Intervention de Nicole Belloubet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 novembre 2019 à 18h05
Projet de loi de finances pour 2020 — Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de la justice est en forte augmentation. Avec près de 7,6 milliards d'euros hors contribution pour les pensions, il progresse de 4 % en 2020, après avoir augmenté de 4,5 % en 2019 et de 3 % en 2018. Ce sont donc près de 300 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2019 qui sont inscrits au budget, en tenant compte de l'inscription dans le budget de la justice de l'intégralité du financement de l'aide juridictionnelle, dans une logique de plus grande transparence. Avec cette augmentation budgétaire, nous allons créer 1 520 emplois supplémentaires l'année prochaine, portant à 3 920 le nombre d'emplois créés depuis 2018.

Certes, monsieur le président, le budget est inférieur de 153 millions d'euros aux crédits prévus dans la loi de programmation, et les créations d'emplois de 2020 ont été réduites de 100 emplois. Mais cela ne traduit en rien une révision à la baisse de nos ambitions. Il ne s'agit en fait que d'être conforme à la réalité des situations que nous traitons, et d'ouvrir les seuls crédits de paiement (CP) et emplois dont nous avons besoin en 2020, au vu de l'avancement réel de nos projets. Quelques opérations immobilières pénitentiaires ont en effet pris un peu de retard, parfois du fait de difficultés à trouver des sites d'implantation localement consensuels, comme pour la maison d'arrêt du Val-de-Marne ou celle de Nice.

J'ai souhaité par ailleurs que nous tirions les enseignements de l'opération des Baumettes 2 à Marseille avant de lancer l'opération Baumettes 3. Ce décalage amène à réduire un peu les dépenses immobilières en 2020, ainsi que les créations d'emplois qui sont nécessaires à la préfiguration des ouvertures d'établissements pénitentiaires. C'est de cette réalité-là que le budget pour 2020 tient compte, sans aucune remise en cause de l'objectif des 15 000 places de prison supplémentaires qui ont été annoncées au moment de la loi de programmation. Nous venons par ailleurs d'obtenir du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) 35 millions d'euros supplémentaires de financement pour des prisons expérimentales de réinsertion par le travail, ce qui montre le caractère innovant de ce projet.

Avec une telle progression des crédits, le Gouvernement confirme très clairement la priorité accordée à la justice. Ces moyens renforcés nous permettent de mettre en oeuvre la réforme de la justice que porte la loi du 23 mars 2019, et les premiers effets de cette réforme se font d'ores et déjà très concrètement sentir : tout citoyen peut désormais suivre son affaire civile en ligne ; les majeurs protégés peuvent voter, se marier, divorcer sans autorisation préalable d'un juge ; les démarches à accomplir par les personnes chargées de leur protection sont simplifiées et accélérées ; les premières audiences des cours criminelles départementales ont d'ores et déjà eu lieu, ce qui réduit beaucoup le délai d'audiencement et évite la correctionnalisation de certains crimes. La justice antiterroriste est renforcée, avec la création en juin dernier du parquet national antiterroriste et du juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme.

Ce ne sont là que quelques exemples de la transformation de la justice, et ce n'est que le début. L'effort d'investissement pour une justice de qualité se poursuivra en 2020 pour améliorer le service rendu à nos concitoyens et aux justiciables.

Le 1er janvier prochain, les tribunaux judiciaires seront créés par fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance. C'est l'une des avancées importantes de l'année 2020. Cette réforme rendra la justice de première instance plus lisible et plus claire, tout en permettant de traiter les contentieux les plus techniques de manière spécialisée. Il y aura ainsi plus de souplesse d'organisation et plus de spécialisation, donc de rapidité. Je le réaffirme devant vous, tous les lieux de justice seront maintenus et un juge des contentieux de la protection sera créé dans les futurs tribunaux de proximité.

Le budget pour 2020 prévoit 384 créations d'emplois dans les services judiciaires, lesquelles favoriseront la mise en oeuvre de la réforme et l'adaptation des organisations de travail. Elles permettront de poursuivre la résorption de la vacance dans les greffes, le développement de l'équipe autour du magistrat et l'augmentation des effectifs de magistrats, notamment dans les domaines prioritaires que constituent la justice pénale des mineurs et la lutte contre la délinquance financière. D'ores et déjà, il faut souligner que, à la fin de l'année 2019, les vacances d'emplois de magistrats sont presque totalement résorbées, avec un taux de 0,9 % d'emplois vacants, contre 5 % il y a encore quelques années.

La nouvelle programmation immobilière judiciaire, qui a été dotée en 2019 de 450 millions d'euros supplémentaires au titre des autorisations d'engagement (AE), est désormais lancée. Ainsi, 161 millions d'euros de CP seront ouverts en 2020 et permettront d'accompagner la réforme de l'organisation des juridictions et d'améliorer les conditions de travail des magistrats et du personnel des greffes. Des opérations importantes de réhabilitation et de reconstruction vont ainsi passer en phase travaux, comme à Bourgoin-Jallieu, Vienne ou Pau.

