La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Gatel, Catherine Di Folco, MM. Éric Kerrouche, Didier Marie et Alain Richard comme membres titulaires et de M. Christophe-André Frassa, Mme Marie Mercier, MM. Vincent Segouin, Loïc Hervé, Jean-Pierre Sueur, Pierre-Yves Collombat, et Mme Nathalie Delattre comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.
Je souhaite évoquer trois points au cours de ma présentation : les effectifs de l'État, le programme 148 « Fonction publique » et les concours administratifs.
Je rappelle qu'un comité « Action publique 2022 » a été créé en début du quinquennat pour réfléchir sur le rôle de l'État et de la sphère publique. Trois ans plus tard, force est de constater l'échec de cette démarche, les mesures proposées n'ayant pas été suivies d'effets.
Plus pragmatique, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique donne de nouveaux outils aux employeurs pour optimiser la gestion de leurs ressources humaines. Le Gouvernement travaille actuellement à sa mise en oeuvre, qui nécessite la publication de 140 mesures réglementaires.
Initialement, le Gouvernement s'était fixé l'objectif de supprimer 120 000 équivalents temps plein (ETP) en cinq ans, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans la fonction publique d'État.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 semble acter l'abandon de cet engagement : alors que l'État emploie plus de 2,45 millions d'agents, seuls 47 ETP seraient supprimés en 2020, soit beaucoup moins qu'en 2019. Ce très mince effort portera d'ailleurs sur les opérateurs, alors que les effectifs des ministères progresseront.
Dans le PLF pour 2020, la masse salariale de l'État s'établit à près 90 milliards d'euros, soit 19 % du budget général. Elle a augmenté de 4,66 milliards d'euros depuis 2017, malgré le gel du point d'indice de la fonction publique.
Je m'inquiète également de l'évolution de l'apprentissage : l'État a recruté moins d'apprentis en 2018 qu'en 2017 et n'a toujours pas atteint son objectif d'accueillir 10 000 apprentis dans ses effectifs. Il recrute moins d'apprentis que les collectivités territoriales, alors qu'il compte 550 000 agents de plus. Parmi les apprentis de l'État, seuls 3,4 % sont en situation de handicap, contre 6,4 % dans le versant territorial.
Je regrette aussi la suppression de la dotation interministérielle pour le financement de l'apprentissage. Depuis 2019, la rémunération et la formation des apprentis sont directement prises en charge par le budget des ministères, ce qui ne les incite pas à agir.
Conscient de ces difficultés en matière d'apprentissage, le Premier ministre a fixé de nouveaux objectifs aux ministères. Nous verrons l'année prochaine si l'État a été au rendez-vous de ses engagements !
Le programme 148 « Fonction publique » finance les priorités interministérielles concernant la formation, l'action sociale et la gestion des ressources humaines.
Ce programme n'intervient qu'à titre subsidiaire, en complément des actions ministérielles. Il est doté de 211,21 millions d'euros dans le PLF pour 2020, soit une augmentation de 2,74 % par rapport à l'an dernier.
Concernant la formation, une réforme des Instituts régionaux d'administration (IRA) a été mise en place à la rentrée 2019. Elle permet de réduire les coûts de formation en allongeant la durée des stages en administration. Pour le Gouvernement, cette réforme doit permettre d'envisager des évolutions similaires pour d'autres écoles de service public.
De son côté, l'École nationale d'administration (ENA) poursuit la mise en oeuvre de son plan de transformation, qui a pour but de revenir à l'équilibre budgétaire d'ici à 2020. L'ENA a ouvert une nouvelle classe préparatoire intégrée (CPI) à Strasbourg pour aider les élèves les plus modestes à préparer les concours administratifs.
Prévu pour novembre, le rapport de Frédéric Thiriez sur l'avenir de la haute fonction publique a été reporté à janvier, pour des raisons que nous ignorons.
Le budget de l'action sociale interministérielle est en progression de 6,23 % par rapport à l'année dernière. On peut toutefois regretter que ses coûts de gestion soient toujours aussi élevés. Sur 100 euros d'aide, 5,18 euros servent à rémunérer les prestataires de l'administration.
Sur la base de ces considérations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148 « Fonction publique ».
J'en viens désormais au thème transversal que j'ai souhaité aborder dans mon rapport : les concours administratifs.
Les concours restent la voie d'accès traditionnelle à l'emploi public, notamment parce qu'ils garantissent une égalité de traitement entre les candidats. Pour la seule année 2017, 47 596 candidats ont été lauréats d'un concours de la fonction publique de l'État et 15 751 d'un concours de la fonction publique territoriale
L'attractivité des concours semble toutefois s'éroder dans chaque versant de la fonction publique.
À titre d'exemple, le nombre de candidats présents aux concours organisés par les centres de gestion a chuté de près de 33 % entre 2014 et 2017. Hors concours interne, le nombre de candidats présents aux concours de l'État a diminué de 16,5 %. Signe des difficultés rencontrées par la fonction publique hospitalière, le nombre de candidats au concours d'attaché d'administration hospitalière ne cesse de diminuer, alors que le nombre de postes à pourvoir a augmenté...
Les concours sont également concurrencés par d'autres voies d'accès à l'emploi public, notamment avec le recrutement sans concours des agents de catégorie C et le recours croissant aux agents contractuels. Entre 2007 et 2017, le nombre de contractuels a augmenté de 2,2 % chaque année, alors que le nombre de fonctionnaires s'est stabilisé.
L'organisation des concours administratifs procède d'un processus long et coûteux pour les employeurs publics. Il faut par exemple compter 1 400 euros pour recruter un rédacteur territorial, 1 900 euros pour un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) et jusqu'à 7 000 euros pour un agent de la filière artistique.
Le concours interne d'ATSEM ne comporte plus qu'une seule épreuve d'entretien individuel avec le jury. Ce dernier doit parfois recevoir 600 personnes pour 30 postes... Et compte tenu de l'expérience des candidats, beaucoup d'entre eux obtiennent une note de 18/20, sans que cela suffise pour réussir le concours !
Sur le plan opérationnel, les organisateurs rencontrent des difficultés pour composer les jurys, qui doivent compter au moins 40 % de femmes et 40 % d'hommes.
Une autre difficulté majeure tient aux taux d'absentéisme des candidats, qui restent extrêmement élevés dans les trois versants de la fonction publique. En 2017, 61 % des candidats inscrits ne se sont pas présentés à la première épreuve du concours de professeur des écoles.
Cette difficulté s'explique, notamment, par un phénomène de « multi-inscriptions » : les candidats s'inscrivent à un maximum de concours pour optimiser leurs chances de réussite, même s'ils ne peuvent pas se présenter à toutes les épreuves.
La gestion des lauréats est un autre souci : dans la fonction publique territoriale, les lauréats sont inscrits sur une liste d'aptitude, sur laquelle ils peuvent figurer pendant quatre ans. S'ils ne trouvent pas de poste dans ce délai, ils sont considérés comme des « reçus-collés » et perdent le bénéfice de leur concours.
Lorsque les concours de la fonction publique hospitalière sont organisés par plusieurs établissements, les candidats sont affectés selon leur rang de classement, ce qui ne correspond pas toujours à leur souhait. Or, tout candidat qui refuse son affectation dans un établissement perd le bénéfice de son concours.
Pour remédier à cette situation, je souhaite formuler huit préconisations afin de renforcer l'attractivité des concours.
Il faut, tout d'abord, passer en revue l'ensemble des concours dans un délai de deux ans afin d'optimiser leurs conditions d'organisation et d'adapter le contenu des épreuves. Une priorité devrait être donnée aux concours soulevant le plus de difficultés, à l'instar des concours d'ATSEM et des filières artistiques.
Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de coordination entre les organisateurs de concours. Je salue, d'ailleurs, la signature lors du dernier congrès des maires d'une convention entre les centres de gestion et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Pour plus de clarté, les calendriers des concours des trois versants de la fonction publique devraient être publiés de manière centralisée. Ils pourraient figurer sur la Place de l'emploi public, site Internet qui réunit déjà les offres d'emplois publics.
En outre, il faut rapidement créer un outil pour lutter contre les « multi-inscriptions » dans le versant territorial, comme le prévoit la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Sur le plan logistique, des épreuves écrites pourraient être mutualisées entre plusieurs concours, ce qui permettrait de simplifier leur organisation. La correction des copies pourrait être dématérialisée. Dans la fonction publique de l'État, des services concours pourraient être créés au sein des préfectures.
Il convient, enfin, de diversifier le profil des fonctionnaires en poursuivant les efforts d'adaptation des épreuves, sans en réduire le niveau d'exigence, en développant les épreuves collectives de mise en situation et en étendant le recours aux concours sur titre.
Je vous remercie pour ce rapport, qui formule huit propositions très pragmatiques pour renforcer l'attractivité des concours administratifs.
La chute du nombre de candidats aux concours des centres de gestion de la fonction publique territoriale m'a particulièrement interpelée. Le fait que la fonction publique cesse d'être attractive doit être un sujet de préoccupation !
Plus de 60 % des inscrits au concours de professeur des écoles ne se sont pas présentés en 2017. C'est également très préoccupant !
La Nation mise beaucoup sur son enseignement. Or, le concours de professeur des écoles est parfaitement inégal en termes de nombre de postes ouverts par rapport au nombre de candidats. Les statistiques sont très différentes d'une académie à l'autre, par exemple lorsque l'on compare Créteil à Montpellier ou Toulouse. Dans certains cas, il y a presque autant de candidats que de lauréats ! In fine, nous pouvons nous interroger sur la qualité du recrutement des enseignants.
Il existe certainement un effort de communication à faire en ce qui concerne les concours. Malgré un taux de chômage élevé, beaucoup de jeunes ignorent les offres d'emploi qui existent au sein de la fonction publique.
Madame le rapporteur a évoqué le concours d'ATSEM. Il est absurde de faire passer des oraux à 600 personnes pour 30 postes ! La solution ne serait-elle pas de confier l'organisation de ces concours aux communes, à la place des centres de gestion ?
Vous avez parlé de dématérialisation de la correction des copies. Si la solution est de faire des questionnaires à choix multiples (QCM), je la trouve abominable car un concours administratif doit permettre de juger la capacité d'argumentation d'un candidat.
Nous nous posons parfois de faux problèmes en ce qui concerne la haute fonction publique. L'ENA bashing m'insupporte. Je n'ai pas du tout une vision négative de cette école.
J'ai eu la charge d'étudiants pendant toute ma vie professionnelle. Ils regardent les épreuves aux concours avec une grande attention, les résultats, mais également les dates. Les étudiants prennent certains concours comme un entraînement ou comme une solution de recours. Ils s'inscrivent aux concours qui offrent davantage de possibilités et le plus fort taux de réussite, ce qui s'éloigne de la logique de vocation... Or, l'absence d'un étudiant à un concours coûte extrêmement cher. Il existe là une source d'économies potentielles.
Beaucoup de recours sont déposés concernant le concours d'avocat. Disposez-vous d'informations sur le contentieux des concours de la fonction publique ?
La profession d'enseignant ou de professeur des écoles n'est plus très mobilisatrice. Il s'agit d'un exercice difficile, notamment parce qu'il existe un problème de formation. Cette profession est lourde à assumer au quotidien. Beaucoup d'enseignants rencontrent des difficultés à un moment ou à un autre de leur carrière. La mobilité et les salaires sont d'autres problèmes. Les enseignants doivent être considérés. Je crains que ce ne soit pas le cas aujourd'hui.
Je remercie notre collègue pour son rapport. Les concours constituent, en effet, un sujet majeur pour l'attractivité de la fonction publique.
Pourquoi ne pas rendre national le concours de professeur des écoles ? Les épreuves auraient lieu partout le même jour. Cela permettrait de résoudre le problème de l'absentéisme, qui conduit à des inégalités de niveau énormes entre les académies.
Le sujet des salaires est également très important. Tant que les salaires des enseignants n'auront pas été revalorisés, nous n'attirerons pas de jeunes.
La perte d'intérêt que traduisent les baisses d'inscription aux concours est certainement liée à la question des salaires.
Madame le rapporteur a évoqué la masse salariale de l'État. Disposons-nous d'informations sur le montant total des pensions des fonctionnaires ? Est-il inclus dans la masse salariale ?
Nos étudiants en sciences humaines se présentent de moins en moins aux concours administratifs. Les conditions de travail sont difficiles et les salaires sont très bas. La formation n'est pas à la hauteur. Les jeunes se dirigent plus facilement vers le privé, où ils trouvent plus rapidement des postes.
