Il me revient de nouveau la charge de vous présenter les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », un exercice frustrant dans la mesure où l'essentiel semble, cette année, se jouer ailleurs que sur cette mission, dont la stabilité ne doit cependant pas conduire à diminuer notre vigilance.
Les transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales augmenteront de 3,8 milliards d'euros par rapport à 2019 ; de même, les concours financiers progresseront de 576 millions d'euros. Certes, cette hausse est principalement due au dynamisme de la TVA affectée aux régions - elle connaît une augmentation de 128 millions d'euros - et à la progression de l'investissement des collectivités territoriales, ce qui conduit mécaniquement à une hausse du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) de l'ordre de 351 millions d'euros.
De quoi les collectivités auraient-elles à se plaindre, pourrait-on se demander ? La mission « Relations avec les collectivités territoriales » offre malheureusement quelques exemples des stratégies de recentralisation mises en oeuvre aujourd'hui par l'État. Alors que la réforme de la fiscalité locale dénote une défiance mutuelle entre l'État et les collectivités territoriales, la mission consacrée à leurs relations ne laisse pas entrevoir de signes d'amélioration dans un futur proche...
Comme vous le savez, cette mission ne regroupe qu'une faible partie des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, à savoir 7,8 % d'entre eux. L'essentiel de ces concours est effectivement composé de divers prélèvements sur recettes ainsi que de la part de TVA affectée aux régions. Les crédits de la mission s'élèveront à 3,81 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 3,45 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) : ils connaissent une baisse nette de 2,1 % des AE qui est due, il est vrai, à des mesures de périmètre.
Pour mémoire, cette mission, qui regroupe un ensemble hétéroclite de dotations de fonctionnement et d'investissement, est composée de deux programmes d'inégale importance : le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements », qui représente l'écrasante majorité des crédits de la mission, avec 3,58 milliards d'euros en AE, et le programme 122 « Concours spécifiques et administration », qui totalise 235 millions d'euros en AE. Le programme 119 rassemble des dotations de fonctionnement et d'investissement, parmi lesquelles les dotations générales de décentralisation (DGD), qui ne représentent pas moins de 1,55 milliard d'euros, réparti entre les différents échelons, et qui resteront gelées à leur niveau de 2009.
Le principe de compensation a présidé au mouvement de décentralisation dès 1983, avant d'être consacré par la Constitution à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 2003 : l'article 72-2 de la Constitution prévoit que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». La DGD permet donc, parmi d'autres circuits financiers tels que l'attribution du produit d'un prélèvement sur recettes ou le transfert d'une part d'un impôt national, de remplir une obligation constitutionnelle de l'État envers les collectivités.
Gelée à son niveau de 2009 en euros courants, cette dotation a perdu près de 11 % de sa valeur en euros constants en raison de l'inflation. Le Gouvernement met régulièrement en avant la règle du « coût historique », selon laquelle l'État ne serait tenu de compenser un transfert de compétences qu'à hauteur de ce que son exercice lui coûtait à la date du transfert. Pourtant, à moins d'admettre la diminution perpétuelle des moyens alloués à l'exercice des compétences transférées par l'État aux collectivités, cet argument est rendu invalide par l'érosion monétaire.
Surtout, le Conseil constitutionnel lui-même reconnaît que l'argument du « coût historique » est insatisfaisant. Dans le commentaire sur sa décision du 13 janvier 2005, il rappelle ainsi la vertu de l'équilibre trouvé par le constituant : certes, « les dispositions du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution n'imposent pas que les charges transférées (qui peuvent connaître une dynamique propre) soient intégralement couvertes en permanence, après le transfert », mais « elles impliquent que, si les ressources de compensation venaient à diminuer en euros constants, il appartiendrait à l'État de maintenir un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice des compétences avant leur transfert ». Nous sommes aujourd'hui loin du compte, et il est permis de douter de la constitutionnalité du gel sans cesse renouvelé de la DGD.
