Intervention de André Reichardt

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 novembre 2019 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « économie » - programme « développement des entreprises et régulations » - examen du rapport pour avis

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, rapporteur pour avis :

Pour répondre à une question qui m'est souvent posée, c'est au titre de ses compétences en matière de droit des affaires et de droit de la consommation que notre commission des lois s'est saisie pour avis des crédits affectés au programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie ».

Ce programme regroupe une partie des dépenses budgétaires consacrées par l'État au soutien aux entreprises, auxquelles il convient d'ajouter d'importantes dépenses fiscales. Il comprend également les crédits destinés aux missions de régulation concurrentielle des marchés et de protection des consommateurs. Le projet de loi de finances pour 2020 témoigne de la volonté du Gouvernement de recentrer l'action de l'État en matière de développement économique sur un nombre restreint de priorités, tandis que les moyens dévolus aux missions régaliennes de régulation et de contrôle sont à peu près consolidés.

Dans le domaine du développement économique, en effet, le Gouvernement a clairement affiché son intention de recentrer l'action de l'État sur quelques enjeux prioritaires, comme l'innovation, le numérique, le suivi des filières stratégiques et le soutien aux entreprises en difficulté. Les dispositifs d'intervention en faveur des entreprises connaissent, par conséquent, des évolutions très contrastées. Le coût de la « compensation carbone » destinée aux industries électro-intensives s'envole, en raison de la très forte hausse du prix des quotas carbone. Cette évolution, qui explique à elle seule la hausse des crédits du programme cette année, devra être surveillée de près, car elle pourrait bientôt s'avérer insoutenable pour les finances publiques, même s'il faut évidemment aider nos industries à faire face à la transition énergétique. Au contraire, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), qui a été mis en gestion extinctive en 2019, ne serait plus doté en 2020 que de crédits résiduels pour couvrir les engagements passés. Les crédits de soutien à la gouvernance des pôles de compétitivité, eux aussi, diminuent substantiellement.

Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réorganisation de grande ampleur de la direction générale des entreprises (DGE), tant au niveau central qu'au niveau déconcentré. Les pôles 3 E des DIRECCTE ont été fortement mis à contribution, puisque leurs effectifs ont été réduits des deux tiers en 2019, pour passer de 450 à 134 agents. Les conséquences sociales de cette transformation devront être suivies avec attention, car il resterait encore une centaine d'agents à reclasser.

Le retrait de l'État rend encore plus indispensable le renforcement de la coopération entre les différents acteurs du développement des entreprises au niveau local, renforcement auquel nous appelons depuis plusieurs années. Des signes encourageants se font jour, comme la mise en place d'un dialogue plus structuré entre l'État et les régions, ou encore la création de la « Team France Export » qui associe notamment les régions, Business France et les chambres de commerce et d'industrie pour le soutien à l'exportation. Les chambres de métiers et de l'artisanat, qui ne sont pas encore associées, devraient l'être à mon sens.

De son côté, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) perdra dix agents en 2020 sur un peu moins de 3 000. C'est moins que les années passées, puisqu'elle en avait perdu 47 l'an dernier et 45 l'année précédente, mais cela reste non négligeable. Or la DGCCRF est une administration très sollicitée, dont le volume d'activité a dangereusement baissé au cours des dernières années, au risque de mettre en péril le bon fonctionnement des marchés aussi bien que la sécurité des consommateurs. Une fois de plus, j'appelle à accélérer la réorganisation des services déconcentrés de la DGCCRF, très affectés par la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) en 2010, puis par les diminutions d'effectifs. Il est indispensable à mes yeux de poursuivre les regroupements entre unités départementales. C'est un voeu que j'avais déjà formulé l'an dernier, qui reste pieux du fait de la réticence de certains préfets, qui ne souhaitent pas perdre les quelques agents de leur direction départementale, ce qui est à mon sens une erreur car on ne peut pas faire un travail sérieux avec quatre ou cinq agents.

Par ailleurs, j'ai pu constater que la direction générale de la DGCCRF s'attachait à resserrer ses liens avec l'Autorité de la concurrence dans le domaine de la répression des pratiques anticoncurrentielles, comme l'y invite un référé de la Cour des comptes rendu en mars dernier. Un protocole de coopération a été conclu le 14 juin entre les deux administrations, qui vise à réduire les délais de traitement des dossiers et à harmoniser les méthodes d'enquête.

Les deux autorités administratives indépendantes financées par le programme 134, à savoir l'Autorité de la concurrence et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), bénéficient quant à elles d'une légère hausse de leurs crédits. En ce qui concerne l'Autorité de la concurrence, cette hausse servira à renforcer ses moyens d'investigation, notamment dans le domaine du numérique.