Concernant les salaires des agents publics, qui peut vivre avec 1 800 euros par mois à Paris ? Il faut revaloriser les salaires !
Je suis ravie d'avoir ouvert ce débat intéressant sur les concours de la fonction publique et vous remercie pour vos contributions.
Monsieur Alain Marc, vous indiquez qu'on constate parfois un candidat pour un poste dans certaines académies. Le jury n'a toutefois pas l'obligation de pourvoir tous les postes ouverts, notamment lorsque le niveau requis n'est pas atteint. J'en ai fait l'expérience lorsque j'ai participé au jury d'un concours d'ingénieur territorial.
Monsieur Jean-Pierre Sueur, vous avez raison, un effort de communication doit sans doute être réalisé concernant les concours de la fonction publique. Le centre de gestion du Rhône et de la métropole de Lyon participe par exemple à des forums métiers pour présenter les métiers du versant territorial.
Madame Brigitte Lherbier, dans la fonction publique territoriale, les recours contre les concours existent. Ils sont toutefois peu nombreux et portent principalement sur la composition et la notation du jury. Certains candidats estiment que tel jury était plus clément que tel autre, par exemple.
Monsieur Jean-Luc Fichet, je partage votre réflexion concernant les professeurs des écoles, autrefois instituteurs, qui étaient formés dans des écoles spécialisées et étaient préalablement mis en situation, avec des tuteurs qui leur apprenaient le métier. Ceci s'est perdu et le statut du maître est bien moins reconnu. Le maître n'est plus respecté, ni par les enfants ni par les parents d'élève !
Je vous remercie, Madame Josiane Costes, de votre proposition concernant l'organisation, au niveau national, du concours de professeur des écoles. Nous pourrons l'étudier avec la commission de la culture.
Pour répondre à la question de Monsieur Vincent Segouin, la masse salariale de l'État est présentée est hors pension et ne concerne que les actifs.
Je vous propose d'approuver l'avis favorable de notre rapporteur concernant les crédits du programme 148 « Fonction publique ».
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » du projet de loi de finances pour 2020.
Il me revient, comme l'an passé, de vous présenter les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice ». Sur les 9,4 milliards d'euros alloués à la mission en 2020, 3,9 milliards d'euros, soit environ 42 % du total, reviennent à l'administration pénitentiaire qui en constitue le premier poste de dépense. Cet effort financier n'est pas superflu compte tenu de l'ampleur des besoins de l'administration pénitentiaire et de l'importance de ses missions.
À périmètre constant, les crédits s'inscrivent en hausse de 5,6 % par rapport à 2019. La hausse atteint même 6,2 % si on ne tient pas compte des crédits qui abondent le compte d'affectation spéciale (CAS) « pensions ». Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, il s'agit d'une progression non négligeable. Cette progression est toutefois inférieure de 150 millions d'euros à celle prévue par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Autrement dit, quelques mois seulement après l'entrée en vigueur de la loi de programmation, le Gouvernement nous propose un projet de budget qui n'est pas à la hauteur des objectifs qu'il avait lui-même fixés, objectifs que notre commission avait déjà jugés insuffisamment ambitieux. Le Gouvernement justifie cet ajustement à la baisse par le retard pris dans la mise en oeuvre de certains projets immobiliers, principalement dans le champ de l'administration pénitentiaire. À l'approche des élections municipales, le ministère de la justice explique qu'il a eu du mal à obtenir l'accord de certaines communes pour choisir le lieu d'implantation des futurs établissements pénitentiaires : craignant les réactions négatives de la population, les maires hésiteraient à s'engager.
Je ne doute pas que ces difficultés se rencontrent à certains endroits, mais j'observe que la date des élections municipales est connue de longue date et que ces difficultés pouvaient donc parfaitement être anticipées. J'avoue que, compte tenu de la vétusté de nombreux locaux dans le parc pénitentiaire ou dans les tribunaux judiciaires, il est extrêmement regrettable que le Gouvernement n'ait pas respecté la trajectoire prévue en loi de programmation, car ces crédits auraient permis de réaliser, sans attendre, de petits travaux de rénovation ou de renouveler certains matériels. La fongibilité des crédits au sein d'un programme l'aurait permis.
Le projet de budget va permettre de financer les deux priorités de l'administration pénitentiaire : l'augmentation des effectifs, avec la création de 1 000 emplois, et la poursuite du programme « 15 000 » qui vise, comme vous le savez, à livrer 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027.
Concernant les créations d'emplois, 300 vont servir à combler les nombreuses vacances de postes constatées chez les surveillants pénitentiaires. 400 agents supplémentaires vont renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), afin qu'ils puissent mieux assumer leurs missions de réinsertion professionnelle, mais aussi d'évaluation. 159 postes seront affectés aux nouveaux établissements pénitentiaires et une cinquantaine d'emplois seront affectés aux extractions judiciaires qui se déroulent souvent dans des conditions difficiles sur le terrain, au détriment de la qualité du travail des magistrats.
Si ces créations d'emplois sont bienvenues, je doute, compte tenu du nombre élevé de personnes placées sous main de justice et des sous-effectifs chroniques constatés dans de nombreux services, qu'elles soient suffisantes pour améliorer de façon déterminante les conditions de travail des personnes. Ces embauches posent, de plus, la question de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, qui peine à recruter en raison notamment de la faiblesse des rémunérations. Un directeur d'établissement pénitentiaire perçoit à peine plus de 3 000 euros, avec les primes, au bout de 10 ans, alors qu'il porte une importante responsabilité pour diriger un tel établissement. De nombreux directeurs cherchent à quitter leurs fonctions au bout de quelques années. Les personnes qui réussissent les concours de surveillant sont parfois peu qualifiées et peu motivées, ce qui pose ensuite des problèmes pour la gestion des ressources humaines et pour l'animation des équipes.
En ce qui concerne le programme immobilier, il sera divisé en deux tranches : 7 000 places doivent être livrées avant fin 2022 et les 8 000 autres avant fin 2027. L'objectif est de réduire la surpopulation carcérale en construisant de nouvelles maisons d'arrêt et de favoriser la réinsertion en créant des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) qui ont vocation à être implantées en centre-ville, afin de faciliter les liens avec les services sociaux, Pôle Emploi et les employeurs.
Cet objectif de 7 000 places d'ici 2022 est beaucoup moins volontariste et ambitieux qu'il n'en donne l'impression au premier abord. Il marque d'abord un recul par rapport à l'engagement initial du Président de la République de construire 15 000 places au cours du quinquennat. Ce chiffre correspond ensuite pour l'essentiel à l'aboutissement de programmes de construction entamés avant 2017. C'est le cas par exemple du programme de réhabilitation de la prison de la Santé ou de la construction de l'établissement Baumettes 3 à Marseille. Le principal mérite du Gouvernement est donc de ne pas avoir interrompu les chantiers ouverts par ses prédécesseurs.
Le rythme de construction de places de prison ne paraît pas non plus suffisant pour garantir l'objectif de l'encellulement individuel. Le taux d'encellulement individuel n'est aujourd'hui que de 42 % et il ne devrait guère évoluer en 2020. Ce taux n'est que de 21 % dans les maisons d'arrêt où l'on dénombre plus de 1 500 matelas au sol. La surpopulation entraîne une saturation des équipements qui explique que peu de détenus aient accès au travail ou à une formation pendant leur incarcération. Même l'accès aux équipements sportifs et aux douches devient aléatoire dans ces conditions. La promiscuité qui en résulte est un facteur de tensions et de violences entre détenus, comme me l'a confirmé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté au cours de son audition.
La sécurisation des établissements pénitentiaires demeure une préoccupation majeure pour l'administration. Le projet de budget permettra notamment de poursuivre en 2020 la modernisation du système de brouillage des téléphones portables, pour un coût de 24,5 millions d'euros, et de renforcer la lutte contre les drones malveillants à laquelle une enveloppe de 3,6 millions d'euros sera consacrée.
La sécurité passe aussi par la création, en mai dernier, d'un service national du renseignement pénitentiaire de plein exercice qui s'est substitué à l'ancien bureau central du renseignement pénitentiaire. Ce service, qui s'appuie sur des cellules interrégionales et sur un réseau de délégués et de correspondants, va être renforcé en 2020 grâce à 35 créations d'emplois qui porteront son effectif total à 329 agents.
L'administration pénitentiaire a lancé, en 2019, le programme d'accueil individualisé et de réinsertion sociale (PAIRS) qui prend la suite du programme RIVE. Ce programme concerne les individus condamnés pour des actes de terrorisme ou de droit commun, mais identifiés comme radicalisés. Il vise à favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale grâce à un suivi individualisé et pluridisciplinaire. Une soixantaine de personnes pourraient être prises en charge dans quatre centres à Paris, Lyon, Marseille et Lille.
Pour finir, je souhaite souligner deux initiatives prises par l'administration pénitentiaire en 2019 qui semblent de nature à favoriser la réinsertion des détenus en agissant sur deux leviers : le travail et la formation, d'une part, et la santé, d'autre part.
Sur le premier point, le Gouvernement a créé une agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) qui s'est vue assigner trois missions : développer les peines de travail d'intérêt général (TIG), dynamiser la formation professionnelle des personnes détenues et favoriser l'emploi pénitentiaire, l'insertion par l'activité économique et l'accompagnement vers l'emploi.
Des conventions ont été signées le 12 novembre dernier entre le ministère de la justice et différents partenaires publics et privés afin de dégager des postes pouvant accueillir des personnes condamnées à une peine de TIG, et un décret va être publié très prochainement pour expérimenter le TIG dans les entreprises de l'économie sociale et solidaire.
La relance du travail en détention constitue un enjeu majeur pour mettre fin au déclin constaté depuis une vingtaine d'années : alors que 48 % des détenus travaillaient en détention en 2000, ce taux n'est plus que de 28 % aujourd'hui. L'agence procédera à un état des lieux avant de définir une stratégie pour mieux mobiliser les crédits disponibles et développer l'activité du service de l'emploi pénitentiaire.
La seconde initiative concerne l'annonce d'une feuille de route pour la santé des personnes placées sous main de justice pour la période 2019-2022. Cette feuille de route comporte 28 actions destinées à améliorer la connaissance de l'état de santé de cette population et sa prise en charge. Une attention particulière est portée à la santé mentale, de première importance compte tenu du nombre élevé de détenus qui souffrent de troubles psychiatriques. Il est prévu de réaliser deux études sur le sujet et de construire de nouvelles places en unités d'accueil spécialement aménagées (UHSA) qui accueillent en hospitalisation complète les détenus nécessitant des soins psychiatriques. Hier, lors de son audition, la garde des sceaux a indiqué que, selon certains rapports, 80 % des personnes incarcérées souffriraient de troubles psychologiques.
En conclusion, je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire. Ce budget comporte des avancées, mais l'incapacité du Gouvernement à respecter la trajectoire budgétaire approuvée par le Parlement il y a seulement quelques mois pose un vrai problème politique qui ne nous permet pas de voter ces crédits. J'ai également souligné le décalage qui existe entre les déclarations, très ambitieuses, et la réalité, beaucoup plus modeste. Au total, ce projet de budget ne me paraît donc pas à la hauteur des enjeux, ce qui explique cet avis défavorable.
Nous appelons de nos voeux depuis longtemps une diversification des conditions d'exécution des peines qui semble à nouveau s'amorcer, alors que cette dynamique était interrompue depuis 2012. En revanche, le non-respect du programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison doit être regretté. Désormais, le Gouvernement ne s'engage plus qu'à ouvrir 7 000 places en 2022 et 8 000 en 2027. Même revu à la baisse, ce programme n'est toutefois pas encore mis en oeuvre puisque les crédits n'ont pas été inscrits et il semble que les retards ne pourront être rattrapés. Ces éléments justifient votre avis défavorable sur les crédits du programme dédié à l'administration pénitentiaire, position que partage d'ailleurs le rapporteur spécial de la commission des finances.
L'engagement pris lors de l'élection présidentielle de 2017 de créer 15 000 places de prison en 5 ans ne sera pas tenu sur un mandat, mais sur deux mandats. Selon les spécialistes des programmes immobiliers, il n'est même pas certain que 7 000 places pourront être construites pour 2022 ; il est plutôt question de 5 000 places. Faudra-t-il donc un troisième mandat pour obtenir enfin, ces 15 000 places supplémentaires ?
Je souhaite savoir si cet objectif chiffré intègre les structures d'accompagnement à la sortie (SAS), qui sont des structures intermédiaires plus légères à construire.
Par ailleurs, l'ensemble des maisons d'arrêt et des centres de détention sont-ils équipés d'un système de brouillage des communications illicites ?