Le programme 119 regroupe par ailleurs diverses dotations de soutien à l'investissement local, qui ne progressent pas. Ce soutien est concentré sur les projets portés par les communes et leurs groupements : les dotations perçues par le bloc communal représentent 1,82 milliard d'euros, soit près de 90 % des dotations d'investissement. En très légère augmentation au titre des AE - de l'ordre de 0,6 % -, elles sont principalement composées de trois dotations : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Les crédits dévolus au « soutien des projets des départements et des régions » ne financent plus que la seule dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID). Ils connaitront en 2020 une nette baisse, de 84 millions d'euros en AE, destinée à ramener la DSID au niveau de la dotation globale d'équipement (DGE) de 2018, après une année 2019 marquée par une surdotation ponctuelle. Cette stabilité en valeur pose problème au regard des prévisions d'inflation et constitue une baisse en euros constants de 1,1 % de cette dotation.
Le programme 122 « Concours spécifiques et administration » agrège des crédits aux objectifs variés. Il finance des aides exceptionnelles aux collectivités locales, diverses dotations à destination de certaines collectivités d'outre-mer, ainsi qu'une part des dépenses de fonctionnement de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et des institutions qui y sont associées. Son examen appelle trois remarques.
Premièrement, l'extinction du fonds d'aide aux collectivités territoriales accueillant des rassemblements ponctuels d'une exceptionnelle importance - il était doté de 2 millions d'euros en 2019 - ne semble pas en phase avec les remontées de terrain que nous connaissons tous. Le choix de sa suppression n'aura pas laissé à ce dispositif, pour modeste qu'il soit, l'opportunité de faire la preuve de son utilité. D'ailleurs, était-il connu de ceux qui étaient chargés de sa mise en oeuvre ?
Deuxièmement, le Gouvernement a de nouveau inclus au sein de ce programme un fonds d'aide de 50 millions d'euros pour la reconstruction de Saint-Martin. Avec cette aide financière évidemment indispensable, mais prélevée sur l'enveloppe des concours financiers aux collectivités territoriales, l'État manifeste encore sa solidarité avec l'argent des autres.
Troisièmement, j'aimerais attirer votre attention sur le transfert des crédits en investissement informatique de la DGCL vers la future direction du numérique du ministère de l'intérieur. La mutualisation à laquelle ce transfert correspond semble relever du bon sens et serait de nature à assurer une meilleure gestion. Toutefois, ce choix soulève plusieurs points de vigilance.
Tout d'abord, la DGCL transfère ses crédits d'investissement vers une direction du numérique qui n'est pas au sein de son ministère de tutelle, exposant ses choix d'investissement au jeu toujours complexe des arbitrages interministériels. Par ailleurs, les économies susceptibles d'être réalisées ne doivent pas l'être au détriment du développement des applications utilisées par les collectivités territoriales.
J'en viens à présent aux articles rattachés à la mission. Trois points me semblent devoir retenir notre attention : l'automatisation du FCTVA, les modalités de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et l'attribution de certaines dotations d'investissement.
En ce qui concerne l'automatisation du FCTVA, un consensus prédomine depuis trois ans quant à la nécessité de mener à bien cette réforme. Cette automatisation devrait en effet conduire à supprimer des formalités administratives et accélérer le versement des fonds aux collectivités territoriales, tout en fiabilisant les montants prévisionnels perçus par les collectivités. Simplification, modernisation et accroissement de la lisibilité pour l'ensemble des acteurs : une telle réforme ne saurait arriver trop tôt ! Pourtant, la voilà à nouveau reportée d'un an. Ce report, qui est dommageable en soi pour une réforme attendue par les collectivités territoriales, ne doit surtout pas conduire l'État à dénaturer sa position initiale dans les discussions menées avec les associations d'élus. La nécessité, évoquée dans l'exposé des motifs de l'article 77 du projet de loi, d'un « coût nul de la réforme », semble indiquer une volonté du Gouvernement de revoir les termes de la négociation en cours sur la difficile question de l'assiette éligible. J'attire donc votre attention sur cette mesure apparemment anodine, qui pourrait fragiliser le consensus en passe d'être trouvé avec les associations d'élus sur une réforme qui n'a que trop tardé.