Les moyens de fonctionnement des juridictions, qui avaient été fortement revalorisés en 2019, à hauteur de 9 %, sont consolidés à un niveau élevé, de 375 millions d'euros, pour garantir le bon fonctionnement de la justice au quotidien. Mais nous faisons aussi des économies de bonne gestion, en regroupant par exemple les services de la Cour de cassation et de la cour d'appel de Paris sur l'île de la Cité, sur le site de l'ancien Palais de justice, pour mettre fin à de nombreuses locations très coûteuses.

L'entrée en vigueur de la majeure partie des dispositions de la nouvelle politique des peines en mars 2020 constituera également une étape majeure pour la réforme de la justice, nécessitant un accompagnement fort des juridictions pour promouvoir le prononcé de peines autres que les courtes peines d'emprisonnement ainsi que les alternatives à la détention provisoire. C'est pourquoi 400 emplois seront créés en 2020 dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, ce qui porte à 950 le nombre d'emplois créés en trois ans dans ces services. L'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, créée il y a quelques mois, continuera sa montée en puissance, avec, pour objectif, d'atteindre une offre de 30 000 postes de travail d'intérêt général d'ici trois ans.

Pendant la réforme des peines, la réalisation du programme de construction de 15 000 places de prison à l'horizon 2027 avance de manière résolue. Depuis 2017, nous comptons déjà 2 000 places de prison supplémentaires. Je maintiens également l'objectif de bénéficier de 2 000 places de structures d'accompagnement vers la sortie en 2022. C'est un élément essentiel de la nouvelle politique des peines que vous avez votée. Le budget pour 2020 prévoit 327 millions d'euros de CP pour la construction ou la rénovation des établissements pénitentiaires, soit une progression de 34 % par rapport à 2019, ce qui traduit le passage de nombreuses opérations en phase opérationnelle. Pour préparer les prochaines ouvertures d'établissements, 145 emplois sont d'ores et déjà créés.

Plus généralement, avec 1 000 créations d'emplois, dont 300 pour le comblement des vacances de postes de surveillants, et une progression des crédits de 6,2 %, c'est toute l'administration pénitentiaire qui poursuit sa consolidation pour améliorer le fonctionnement quotidien des établissements pénitentiaires. Les crédits en faveur de la sécurité pénitentiaire atteindront cette année 58 millions d'euros, soit 16 % de plus que l'an dernier. Ils nous permettront de poursuivre, entre autres, l'installation de systèmes de brouillage des communications illicites, de lutte contre les drones et de vidéosurveillance.

L'année 2020 sera également celle de la réforme de la justice pénale des mineurs, maintes fois mise sur le métier par les gouvernements précédents, mais jamais conduite à son terme. L'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ouvre la voie à une rénovation profonde de la prise en charge des mineurs délinquants. Cette réforme simplifie la procédure pénale applicable, notamment en apportant une réponse plus rapide aux victimes par le prononcé plus rapide de la culpabilité, ou non, de ces mineurs, ce qui permettra une meilleure prise en charge éducative dès le prononcé de leur culpabilité. La réforme entrera en vigueur au 1er octobre 2020. J'ai souhaité une mise en application différée pour permettre au Parlement de débattre de ce sujet et aux juridictions, ainsi qu'aux services de la protection judiciaire de la jeunesse, de se préparer à sa mise en oeuvre, qui apportera des bouleversements.

Des moyens importants seront consacrés à cette réforme dans le budget pour 2020 : 70 emplois de magistrats supplémentaires seront ciblés sur la justice pénale des mineurs, tout comme 100 emplois de greffiers supplémentaires, ainsi qu'une centaine d'emplois d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Ces moyens additionnels devront nous permettre de respecter les délais de jugement prévus dans le code de la justice pénale des mineurs pour les nouvelles procédures, sans pour autant dégrader le traitement des procédures engagées selon les dispositions de l'ordonnance de 1945.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse progresseront de 17 millions d'euros en 2020, ce qui permettra de poursuivre la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants, la construction de 20 centres éducatifs fermés et la rénovation du parc immobilier.

Pilier indispensable de toutes ces réformes, la transformation numérique progresse de manière visible. Le ministère a augmenté son budget informatique de 75 % depuis 2017, ce qui lui permet de rattraper progressivement son retard. Nous avons renforcé l'infrastructure technique et les équipements informatiques, préalable indispensable à la dématérialisation des procédures. Le réseau haut débit sera effectif sur un millier de sites judiciaires fin 2020, y compris outre-mer. Quelque 20 000 ordinateurs seront remplacés au premier semestre 2020, et près de 1 900 équipements de visioconférence seront opérationnels, ce qui évitera 20 % des extractions judiciaires.

