Intervention de Philippe Dallier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 novembre 2019 à 16h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « cohésion des territoires » et articles 73 74 et 75 - programmes « hébergement parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » « aide à l'accès au logement » « urbanisme territoires et amélioration de l'habitat » et « politique de la ville » - programmes « impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « interventions territoriales de l'état » - examen des rapports spéciaux

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier, 135 « Urbanismes, territoires et amélioration de l'habitat » et 177 « Politique de la ville » :

rapporteur spécial pour la mission « Cohésion des territoires » des programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanismes, territoires et amélioration de l'habitat » et 177 « Politique de la ville ». - Après avoir examiné un grand nombre de missions, dont la plupart voient leurs crédits augmenter ou rester à peu près stables, notre commission est invitée à examiner aujourd'hui une mission qui ne peut pas être accusée de creuser le déficit budgétaire de l'État. C'est le moins que l'on puisse dire, car la mission « Cohésion des territoires » est dotée de crédits de paiement qui s'élèvent à 15,2 milliards d'euros, soit en nouvelle baisse. Cette diminution s'établit à 1,2 milliard d'euros et, à périmètre constant, à 1,5 milliard d'euros.

Les dépenses fiscales, même si leur chiffrage est difficile à prévoir en 2020, en raison des limites des documents budgétaires, atteignent un montant équivalent. Les crédits budgétaires ne donnent donc qu'une vision assez partielle des politiques menées en faveur de la cohésion des territoires.

Je vous parlerai plus en détail des programmes consacrés au logement et à l'urbanisme. Bernard Delcros abordera ceux qui ont trait à la politique des territoires.

En préambule, je veux faire un point sur la situation de la construction dans le pays. Nous espérons que le nombre de logements sociaux construits en 2019 sera à peu près identique à celui de l'an dernier. Pour ce qui est de la construction privée, les chiffres sont toujours préoccupants : on constate une diminution des mises en chantier, ce qui inquiète toute la profession.

S'agissant du programme 177, qui porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, les crédits du logement adapté comme de l'hébergement d'urgence sont, dans l'ensemble, en hausse de 100 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Toutefois, nous venons d'examiner un projet de loi de finances rectificative qui a ouvert 180 millions d'euros de crédits au titre de 2019. Les crédits proposés dans le projet de loi de finances pour l'année prochaine sont donc, une nouvelle fois, inférieurs à ceux ouverts pour l'année en cours, même si certaines des personnes que j'ai pu auditionner m'ont indiqué que les ouvertures de crédits concernaient surtout les programmes qui n'avaient pas d'effet sur l'année prochaine. Cela dit, je fais le pari, aujourd'hui, que le Gouvernement sera obligé d'y revenir à la fin de l'année 2020, la demande étant toujours galopante.

Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) font l'objet d'un projet pluriannuel de convergence tarifaire, dont je soutiens le principe depuis longtemps, compte tenu de différences de coût entre les centres qui étaient certainement excessives. Cette opération a eu du mal à se mettre en place, la réalisation de l'enquête nationale des coûts ayant rencontré des difficultés, mais nous sommes désormais entrés dans la phase de convergence.

La convergence tarifaire est toutefois mal ressentie sur le terrain, car elle ne prend pas en compte la totalité des facteurs objectifs de coût, notamment la localisation des centres, qui a des conséquences évidentes sur le coût du foncier et du bâti. La réforme manque de lisibilité pour des centres et apparaît à beaucoup comme une simple recherche d'économies budgétaires. Certains centres voient leur budget baisser, alors que leur coût était déjà inférieur à la moyenne. Une telle situation leur est difficilement compréhensible, puisqu'il s'agissait plutôt de tendre vers un rééquilibrage.

Dans le même temps, on constate que le logement adapté, malgré l'accent que le Gouvernement a placé sur cette politique, peine à prendre le relais de l'hébergement d'urgence pour sortir réellement les personnes sans abri de la précarité : la part des personnes sortant de CHRS qui accèdent à un logement autonome ne décolle pas du taux de 15 %.

Le manque de solutions pérennes conduit à une augmentation apparemment inéluctable de l'hébergement en hôtel. Force est de constater que l'on ne parvient pas à réduire le nombre de nuitées hôtelières, malgré les engagements récurrents du Gouvernement en ce sens. Or l'absence d'accompagnement des personnes hébergées est presque complète, ce qui pose de grosses difficultés, en particulier pour les familles.