Enfin, le bleu budgétaire pour 2020 fixe un objectif de délai de traitement des affaires pénales de 15 mois. Or, je ne vois pas comment, dans ces conditions - notamment avec l'augmentation des affaires pénales concernant les mineurs - l'on pourrait atteindre cet objectif.
Lors de son audition, la ministre nous a indiqué qu'il était très difficile de construire des prisons en période électorale. Or, il faut souligner que ces prisons font vivre économiquement les zones excentrées où elles sont implantées et créent de l'emploi.
Elle a également évoqué le recrutement de nouveaux effectifs, tout en passant sous silence le mal-être des surveillants. Bon nombre d'entre eux démissionnent, faute de pouvoir se loger et vivre correctement à Paris. Certains se suicident. Les services pénitentiaires ne se portent pas bien.
Elle a d'ailleurs indiqué que les ministères recrutaient des personnes pour effectuer des TIG. J'aurais souhaité que les mairies et les régions soient associées à cette démarche, puisque celles-ci pourraient recruter des personnes pour rénover des préaux d'écoles, par exemple.
Ma position sur les moyens budgétaires alloués à ce programme est plus nuancée. L'augmentation des crédits de paiement peut paraître faible mais, dans le contexte économique actuel, elle montre que le Gouvernement considère la justice comme une priorité.
Le ministère de la justice est devenu un ministère d'intendance qui doit traiter une multiplicité des sujets qui l'ont progressivement conduit à perdre en efficacité, tels que la gestion des prisons, des systèmes d'information ou encore la réorganisation des juridictions.
Nous pensions avoir réglé la question de l'indépendance des juridictions avec la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), mais celle-ci réexamine aujourd'hui le sujet sous l'angle du mandat d'arrêt européen qui concerne 20 000 décisions en France et constitue un outil essentiel de la lutte contre la grande délinquance. Si, dans quelques semaines, la CJUE annulait les mandats d'arrêt émanant de la France à cause du statut du parquet, nous devrions repenser notre système juridique et, le cas échéant, réviser la Constitution.
Malgré les efforts à souligner par rapport aux exercices antérieurs, ce budget est très nettement insuffisant. L'administration pénitentiaire est sinistrée et le malaise des surveillants est profond. L'état de non-droit qui règne dans le système carcéral, tel qu'il est décrit par le personnel qui y travaille, est impressionnant. Les lois de la République devraient pourtant s'y appliquer avec plus de rigueur qu'ailleurs.
J'ai du mal à comprendre les arguments de la garde des sceaux qui accuse les communes de freiner la construction des prisons alors que je connais de nombreuses communes qui seraient candidates pour accueillir un centre pénitentiaire. J'ai l'impression que le Gouvernement cherche de faux prétextes pour justifier les retards.
Je n'ai pas l'impression que des efforts suffisants soient réalisés en termes de recrutement et de formation pour redonner au personnel pénitentiaire des missions de sécurité. La loi donne de nouvelles prérogatives aux agents, y compris à l'égard des personnes non détenues, mais cela n'a entraîné aucun changement dans la pratique. La Chancellerie a refusé que leurs prérogatives s'étendent au-delà de quelques mètres de l'enceinte pénitentiaire, alors que des téléphones sont jetés par-dessus les murs. De même, en ce qui concerne les communications illégales, nous pensions avoir réglé le problème en autorisant les IMSI-catchers dans les prisons, mais il n'en est rien : l'administration pénitentiaire ne s'est pas saisie de cette opportunité.
Les prisons restent surpeuplées et les règles de droit ne s'y appliquent toujours pas. Le budget ne traduit pas une politique de reprise en main de nos prisons. Je partage donc la position du rapporteur.
Monsieur le rapporteur, je ne partage pas la sévérité de votre avis sur les crédits du programme dédié à l'administration pénitentiaire. La question de la surpopulation carcérale se pose depuis des années, et le problème continue de s'aggraver. Au 1er avril 2019, 71 628 personnes étaient incarcérées en France. Notre pays se distingue d'ailleurs, par rapport à nos voisins européens, par un recours important à la détention préventive. Nous continuons à nous inscrire dans cette fuite en avant.
François-Noël Buffet et moi-même l'évoquions déjà dans un rapport d'information sur la nature, l'efficacité et la mise en oeuvre des peines : la stratégie pénale poursuivie depuis des années n'est pas la bonne. Les alternatives à la prison demeurent des pratiques marginales ; les SAS sont peu nombreuses. Le budget de la mission « Justice » n'est pas pleinement satisfaisant, notamment parce que le manque de moyens des SPIP constitue un vrai problème. Quand la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations annonce que de nouvelles solutions seront déployées pour faire cesser les violences conjugales, on peut douter de la bonne volonté du Gouvernement au vu du manque de moyens. En effet, il faudrait renforcer les SPIP pour suivre les personnes condamnées ou trouver des alternatives à la prison.
Le chemin est long et difficile. Vous ne pouvez pas reprocher en permanence à la garde des sceaux de ne pas avoir respecté ses engagements initiaux. Il est compliqué de construire des places supplémentaires, même lorsque les communes y sont favorables. À titre d'exemple, la ministre avait annoncé, à Strasbourg, sa volonté de construire 500 places de prison supplémentaires. Mais l'administration pénitentiaire n'a pas travaillé avec les élus locaux pour définir la nature du lieu d'emprisonnement. La maison d'arrêt est située en centre-ville, ce qui permet de faciliter l'accès à la justice. En revanche, si l'objectif est de diminuer le nombre de personnes qui effectuent de courtes peines pour se concentrer sur les personnes condamnées à de longues peines et réaliser un travail au long cours de réinsertion, les prisons peuvent tout à fait être implantées en dehors du centre des villes, dans des zones à dynamiser économiquement.
Des efforts sont faits en ce sens, mais ils ne sont pas suffisants. Et la critique est facile lorsque, depuis des années, rien n'a été fait. La justice devrait surtout changer de stratégie sur la sanction et la lutte contre la criminalité.
C'est le problème de la parole politique qui se pose : l'annonce de la construction de 15 000 places supplémentaires n'avait pas pris en compte la réalité du terrain.
En ce qui concerne le brouillage des communications, certains équipements anciens ne permettent aujourd'hui que de brouiller la 2G. Il faut maintenant arriver à brouiller partout la 3G, la 4G et bientôt la 5G, ce qui explique que des crédits aient été consacrés à cette question.
Dans les grandes villes se posent effectivement, pour les surveillants de centres pénitentiaires, des problèmes de logement, de malaise et de concurrence avec la police municipale qui recrute beaucoup. Les surveillants pénitentiaires, quand ils peuvent rejoindre une commune en tant policiers municipaux, le font.
Le malaise croît dans la profession : il existe donc un impérieux besoin d'améliorer le dialogue au sein de l'administration pénitentiaire.
Je vous précise par ailleurs que les collectivités territoriales et les grandes administrations sont bien associées aux TIG, ainsi que des grandes entreprises comme La Poste ou EDF.
Enfin, des progrès sont effectivement constatés mais, depuis des dizaines d'années, nous ne nous occupons ni de nos prisons ni des peines qui permettraient d'éviter l'incarcération. Nous n'avons pas besoin de mettre toutes les prisons en centre-ville : il convient d'analyser les situations au cas par cas.
Je rappelle que le Sénat avait déjà jugé la programmation budgétaire insuffisante et que le Gouvernement ne la respecte pas. Cela justifie notre insatisfaction.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».
La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) représente 9,7 % des crédits de l'ensemble de la mission « Justice », moins d'un quart des crédits du programme « Justice judiciaire » et un peu plus d'un quart de ceux du programme « Administration pénitentiaire ». Les missions dévolues à la PJJ, qui assure le suivi de près de 150 000 jeunes chaque année, justifient cependant qu'un examen spécifique de ses crédits soit effectué chaque année par la commission des lois.
Le projet de loi de finances pour 2020 dote la protection judiciaire de la jeunesse d'un budget de 736,6 millions d'euros hors pensions, en augmentation de 16,5 millions d'euros, soit 2,3 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Il est marqué par la mobilisation pour préparer les réformes votées et à venir issues de la réforme territoriale de l'État, de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et surtout de la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, dont l'entrée en vigueur est prévue le 1er octobre 2020.
L'un des objectifs premiers de cette réforme est la réduction des délais de jugement pour les mineurs. Le projet de budget prévoit la création de 70 ETP correspondant à 94 postes d'éducateurs. Par ailleurs, 5 emplois sont créés pour favoriser la participation de la PJJ aux internats tremplin.
Hors Titre 2, le budget de la PJJ continue sa progression entamée il y a 3 ans. Si l'on ne peut que se féliciter de ces augmentations, on peut s'interroger sur les orientations retenues à moyen terme.
En effet, la création de postes d'éducateurs dans le projet de budget correspond à un renforcement du secteur ouvert. Or le contexte général est celui d'un recours accru au secteur fermé, c'est-à-dire privatif de liberté pour les mineurs.
La PJJ a engagé un programme de création de 20 centres éducatifs fermés d'ici 2022. 5 de ces centres seront gérés par le secteur public et 15 par le secteur associatif. Le projet de budget reflète ce choix. Les CEF sont critiqués par les syndicats de la PJJ comme l'antichambre de l'incarcération en raison des contraintes qu'ils font peser sur les mineurs et de leur caractère jugé excessivement disciplinaire. La commission nationale consultative des droits de l'homme a formulé les mêmes critiques en mars 2018.
Du strict point de vue budgétaire, la dépense annuelle moyenne d'un CEF telle qu'elle est présentée par le programme annuel est de 1,555 million d'euros. Le budget de fonctionnement annuel des nouveaux CEF devrait donc s'élever à 31,11 millions d'euros lorsqu'ils seront tous ouverts. Ces sommes, qui représentent 4 % du budget actuel de la PJJ, devront soit être ajoutées à son budget, soit être redéployées.
Il me paraît donc important d'insister sur le fait que l'importance accordée aux centres éducatifs fermés comme structures et au secteur associatif habilité comme opérateur ne doit pas aboutir à détourner la PJJ de sa vocation première, à savoir l'éducation et l'insertion des jeunes en danger, en s'appuyant sur les compétences des éducateurs spécialisés et en milieu ouvert.
Les chiffres trimestriels de l'administration pénitentiaire ont fait apparaître en juin 2019 un pic de 894 mineurs incarcérés, renouant avec les chiffres de la fin des années 1980. Au total, plus de 3 000 mineurs sont incarcérés chaque année. Pour comprendre pourquoi, je me suis rendue dans les deux établissements qui en accueillent le plus : l'établissement pour mineurs de Porcheville et le quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Les mineurs ne peuvent être incarcérés qu'à partir de l'âge de 13 ans, mais plus de 90 % ont plus de 16 ans. Ils sont incarcérés dans les quartiers mineurs des prisons pour adultes et depuis 15 ans dans les établissements pour mineurs (EPM) créés par la loi dite Perben I de 2002. Ces derniers ont été conçus pour offrir une réponse plus adaptée et plus éducative dans les cas où la détention a été décidée par le juge. Mais leur nombre est limité. Il en existe six en France, chacun ayant une capacité de 60 places. Ceci signifie que près des deux-tiers des mineurs détenus le sont dans les quartiers pour mineurs. Ces quartiers sont répartis dans 51 maisons d'arrêt et centres pénitentiaires sur l'ensemble du territoire national. Seuls trois ont plus de 20 détenus, dont deux sont situés en Ile-de-France : la maison d'arrêt de Villepinte qui a 30 places et celle de Fleury-Mérogis qui en compte 94.
La situation de l'Ile-de-France, qui a le plus grand nombre de mineurs détenus (174) et en transfère une partie vers le nord de la France, est préoccupante et demande un engagement clair du gouvernement pour éviter que les difficultés actuelles ne s'accroissent. Cette situation se caractérise par la conjonction de trois phénomènes : le taux élevé de délinquance, la concentration des mineurs accusés de terrorisme et le nombre de mineurs non-accompagnés qui représentent un tiers des mineurs détenus de Fleury-Mérogis.
Il convient bien sûr d'agir sur les causes de la détention pour la limiter. On peut ainsi noter que la très grande majorité des mineurs détenus sont des prévenus, et qu'une partie d'entre eux est incarcérée pour des périodes courtes, voire très courtes, allant de 4 jours à 4 mois.
Je souhaite vous présenter les difficultés liées aux lieux de détention. L'EPM de Porcheville est d'abord caractérisé par sa difficulté d'accès. Même si les familles peuvent s'organiser pour effectuer des transports communs depuis la gare la plus proche, il s'agit là nécessairement d'un frein au contact avec les familles.