Cette année encore, j'ai voulu saisir l'occasion de cette discussion budgétaire pour dresser un bilan d'étape de la réforme du régime d'installation des professions réglementées du droit issue de la loi « Macron » du 6 août 2015. Car nous arrivons aujourd'hui au terme de la première période d'application de cette réforme. Comme vous le savez, l'Autorité de la concurrence est chargée de proposer aux ministres de la justice et de l'économie, tous les deux ans, une carte des zones d'installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, qui distingue entre les zones dites « d'installation libre » et les zones dites « d'installation contrôlée ». Elle doit aussi formuler des recommandations sur le rythme d'installation dans les zones d'installation libre. Il en va de même pour les avocats aux conseils, à ceci près qu'aucune carte n'est établie pour ces derniers puisque tous leurs offices sont situés en région parisienne.

L'Autorité de la concurrence s'est fondée sur une méthodologie rigoureuse, inspirée des concepts du droit de la concurrence, pour délimiter et classer les zones d'installation, aussi bien que pour formuler ses recommandations en termes d'installation. Sa tâche a cependant été compliquée par le fait que le Conseil constitutionnel a censuré, comme le Sénat l'avait prévu, le dispositif de la loi « Macron » prévoyant l'indemnisation des titulaires d'offices existants par les titulaires d'offices nouveaux. En l'absence de dispositif légal d'indemnisation, la responsabilité sans faute de l'État pourrait être engagée si la valeur patrimoniale d'un ou plusieurs offices venait à diminuer trop sensiblement en raison de l'instauration du nouveau régime d'installation. Par conséquent, l'Autorité de la concurrence a dû prendre en compte ce risque lorsqu'elle a formulé ses recommandations sur le nombre d'installations de professionnels. Or la méthode retenue n'écarte pas entièrement l'éventualité d'une dépréciation excessive de la valeur patrimoniale des offices à moyen et long terme. C'est un sujet auquel il faudra rester vigilant, car les sommes en jeu pourraient être élevées.

Après deux ans, les résultats obtenus par la nouvelle procédure sont conformes, dans l'ensemble, aux buts poursuivis par le législateur, consistant à augmenter graduellement le nombre d'offices et de professionnels pour renforcer la concurrence dans ces secteurs et améliorer l'offre de services.

Néanmoins, les objectifs d'installation initialement fixés par le Gouvernement n'ont pas toujours été atteints. Il en va ainsi, par exemple, pour les huissiers de justice : sur 202 nouveaux huissiers dont l'installation était prévue entre 2017 et 2019, 38 ne pourront pas être nommés, faute de candidatures suffisantes dans les zones concernées. Ces défaillances s'expliquent, en grande partie, par la lourdeur de la procédure de nomination et les délais qu'elle entraîne. En effet, dans les zones où le nombre de candidats excède le nombre de « postes » à pourvoir, il a fallu procéder à un tirage au sort manuel, après vérification de l'ensemble des candidatures. Certains candidats, tirés au sort en rang utile dans plusieurs zones, ont renoncé à leur classement dans l'une ou l'autre de ces zones. Il a alors fallu « repêcher » des candidats moins bien classés, mais ceux-ci n'avaient pas toujours pris les dispositions nécessaires en vue de leur installation, ce qui a pu les conduire à renoncer à leur nomination. Au bout du compte, il a fallu procéder à un nouvel appel à candidatures dans plusieurs zones, et recommencer le cycle entier de la procédure...

L'Autorité de la concurrence a formulé diverses propositions de simplification qui n'ont pas encore toutes été reprises par le Gouvernement. Certaines relèvent d'ailleurs du domaine législatif : c'est donc un chantier qu'il nous faudra rouvrir, mais je ne sais pas à quel horizon.

Dans l'ensemble, ce projet de budget me paraît pouvoir recueillir l'assentiment de notre commission des lois. Certes, il existe des motifs d'inquiétude, notamment en ce qui concerne le soutien public au secteur de l'artisanat et du commerce, ou encore la pérennité de l'action des chambres de commerce et d'industrie (CCI), dont les budgets ont subi une purge drastique. Un rapport d'inspection a évalué le niveau de ressources minimal en-deçà duquel le réseau ne pourrait plus fonctionner : nous y sommes. Il faut que cette réduction des moyens des CCI s'arrête, ou alors il faut envisager des évolutions structurelles, comme le regroupement des CCI avec les chambres de métiers et de l'artisanat - dont celles-ci ne veulent pas entendre parler. Les chambres d'agriculture sont aussi dans le collimateur...

Toutefois, je constate, une fois n'est pas coutume, que l'exigence liée à la maîtrise des dépenses publiques ne se traduit pas, au sein de ce programme, par une politique de rabot mais par de véritables choix et des réorganisations non dénuées d'ambition. Ces transformations qui évitent les doublons devront être approfondies : le Sénat doit ici jouer son rôle d'aiguillon vis-à-vis du Gouvernement. Il faut en tout cas mener les négociations que ces réorganisations impliquent avec tous les acteurs : les régions, les départements qui retrouvent progressivement quelques compétences en matière économique, les chambres consulaires, etc.

Je vous propose donc de donner un avis favorable, malgré des points de vigilance que je ne mésestime pas, à l'adoption des crédits du programme 134, « Développement des entreprises et régulations ».

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