En ce qui concerne les modalités de répartition de la DGF, le projet du Gouvernement apporte globalement satisfaction. Il tient particulièrement compte de la situation des communes nouvelles, en pérennisant les incitations financières à leur création. Il prend également acte de la récente évolution législative des « communes-communautés ».
Force est cependant de constater que le projet du Gouvernement ne prend pas en compte les difficultés soulevées l'année dernière par la commission des lois en ce qui concerne la dotation d'intercommunalité, notamment le coefficient d'intégration fiscale.
À la suite de la refonte de la carte intercommunale, de nombreux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, devenus extrêmement vastes, ont été conduits à restituer des compétences de proximité à leurs communes membres, elles-mêmes parfois renforcées par leur regroupement en communes nouvelles. C'est le cas, par exemple, de la communauté d'agglomération du Grand Annecy. La restitution de compétences s'étant accompagnée de celle des ressources afférentes, elle a fait baisser le coefficient d'intégration fiscale de la communauté et, par conséquent, sa dotation d'intercommunalité. En un mot, un choix de répartition des compétences guidé par le principe de subsidiarité se traduit par une perte nette de recettes pour le territoire.
Je vous proposerai donc, à nouveau, un amendement visant à faire en sorte que, en cas de baisse du coefficient d'intégration fiscale d'un EPCI à fiscalité propre, la diminution de la dotation d'intercommunalité qui en résulte vienne financer une dotation de territorialisation répartie entre les communes membres au prorata de leur population.
Enfin, les modalités de répartition des dotations d'investissement sont insuffisamment transparentes et ne permettent qu'une association très limitée des collectivités aux décisions d'attribution. Les difficultés se concentrent donc sur deux dotations : la DSID et la DSIL.
La DSID a remplacé la dotation globale d'équipement (DGE) des départements dans la loi de finances de 2019. Il est difficilement compréhensible que sa création ne se soit pas accompagnée d'une marque élémentaire de considération à l'égard des élus concernés ; je veux parler de la consultation des présidents de conseils départementaux préalablement à l'attribution des dotations. Je vous proposerai donc un amendement rendant obligatoire cette consultation, ainsi que la publication des projets ayant bénéficié d'une dotation : cette information, qui existe déjà pour la DETR et la DSIL, me semble d'intérêt public.
En ce qui concerne la DSIL, trois types de problèmes se posent : l'efficacité du système d'attribution, qui repose aujourd'hui sur les préfets de région, moins au fait des besoins locaux que les préfets de département ; l'insuffisante association des élus, auxquels le processus actuel d'attribution ne donne aucune place ; la recentralisation insidieuse induite par le « préfléchage » vers des projets labellisés « Grand plan d'investissement » ou des collectivités ayant respecté leur « contrat de Cahors ». Afin de pallier ces difficultés, je proposerai deux amendements.
Le premier, qui reprend un dispositif que la commission des lois a adopté l'année dernière, vise à « redescendre » au niveau des préfets de département l'attribution de 80 % du montant de la DSIL, les préfets de région gardant la main sur 20 % de l'enveloppe pour financer des projets structurants au niveau régional. Il prévoit également de créer une commission départementale des investissements locaux, modelée sur l'actuelle « commission DETR », dont le rôle serait de contrôler la répartition de la DETR et de la part départementale de la DSIL.
Le second encadre les modalités de la majoration du taux de subvention pour les collectivités ayant respecté leur « contrat de Cahors ». Le préfet de région ne pourrait faire usage de cette faculté qu'en cas de sous-exécution des crédits et serait tenu de motiver sa décision auprès de la commission DETR compétente, ce qui permettrait à cette dernière de s'assurer qu'aucun autre projet ne verrait ces crédits mieux employés.
Ces quelques améliorations n'éviteront pas la litanie des réformes de la fiscalité locale et ne permettront peut-être pas de redonner aux collectivités territoriales toute la visibilité sur leurs finances dont elles ont besoin. Elles auront cependant le mérite de parfaire leur information et de les associer aux décisions prises par l'État. Dans le contexte actuel, marqué par la perte de confiance dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales, cela me semble nécessaire.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai.
Permettez-moi enfin de remercier nos collègues ayant participé aux auditions des associations d'élus.