Par ailleurs, bien qu'ayant à peine plus de dix ans, l'établissement souffre de nombreuses malfaçons, à commencer par son architecture. La plupart des quartiers de détention sont situés en rang le long de la cour centrale. Les allées et venues de chacun sont donc visibles et les interpellations constantes. L'atmosphère de l'établissement s'en trouve dégradée et plus tendue. Les consultations médicales et plus spécifiquement de psychiatrie sont connues de tous du fait de cet agencement et entrainent la stigmatisation de ceux qui y ont recours, ce qui conduit sans doute à un renoncement aux soins.
La qualité de construction des cellules est également faible. Soumises à des dégradations constantes, à l'opposé des lieux d'activité, des salles de sport notamment ou des salles de classe mais aussi des parloirs qui sont particulièrement bien préservés, les cellules auraient dû être conçues de manière adaptée. Qu'il s'agisse des peintures ou surtout des douches et sanitaires, tel n'a pas été le cas. Un contentieux en cours entre l'administration et le constructeur a de plus retardé les travaux de rénovation ce qui rend la situation actuelle très insatisfaisante.
Pour sa part, le quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis disposait initialement d'un des trois bâtiments qui constituent la maison d'arrêt, les deux autres étant le bâtiment pour hommes et le bâtiment pour femmes, au sein duquel se trouve une unité de dix places pour mineures. Dans le cadre du programme pluri-annuel de rénovation de la maison d'arrêt, ce bâtiment a été fermé en avril 2016. Le quartier pour mineurs a été relogé à cette date au troisième étage du bâtiment D4 pour hommes, où sont logés les détenus condamnés à de courtes peines ou en réinsertion active. D'importants travaux dans le terrain vague situé devant le bâtiment ont permis de transformer le gymnase qui s'y trouvait en bureaux pour la PJJ et en unité éducative, et de créer des cours de promenade spécifique aux mineurs. Plus de trois ans après ce déménagement, les travaux sur l'ancien bâtiment pour mineurs devraient bientôt commencer, pour s'achever entre 2023 et 2024.
La situation temporaire aura à cette date théorique duré huit ans. Après plus d'une année de grandes difficultés, liées au déménagement et aux contraintes de l'insertion du quartier pour mineurs dans un bâtiment pour adultes, l'engagement, le dynamisme et la volonté de progresser des équipes de la PJJ et de l'administration pénitentiaire semblent permettre de trouver des modes de prise en charge de plus en plus adaptés aux jeunes.
Un projet « d'aile de confiance » est ainsi en préparation pour début 2020 : certains jeunes prépareront et prendront leurs repas avec les éducateurs et gardiens, afin de favoriser une meilleure interaction. Ce projet particulièrement intéressant marque l'arrivée à maturité des relations entre la PJJ et l'administration pénitentiaire s'agissant de la gestion du quartier pour mineurs. Pour autant, la situation actuelle n'est clairement pas adaptée.
Face à cette situation, deux décisions doivent être prises et j'ai eu hier l'occasion les aborder lors de l'audition de Mme la garde des Sceaux.
Tout d'abord, la situation de l'Ile-de-France appelle la création d'un nouvel établissement carcéral pour les mineurs. Il serait envisagé de réaffecter à l'incarcération des mineurs l'établissement de Meaux-Chauconin qui avait été initialement conçu comme un EPM. L'administration semble hésiter entre le rétablissement d'un établissement pour mineurs et la création d'un nouveau quartier pour mineurs. Au regard de la qualité de prise en charge, j'estime indispensable que ce soit la création d'un nouvel EPM qui soit retenue. Il est donc très regrettable que la garde des Sceaux nous ait annoncé hier que c'était la création d'un nouveau quartier pour mineurs qui sera retenu.
Je pense aussi que les incertitudes sur la possibilité pour le quartier pour mineurs de réintégrer un bâtiment dédié doivent être levées. Quelles que soient les difficultés d'incarcération des majeurs à Fleury-Mérogis, qui compte actuellement 3700 détenus pour 3000 places et en a compté récemment jusqu'à 4200, la spécificité des besoins des mineurs incarcérés doit être prise en compte. Cela impose que ce qui est en pratique la plus grande prison pour mineurs de France soit installée dans un bâtiment dédié. Nous pouvons espérer que les assurances et le calendrier donnés par la garde des Sceaux en ce sens seront respectés, même si la perspective de 2021 me paraît assez utopique pour créer un nouveau bâtiment ex-nihilo.
Plus généralement, je souhaite insister sur deux points essentiels s'agissant de la prise en charge des mineurs incarcérés : l'éducation et la préparation de la sortie. Le partenariat avec l'Éducation nationale est au coeur du projet des EPM. Des moyens conséquents lui sont consacrés. Je m'inquiète cependant du nombre de personnels contractuels, qui représentent la quasi-totalité des enseignants à l'exception d'une professeure des écoles titulaire, affectés à l'établissement de Porcheville. Il me semble que doit être développé le recours à des enseignants titulaires effectuant une partie de leurs heures de service au sein de l'établissement. Bien sûr, je ne minimise pas la difficulté que pose le public spécifique des mineurs incarcérés et la nécessité d'une formation spécifique pour les enseignants. Mais l'objectif étant le retour en scolarité au sein d'établissements classiques, la prise en charge par des enseignants également en poste au sein de ces établissements serait souhaitable.
La situation de chaque établissement doit être prise en compte, et le service de la PJJ de Fleury-Mérogis a fait valoir à juste titre que la grande majorité des mineurs incarcérés ayant entre 17 ans et 17 ans et demi, la question de la scolarité ne pose pas pour eux de la même façon. À ceci s'ajoute le fait qu'alors que la scolarité est obligatoire pour l'ensemble des mineurs en EPM quel que soit leur âge, en quartiers pour mineurs elle s'applique jusqu'à l'âge de 16 ans, comme en milieu ouvert. Le besoin premier de ces jeunes n'est donc pas nécessairement l'acquisition d'un diplôme scolaire, mais celle d'une qualification professionnelle. Les mineurs incarcérés à Fleury-Mérogis en sont actuellement privés du fait de l'aménagement du quartier dans un bâtiment pour majeurs et de l'impossibilité de mener des activités de formation communes aux deux populations.
S'agissant de la préparation à la sortie, j'ai été particulièrement impressionnée par l'engagement des services de la PJJ à Fleury-Mérogis et à l'EPM de Porcheville pour travailler sur le parcours d'insertion des mineurs. À l'EPM de Porcheville, un important travail d'articulation avec les milieux ouverts de la PJJ a été conduit depuis 2018 pour faciliter l'accueil des mineurs sortants, afin de surmonter les difficultés et réticences à l'accueil de ces jeunes. L'adhésion à la mesure prise à la sortie de l'incarcération dépend, comme l'ont montré les représentants de la PJJ de Fleury-Mérogis, de la manière dont le mineur sera accueilli. C'est donc un très important travail de préparation qui est mené, tout d'abord avec les magistrats, pour envisager les solutions alternatives à l'incarcération qui peuvent être proposées et anticiper la sortie du mineur, mais aussi avec les services d'accueil, qu'ils relèvent de la PJJ ou des départements, dans un contexte où les mineurs les plus fragiles risquent d'être immédiatement repris par les réseaux de délinquance s'ils ne font pas l'objet d'un suivi attentif.
La construction de l'adhésion au projet, et la possibilité d'offrir des solutions aux mineurs incarcérés, permettent des réussites en matière d'insertion, y compris pour des mineurs issus des catégories les plus fragiles, comme les mineurs non accompagnés. L'investissement nécessaire s'en trouve dès lors pleinement justifié.
Au regard de l'importance de la préparation de la sortie des mineurs incarcérés, il me paraît important que ceux-ci fassent systématiquement l'objet d'une mesure de milieu ouvert.
En conclusion, je souhaite formuler le constat suivant. Dans les deux principaux établissements d'incarcération des mineurs en Ile-de-France, la PJJ dispose d'équipes de taille similaire. Avec les mêmes moyens, la PJJ de Fleury-Mérogis doit faire face à un nombre de détenus beaucoup plus important, dans un contexte complexe d'équilibre avec l'administration pénitentiaire et d'incertitude sur les locaux. Pour autant, paradoxalement, la place de la PJJ au quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis semble mieux définie qu'elle ne l'est à l'EPM de Porcheville. Au sein de l'EPM, la définition des interventions semble se nouer prioritairement entre l'administration pénitentiaire et l'Éducation nationale. La place de la PJJ comme moteur du suivi des mineurs avant, pendant et après leur incarcération est plus affirmée à Fleury-Mérogis. Il m'apparaît donc que les EPM doivent faire une plus grande place à l'écoute de la PJJ dans la définition de leurs projets et de leurs orientations.
L'incarcération des mineurs doit être la plus limitée possible, et l'investissement des équipes de la PJJ doit être accompagné pour que, lorsque l'incarcération est indispensable, elle puisse prendre tout son sens dans un parcours d'insertion dans jeunes.
Au regard du projet de budget 2020, je vous propose de donner un avis favorable, avec quelques réserves.
Je vous remercie de cet examen très approfondi. Je pensais que les CEF étaient entourés d'un large consensus. Vous avez mentionné des avis qui m'ont surpris. Les CEF ont été imaginés pour éviter l'incarcération. Rappelons que les mineurs délinquants qui sont placés en CEF dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'une libération conditionnelle, encourent une peine de prison. Critiquer ces centres parce que l'on y impose une discipline me surprend également beaucoup car ils visent à inculquer aux jeunes délinquants qui y sont placés un comportement respectueux. Le CEF est une alternative à l'emprisonnement, pas une antichambre de l'emprisonnement.
J'ai également été très surprise. Le problème des CEF tient au turnover très important des équipes. Les titulaires sont peu nombreux, les contractuels ne sont pas forcément formés et ils se succèdent. Ce travail est extrêmement dur, si bien que les personnels ne restent pas. Les CEF ne jouent pas forcément le rôle qui leur était assigné au départ. Les CEF qui fonctionnent bien sont ceux dans lesquels les équipes sont stables. Par ailleurs, les contractuels sont souvent recrutés en banlieue. Ils viennent du même milieu que les jeunes, ce qui peut créer des problèmes.
L'école de la PJJ se trouve à Roubaix. Son déménagement depuis Vaucresson a été une grande réussite. Le concours est très spécifique car il porte sur des aspects juridiques mais aussi psychologiques. En revanche, les relations de la PJJ avec le reste du système pénitentiaire est difficile. Les éducateurs ne font pas souvent confiance aux autres institutions. Ainsi, la PJJ ne souhaite pas participer aux cellules de veille municipale.
Les centres d'éducation fermés ne sont pas des prisons. Les évasions sont donc nombreuses. Par ailleurs, l'investissement financier est très lourd, tout en étant très intéressant d'un point de vue humain. Il est dommage que ce système, qui est une opportunité pour éviter la prison, ne fonctionne pas. Les mineurs ont besoin d'être scolarisés pour que nous ne les retrouvions pas en prison 10 ans plus tard.
Je salue la qualité du travail de Madame le Rapporteur. Je me suis rendue plusieurs fois à Porcheville. Vous avez très bien soulevé la problématique de l'architecture intérieure et des travaux qui ne se font pas en raison d'un litige avec le constructeur. Tous les murs des cellules sont tagués. Les toilettes sont dans un état indigne. Par ailleurs, la nourriture ne correspond pas à ce que les jeunes souhaitent manger. Souvent, les familles n'arrivent pas à se rendre dans ce lieu. Tout cela contribue à ce que les jeunes soient sous-alimentés. Les jeunes préfèrent aller en maison d'arrêt parce qu'ils peuvent y avoir un réchaud.
Ceux qui ne fréquentent pas l'école n'ont accès ni au sport, ni à la très belle médiathèque, qui est vide. Aucun ordinateur ne fonctionne correctement. Il n'y a pas de livres qui correspondent aux centres d'intérêt de jeunes de 16 ans, et uniquement des jeux de cartes. Les jeunes passent leurs journées à jeter des bouteilles en plastique par les fenêtres. Il faut trouver des solutions pour les occuper et ouvrir le complexe sportif à ceux qui ne fréquentent pas l'école. Par ailleurs, il faut leur apprendre un métier. On se demande vraiment ce que vont devenir les jeunes.
