J'ai le plaisir et l'honneur de vous présenter mes observations sur les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2020.
Permettez-moi de vous dire, à titre liminaire, ma satisfaction de voir la situation économique, sociale et humaine des outre-mer être davantage prise en compte dans le débat public. Le déplacement récent du Président de la République dans les outre-mer de l'océan Indien - à Mayotte, à l'île Grande Glorieuse et à La Réunion - a remis en lumière la situation de ces territoires et l'urgence des problèmes qu'ils rencontrent. Notre commission elle-même a eu l'occasion de se mobiliser sur le sujet au cours des dernières sessions parlementaires et compte renouveler cet engagement par un déplacement en avril prochain à Mayotte sur la problématique spécifique de l'accès aux soins.
Les défis soulevés par les territoires ultramarins restent immenses. Sur le plan sanitaire tout d'abord, les derniers chiffres communiqués sur la mortalité infantile continuent de susciter l'inquiétude : alors qu'elle n'est que de 3,5 %o naissances dans l'Hexagone, elle peut atteindre 9,1 %o en Guyane et 9,2 %o à Mayotte.
Concernant l'emploi, les taux de chômage se maintiennent à des niveaux très élevés ; les outre-mer cumulent le triste record des départements et des territoires les plus touchés par le chômage, avec 35 % à Mayotte en 2016 et 28 % à Saint-Martin. Le chômage des jeunes, en particulier, culmine à des niveaux insoutenables, avec près de 45 % à 50 % de jeunes concernés dans la plupart des outre-mer, soit la moitié d'une génération.
Concernant le logement, enfin, la situation demeure très préoccupante s'agissant de l'habitat insalubre et indigne, avec plus de 170 000 personnes officiellement concernées. Les besoins restent par ailleurs immenses en matière de logement social, alors que 80 % de la population ultramarine y est éligible. Selon la Direction générale des outre-mer (DGOM), il serait ainsi nécessaire, pour répondre aux besoins, de disposer d'ici à 2030 de 50 000 logements supplémentaires en Guadeloupe, dont au moins 25 000 logements sociaux.
Il faut ajouter à ces difficultés structurelles la particulière instabilité de la législation applicable outre-mer, s'agissant notamment des politiques de soutien aux entreprises, ainsi que les inquiétudes liées à l'application effective des engagements pris par les gouvernements successifs, qui, trop souvent, se révèlent être de simples effets d'annonce. Dans ce contexte, on ne peut que comprendre que certains de mes interlocuteurs aient qualifié les territoires d'outre-mer de véritables « poudrières ».
Ces précisions contextuelles étant faites, j'en viens à la présentation proprement dite des crédits consacrés à la mission.
J'observe tout d'abord avec satisfaction que cette mission fait partie de celles que l'on peut considérer comme préservées dans le cadre contraint des finances publiques. Ses crédits sont en effet maintenus au-dessus de 2,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement, et présentent, à périmètre constant, une stabilité presque exacte par rapport à 2019.
En effet, les évolutions faciales des crédits de la mission sont en majeure partie le fruit de mesures de périmètre, qui concernent essentiellement la Guyane et la Polynésie française. À la demande des acteurs locaux, plusieurs crédits font l'objet de transferts réciproques, pour des montants inchangés, entre le budget du ministère des outre-mer, qui les attribue sous la forme de dotations globales, et des prélèvements sur recettes. Même si leur impact budgétaire est limité, il me revient néanmoins d'avertir la commission sur la lisibilité de ces mesures.
Ce constat d'ordre général étant fait, je dois rappeler, en premier lieu, que la mission « Outre-mer » est bien loin de retracer l'ensemble des crédits consacrés aux territoires ultramarins. Ceux-ci bénéficient en effet par ailleurs de crédits transversaux portés par 88 programmes relevant de 29 missions. La majeure partie des crédits concourant à l'action sanitaire et sociale de l'État dans les outre-mer est ainsi portée par d'autres missions que celle que nous examinons aujourd'hui.
