Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’émouvant hommage rendu cet après-midi à nos militaires, la discussion du budget de nos armées peut paraître en décalage avec l’émotion que nous avons vécue.
Ce budget traduit des moyens et sans doute une ambition, mais l’engagement de nos militaires, lui, est d’une tout autre nature et d’une tout autre essence : il relève d’une certaine forme de transcendance.
Je salue leur mémoire et je m’associe à la peine de leurs familles et de leurs compagnons.
Madame la ministre, alors que vous avez été ces dernières heures au plus proche de ceux qui sont dans la douleur, je vous adresse toute notre sympathie.
Parce que plus que jamais, notre devoir est de donner à nos troupes et au pays les moyens d’agir, abordons ce budget avec lucidité et objectivité. Le projet de budget pour les armées est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) : il progresse de 1, 7 milliard d’euros en crédits de paiement, comme prévu, à quelques ajustements de périmètre près.
Les principales évolutions portent sur la contractualisation de nombreuses opérations d’armement, comme le système de combat aérien du futur (SCAF).
La diminution des crédits du programme 212, « Soutien de la politique de défense », s’explique quant à elle par la mise en œuvre d’une nouvelle organisation budgétaire qui se traduit par le transfert au programme 146, « Équipement des forces » des crédits de programmes majeurs d’infrastructures adossés au programme d’armement et au programme 178, « Préparation et emploi des forces » des crédits destinés aux infrastructures à caractère opérationnel.
À ce stade, mes chers collègues, d’un strict point de vue budgétaire, nous ne pouvons que nous féliciter du respect de la programmation.
Pour autant, ce procès ce budget traduit certaines limites et faiblesses.
Celles, d’abord, de la LPM sur deux points particuliers : les autorisations d’engagement de la mission connaissent une progression très significative, de près de 20 %. Cette forte progression est une bonne nouvelle, mais comme nous avions eu l’occasion de le souligner, elle illustre la fragilité de la LPM, qui renvoie ultérieurement à 2022, soit à une prochaine mandature, la progression la plus importante des crédits de paiement.
Nous ne pouvons que rappeler que nous aurions préféré une montée en puissance plus linéaire. Il s’ensuit que le ratio de couverture des autorisations d’engagement par les crédits de paiement se dégrade de 10 points.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) demeure un sujet de préoccupation, malgré la réforme de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) et la mise en place de contrats dits « verticalisés ».
Je voudrais attirer votre attention sur trois points.
Notre première préoccupation a trait à la remontée en puissance des effectifs, sous le double effet des difficultés de recrutement et de la fidélisation des personnels. La mise en place d’une nouvelle politique de rémunération et d’une réforme du ministère pour en améliorer la productivité n’épuise pas l’intégralité du sujet.
L’instauration de la prime de lien au service en 2019, portée à hauteur de 12 millions d’euros en 2020, constitue une innovation bienvenue. Cette prime a été spécifiquement créée pour faire face à ces difficultés, même si les premiers résultats peuvent paraître contrastés. La question de la fidélisation doit inévitablement être replacée dans un contexte plus large, celui de l’amélioration générale de la condition militaire. De ce point de vue, la revalorisation indiciaire comme la réforme du système de retraite restent devant nous.
Le deuxième point de vigilance porte sur la coopération européenne. Le système de combat aérien du futur repose sur la coopération franco-allemande. Or si la volonté politique semble au rendez-vous, le dossier est loin d’être bouclé sur le plan industriel. Le parlement allemand doit être consulté : nul doute qu’il veillera à la protection des intérêts économiques des entreprises nationales.
Tout retard dans le projet aurait des conséquences graves sur la régénération de nos matériels et décalerait d’autant certains programmes comme le porte-avions qui succédera au Charles-de-Gaulle. Par ailleurs, une approche exclusivement industrielle qui reposerait sur la seule exigence de servir les différents constructeurs conduirait à reproduire les déboires que nous avons connus avec certains hélicoptères ou l’A400M.
Évoquant la coopération européenne, je ne puis passer sous silence la question plus large de nos alliances. La France est fondée à faire des propositions, et je comprends que l’on puisse s’interroger sur le positionnement de l’OTAN eu égard à une carte géopolitique en pleine mutation. Très certainement, le moment est venu pour nos partenaires européens de prendre la mesure que l’OTAN, à elle seule, n’est plus l’assurance de leur sécurité. Mais je ne suis pas certain que l’évocation de la « mort cérébrale » de l’Alliance atlantique soit le meilleur le moyen de poser le problème et de susciter leur adhésion…
Enfin, le dernier point de vigilance concerne le service national universel, le SNU. Le budget ne prévoit pas l’inscription de crédits budgétaires spécifiques. Le ministère a formé des cadres en 2019 et continuera à le faire en 2020, notamment dans le cadre de la Journée défense et mémoire nationales. S’il semble que le financement du SNU pourrait ne pas dépasser l’épaisseur du trait – si vous m’autorisez l’expression – en 2020, comme cette année, la question se posera véritablement en 2021.
Pour finir, madame la ministre, je souhaite aborder un motif de désaccord ou d’incompréhension.
Nous sommes face à un paradoxe : sous le précédent gouvernement, nous avions un budget primitif totalement insincère, en raison notamment d’une sous-évaluation des opérations extérieures (OPEX), mais une fin de gestion qui corrigeait ces errements en mobilisant la solidarité interministérielle. Aujourd’hui, en revanche, nous avons un budget primitif apparemment sincère, avec une meilleure prise en compte des OPEX, mais une fin de gestion qui affecte l’exécution budgétaire.
La commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – je salue son président – se sont battues ici pour inscrire le principe du recours à la solidarité interministérielle à l’article 4 de la loi de programmation militaire. L’an dernier, au mépris de cette exigence du Parlement, le ministère a dû supporter l’intégralité du surcoût des OPEX sur ses propres crédits.
Cette année, vous récidivez. Mieux encore, le ministère doit participer à hauteur de 70 millions d’euros aux mesures dites « gilets jaunes » annoncées il y a un an. Et nous sommes toujours dans l’attente d’un dégel de 340 millions d’euros, tandis que le ministère supportera de nouveau l’intégralité du surcoût lié aux OPEX.
Je terminerai par où j’ai commencé.
Parce que nous devons plus que jamais marquer notre soutien à nos armées, je vous invite, mes chers collègues, malgré les faiblesses et les réserves que j’ai pu émettre, à voter ce budget respectueux de la loi de programmation militaire.
Parce que, face au drame que nos armées viennent de vivre, je ne pourrai pas comprendre que la logique budgétaire prévale sur la satisfaction des indispensables besoins de nos armées, j’en appelle à l’arbitrage du Président de la République pour que les crédits encore gelés soient dégelés. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour mener ce combat. Vous le savez, nous sommes à vos côtés !