Je vous remercie pour la qualité du rapport. Il est impossible de recruter des personnels sans expérience dans les centres d'éducation fermés puisque les jeunes délinquants placés dans ces centres ont un parcours très compliqué. Des moyens doivent être donnés sur la prévention de ces jeunes mineurs qui commettent des délits très tôt. Si cette délinquance précoce était mieux encadrée, ces mineurs n'arriveraient peut-être pas en CEF...
Sur le milieu éducatif en milieu ouvert que je connais un peu, les budgets sont insuffisants. Si l'éducateur ne peut suivre ces jeunes qu'à l'occasion d'un, voire deux rendez-vous par mois, ces mineurs n'iront pas bien loin.
Sur les centres éducatifs fermés, avez-vous distingué ceux gérés par la protection judiciaire de la jeunesse et ceux gérés par des associations privées, sachant que les deux ne rencontrent pas les mêmes difficultés de recrutement ? Ces centres éducatifs fermés concernent des jeunes qui auraient mérité d'être mieux suivis avant. La difficulté se renforcera avec la loi Blanquer qui prévoit que le jeune est soumis à une obligation de formation de 16 à 18 ans. Auparavant, les jeunes de 16 ans pouvaient espérer trouver du travail, ce n'est plus possible aujourd'hui. Les jeunes sont désoeuvrés, en échec scolaire.
Un problème se pose quant à la nature du recrutement. Le personnel recruté en Allemagne a une formation en criminologie, alors que nos éducateurs ont plutôt une formation juridique, ce qui pose un vrai problème, dans l'administration pénitentiaire comme dans la PJJ. Je regrette que nous examinions le financement de cette mission alors même que nous ne sommes pas encore saisis de la réforme de l'ordonnance de 1945.
Dans le cadre des travaux de la mission d'information sénatoriale sur la réinsertion des mineurs enfermés, nous avions visité le centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge qui est un centre exemplaire, animé par une gouvernance magnifique. Malheureusement, cette volonté de réinsérer n'est pas toujours soutenue par les parents, notamment les pères qui sont particulièrement défaillants.
Je formulerai pour ma part un bémol concernant l'organisation de la formation et de l'enseignement. Il faut recruter des enseignants aguerris pour ces jeunes de 16 ou 17 ans qui ont un niveau scolaire de primaire et à la concentration limitée. Nous avons également tous rencontré des mineurs qui veulent quitter leur centre éducatif fermé pour rejoindre le quartier des mineurs d'une maison d'arrêt. Leur seul objectif est de pouvoir cantiner et de fumer librement. Il n'ont aucune idée des conséquences que cela engendre, puisqu'ils ne bénéficieront plus d'aucune prise en charge. Je déplore moi aussi l'absence récurrente des pères qui ne rendent pas visite à leurs enfants. Dans ces conditions, le SPIP devient leur seule référence.
En matière de prévention, il y a eu la création par la garde des Sceaux de l'époque, Michèle Alliot-Marie, des EPIDE, les établissements publics d'insertion dans la défense, devenus établissements publics pour l'insertion dans l'emploi, maintenus ensuite par les gouvernements de gauche. Ces établissements apportaient une réponse aux jeunes que je qualifierais de « border-line ». Au regard des choix budgétaires retenus pour le service national universel (SNU), qui sera à terme doté d'un budget de 1,5 milliard d'euros, je pense que le développement des EPIDE serait également intéressant.
Généralement, les mineurs qui intègrent les EPIDE sont moins violents que ceux placés en centre éducatif fermé. Pour que ce qui est des élèves de l'école de la PJJ, ils ont des compétences tant en droit qu'en psychologie.
Il est exact que les personnels de la PJJ ne sont pas à l'aise en milieu fermé. Ce n'est pas leur vocation initiale. Tous postulent à des postes en milieu ouvert, ce qui explique le turn over important et le recours aux contractuels dans les CEF. Les mineurs n'y ont pas d'éducateur à qui se référer, ce qui est déstabilisant pour eux. À l'inverse, le centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge est un bon exemple à suivre. Madame Benbassa, la PJJ consacre un budget de 3,14 millions d'euros à l'alimentation mais celle-ci est peu adaptée aux goûts des jeunes. Pour y remédier, la PJJ envisage de repenser les marchés qu'elle conclut. Madame Troendlé, je suis d'accord qu'il y a un réel besoin de formation et d'accès à l'éducation. De façon générale, mieux encadrer la détention revient à mieux accompagner les mineurs. Madame Eustache-Brinio vous avez raison, la qualité des contractuels de la PJJ n'est pas toujours au rendez-vous. Dans l'intérêt des mineurs il faudrait également faire de la prévention, dès l'école primaire, qu'il y ait plus de classes relais.
Monsieur Bigot, 15 des 20 nouveaux CEF, soit la majorité, seront associatifs. L'accès des jeunes au monde du travail à leur sortie de CEF est variable selon les territoires. On implante les CEF dans les grosses agglomérations au détriment des territoires ruraux où il y a du travail. Je pense qu'il faut aussi envisager cette question sous l'angle de l'aménagement du territoire. J'insiste sur le fait que les niveaux scolaires des jeunes sont très hétérogènes. Il faut des enseignants aguerris, des titulaires expérimentés et formés pour ce public particulier, et non des contractuels. Au sein du CEF de Porcheville, il n'y a qu'un enseignant titulaire.
Monsieur Kanner, dans les EPIDE, l'armée a en effet joué un rôle qu'il conviendrait de développer.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020.
Le rapport pour avis que je vous présente porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2020, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire », le programme 101 « Accès au droit et à la justice », le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».
Les crédits de la mission « Justice » progressent de 2,8 %, hors pensions, par rapport à la loi de finances pour 2019, pour atteindre un montant total de 7,58 milliards d'euros en crédits de paiement. Cela représente 205 millions d'euros supplémentaires, mais c'est moins qu'en 2019 où le budget avait augmenté de 4,5 %.
Parmi les programmes de la mission, le programme « Justice judiciaire », dont les crédits de paiement atteignent 3,5 milliards d'euros, est celui qui augmente le moins. L'effort consenti est de seulement 0,13 %, soit environ 4,4 millions d'euros supplémentaires, ce qui ne couvre même pas l'érosion liée à l'inflation.
Malgré tout, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit et commence à porter ses fruits en juridiction. Le taux de vacance de postes de magistrats n'est désormais plus que de 0,5 % alors qu'il s'élevait à 5,18 % en 2017. La situation est moins favorable pour les greffiers, dont le taux de vacance est de 7 %. Ces constats sont perceptibles dans les juridictions, comme me l'ont indiqué les personnels et le président du tribunal de grande instance de Bobigny, dans lequel je me suis rendu.
Le schéma d'emploi prévoit 384 emplois supplémentaires pour 2020, dont la majorité correspond à des postes de juge des enfants et de greffiers, en vue de l'entrée en vigueur du nouveau code de la justice pénale des mineurs.
Les frais de justice constituent une dépense toujours conséquente. Alors que les prévisions d'exécution pour 2019 font état de près de 519 millions d'euros de dépenses, seulement 491 millions d'euros sont prévus en 2020. Il faut y ajouter 45,39 millions d'euros de charges restant à payer, ainsi que 133 millions d'euros de dette dont le plan d'apurement n'est pas encore prévu. Je crains donc une sous-dotation manifeste. Or cela a des conséquences sur les juridictions et peut retarder le cours de la justice.
La modernisation numérique de la justice se poursuit. Il y a toutefois un certain décalage entre les annonces des services et la réalité dans les juridictions. À titre d'exemple, le ministère indique que, grâce à l'application Portalis, les justiciables peuvent consulter l'état d'avancement de leur procédure en matière civile. Les représentants des personnels entendus lors des auditions et à Bobigny m'ont dit que cela n'était pas encore possible.
L'activité juridictionnelle est également toujours très soutenue. Les délais de traitement des affaires sont néanmoins trop élevés, notamment pour les jugements criminels de première instance, rendus en 42,2 mois en moyenne, ce qui est insatisfaisant. Dans ce contexte, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice implique la mise en oeuvre de nombreuses réformes d'organisation judiciaire : expérimentation de cours criminelles départementales depuis septembre dernier, création du tribunal judiciaire, spécialisation des juridictions en première instance et en appel, ainsi que révision de l'implantation des cabinets d'instruction sur le territoire. Tous ces chantiers sont en cours, nous les suivrons attentivement.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, à périmètre constant, les crédits qui lui sont alloués diminueraient de près de 22 millions d'euros sans que cela ne soit réellement justifié, ce qui n'est pas acceptable. En outre, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui réforme l'aide juridictionnelle et dont on se demande pourquoi le Gouvernement ne l'a pas intégré lui-même au projet de loi initial. Cette méthode ne me semble pas honnête, d'autant plus que le dispositif pose plusieurs problèmes de fond.
L'article 76 terdecies tel qu'adopté renverrait, en premier lieu, la définition des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle au pouvoir réglementaire, alors qu'ils sont aujourd'hui fixés par la loi. Il retiendrait aussi le revenu fiscal de référence comme critère d'éligibilité, alors qu'aujourd'hui les ressources de toute nature sont examinées.
Ces modifications auront, à l'évidence, une incidence financière. Or, sans étude d'impact, nul ne sait quel seuil envisage de retenir le Gouvernement. Il n'est pas non plus possible d'estimer les conséquences de ces mesures sur la population éligible à l'aide juridictionnelle, ni leur coût. L'article supprime, en second lieu, l'obligation d'avoir un bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) dans chaque tribunal de grande instance. Leur répartition serait renvoyée au décret sans aucun encadrement du législateur. Cette disposition est problématique pour l'exercice des droits de la défense, surtout en matière pénale où l'aide juridictionnelle est une urgence. Les autres mesures proposées par l'article visent à écarter plus efficacement les publics qui n'ont pas droit à l'aide juridictionnelle : plus satisfaisantes sur le principe, elles me paraissent invalidées par le dispositif global et la méthode retenue qui sont contestables.
Je vous proposerai donc un amendement de suppression de l'article 76 terdecies, identique à celui de notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances.
J'ai souhaité, cette année, faire un focus particulier sur la réforme des juridictions sociales intervenue le 1er janvier 2019, en application de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. 116 tribunaux de grande instance sont désormais compétents pour traiter le contentieux auparavant dévolu aux tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et aux tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI), ainsi qu'une partie du contentieux des commissions départementales d'aide sociale (CDAS). Des efforts ont été faits pour apurer le stock, qui s'élevait à près de 200 000 affaires. Il ne s'élève plus, si je puis dire, qu'à 165 000 affaires.
De manière générale, la question du transfert des personnels auparavant affectés au secrétariat des TASS et TCI reste posée : ces personnels étaient des agents de droit privé dont la rémunération était prise en charge par la sécurité sociale, en majorité, ou des agents publics du ministère des affaires sociales. Ce dernier s'est d'ailleurs engagé à transférer 541 ETP aux services judiciaires. Là encore, nous ne saurons que fin 2020 combien d'entre eux souhaitent rejoindre les services judiciaires, mais à ce jour, seuls 357 d'entre eux ont accepté la mise à disposition auprès de la Chancellerie, le différentiel étant compensé par le recrutement de contractuels et de greffiers qui connaissent moins bien cette matière.
Au final, je regrette la quasi-stagnation des crédits de paiement alloués aux services judiciaires, tout comme la diminution des crédits de l'aide juridictionnelle sans raison valable et l'adoption d'une réforme dans la précipitation à l'Assemblée nationale, sans la moindre étude d'impact.
Au surplus, je ne peux accepter que la suppression de certains cabinets d'instruction dans les tribunaux puisse se faire selon des considérations électorales. Malgré les explications de la garde des sceaux, je reste sceptique.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2020.
Je m'attendais à votre conclusion et la partage, compte tenu de l'audition de la garde des sceaux Nicole Belloubet à laquelle nous avons procédé hier. Il faut toutefois reconnaître, grâce à l'effort de ce Gouvernement mais également des précédents, qu'il n'y a aujourd'hui presque plus de postes de magistrats vacants. La garde des sceaux a toutefois bien voulu reconnaître que la référence actuelle de répartition prévue des postes dans les juridictions demande à être mise à jour. On peut réduire les vacances sans avoir pourvu réellement tous les tribunaux en moyens humains correspondant à leurs besoins, si ceux-ci n'ont pas été évalués à leur juste mesure. En ce qui concerne les greffiers, elle a aussi reconnu ne pas avoir réussi à inverser la tendance, avec un taux de vacance de 7 %. Globalement, la progression des moyens n'est pas à la hauteur de la loi de programmation.
