnergie, de nouvelles mobiliteìs mais aussi de traitement des deìchets.
J'en viens à l'examen de ces crédits. En 2020, ceux-ci connaîtront une modeste augmentation : avec 1,79 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,77 milliard en crédits de paiement, la recherche en matière de développement durable connaît une relative stabilité par rapport à la loi de finances pour 2019. Derrière ce chiffre global, se cachent toutefois des évolutions contrastées pour les différentes actions du programme : tandis que les crédits destinés à la recherche sur l'énergie nucléaire sont en augmentation, et que les fonds alloués à la recherche dans les domaines des transports, de la construction et de l'aménagement progressent légèrement, il faut noter la nouvelle diminution de plus de 2 millions d'euros des moyens destinés à la recherche dans les nouvelles technologies de l'énergie.
Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) continue de capter à lui seul plus de trois quarts des crédits du programme, essentiellement pour les actions de démantèlement et d'assainissement des charges nucléaires de long terme, mais aussi pour la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Sur ce dernier point, je rappelle à la commission que le CEA a reìcemment annonceì qu'il avait deìcideì de mettre fin au programme ASTRID. Ce programme, initié en 2010, visait à concevoir un démonstrateur de réacteur à neutrons rapides (RNR) de 4e génération. Si des avancées techniques significatives ont été effectuées, et qu'en réalité le CEA n'a pas mis un terme définitif aux travaux la construction du réacteur prototype est définitivement ajournée. L'administrateur général de l'établissement s'est expliqué il y a quelques semaines en avançant deux raisons principales. D'une part, la viabilité économique du projet est contestée. Celui-ci prévoyait notamment de boucler le cycle du combustible en utilisant les produits du recyclage. Or, selon lui, les prévisions sur le cours de l'uranium ne justifient plus le développement très coûteux de cette technologie. D'autre part, le manque d'avancement sur l'eìtude du cycle n'aurait de toute facon pas permis le lancement de la construction du RNR.
Le CEA privilégie désormais l'élaboration d'une stratégie de recherche intermédiaire, consistant par le multi recyclage, à traiter des combustibles usés en vue de leur utilisation dans le parc de réacteurs existant.
Si nous pouvons entendre ces explications, la fin de ce projet emblématique n'en demeure pas moins le symptôme d'une ambition revue à la baisse sur le nucléaire de 4e génération. C'est pourquoi j'invite la commission, dans les prochaines années, à continuer de suivre de près les avancées des autres grands programmes portés par le CEA, en particulier le réacteur de recherche Jules Horowitz.
Lors de nos échanges avec le CEA, un autre sujet a retenu mon attention. Dans le cadre de l'action dédiée à la recherche sur les NTE, soutenue à hauteur de 51 millions d'euros depuis plusieurs années, le CEA a mis en oeuvre une démarche tournée vers les territoires. Concrètement, il s'agit de nombreux partenariats avec les tissus économiques et industriels locaux. Ces « plateformes régionales de transfert de technologie » sont implantées dans six régions, elles proposent aux entreprises locales les technologies génériques issues de la recherche technologique du CEA. Elles répondent aux besoins spécifiques d'innovation du tissu industriel régional et accompagnent plus de 200 entreprises, de toute taille, sur plus de 300 projets.
Je salue devant la commission cette initiative d'accompagnement et de développement des territoires, sur des sujets qui touchent la recherche et sa traduction opérationnelle sur le terrain.
Je souhaiterais également attirer l'attention de la commission sur la situation d'un autre établissement : l'IFP Énergies nouvelles. Cet opérateur, autrefois appelé « Institut français du pétrole », est l'autre acteur clé en matière de transition énergétique. Aujourd'hui, l'intégralité de la dotation budgétaire qui lui est destinée finance la recherche sur les énergies nouvelles, sur la mobilité durable, mais également sur des activités contribuant à la qualité de l'air et même à l'économie circulaire.