Le programme 109 regroupe les crédits consacrés aux aides au logement, qui représentent 80 % des crédits de la mission et expliquent la diminution des moyens de celle-ci.

La politique du Gouvernement se poursuit : il s'agit, comme les deux années précédentes, de faire porter une partie essentielle des économies budgétaires sur le budget des aides au logement. Alors que les crédits du programme 109 s'élevaient à 15,5 milliards d'euros en 2017, ils s'établiront, en 2020, à 12 milliards d'euros, ce qui représente une économie de 3,5 milliards d'euros en l'espace de trois exercices budgétaires.

Cette année, la diminution est de 1,4 milliard d'euros. Elle est supportée aussi bien par les bailleurs sociaux que par les bénéficiaires des aides eux-mêmes. Les premiers sont affectés par la hausse de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui passe de 900 millions d'euros à 1,3 milliard d'euros et s'accompagne d'une diminution des aides versées aux locataires. Toutefois, en conséquence de l'accord intervenu le 25 avril 2019 avec le Gouvernement - la fameuse clause de revoyure -, les bailleurs bénéficient de mesures de compensation par ailleurs : l'article 73 du PLF prévoit ainsi qu'Action Logement prend en charge le financement des aides à la pierre à leur place, pour un montant de 300 millions d'euros.

Action Logement est affecté en premier lieu, puisque cette société fait également l'objet d'un prélèvement de 500 millions d'euros, dont la seule finalité est de réduire à due concurrence la subvention d'équilibre versée par l'État au fonds national des aides à la pierre. Cette disposition, qui se fonde sur la bonne santé de l'organisme, pourrait remettre en cause, si elle était pérennisée, les équilibres issus de la convention quinquennale signée en 2018 et semble ignorer les engagements pris par Action Logement pour financer des investissements massifs, à hauteur de 9 milliards d'euros, dans le logement social et intermédiaire, dans le cadre du plan d'investissement volontaire (PIV). Par conséquent, je vous proposerai de supprimer l'article 75, qui institue ce prélèvement, lequel ne peut constituer une politique de financement des aides au logement.

Les bénéficiaires des aides sont également concernés par les économies budgétaires, puisque l'article 67 prévoit une revalorisation des aides limitée à 0,3 %, bien inférieure à l'inflation. Ils sont aussi impactés par la réforme du versement en temps réel - la « contemporanéisation » - des aides au logement. Si cette réforme est justifiée sur le principe, il faut prendre garde à sa mise en oeuvre, qui risque de susciter de très nombreuses incompréhensions auprès des bénéficiaires. En outre, sa complexité est redoutable, ce qui s'est traduit par sa non-application en 2019. La contemporanéisation doit permettre d'économiser 1,2 milliard d'euros en 2020 selon le Gouvernement, qui, dans le même temps, présente cette réforme comme une réforme de justice, et non comme une réforme de rendement budgétaire. Ce n'est pas mon avis !

Je veux enfin alerter sur le projet d'inclusion des aides personnelles au logement dans le futur revenu universel d'activité (RUA). S'il n'est pas d'une actualité budgétaire immédiate, ce projet est actuellement à l'étude. Tous les intervenants du secteur du logement tirent la sonnette d'alarme, dénonçant le risque que les aides personnalisées au logement (APL) ne servent plus à payer les loyers, alors que c'est précisément leur raison d'être. À titre personnel, je suis absolument opposé à ce projet d'inclusion.

Le programme 135 porte des politiques diverses en faveur de l'urbanisme et de l'habitat. Le Gouvernement a reconnu que l'impact de la réforme de la réduction de loyer de solidarité instaurée en 2018 avait été plus élevé que prévu. Un ensemble de mesures en découlent, dont plusieurs trouvent leur traduction dans le projet de loi de finances, comme la diminution du taux de TVA pour les opérations les plus sociales. Je pense, d'ailleurs, que cette baisse ne va pas assez loin, mais nous en reparlerons en séance lors de l'examen de l'article 8. Je considère que l'on pourrait également baisser la TVA sur le prêt locatif à usage social (PLUS) - je défendrai, en mon nom personnel, des amendements en ce sens. L'article 73, dont j'ai déjà parlé, et l'article 74, qui augmente les moyens du Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), participent également à la mise en oeuvre de l'accord du 25 avril dernier.