Le groupe socialiste partage la conclusion du rapporteur. Beaucoup de gouvernements pourraient être critiqués depuis un quart de siècle pour ne pas avoir alloué à la justice des crédits à la hauteur des besoins. La loi de programmation pour la justice n'est pas respectée. L'effort accompli dans ce budget est insuffisant, il faudrait faire beaucoup plus pour au moins atteindre la moyenne des dépenses en matière de justice dans les pays de l'OCDE. Je voudrais faire part de ma déception concernant le report de la réforme constitutionnelle relative au mode de désignation des magistrats du Parquet, qui expose la France à la condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme. Je ne comprends pas alors qu'un texte avait été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées en 2016. Je déplore aussi le refus d'apporter des réponses, ou ne serait-ce que des excuses, après la découverte du projet de conditionner la répartition de postes de juges d'instruction à des considérations politiques.
Je suis d'accord avec le rapporteur et notre collègue Jean-Pierre Sueur, pour des raisons de fond. Nous constatons des moyens insuffisants et, par conséquent, une perte de l'attractivité des fonctions exercées dans la justice. Je ne reviendrai pas sur les révélations concernant l'organisation d'une forme de pénurie de magistrats organisée selon les critères rappelés.
Il est choquant dans un contexte de lutte contre les violences conjugales et intra familiales de toucher à l'aide juridictionnelle qui concerne un public en difficulté. De même, certaines personnes âgées auraient des difficultés à porter plainte s'il s'agit d'y procéder par voie électronique. La ministre nous renvoie vers les maisons France services, déjà chargées de renseigner les citoyens, qui devraient donc en plus assister les personnes souhaitant accéder à la justice. Cette justice est inhumaine.
Je rejoins la position du rapporteur dans la mesure où la loi de programmation pour la justice avait pour objectif la réalisation d'économies, ce que nous avions décrié, plutôt que le bon fonctionnement de la justice. Concernant l'aide juridictionnelle, je dénonce la méthode retenue par le gouvernement. La ministre avait annoncé le dépôt d'un projet de loi, puis, la rédaction d'un rapport a été confiée en juillet dernier à deux députés et, au final, c'est au détour d'un amendement au projet de loi de finances pour 2020 que le gouvernement tente de réformer l'aide juridictionnelle. Il s'agit d'une tactique fréquente du Gouvernement, qui demande à ses députés de déposer des propositions de loi ou des amendements, ce qui le dispense d'étude d'impact. Quant au projet de prévoir un unique bureau d'aide juridictionnelle par ressort de cour d'appel, cela implique la mise en place d'un système unique de demande par internet à laquelle serait apportée une réponse par courriel. Cela n'est pas satisfaisant pour des publics en difficulté.
La prise en compte dans l'amendement du revenu fiscal de référence pour l'octroi de l'aide juridictionnelle a tout de même pour objet de faciliter l'appréciation des ressources par les BAJ. Ce n'est pas infaillible mais il faut souligner cette avancée. Je reconnais que d'autres aspects de l'amendement sont beaucoup plus discutables.
Lorsque nous avons, Yves Détraigne et moi-même, été co-rapporteurs de la loi de programmation et de réforme pour la justice, nous avions constaté que le texte ne donnait pas les moyens à ce ministère régalien. Ce budget n'est pas le reflet de ce qui est annoncé par la garde des sceaux, ce qui n'est pas acceptable. Concernant la méthode, ce n'est pas la première fois qu'on nous annonce une étude approfondie avant de la contourner : en matière de justice des mineurs, de parquet national financier, pour l'aide juridictionnelle maintenant. C'est un non-respect du travail parlementaire, voire une preuve de mépris à l'égard du Sénat. Il faut que cela cesse. Pour ma part je voterai en faveur de l'amendement de notre rapporteur.
Lorsque l'on n'est pas d'accord, on ne vote pas, tout simplement. Il ne faut pas chercher à tout prix de raisons de voter. Montrons que nous existons.
Je constate que nos collègues sont en accord avec moi, je propose le rejet des crédits.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 166 « Justice judiciaire », du programme 101 « Accès au droit et à la justice », du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et du programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020.
La commission adopte l'amendement n° II-514 présenté par le rapporteur.
Pour répondre à une question qui m'est souvent posée, c'est au titre de ses compétences en matière de droit des affaires et de droit de la consommation que notre commission des lois s'est saisie pour avis des crédits affectés au programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie ».
Ce programme regroupe une partie des dépenses budgétaires consacrées par l'État au soutien aux entreprises, auxquelles il convient d'ajouter d'importantes dépenses fiscales. Il comprend également les crédits destinés aux missions de régulation concurrentielle des marchés et de protection des consommateurs. Le projet de loi de finances pour 2020 témoigne de la volonté du Gouvernement de recentrer l'action de l'État en matière de développement économique sur un nombre restreint de priorités, tandis que les moyens dévolus aux missions régaliennes de régulation et de contrôle sont à peu près consolidés.
Dans le domaine du développement économique, en effet, le Gouvernement a clairement affiché son intention de recentrer l'action de l'État sur quelques enjeux prioritaires, comme l'innovation, le numérique, le suivi des filières stratégiques et le soutien aux entreprises en difficulté. Les dispositifs d'intervention en faveur des entreprises connaissent, par conséquent, des évolutions très contrastées. Le coût de la « compensation carbone » destinée aux industries électro-intensives s'envole, en raison de la très forte hausse du prix des quotas carbone. Cette évolution, qui explique à elle seule la hausse des crédits du programme cette année, devra être surveillée de près, car elle pourrait bientôt s'avérer insoutenable pour les finances publiques, même s'il faut évidemment aider nos industries à faire face à la transition énergétique. Au contraire, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), qui a été mis en gestion extinctive en 2019, ne serait plus doté en 2020 que de crédits résiduels pour couvrir les engagements passés. Les crédits de soutien à la gouvernance des pôles de compétitivité, eux aussi, diminuent substantiellement.
Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réorganisation de grande ampleur de la direction générale des entreprises (DGE), tant au niveau central qu'au niveau déconcentré. Les pôles 3 E des DIRECCTE ont été fortement mis à contribution, puisque leurs effectifs ont été réduits des deux tiers en 2019, pour passer de 450 à 134 agents. Les conséquences sociales de cette transformation devront être suivies avec attention, car il resterait encore une centaine d'agents à reclasser.
Le retrait de l'État rend encore plus indispensable le renforcement de la coopération entre les différents acteurs du développement des entreprises au niveau local, renforcement auquel nous appelons depuis plusieurs années. Des signes encourageants se font jour, comme la mise en place d'un dialogue plus structuré entre l'État et les régions, ou encore la création de la « Team France Export » qui associe notamment les régions, Business France et les chambres de commerce et d'industrie pour le soutien à l'exportation. Les chambres de métiers et de l'artisanat, qui ne sont pas encore associées, devraient l'être à mon sens.
De son côté, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) perdra dix agents en 2020 sur un peu moins de 3 000. C'est moins que les années passées, puisqu'elle en avait perdu 47 l'an dernier et 45 l'année précédente, mais cela reste non négligeable. Or la DGCCRF est une administration très sollicitée, dont le volume d'activité a dangereusement baissé au cours des dernières années, au risque de mettre en péril le bon fonctionnement des marchés aussi bien que la sécurité des consommateurs. Une fois de plus, j'appelle à accélérer la réorganisation des services déconcentrés de la DGCCRF, très affectés par la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) en 2010, puis par les diminutions d'effectifs. Il est indispensable à mes yeux de poursuivre les regroupements entre unités départementales. C'est un voeu que j'avais déjà formulé l'an dernier, qui reste pieux du fait de la réticence de certains préfets, qui ne souhaitent pas perdre les quelques agents de leur direction départementale, ce qui est à mon sens une erreur car on ne peut pas faire un travail sérieux avec quatre ou cinq agents.
Par ailleurs, j'ai pu constater que la direction générale de la DGCCRF s'attachait à resserrer ses liens avec l'Autorité de la concurrence dans le domaine de la répression des pratiques anticoncurrentielles, comme l'y invite un référé de la Cour des comptes rendu en mars dernier. Un protocole de coopération a été conclu le 14 juin entre les deux administrations, qui vise à réduire les délais de traitement des dossiers et à harmoniser les méthodes d'enquête.
Les deux autorités administratives indépendantes financées par le programme 134, à savoir l'Autorité de la concurrence et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), bénéficient quant à elles d'une légère hausse de leurs crédits. En ce qui concerne l'Autorité de la concurrence, cette hausse servira à renforcer ses moyens d'investigation, notamment dans le domaine du numérique.
Cette année encore, j'ai voulu saisir l'occasion de cette discussion budgétaire pour dresser un bilan d'étape de la réforme du régime d'installation des professions réglementées du droit issue de la loi « Macron » du 6 août 2015. Car nous arrivons aujourd'hui au terme de la première période d'application de cette réforme. Comme vous le savez, l'Autorité de la concurrence est chargée de proposer aux ministres de la justice et de l'économie, tous les deux ans, une carte des zones d'installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, qui distingue entre les zones dites « d'installation libre » et les zones dites « d'installation contrôlée ». Elle doit aussi formuler des recommandations sur le rythme d'installation dans les zones d'installation libre. Il en va de même pour les avocats aux conseils, à ceci près qu'aucune carte n'est établie pour ces derniers puisque tous leurs offices sont situés en région parisienne.
L'Autorité de la concurrence s'est fondée sur une méthodologie rigoureuse, inspirée des concepts du droit de la concurrence, pour délimiter et classer les zones d'installation, aussi bien que pour formuler ses recommandations en termes d'installation. Sa tâche a cependant été compliquée par le fait que le Conseil constitutionnel a censuré, comme le Sénat l'avait prévu, le dispositif de la loi « Macron » prévoyant l'indemnisation des titulaires d'offices existants par les titulaires d'offices nouveaux. En l'absence de dispositif légal d'indemnisation, la responsabilité sans faute de l'État pourrait être engagée si la valeur patrimoniale d'un ou plusieurs offices venait à diminuer trop sensiblement en raison de l'instauration du nouveau régime d'installation. Par conséquent, l'Autorité de la concurrence a dû prendre en compte ce risque lorsqu'elle a formulé ses recommandations sur le nombre d'installations de professionnels. Or la méthode retenue n'écarte pas entièrement l'éventualité d'une dépréciation excessive de la valeur patrimoniale des offices à moyen et long terme. C'est un sujet auquel il faudra rester vigilant, car les sommes en jeu pourraient être élevées.
Après deux ans, les résultats obtenus par la nouvelle procédure sont conformes, dans l'ensemble, aux buts poursuivis par le législateur, consistant à augmenter graduellement le nombre d'offices et de professionnels pour renforcer la concurrence dans ces secteurs et améliorer l'offre de services.
Néanmoins, les objectifs d'installation initialement fixés par le Gouvernement n'ont pas toujours été atteints. Il en va ainsi, par exemple, pour les huissiers de justice : sur 202 nouveaux huissiers dont l'installation était prévue entre 2017 et 2019, 38 ne pourront pas être nommés, faute de candidatures suffisantes dans les zones concernées. Ces défaillances s'expliquent, en grande partie, par la lourdeur de la procédure de nomination et les délais qu'elle entraîne. En effet, dans les zones où le nombre de candidats excède le nombre de « postes » à pourvoir, il a fallu procéder à un tirage au sort manuel, après vérification de l'ensemble des candidatures. Certains candidats, tirés au sort en rang utile dans plusieurs zones, ont renoncé à leur classement dans l'une ou l'autre de ces zones. Il a alors fallu « repêcher » des candidats moins bien classés, mais ceux-ci n'avaient pas toujours pris les dispositions nécessaires en vue de leur installation, ce qui a pu les conduire à renoncer à leur nomination. Au bout du compte, il a fallu procéder à un nouvel appel à candidatures dans plusieurs zones, et recommencer le cycle entier de la procédure...
L'Autorité de la concurrence a formulé diverses propositions de simplification qui n'ont pas encore toutes été reprises par le Gouvernement. Certaines relèvent d'ailleurs du domaine législatif : c'est donc un chantier qu'il nous faudra rouvrir, mais je ne sais pas à quel horizon.
Dans l'ensemble, ce projet de budget me paraît pouvoir recueillir l'assentiment de notre commission des lois. Certes, il existe des motifs d'inquiétude, notamment en ce qui concerne le soutien public au secteur de l'artisanat et du commerce, ou encore la pérennité de l'action des chambres de commerce et d'industrie (CCI), dont les budgets ont subi une purge drastique. Un rapport d'inspection a évalué le niveau de ressources minimal en-deçà duquel le réseau ne pourrait plus fonctionner : nous y sommes. Il faut que cette réduction des moyens des CCI s'arrête, ou alors il faut envisager des évolutions structurelles, comme le regroupement des CCI avec les chambres de métiers et de l'artisanat - dont celles-ci ne veulent pas entendre parler. Les chambres d'agriculture sont aussi dans le collimateur...
Toutefois, je constate, une fois n'est pas coutume, que l'exigence liée à la maîtrise des dépenses publiques ne se traduit pas, au sein de ce programme, par une politique de rabot mais par de véritables choix et des réorganisations non dénuées d'ambition. Ces transformations qui évitent les doublons devront être approfondies : le Sénat doit ici jouer son rôle d'aiguillon vis-à-vis du Gouvernement. Il faut en tout cas mener les négociations que ces réorganisations impliquent avec tous les acteurs : les régions, les départements qui retrouvent progressivement quelques compétences en matière économique, les chambres consulaires, etc.
Je vous propose donc de donner un avis favorable, malgré des points de vigilance que je ne mésestime pas, à l'adoption des crédits du programme 134, « Développement des entreprises et régulations ».
Ce rapport particulièrement circonstancié met en lumière les contradictions du Gouvernement : la mise en extinction du FISAC, dont chacun connaît l'importance dans le monde rural, n'est pas compatible avec la volonté, constamment affichée en ce moment, de maintenir des services sur l'ensemble du territoire. Le commerce, l'artisanat, l'agriculture ont besoin de soutien. Il y a des commerces qui doivent être soutenus et modernisés pour attirer la clientèle en milieu rural. Je me demande donc si la commission ne devrait pas vous donner mandat pour déposer un amendement visant à rétablir les crédits du FISAC, qui ne sont tout de même pas considérables, en les gageant sur d'autres crédits pour que ce soit recevable, et pour mettre ainsi le Gouvernement face à ses responsabilités.
La question du FISAC est extrêmement importante. Il devait être suppléé par l'Agence nationale de cohésion des territoires, sur laquelle nous n'avons aucune visibilité. Ce qui ressort de nos échanges est, une fois de plus, la négligence ou le manque de considération pour le monde rural. En affaiblissant les chambres consulaires, on prive également d'un outil important dans les zones rurales. Cela va aggraver la fracture territoriale. C'est une raison de plus pour notre groupe de s'opposer à ce projet de loi de finances.
On semble oublier l'importance économique des petites et moyennes entreprises et de l'artisanat, en termes d'emplois en particulier, puisque les PME embauchent bien plus que les grands groupes exportateurs. On ne peut pas se satisfaire de ces replâtrages, peu importe d'ailleurs qu'on les appelle « Agence nationale de cohésion des territoires » ou, plus moderne encore, « France services ». Il faut dynamiser ce qui fonctionne bien, les institutions qui font véritablement tourner la boutique, plutôt que ces inventions complètement creuses. On grignote des crédits par-ci, par-là, sans aucune concertation. Mon groupe ne s'en satisfait donc pas non plus.
Je m'interroge enfin sur les problèmes d'installation des professions réglementées en raison du coût des offices. Où est passée la concurrence libre et non faussée ? Le prix des études est trop élevé.
J'irai dans le même sens que tous nos collègues sur le FISAC. Je vois, moi aussi, une contradiction entre la communication affichée par le Gouvernement, au travers des programmes sur les centres bourgs et l'attractivité de la ruralité, et cette politique qui consiste, en même temps, à casser ce qui marche bien. Je souscris à vos propos, monsieur le président : le FISAC est essentiel pour redynamiser le commerce et les centres bourgs. Pour avoir été maire pendant dix ans et présidente d'une communauté de communes, je peux témoigner de l'importance du FISAC pour nos territoires ruraux. De même, on va casser la dynamique née d'une vraie territorialisation de l'action des chambres consulaires.
Je partage entièrement le point de vue du président Bas et de Mme Harribey. Une commune rurale vit grâce à ses commerces et à ses associations ! Il arrive que la municipalité rachète et implante des commerces qui disparaîtraient sinon. Il est d'ailleurs dommage que la planification de l'aménagement commercial, qui relevait naguère de la commune ou de l'intercommunalité, ait été intégrée au schéma de cohérence territoriale (SCoT), moins précis en la matière. L'existence d'un document propre à l'aménagement commercial forçait au moins les élus à se poser des questions sur ce sujet.
Toutes les interventions sur le commerce et l'artisanat se rejoignent. J'insiste néanmoins sur la volonté de recentrage de l'action de l'État sur l'innovation, le numérique, le soutien aux entreprises en difficulté et le suivi des filières stratégiques, dont témoigne ce budget.
On peut regretter que dans ces filières stratégiques ne figurent pas le commerce, l'artisanat, le maintien du tissu économique. Pour autant, ce programme va plutôt dans le bon sens. Pour une fois, on fait des choix plutôt que de donner des coups de rabot. Il faut bien sûr être vigilant pour ne pas laisser certains secteurs au bord du chemin. D'autres acteurs peuvent prendre le relais de l'État en certains domaines, au premier rang desquels les régions et les EPCI, qui ont une compétence économique. Les régions sont notamment disposées à reprendre à leur compte le soutien à l'artisanat et au commerce, si on leur en donne les moyens.
Ceci dit, monsieur le président, si je n'ai pas proposé d'amendement, c'est parce que la commission des finances doit défendre un amendement visant à relever à 30 millions d'euros les autorisations d'engagement et les crédits de paiement alloués au FISAC, alors que le projet de loi de finances ne lui attribue que 2,8 millions d'euros en crédits de paiement.
La commission des lois doit marquer son soutien, soit en votant cet amendement de la commission des finances, soit en déposant son propre amendement, avec un dispositif identique. Cette dernière hypothèse a ma faveur pour montrer la volonté commune des deux commissions.
Cela aura le mérite de soulever le problème. Je prends donc acte du mandat qui m'est donné par la commission pour déposer cet amendement.
Il est en tout cas évident qu'il y a une contradiction entre le lancement par le Gouvernement du projet « Action coeur de ville » et la mise en extinction du FISAC, puisque celui-ci devrait contribuer au financement des actions concernées... Mais j'insiste, les régions proposent de prendre le relai, cela peut être une bonne alternative. Je me félicite du début de négociations entre l'État et les régions sur ce point.
D'accord sur le principe, mais les régions n'en ont pas les moyens aujourd'hui.
J'ai cru observer, mais c'est peut-être le fruit d'une expérience particulière, que les régions s'intéressent peu au commerce et à l'artisanat. En réalité, il est dommage que les dispositifs d'aide autrefois mis en place par les départements aient disparu. Généralement, les régions ne les ont pas repris, les jugeant trop microéconomiques, comme les prêts à taux zéro.
Je précise à notre collègue Jean-Luc Fichet que le décret relatif à l'agence nationale de cohésion de territoires est paru et que cette agence doit entrer en fonction le 1er janvier 2020.
Pour répondre à l'intervention de Pierre-Yves Collombat, les créations nouvelles d'offices de professions réglementées sont gratuites. Seul l'accès à un office existant est payant, et encore, pas partout, puisqu'en Alsace et en Moselle le droit de présentation du successeur n'existe pas. Le vrai problème de la gratuité, c'est que la valeur patrimoniale des anciens offices diminue s'il y a trop de nouveaux entrants.
Ça me dérange moins pour les offices notariés que pour les licences des taxis, confrontés au même problème !
Pour répondre brièvement à Mme Di Folco, je partage son analyse, mais voudrais dire qu'il appartient au SCoT de déterminer avec précision la politique commerciale d'un territoire. Dans l'ensemble, les SCoT jouent efficacement leur rôle.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme n° 134, « Développement des entreprises et régulations » du projet de loi de finances pour 2020, sous réserve de l'adoption de son amendement.
Monsieur le président, mes chers collègues, il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, dont notre commission s'est saisie pour avis. Le budget de l'année dernière visait à donner une traduction concrète aux orientations définies dans le « Livre bleu outre-mer » élaboré dans le prolongement des Assises des outre-mer. Le budget pour l'année 2020 vient consolider ces orientations.
En 2019, deux dépenses fiscales en faveur des territoires ultramarins ont été supprimées. Le Gouvernement s'était engagé à ce que les 170 millions ainsi dégagés abondent dans leur totalité le budget en faveur des outre-mer. Pour la deuxième année consécutive, ces engagements sont respectés.
Malgré cela, les crédits de la mission « Outre-mer » sont en diminution en 2020. Cela s'explique principalement par deux mesures de périmètre. Comme le souhaitent les Polynésiens, la dotation globale d'autonomie est transformée à l'occasion de ce projet de loi en prélèvement sur recettes. Il s'agit d'une disposition que nos deux assemblées avaient votée l'an dernier, mais que le Conseil constitutionnel avait censuré car il ne la trouvait pas suffisamment précise. Espérons que les précisions apportées soient suffisantes. La seconde mesure est la transformation d'un prélèvement sur recettes au bénéfice de la collectivité territoriale de Guyane en dotation budgétaire.
Une fois ces mesures de périmètre prises en compte, la baisse des crédits de la mission « Outre-mer » n'est plus que de 1,3 % en autorisations d'engagement et 3,9 % en crédits de paiement. Elle correspond à une adaptation à la sous-exécution récurrente des crédits consacrés aux conditions de vie outre-mer.
En réponse à cette sous-consommation, plusieurs actions de soutien à l'ingénierie devraient être mises en place en 2020. Une plateforme d'appui aux collectivités devrait voir le jour en Guyane. Des crédits de la ligne budgétaire unique seront destinés à l'aide au montage de projets. Enfin, l'Agence française de développement continuera sa mission d'accompagnement à la maîtrise d'ouvrage à Mayotte et à Saint-Martin.
Par ailleurs, les crédits présentés dans le budget de la mission « Outre-mer » ne prennent pas en compte la partie du produit de la cession des sociétés immobilières d'outre-mer qui viendra abonder la ligne budgétaire consacrée à la construction de logements dans les outre-mer.
Ces éléments permettent de relativiser la légère baisse des crédits de la mission « Outre-mer ». Par ailleurs, la mission ne représente qu'un peu plus de 9 % de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer, ce qui incite à s'interroger sur la pertinence du périmètre budgétaire. L'action de l'État dans ces territoires comprend un volet budgétaire et un volet fiscal. L'effort budgétaire de l'État est porté par 90 programmes relevant de 30 missions, et s'élève à 22,05 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 21,5 milliards d'euros en crédits de paiement. À cela s'ajoutent les dépenses fiscales en faveur des outre-mer, estimées à 4,5 milliards d'euros en 2020.
Au total, l'effort financier de l'État en faveur des territoires ultramarins s'élève en 2020 à 26,55 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 26 milliards d'euros en crédits de paiement. Il est donc en hausse de respectivement 15,3 % et 17,3 % par rapport à 2019.
J'ai choisi de m'intéresser à l'occasion de cet avis budgétaire à une thématique spécifique. Il s'agit de l'insertion des collectivités ultramarines dans leur environnement régional.
Une bonne insertion de ces territoires dans leur bassin géographique permet en effet à la fois aux collectivités d'affirmer leur potentiel économique, culturel, scientifique et technique, mais aussi de contribuer au rayonnement de la France dans toutes les zones du monde.
Comme le rappelle la Constitution, il revient à l'État de conduire la politique extérieure de la France et de conclure des accords internationaux. Ce préalable étant posé, le législateur n'a cessé, au cours des 20 dernières années, de renforcer les compétences internationales des collectivités ultramarines.
Sous la responsabilité de la France, celles-ci peuvent participer voire conduire les négociations d'accords internationaux, représenter la France au sein d'organisations internationales, adhérer en leur nom propre à des organismes régionaux de leur zone géographique, ou encore affecter des agents chargés de les représenter au sein de missions diplomatiques.
Ces compétences s'accompagnent de nombreux outils de financement, tant nationaux qu'européens.
Au niveau national, il s'agit du fonds de coopération régionale, inscrit au budget de la mission « Outre-mer », et des fonds de la délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales, au sein du ministère des affaires étrangères. Ils visent à promouvoir les actions de coopération décentralisée.
Au niveau européen, s'ajoutent au financement du Fonds européen de développement 5 programmes INTERREG portés par nos collectivités ultramarines : un programme Amazonie, un programme Caraïbes, un programme Océan indien, et deux programmes transfrontaliers dédiés à Mayotte et à Saint-Martin.
Les collectivités ultramarines ne se sont toutefois pas entièrement saisi de leurs nombreuses compétences et des dispositifs de financement existants. Un bilan par zone fait apparaître de grandes différences.
Dans la zone océan Indien, la coopération régionale concerne principalement les pays voisins, mais des actions de coopération existent également avec des pays de l'Afrique australe et certains pays d'Asie. La Réunion, qui possède une tradition d'intervention bien établie, est plus active que Mayotte. Le conseil départemental de Mayotte se saisit toutefois progressivement de ses nouvelles compétences. Il a adopté, en juillet 2018, une stratégie de coopération décentralisée et d'action internationale, qui définit une feuille de route pour les années à venir. Par ailleurs, la France a signé en juillet 2019 un accord-cadre avec les Comores, qui vise à renforcer la coopération décentralisée avec ce pays.
Les territoires de la zone Antilles-Guyane sont particulièrement actifs en matière internationale : les collectivités ont une politique historiquement active d'adhésion aux organisations régionales. Elles sont, contrairement à La Réunion et à Mayotte, adhérentes en leur nom propre. La Guyane et Saint-Martin constituent deux cas particuliers, puisque ces territoires disposent de frontières terrestres avec des États de la zone. La volonté de coopération y est donc particulièrement forte, même si les résultats, notamment avec le Suriname, ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.
La zone Pacifique rassemble quant à elle des collectivités dont les compétences sont largement supérieures à celles des collectivités régies par l'article 73 de la Constitution. Les trois collectivités françaises du Pacifique sont très intégrées dans les organisations internationales. La Nouvelle-Calédonie est particulièrement active à l'international : elle dispose de délégués auprès de plusieurs ambassades de France et a récemment professionnalisé son recrutement. La Polynésie française est quant à elle en train de s'ouvrir, que ce soit vers la Chine, la Nouvelle-Zélande, ou l'Amérique latine.
Afin d'encourager à l'utilisation par les collectivités ultramarines de leurs compétences internationales, une politique de soutien a été mise en place par l'État. Depuis 2002, des ambassadeurs délégués à la coopération régionale sont nommés dans chacune des zones géographiques de nos collectivités ultramarines. Depuis 2016, une conférence de coopération régionale est organisée chaque année dans la zone Antilles-Guyane et dans la zone de l'Océan indien. La conférence de coopération régionale de la zone Antilles-Guyane est actuellement en cours. Enfin, des conseillers diplomatiques ont été placés auprès de certains préfets pour faciliter les relations entre les collectivités ultramarines et leurs voisins.
Cette politique doit, à mon sens, être renforcée et certains blocages levés, afin d'encourager les collectivités ultramarines.
En premier lieu, il importe de favoriser les liens entre les habitants des différents territoires. L'article rattaché à la mission « Outre-mer » répond en partie à cette préoccupation : il permettra d'utiliser les aides à la mobilité pour des stages réalisés dans le bassin géographique de nos outre-mer. Cet aménagement est bienvenu.
Par ailleurs, les politiques facilitant l'octroi de visas doivent être encouragées. Pourraient notamment être mis en place des systèmes de visa permanent pour les résidents frontaliers, sur le modèle de ce qui existe entre la Guyane et le Brésil. J'émets cependant une réserve en ce qui concerne la relation entre Mayotte et les Comores, car ces territoires ne sont pas encore prêts à une telle évolution.
En deuxième lieu, nous devons travailler sur l'acceptation des actions de coopération décentralisée par les pays et territoires voisins. Nous pourrions envisager de mieux les associer à la définition des priorités poursuivies. Ou encore de co-construire les axes d'intervention des programmes INTERREG afin qu'ils correspondent pleinement aux besoins locaux.
En dernier lieu, la coopération décentralisée est pensée pour être réalisée entre collectivités de même taille et aux compétences équivalentes. Ce n'est toutefois pas toujours le cas. À titre d'exemple, les districts du Suriname sont les interlocuteurs privilégiés des communes guyanaises, mais n'ont pas de pouvoir de décision propre car l'État surinamais est fortement centralisé. Dans ce cadre, il importe qu'une fois les projets identifiés et lancés au niveau local, l'État puisse prendre le relai pour les faire avancer, au besoin par une négociation d'État à État. La délégation de votre commission des lois qui s'est récemment rendue en Guyane a eu l'occasion de relever cette difficulté.
En conclusion, il me semble que l'insertion des collectivités ultramarines dans leur environnement régional est en bonne voie, même si des ajustements pourraient être envisagés. Le développement de ces politiques relève toutefois surtout de la diffusion de bonnes pratiques.
Cette thématique est une manifestation visible de la difficulté d'appréhender le budget consacré par l'État à nos territoires ultramarins uniquement par le biais des crédits inscrits au budget de la mission « Outre-mer ».
De fait, si l'on peut déplorer la baisse des crédits de la mission Outre-mer, celle-ci est contrebalancée par la hausse des crédits globaux accordés aux outre-mer. La diminution s'explique en outre par les difficultés récurrentes de consommation du budget de cette mission. Je vous propose donc d'être collectivement attentifs à la portée qu'auront les différentes mesures annoncées en termes de soutien à l'ingénierie notamment.
L'ensemble de ces éléments me conduisent à vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Je vous remercie de votre attention.
J'observe que le rapporteur relève la difficulté récurrente à consommer les crédits, ce que nous avons pu constater lors de notre déplacement en Guyane. En effet, chaque année, près de 300 millions d'euros ne sont pas consommés en Guyane, faute de moyens humains suffisants en matière d'ingénierie pour concevoir et mettre en oeuvre les projets. Cela pose des difficultés particulières dans un territoire où les infrastructures de transport sont peu nombreuses et la mobilité difficile.
Résoudre ce problème suppose de se doter des moyens d'accueillir des personnes qualifiées. En ce sens, la question du logement est essentielle. À titre d'exemple, les magistrats mutés en Guyane sont confrontés à la difficulté de trouver des logements temporaires et sont souvent contraints de loger à l'hôtel. Ces conditions d'hébergements difficiles n'incitent pas les professionnels à venir s'installer sur le territoire.
Ce manque d'ingénierie pénalise également les élèves dans leur scolarité car bon nombre d'entre eux sont contraints de se lever à 4 heures du matin pour pouvoir rejoindre leur établissement en pirogue. Il est d'autant plus urgent de remédier à cette situation qu'à Saint-Laurent-du-Maroni, l'explosion démographique est telle qu'il faut, pour y répondre, construire un groupe scolaire tous les huit mois ! Cette commune verra sa population doubler dans les 15 prochaines années et deviendra la première ville de Guyane au plan démographique.
Il me semble donc que, pour mener une politique efficace de développement des territoires ultramarins, il convient notamment de réfléchir à la manière d'améliorer l'accueil et l'accompagnement des agents de l'État déployés sur le territoire. Je tiens à saluer le courage des agents des forces de l'ordre que nous avons rencontrés lors de notre déplacement en Guyane et qui travaillent dans des conditions particulièrement difficiles.
Je vous précise que ce déplacement en Guyane était hautement édifiant et nous a permis de mieux comprendre les particularités de ce territoire. La délégation, composée de cinq sénateurs issus de plusieurs groupes, exposera ses conclusions dans un rapport qui vous sera présenté au mois de janvier. Nous aborderons notamment la question de l'immigration, de la prévention de la délinquance et de la lutte contre l'orpaillage illégal, tout comme les difficultés d'adaptation des lois aux réalités guyanaises. Ce déplacement nous a notamment permis de nous rendre compte qu'appliquer les pratiques administratives, les règlements et les lois sans aucune adaptation au contexte particulier du territoire aboutissait systématiquement à des impasses. Ce constat s'applique d'ailleurs dans d'autres territoires ultramarins.
Comme l'a justement expliqué Jean-Luc Fichet, l'attractivité constitue un enjeu essentiel pour les territoires d'outre-mer, et la sous-exécution chronique du budget masque en réalité des difficultés en matière d'ingénierie. Certains territoires sont d'ores et déjà bien dotés dans ce domaine, comme la Martinique et la Guadeloupe, mais il est vrai qu'en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin, notamment, le déficit est véritable. Des initiatives ont été lancées pour remédier à ce problème comme une plateforme d'appui aux collectivités qui devrait voir le jour cette année en Guyane. Il convient donc d'être attentif au déploiement de ce dispositif. À Mayotte et à Saint-Martin, c'est l'Agence française de développement qui soutient les collectivités dans la maîtrise d'ouvrage.
Améliorer l'attractivité et le développement des territoires ultramarins suppose de mener de front des actions dans des domaines très variés notamment en matière de santé, d'éducation, ou de mobilité.
Je tiens à préciser que j'ai formulé, dans le rapport d'information « Contribution de transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires », des propositions pour améliorer le transport aérien dans ces bassins géographiques. Un amendement en ce sens a été adopté à l'Assemblée nationale dans le projet de loi de finances pour 2020, ce qui devrait permettre une meilleure insertion des collectivités territoriales dans leur bassin géographique.
J'émets pour ma part un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
Nous avons adopté hier l'amendement n° II-323 présenté par le rapporteur pour avis sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales », M. Loïc Hervé, qui vise à garantir la neutralité financière, pour le territoire concerné, de la restitution de compétences par un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à ses communes membres. Cela permet d'assurer que, budgétairement, les communes aient les moyens d'assumer la restitution de certaines compétences, ce qui correspond aux orientations du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Je pense notamment à une disposition - que nous soutenons - qui ouvre la voie à une différenciation des compétences au sein d'un ensemble intercommunal.
Après discussion avec les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, M. Hervé propose d'affiner la rédaction de l'amendement, afin de prévoir que cette garantie de neutralité financière ne s'applique pas si le coefficient d'intégration fiscale (CIF) de l'établissement est ou devient inférieur à 0,4. Il s'agit ainsi de trouver un compromis pour introduire de la souplesse dans les relations entre les communes et leur intercommunalité et, ainsi, revenir sur les transferts de compétences injustifiés et imposés, sans inciter à une remise en cause du principe même de l'intégration.
Cet amendement protège les intérêts des communautés de communes, conformément à ce que je nomme la « logique Lecornu ». Une question, cependant : le dispositif envisagé permettrait-il à l'intercommunalité de ne restituer une compétence qu'à certaines communes membres et pas à toutes ?
Je me dois de vous apporter quelques précisions. Le cas de figure que vise l'amendement n'est pas celui-là : cette disposition ne s'applique que dans l'hypothèse où l'intercommunalité restitue à toutes les communes membres les mêmes compétences. La disposition introduite dans le projet de loi de M. Lecornu, permettant qu'un EPCI à fiscalité propre n'exerce certaines compétences que sur une partie de son territoire, n'est pas encore entrée en vigueur.
Je voterai en faveur de l'adoption de cet amendement, mais je tiens à souligner la logique perverse introduite par le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Je suis partisan d'une architecture institutionnelle claire, où chaque compétence est exercée par une catégorie de collectivités territoriales ou de groupements. Ouvrir la voie à des transferts de compétences de l'intercommunalité vers les communes membres et vice versa, et vers les départements et les régions, revient à créer des dispositifs complexes aux conséquences financières non anticipées. Tout cela me semble très démagogique.
Je retire l'expression. Je soulignais seulement qu'il s'agit d'un vrai débat de fond : vaut-il mieux construire un système de répartition des compétences à la carte ou prôner une architecture institutionnelle claire pour chaque niveau ?
Vu de loin, il est aisé d'associer différenciation et complexité. Cependant, pour les collectivités territoriales, ce genre de dispositif apparaît comme un moyen de s'adapter aux contraintes locales.
La démagogie présente l'avantage, au moins dans sa présentation, de se préoccuper des gens. Je préfère la démagogie à l'illusion bureaucratique qui sévit depuis des années. Sous le quinquennat de M. Sarkozy, il était déjà question de répartir clairement toutes les compétences entre les différents niveaux de collectivités. Finalement, ces débats infinis n'ont abouti qu'à la formidable notion de « compétences partagées ». Il est temps de sortir de cette illusion : de fait, les compétences sont partagées. Accepter cette réalité simplifiera davantage l'exercice des compétences que d'imposer une architecture simple mais abstraite et qui doit être corrigée par une multitude de mécanismes plus complexes les uns que les autres.
Je ne souscris pas à la rectification de l'amendement proposée. Pourquoi fixer le seuil plancher du coefficient d'intégration fiscale à 0,4 ? Est-il sensé de tenter de concilier deux logiques opposées, la restitution de compétences aux communes, d'une part, et la poursuite de l'intégration, d'autre part ? La mise en oeuvre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a pourtant déjà prouvé que cela ne fonctionnait pas.
Ce seuil de 0,4 correspond à la médiane des coefficients d'intégration fiscale.