Intervention de Bernard Delcros

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 novembre 2019 à 16h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « cohésion des territoires » et articles 73 74 et 75 - programmes « hébergement parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » « aide à l'accès au logement » « urbanisme territoires et amélioration de l'habitat » et « politique de la ville » - programmes « impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « interventions territoriales de l'état » - examen des rapports spéciaux

Photo de Bernard DelcrosBernard Delcros, rapporteur spécial pour la mission « Cohésion des territoires » des programmes 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et 162 « Interventions territoriales de l'État » :

Les sommes en jeu sur les programmes 112 et 162 ne sont pas évidemment du même ordre, mais leurs effets leviers sont importants sur les territoires.

Les deux programmes connaissent une augmentation de leurs crédits par rapport à 2019, pour des raisons que je vais vous expliquer.

Le programme 112 se voit doté de 209 millions d'euros de crédits au titre des autorisations d'engagement et de 245 millions d'euros en crédits de paiement.

Ce programme connaît deux nouveautés cette année.

La première est la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), à laquelle sont affectés 49,7 millions d'euros de crédits. Je rappelle que l'ANCT regroupera l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), l'Agence du numérique et un certain nombre de fonctions support. Les crédits ouverts sur cette enveloppe pour le soutien à l'ingénierie territoriale s'élèvent à 10 millions d'euros.

Hier est paru le décret relatif à la création de l'ANCT au 1er janvier prochain. Les préfets seront les délégués territoriaux, dans chaque département, de l'ANCT, dont la mission est de mieux coordonner l'action de l'État auprès des collectivités et d'accompagner les territoires, notamment en matière d'ingénierie pour ce qui concerne les territoires les plus fragiles. L'ANCT suscite évidemment beaucoup d'attentes. Nous serons attentifs à sa mise en place et nous devrons, à un moment, évaluer son efficacité.

La deuxième nouveauté du programme 112 est la mise en place des maisons France Service, annoncée par le président de la République. L'objectif est qu'il y ait au moins une maison par canton, soit 2 000 Maisons France Service labellisées en 2022. Il s'agit de faire monter en gamme et de labelliser les maisons de services au public, dès lors qu'elles répondront au cahier des charges des maisons France Service. Les crédits du programme sont augmentés de 2,8 millions d'euros pour financer cette opération, ce qui porte les autorisations d'engagement à près de 20 millions d'euros. Je rappelle que la Cour des comptes a publié un rapport qui met en évidence la grande hétérogénéité dans l'offre de services des maisons de services au public existantes. Si certaines remplissent toutes les conditions d'accès au label « maison France Service », d'autres devront procéder à des améliorations. On peut souscrire à la définition d'un cahier des charges un peu plus rigoureux en matière d'offre de services si elle permet d'améliorer l'offre de services rendus aux habitants.

Cependant, le financement des maisons France Service pose question. Ces structures devront répondre à un certain nombre d'exigences, comme l'existence de 2 équivalents temps plein (ETP) pour assurer l'accueil du public. Des charges supplémentaires seront liées, par exemple, au service à apporter compte tenu de la réorganisation du réseau des trésoreries dans les départements. La dotation forfaitaire accordée annuellement à chacune des maisons reste inchangée à 30 000 euros, la moitié provenant du programme 112 et l'autre du fonds interopérateurs. Certaines maisons de services au public bénéficient déjà d'une telle somme ! Comment, dans ces conditions, financer les charges et les responsabilités supplémentaires, la formation des personnels, etc. ? Il faudra rester attentif au financement de ces nouveaux services.

Je souhaite évoquer la question de la politique contractuelle menée au travers du programme 112.

Les contrats de ruralité ont été créés en 2017 pour quatre ans. Leurs crédits ont fluctué : des crédits qui leur étaient dédiés lors de leur création au titre du programme 112 ont ensuite été inscrits sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Les crédits fléchés qui étaient de 45 millions d'euros en 2018 n'existent plus, les contrats de ruralité étant aujourd'hui financés par des crédits fongibles de la DSIL. Le bilan de ces contrats est tout à fait positif : près de 500 contrats ont été signés, qui fonctionnent plutôt bien. Toutefois, la baisse des crédits de la DSIL a entraîné une diminution des crédits qui leur sont alloués.

Dans le rapport que j'ai rédigé sur ce dispositif, j'ai émis un certain nombre de préconisations pour une deuxième génération de contrats de ruralité, après 2020. Il était alors question d'un contrat de cohésion territoriale unique, faisant craindre que les crédits dédiés à la ruralité ne soient dilués dans une enveloppe plus globale, devant répondre à d'autres enjeux nationaux. Les auditions que j'ai menées sont rassurantes sur ce point : il y aurait bien, pour l'après-2020, une deuxième génération de contrats de ruralité, identifiés en tant que tels. Nous suivrons évidemment ce dossier de près au cours de l'année prochaine.