Nous développons également de nouvelles applications sur le portail du justiciable, qui est l'un des objets de la vie quotidienne suivis par le Gouvernement dans le cadre du comité interministériel de la transformation publique. Ce n'est d'ailleurs pas le seul : nous travaillons avec Christophe Castaner à une nouvelle procédure pénale qui soit numérique de bout en bout, de la plainte jusqu'au jugement. Dans le cadre de ce travail, le sujet de la plainte en ligne sera évidemment une question majeure.

Dans ce contexte de transformation importante de la justice, l'accès au droit et l'aide aux victimes sont particulièrement importants.

J'ai souhaité réaliser en 2020 une réforme de l'aide juridictionnelle : je m'y étais engagée lorsque nous avons évoqué ce sujet lors de la loi de réforme pour la justice. Cette réforme de l'aide juridictionnelle est axée sur la simplification et la modernisation du dispositif. J'ai lancé à cet effet la construction d'un nouveau système informatique, le système d'information de l'aide juridictionnelle, qui permettra de déposer une demande d'aide juridictionnelle en ligne et de dématérialiser ensuite son traitement. Cette application commencera à être déployée avant la fin de l'année 2020.

J'ai entrepris également, dans le cadre d'un décret en cours d'examen au Conseil d'État, de simplifier les modalités de contractualisation entre les barreaux et les juridictions, pour en faire un véritable outil d'amélioration de la qualité de la défense des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, notamment en matière de violences conjugales, et d'ouvrir la possibilité d'expérimenter, avec les barreaux volontaires, des structures dédiées à la défense des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle.

Ce projet de réforme est désormais complété par un amendement important qu'ont déposé conjointement les députés Philippe Gosselin et Naïma Moutchou, adopté à une très large majorité par l'Assemblée nationale. Cet amendement transpartisan, issu du rapport très documenté que m'ont remis ces deux députés en juillet dernier, prévoit d'inscrire dans la loi plusieurs modifications essentielles pour la simplicité et l'efficacité de l'aide juridictionnelle. La principale est l'utilisation du revenu fiscal de référence comme principal critère d'appréciation des ressources pour l'éligibilité à l'aide juridictionnelle, ce qui permettra d'automatiser les contrôles et d'accélérer l'octroi de cette aide.

Mais mon action déterminée en faveur de l'accès au droit va au-delà de l'aide juridictionnelle. Le réseau d'accès au droit sera ainsi optimisé, notamment par la présence de conciliateurs de justice dans chaque maison France Services. Un effort particulier sera fait dans le budget pour 2020 pour développer les espaces de rencontre, afin de consolider l'action de ces structures indispensables à la préservation des liens entre parents et enfants en cas de crise familiale grave. L'expérimentation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire pourrait être prolongée d'un an, grâce à un amendement adopté par l'Assemblée nationale, ce qui nous permettra de mieux l'évaluer - hors violences familiales, bien sûr.

Les crédits consacrés à l'aide aux victimes continueront leur progression, de plus de 10 % depuis 2017, avec un effort tout particulier en faveur des victimes de violences conjugales dans le cadre des travaux du Grenelle, dont les conclusions ont été présentées hier. S'y ajoutera le financement du dispositif de bracelet anti-rapprochement, qui sera mis en oeuvre en 2020 et sera pris en charge par le budget de l'administration pénitentiaire, grâce à des reports de crédits, comme vous pourrez le voir dans la loi de finances rectificative.

Toutes ces réformes ne pourront réussir qu'avec l'engagement de tous les agents du ministère. C'est la raison pour laquelle 20 millions d'euros de crédits seront consacrés en 2020 à la valorisation de leur travail et de leurs compétences ainsi qu'à l'accompagnement des réformes. Ces crédits financeront notamment la réforme de la chaîne de commandement et de la filière technique de l'administration pénitentiaire, la revalorisation des astreintes des magistrats du parquet pour le judiciaire, l'évolution des directeurs de greffe du tribunal judiciaire, mais également la poursuite de la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), la création du corps des cadres éducatifs ainsi que la poursuite du versement de compléments indemnitaires annuels au mérite. L'action sociale en faveur des agents du ministère continuera, elle aussi, de progresser.

Si les années 2018 et 2019 ont été des années de conception et de pose des premières pierres des chantiers de réforme de la justice, 2020 sera l'année de la réalisation et du suivi des premiers résultats. La loi n'est en effet que la condition nécessaire, mais non suffisante, à la modification des pratiques de nos organisations. Nous sommes entrés dans le temps de l'application, ce qui mobilise profondément notre énergie. Les indicateurs de performance qui figurent dans les documents budgétaires, et qui ont été revisités à l'occasion de l'adoption de la loi de réforme de la justice, vous permettront de suivre les évolutions que nous apportons.

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