Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 10 mai 2011 à 14h30
Soins psychiatriques — Discussion générale

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

De plus, la présence des anciens présidents de la République ne fait que renforcer cet aspect. Qu’ils siègent ou non importe peu : il suffit qu’ils puissent siéger dans une affaire où ils pourraient emporter une majorité souhaitée.

Quoi qu’il en soit, le contrôle par le juge judiciaire peut se révéler difficilement praticable, comme d’autres dispositions du projet de loi.

En effet, les moyens sanitaires et judiciaires très importants qui seront requis par l’application de ce texte contrastent fortement avec les effectifs actuels, tant de la magistrature que des intervenants en psychiatrie, médecins et personnels infirmiers. À cet égard, l’étude d’impact n’apporte pas de réponse satisfaisante, bien au contraire.

Je voudrais d’ailleurs rappeler que, dans le rapport que Christiane Demontès, Gilbert Barbier, Jean-René Lecerf et moi-même avions consacré, voilà un an, aux troubles mentaux en milieu carcéral, nous n’avions pas retenu la solution imposée par le Conseil constitutionnel, qui ne nous avait pas semblé opportune, même si certains y avaient songé !

Déjà en 1978, l’article 40 de l’avant-projet de code pénal prévoyait de permettre à l’autorité judiciaire d’ordonner le placement puis la sortie de la personne atteinte de trouble mental. Cette solution avait finalement été écartée, car elle était très contestée, comme d’autres d’ailleurs. Elle tendait en effet à confondre le rôle du juge et celui du médecin.

Il n’en reste pas moins que l’intervention du juge, qui est obligatoire grâce au Conseil constitutionnel – très au fait des difficultés du terrain, ainsi que je l’ai déjà dit –, posera de nombreux problèmes qui ont été abordés, notamment par M. le rapporteur pour avis. Ce dernier a essayé, comme à son habitude, de les minimiser, mais le débat permettra peut-être de les approfondir et de les surmonter.

Je me bornerai donc à évoquer le point qui me paraît le plus crucial, à savoir les modalités d’intervention du juge.

De quel juge s’agit-il ? Le texte parle du juge des libertés et de la détention, qui est déjà submergé de travail et le sera encore plus avec la réforme de la garde à vue.

De plus, l’intervention du juge nécessitera la tenue d’une audience, avec un greffier, en présence d’un avocat, au sein de l’établissement hospitalier, du moins je le suppose. Les établissements concernés ont-ils déjà inscrit à leur budget les crédits nécessaires pour disposer, dès le mois d’août, de locaux permettant ces audiences, même s’ils ne sont pas somptueux, et l’entretien du malade avec son avocat ? Des financements sont-ils prévus par le ministère de la santé et les agences régionales de santé pour ces nouveaux investissements immobiliers ? J’en doute ! Quand on connaît la situation budgétaire des établissements hospitaliers aujourd’hui, qu’ils soient publics ou privés, on mesure bien les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaître.

Ensuite, la possibilité pour le juge de demander une expertise – le juge ne se fiera pas forcément aux dires des médecins qui suivent le malade –, nécessitera de faire appel à des médecins extérieurs à l’établissement. Dans mon département, il faudra solliciter des experts se trouvant en dehors du ressort de la Cour d’appel, c’est-à-dire à Strasbourg, Nancy ou Dijon. Quel temps mettront-ils pour rendre leur expertise ? Ce délai doit-il être ajouté aux quatorze jours imposés par le Conseil constitutionnel ? Il me semble que oui, mais cela n’est pas évoqué dans le texte.

Par ailleurs, le juge devra rendre sa décision par l’intermédiaire d’une ordonnance, qui sera susceptible d’appel. Le texte prévoit une procédure totalement farfelue ; je pense, pour ma part, que l’appel devrait être interjeté selon la procédure de droit commun, c’est-à-dire devant la cour d’appel. Cet appel doit-il être suspensif ? Vraisemblablement. Le malade pourra-t-il sortir en cas d’appel de la décision du juge, par le préfet ou le ministère public, qui peuvent être représentés à l’audience ? Je le crois.

Pourquoi l’intervention du juge, qui est prévue pour les internements en hôpital, ne le serait-elle pas également pour contrôler l’application des soins ambulatoires sous contrainte, nouvelle modalité prévue dans le projet de loi qui ne sera peut-être plus là en fin de discussion ? Ce serait une bonne chose.

Le juge devrait également pouvoir, s’agissant d’un malade ayant fait l’objet d’une hospitalisation d’office antérieure, décider sa sortie en soins ambulatoires sous contrainte et contrôler la mise en œuvre de cette mesure, à intervalles réguliers à définir.

Enfin, le juge judiciaire devrait pouvoir statuer sur l’arrêté même d’internement émanant du représentant de l’État, comme l’a proposé, je le crois, la commission des lois. Or le texte a prévu que cet arrêté d’internement relève du juge administratif. C’est une complication supplémentaire ajoutée à une procédure déjà très compliquée.

Le Conseil constitutionnel a admis que la loi puisse organiser des blocs de compétences. En l’occurrence, ceux-ci doivent être réalisés, me semble-t-il, au profit des juges judiciaires.

Ce texte – je le répète, car c’est l’un de mes « dadas » – nous permet une nouvelle fois de percevoir la complication extrême de notre système juridique, à savoir l’existence de deux ordres de juridiction parallèles, la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, qui ne se rencontrent jamais sauf, éventuellement, au niveau du Tribunal des conflits.

Certes, le Conseil constitutionnel a estimé en 1987 que ces deux ordres de juridiction avaient une base constitutionnelle ; je pense que c’est un bon sujet de méditation pour une prochaine modification de notre Constitution, certainement plus adéquate que l’introduction, dans la norme suprême, de l’équilibre des finances locales que nous présente actuellement le Gouvernement.

Mon collègue Jacky Le Menn vous a exposé la position de notre groupe sur ce texte. Vous comprendrez que la pseudo-garantie judiciaire n’y change rien : nous sommes résolument contre ce projet de loi !

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