Un nouvel outil contractuel a été mis en oeuvre à compter de cette année par le Gouvernement : il s'agit des pactes de développement territorial. Onze pactes ont été signés en 2019. Le PLF pour 2020 prévoit 11 millions d'euros en autorisations d'engagement pour assurer leur financement, ce dont on peut se réjouir. Le pacte de développement territorial présente une souplesse qui permet de s'adapter aux réalités des territoires. Ainsi, les périmètres peuvent être différents. En revanche, on peut regretter que la première vague de pactes ait été mise en place de façon quelque peu dispersée. Je suis plutôt favorable à cet outil, mais il faut maintenant structurer le dispositif, travailler à une cohérence nationale et permettre à de nombreux autres territoires d'en bénéficier.

Les contrats de plan État-région (CPER), qui consomment plus de 50 % des crédits du programme 112, arrivent à échéance en 2020. Leur sous-exécution est récurrente. Les négociations sur la nouvelle génération de CPER vont bientôt commencer : les mandats de négociation aux préfets de région devraient être remis à la fin du mois de janvier prochain. Il serait utile que les CPER comportent des volets concernant l'offre de soins ou encore l'agriculture et son adaptation au réchauffement climatique. Il faudrait également mieux coordonner, à travers les CPER, les actions de l'État et des régions en matière de solidarité infrarégionale.

Seulement 2 millions d'euros de crédits de paiement demeurent pour les pactes État-métropole, les crédits ayant été transférés vers la DSIL.

Je veux dire quelques mots sur les actions ciblées.

Les pôles d'excellence rurale sont arrivés à leur terme. Les maisons de santé ne sont plus financées par le programme. Ainsi, 860 000 euros de crédits de paiement sont prévus pour honorer les engagements pris en matière de revitalisation des centres-bourgs. Les sites de défense bénéficient d'un montant avoisinant les 3 millions d'euros. Les crédits relatifs aux pôles de compétitivité ont quant à eux été transférés sur le programme 134 pour 2020.

J'en viens à la prime d'aménagement du territoire (PAT) : si les sommes en jeu sont dérisoires - les crédits se sont élevés à 15 millions d'euros en 2018 et à 10 millions d'euros en 2019 -, l'effet levier est très important dans les communes et les secteurs éligibles. Dès lors, on peut regretter que les crédits alloués à la PAT passent à 6 millions d'euros en 2020. En outre, cette baisse est contradictoire avec la réponse fournie par le ministère à notre questionnaire : d'après celui-ci, « la PAT constitue un outil solide et pertinent pour soutenir le développement économique des territoires fragiles. » Je vous proposerai donc un amendement pour ramener les crédits de la PAT à leur niveau de 2019, soit 10 millions d'euros.

Je vous ai présenté récemment le rapport que j'ai rédigé avec Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau sur les zones de revitalisation rurale (ZRR). L'enjeu financier est limité - de l'ordre de 300 millions d'euros -, mais le levier est extrêmement important sur les territoires où ces dispositifs s'appliquent. En attendant une refonte du soutien à la ruralité, je défendrai un amendement sur la seconde partie du projet de loi de finances pour proroger les ZRR jusqu'au 31 décembre 2021, conformément à l'une des dispositions de notre rapport.

Le programme 162 est doté de 43 millions d'euros en autorisations d'engagement et de près de 37 millions d'euros en crédits de paiement. Plusieurs actions qui existaient l'année dernière sont maintenues : l'action en faveur de l'eau et de l'agriculture en Bretagne, le programme exceptionnel d'investissements en faveur de la Corse, le plan d'action chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, le plan d'action gouvernemental pour le marais poitevin - uniquement s'agissant des crédits de paiement, puisque le programme des interventions territoriales de l'État (PITE) va s'éteindre -, et le « plan littoral 21 », qui a été créé l'année dernière et qui se prolonge cette année.

Deux nouveaux PITE voient le jour en 2020 : le fonds interministériel pour la transformation de la Guyane, qui est crédité de 17 millions d'euros en autorisations d'engagement, et la reconquête de la qualité des cours d'eau en Pays de la Loire, crédité de 700 000 euros en autorisations d'engagement.

Si les PITE sont un outil intéressant, ils ne permettent pas toujours d'avoir une vision globale de l'action de l'État sur ces territoires. En outre, ces programmes sont abondés en cours de gestion par des transferts de crédits ministériels. Cela pénalise leur lisibilité. De fait, les crédits votés par le Parlement ne correspondent pas exactement à ceux qui seront engagés sur le territoire.

En conclusion, le programme 112, qui est censé regrouper les crédits dédiés au pilotage de la politique d'aménagement du territoire, souffre d'un manque de stabilité et de lisibilité. Plus globalement, comme je le dis chaque année, c'est la politique globale d'aménagement du territoire menée par le pays qui manque de lisibilité, puisqu'elle est répartie entre 29 programmes et 12 missions. Il serait intéressant de réfléchir à une meilleure identification de cette politique dans le budget de l'État.

Pour 2020, l'ANCT suscite beaucoup d'attentes et la politique contractuelle devrait être complètement remise à plat, avec les nouveaux contrats de ruralité, la signature de nouveaux pactes de développement territorial et la négociation de la nouvelle génération de CPER.

Sous réserve de l'adoption de l'amendement sur la PAT, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

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