Au total, si l'on prend en compte à la fois les crédits retracés par la présente mission, ces crédits transversaux ainsi que les dépenses fiscales spécifiques aux territoires ultramarins, l'effort total de l'État en outre-mer atteindra 18,5 milliards en 2020, soit plus de neuf fois les montants sur lesquels nous nous prononçons aujourd'hui. Comme mes prédécesseurs, je ne peux que souligner que cette architecture budgétaire rend particulièrement malaisée l'évaluation et le contrôle, dans le cadre du débat parlementaire, des moyens dévolus aux outre-mer. Je note par ailleurs que, bien que les crédits spécifiques au ministère des outre-mer ne subissent pas de diminution particulière, l'effort global de l'État en matière ultramarine ne connaît malheureusement pas le même sort : ces 18,5 milliards d'euros pour 2020 représentent près de 4 milliards d'euros de moins que les crédits globaux annoncés pour 2018.
À cela s'ajoute un réel problème de lisibilité des réformes ayant un effet majeur sur les crédits de la mission, je pense notamment aux mesures successives d'ajustement des exonérations de cotisations sociales. Celles-ci sont en effet conduites, selon les années, ou bien dans le cadre du projet de loi de finances, ou bien dans celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), c'est-à-dire de manière non concomitante à l'examen de cette mission. Je citerai à titre d'exemple la modification du seuil d'exonération totale pour le régime de compétitivité renforcée, décidée au cours de l'examen du PLFSS en première lecture à l'Assemblée nationale, et dont les impacts budgétaires, certes réduits à 35 millions d'euros, ne figurent pas au PLF que nous examinons alors qu'il s'agit d'exonérations compensées par des crédits budgétaires.
Dans ce projet de budget qui nous est soumis, trois sujets entrent plus particulièrement dans le champ de compétence de notre commission.
Plus de la moitié des dépenses de la mission, soit 1,47 milliard d'euros, est consacrée à la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Cette politique d'exonération vise à la fois à améliorer la compétitivité des entreprises ultramarines par une compensation des difficultés structurelles notamment liées à l'insularité et à encourager la création d'emplois par la réduction du coût du travail.
Cette ligne de crédits fait l'objet depuis plusieurs années d'une trajectoire descendante, difficilement compréhensible au regard des mesures ponctuellement insérées au gré du titre III des PLFSS. Cette baisse des crédits associée au principal dispositif de soutien à l'emploi ultramarin suscite légitimement l'inquiétude des acteurs économiques. Nous devrons nous montrer particulièrement attentifs, lors de l'examen des prochains budgets de l'État et de la sécurité sociale, à ce que le dispositif qui sera mis en place soit fondé sur une véritable évaluation de la situation actuelle et assure une réduction du coût du travail au moins équivalente à celle qui existe aujourd'hui.
S'agissant du service militaire adapté (SMA), le budget de l'exercice à venir préfigure celui d'un dispositif arrivé à maturité, dont les effets doivent désormais se déployer dans le temps.
Je vous rappelle que le SMA est un organisme de formation offrant aux jeunes ultramarins âgés de 18 à 26 ans, le plus souvent en situation d'échec scolaire ou en grande difficulté, la possibilité de bénéficier d'une formation comportant à la fois un volet professionnel et de remise à niveau scolaire, et une dimension citoyenne et comportementale. Je souligne qu'il s'agit là de l'un des rares dispositifs ultramarins ayant inspiré une politique hexagonale, avec la mise en place de l'expérimentation du service militaire volontaire (SMV). Cela montre que les outre-mer peuvent bel et bien constituer un laboratoire pour les politiques hexagonales, à la condition que l'on s'en donne les moyens.
S'agissant, enfin, du domaine sanitaire et social, les budgets prévus dans le cadre de la présente mission sont disparates et limités. En réalité, la plupart des dispositifs sanitaires sont financés dans le cadre de la sécurité sociale ou au travers de financements versés aux collectivités territoriales pour l'exercice de leurs compétences.
Cette ligne budgétaire de 5,6 millions d'euros, certes modeste, me paraît cependant essentielle. Elle permet en effet d'apporter des financements complémentaires indispensables à la fois aux acteurs associatifs participant à des actions de prévention, dont on sait combien elles sont cruciales pour nos outre-mer et aux divers acteurs contribuant aux actions de protection de l'enfance et de la jeunesse.
Je signale la sensible amélioration de l'état des hôpitaux de Mayotte et de La Réunion. Le premier a pu bénéficier de crédits pour des travaux d'urgence à hauteur de 20 millions d'euros ainsi que de 172 millions d'euros au titre de la stratégie nationale de santé. Pour le second, les grandes difficultés financières que nous lui connaissons sont en cours d'apurement et laisseraient espérer une trajectoire de retour à l'équilibre d'ici à 2021.
Tels sont les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « outre-mer ». Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits correspondants.