Malgré une reconnaissance internationale et des recherches primées sur le plan scientifique et académique, l'Ifpen subira, en 2020, une nouvelle diminution de sa subvention pour charge de service public (- 1,6 %, soit 2 millions d'euros). Cette baisse de crédits est d'autant plus préoccupante qu'elle n'est que le prolongement d'une diminution quasi constante depuis 2010 : en 10 ans, l'Ifpen a perdu près de 50 millions d'euros de ressources publiques (soit - 29 %). Je rappelle à la commission que, ces dernières années, nous avions déjà déploré ces pertes de ressources. C'est un signal négatif que le Gouvernement envoie, aÌ l'heure ouÌ la transition eìcologique est preìsenteìe comme une prioriteì des politiques publiques.
Mes travaux m'ont conduit aussi à rencontrer les responsables de l'Ineris. Certes, l'Ineris ne bénéficie que d'une partie infime des crédits du programme 190, mais, dans le contexte de l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen, en septembre dernier, il m'a semblé opportun d'en savoir davantage sur l'utilisation des fonds de recherche en matière de risque, dont bénéficie l'Institut. Comme notre collègue Pierre Médevielle vient de l'indiquer, le 4 novembre dernier, nous nous sommes rendus sur le site principal de l'Ineris, dans l'Oise, où ses représentants ont eu à coeur de nous présenter plusieurs plateformes de recherche et d'expérimentation, touchant à des domaines très variés, comme la protection de la biodiversité, la caractérisation des risques liés aux nanomatériaux, ou encore l'analyse du comportement au feu d'objets complexes à fort potentiel thermique et toxique.
Il me paraît opportun de soutenir ces activités, d'autant plus que le contexte récent a montré combien il était nécessaire de mieux maîtriser les risques industriels.
Enfin, pour terminer sur une note positive, je souhaiterais rapporter à la commission la situation et les évolutions récentes de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar). Pour rappel, l'Ifsttar travaille autour de trois axes principaux : l'efficacité des transports et la sécurité des déplacements, l'amélioration de l'efficience et la résilience des infrastructures, l'aménagement et la protection des territoires. Ces axes de travail se traduisent par des recherches diversifiées, par exemple sur l'anticipation des risques naturels et climatiques, notamment dans les territoires urbanisés, mais aussi sur le « verdissement » du béton, ou encore le projet de route de 5e génération (R5G).
Depuis plusieurs années, l'Ifsttar s'est engagé dans un projet de rapprochement avec d'autres établissements spécialisés dans l'aménagement des territoires et des transports, travaillant en commun sur les enjeux de la ville de demain et de la mobilité durable. Ce projet va désormais aboutir à la fusion de six établissements avec la création, au 1er janvier prochain, d'un nouvel établissement : l'Université Gustave Eiffel. L'objectif, à court terme, est de favoriser l'émergence d'un établissement original mêlant les sciences « dures » et les sciences humaines, et de constituer le quatrième pôle pluridisciplinaire au niveau mondial, sur la ville durable. On ne peut que se féliciter de la concrétisation imminente d'un projet original, ambitieux et dont l'initiative, je le précise, est issue exclusivement de la volonté et de la coopération constructive des parties prenantes.
Pour conclure, je souhaiterais réitérer mes réserves sur l'adéquation entre les ambitions du Gouvernement sur la question de la transition écologique, et les moyens de la recherche dans les domaines associés, qui peuvent paraître modestes : moins de 2 milliards d'euros, dont les deux tiers sont en réalité absorbés par le démantèlement et la recherche dans l'énergie nucléaire.
Toutefois, il me semble que nous devons encourager les travaux entrepris par tous les opérateurs concernés. Ceux-ci pilotent des programmes de recherche et produisent des innovations essentielles pour reìussir notre transition eìcologique dans les prochaines deìcennies.
C'est pourquoi je proposerai à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits.