Il me revient, comme l'an passé, de vous présenter les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice ». Sur les 9,4 milliards d'euros alloués à la mission en 2020, 3,9 milliards d'euros, soit environ 42 % du total, reviennent à l'administration pénitentiaire qui en constitue le premier poste de dépense. Cet effort financier n'est pas superflu compte tenu de l'ampleur des besoins de l'administration pénitentiaire et de l'importance de ses missions.
À périmètre constant, les crédits s'inscrivent en hausse de 5,6 % par rapport à 2019. La hausse atteint même 6,2 % si on ne tient pas compte des crédits qui abondent le compte d'affectation spéciale (CAS) « pensions ». Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, il s'agit d'une progression non négligeable. Cette progression est toutefois inférieure de 150 millions d'euros à celle prévue par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Autrement dit, quelques mois seulement après l'entrée en vigueur de la loi de programmation, le Gouvernement nous propose un projet de budget qui n'est pas à la hauteur des objectifs qu'il avait lui-même fixés, objectifs que notre commission avait déjà jugés insuffisamment ambitieux. Le Gouvernement justifie cet ajustement à la baisse par le retard pris dans la mise en oeuvre de certains projets immobiliers, principalement dans le champ de l'administration pénitentiaire. À l'approche des élections municipales, le ministère de la justice explique qu'il a eu du mal à obtenir l'accord de certaines communes pour choisir le lieu d'implantation des futurs établissements pénitentiaires : craignant les réactions négatives de la population, les maires hésiteraient à s'engager.
Je ne doute pas que ces difficultés se rencontrent à certains endroits, mais j'observe que la date des élections municipales est connue de longue date et que ces difficultés pouvaient donc parfaitement être anticipées. J'avoue que, compte tenu de la vétusté de nombreux locaux dans le parc pénitentiaire ou dans les tribunaux judiciaires, il est extrêmement regrettable que le Gouvernement n'ait pas respecté la trajectoire prévue en loi de programmation, car ces crédits auraient permis de réaliser, sans attendre, de petits travaux de rénovation ou de renouveler certains matériels. La fongibilité des crédits au sein d'un programme l'aurait permis.
Le projet de budget va permettre de financer les deux priorités de l'administration pénitentiaire : l'augmentation des effectifs, avec la création de 1 000 emplois, et la poursuite du programme « 15 000 » qui vise, comme vous le savez, à livrer 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027.
Concernant les créations d'emplois, 300 vont servir à combler les nombreuses vacances de postes constatées chez les surveillants pénitentiaires. 400 agents supplémentaires vont renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), afin qu'ils puissent mieux assumer leurs missions de réinsertion professionnelle, mais aussi d'évaluation. 159 postes seront affectés aux nouveaux établissements pénitentiaires et une cinquantaine d'emplois seront affectés aux extractions judiciaires qui se déroulent souvent dans des conditions difficiles sur le terrain, au détriment de la qualité du travail des magistrats.
Si ces créations d'emplois sont bienvenues, je doute, compte tenu du nombre élevé de personnes placées sous main de justice et des sous-effectifs chroniques constatés dans de nombreux services, qu'elles soient suffisantes pour améliorer de façon déterminante les conditions de travail des personnes. Ces embauches posent, de plus, la question de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, qui peine à recruter en raison notamment de la faiblesse des rémunérations. Un directeur d'établissement pénitentiaire perçoit à peine plus de 3 000 euros, avec les primes, au bout de 10 ans, alors qu'il porte une importante responsabilité pour diriger un tel établissement. De nombreux directeurs cherchent à quitter leurs fonctions au bout de quelques années. Les personnes qui réussissent les concours de surveillant sont parfois peu qualifiées et peu motivées, ce qui pose ensuite des problèmes pour la gestion des ressources humaines et pour l'animation des équipes.
En ce qui concerne le programme immobilier, il sera divisé en deux tranches : 7 000 places doivent être livrées avant fin 2022 et les 8 000 autres avant fin 2027. L'objectif est de réduire la surpopulation carcérale en construisant de nouvelles maisons d'arrêt et de favoriser la réinsertion en créant des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) qui ont vocation à être implantées en centre-ville, afin de faciliter les liens avec les services sociaux, Pôle Emploi et les employeurs.
Cet objectif de 7 000 places d'ici 2022 est beaucoup moins volontariste et ambitieux qu'il n'en donne l'impression au premier abord. Il marque d'abord un recul par rapport à l'engagement initial du Président de la République de construire 15 000 places au cours du quinquennat. Ce chiffre correspond ensuite pour l'essentiel à l'aboutissement de programmes de construction entamés avant 2017. C'est le cas par exemple du programme de réhabilitation de la prison de la Santé ou de la construction de l'établissement Baumettes 3 à Marseille. Le principal mérite du Gouvernement est donc de ne pas avoir interrompu les chantiers ouverts par ses prédécesseurs.
Le rythme de construction de places de prison ne paraît pas non plus suffisant pour garantir l'objectif de l'encellulement individuel. Le taux d'encellulement individuel n'est aujourd'hui que de 42 % et il ne devrait guère évoluer en 2020. Ce taux n'est que de 21 % dans les maisons d'arrêt où l'on dénombre plus de 1 500 matelas au sol. La surpopulation entraîne une saturation des équipements qui explique que peu de détenus aient accès au travail ou à une formation pendant leur incarcération. Même l'accès aux équipements sportifs et aux douches devient aléatoire dans ces conditions. La promiscuité qui en résulte est un facteur de tensions et de violences entre détenus, comme me l'a confirmé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté au cours de son audition.
La sécurisation des établissements pénitentiaires demeure une préoccupation majeure pour l'administration. Le projet de budget permettra notamment de poursuivre en 2020 la modernisation du système de brouillage des téléphones portables, pour un coût de 24,5 millions d'euros, et de renforcer la lutte contre les drones malveillants à laquelle une enveloppe de 3,6 millions d'euros sera consacrée.
La sécurité passe aussi par la création, en mai dernier, d'un service national du renseignement pénitentiaire de plein exercice qui s'est substitué à l'ancien bureau central du renseignement pénitentiaire. Ce service, qui s'appuie sur des cellules interrégionales et sur un réseau de délégués et de correspondants, va être renforcé en 2020 grâce à 35 créations d'emplois qui porteront son effectif total à 329 agents.
L'administration pénitentiaire a lancé, en 2019, le programme d'accueil individualisé et de réinsertion sociale (PAIRS) qui prend la suite du programme RIVE. Ce programme concerne les individus condamnés pour des actes de terrorisme ou de droit commun, mais identifiés comme radicalisés. Il vise à favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale grâce à un suivi individualisé et pluridisciplinaire. Une soixantaine de personnes pourraient être prises en charge dans quatre centres à Paris, Lyon, Marseille et Lille.
Pour finir, je souhaite souligner deux initiatives prises par l'administration pénitentiaire en 2019 qui semblent de nature à favoriser la réinsertion des détenus en agissant sur deux leviers : le travail et la formation, d'une part, et la santé, d'autre part.
Sur le premier point, le Gouvernement a créé une agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) qui s'est vue assigner trois missions : développer les peines de travail d'intérêt général (TIG), dynamiser la formation professionnelle des personnes détenues et favoriser l'emploi pénitentiaire, l'insertion par l'activité économique et l'accompagnement vers l'emploi.
Des conventions ont été signées le 12 novembre dernier entre le ministère de la justice et différents partenaires publics et privés afin de dégager des postes pouvant accueillir des personnes condamnées à une peine de TIG, et un décret va être publié très prochainement pour expérimenter le TIG dans les entreprises de l'économie sociale et solidaire.
La relance du travail en détention constitue un enjeu majeur pour mettre fin au déclin constaté depuis une vingtaine d'années : alors que 48 % des détenus travaillaient en détention en 2000, ce taux n'est plus que de 28 % aujourd'hui. L'agence procédera à un état des lieux avant de définir une stratégie pour mieux mobiliser les crédits disponibles et développer l'activité du service de l'emploi pénitentiaire.
La seconde initiative concerne l'annonce d'une feuille de route pour la santé des personnes placées sous main de justice pour la période 2019-2022. Cette feuille de route comporte 28 actions destinées à améliorer la connaissance de l'état de santé de cette population et sa prise en charge. Une attention particulière est portée à la santé mentale, de première importance compte tenu du nombre élevé de détenus qui souffrent de troubles psychiatriques. Il est prévu de réaliser deux études sur le sujet et de construire de nouvelles places en unités d'accueil spécialement aménagées (UHSA) qui accueillent en hospitalisation complète les détenus nécessitant des soins psychiatriques. Hier, lors de son audition, la garde des sceaux a indiqué que, selon certains rapports, 80 % des personnes incarcérées souffriraient de troubles psychologiques.
En conclusion, je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire. Ce budget comporte des avancées, mais l'incapacité du Gouvernement à respecter la trajectoire budgétaire approuvée par le Parlement il y a seulement quelques mois pose un vrai problème politique qui ne nous permet pas de voter ces crédits. J'ai également souligné le décalage qui existe entre les déclarations, très ambitieuses, et la réalité, beaucoup plus modeste. Au total, ce projet de budget ne me paraît donc pas à la hauteur des enjeux, ce qui explique cet avis défavorable.