Le marché du logement est sur une pente descendante depuis 2017, alors même que le Gouvernement annonçait alors un « choc d'offre ». Il n'est plus guère soutenu que par le niveau historiquement bas des taux d'intérêt, ce qui est un fondement particulièrement fragile pour une politique publique aussi importante. Dans ce contexte, je plaide, comme l'an dernier, pour que l'on revienne sur la mise en extinction partielle de deux dispositifs qui favorisent l'accession à la propriété : le prêt à taux zéro - l'Assemblée nationale s'en est chargée - et l'aide personnalisée au logement accession, moyen efficace de solvabilisation des ménages modestes. Nous avions essayé, l'an dernier, de la rétablir, mais l'Assemblée nationale ne nous avait pas suivis. Je vous proposerai à nouveau un amendement tendant à prévoir les crédits nécessaires au rétablissement de ce dispositif.

Je regrette également, comme nous l'avons déjà dit lors de l'examen de l'article 5, que le remplacement de la taxe d'habitation par la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dans les ressources des communes freine grandement la construction de logements sociaux. Nous essaierons de régler le problème de l'exonération de TFPB concernant les bailleurs sociaux et le logement intermédiaire. Si nous n'y parvenons pas, les conséquences pourraient être importantes dans les années qui viennent.

Enfin, je veux vous soumettre une idée nouvelle. L'Assemblée nationale a voté, à l'article 6 bis, la suppression de la « taxe Apparu », qui devait lutter contre les loyers abusifs que l'on constate pour les très petits logements. Sans doute cette taxe n'a-t-elle pas fonctionné, mais ce n'est pas une raison pour perdre de vue l'objectif. Au reste, je crois que la première raison de cet échec réside dans le manque d'informations sur les loyers pratiqués. Alors qu'il est aujourd'hui très facile d'accéder à toutes les informations que l'on souhaite sur les ventes de logement, il serait très utile de créer un « registre national des baux », qui permettrait à l'administration fiscale comme aux autorités locales - et même, sous certaines conditions, au public - de disposer d'informations fiables et exhaustives sur les loyers pratiqués. Je ne sous-estime pas la difficulté de l'exercice, mais je pense que, techniquement, les moyens existent. La création d'un tel registre permettrait d'y voir beaucoup plus clair dans un certain nombre de domaines.

S'agissant, enfin, du programme 147, relatif à la politique de la ville, je peux surtout faire observer que le nouveau programme national de renouvellement urbain commence enfin à prendre forme, dans la mesure où plus des deux tiers des projets de transformation ont désormais été validés. Je rappelle que ce PNRU 2 a fait l'objet de critiques. Alors que le budget avait été doublé, les choses ont mis du temps à avancer. Il semble que la mécanique soit repartie. Il n'en reste pas moins que le démarrage a été très lent au cours des années passées et que l'exécution des crédits a toujours été très inférieure à la budgétisation initiale. L'État a promis, en 2017, une enveloppe de 1 milliard d'euros de crédits budgétaires, soit 10 % seulement du coût du programme, qui est surtout financé par Action Logement et les bailleurs sociaux. Il faut avoir conscience que la charge de cette enveloppe pèsera principalement lors du prochain quinquennat : c'est en effet vers 2023 ou 2024 que les dépenses atteindront probablement leur niveau le plus élevé. Il sera d'ailleurs nécessaire de redéfinir d'ici là les conditions de financement : si celui-ci paraît assuré jusqu'en 2022, le rapport de gestion de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) relève un risque d'impasse budgétaire au cours des années suivantes. Il conviendra d'éviter ce retour de la fameuse « bosse de l'ANRU ».

En conclusion, on peut difficilement se satisfaire qu'une politique qui touche à des enjeux aussi essentiels que l'accès au logement voie ses crédits continuer. Cette baisse impacte nos concitoyens, mais aussi un secteur d'activités très important pour notre pays. Pour autant, les mesures présentes dans le projet de loi de finances correspondent à l'accord signé par le Gouvernement et les acteurs du secteur du logement social, à l'exception du prélèvement de 500 millions d'euros sur Action Logement, qui a été décidé ultérieurement.

Je vous proposerai donc, contrairement à l'année dernière, d'adopter les crédits de la mission pour ce qui concerne les programmes que je vous ai présentés, tels que modifiés par l'amendement que je vous propose concernant l'APL accession.

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