Si la robotisation dans les services est d'ores et déjà une réalité et ouvre de nouvelles perspectives pour l'emploi, il convient d'éviter d'avoir une vision déformée par un « déterminisme technologique » qui conduirait à des conclusions radicales et sans nuance. D'abord, nous montrons dans le rapport qu'il existe des limites à la diffusion des machines intelligentes. Une première limite est technologique : l'intelligence artificielle ne se déploie que dans les domaines où l'on est capable de collecter des masses importantes de données. C'est un système que l'homme construit et qu'il alimente en données. Nous préconisons d'ailleurs d'encourager l'accès aux jeux de données publiques et privées pour ne pas brider l'innovation. Notons au passage que toute innovation est une déviance ! Si l'on ne déviait pas, on n'innoverait pas.
On est également dépendants de la couverture numérique du territoire : nous préconisons qu'elle soit la plus complète possible pour éviter une fracture territoriale, en particulier un Internet des objets qui ne fonctionnerait pas partout. Ensuite, l'intelligence artificielle n'est pas comparable à une intelligence humaine générale. Les robots intelligents n'interviennent que dans un champ limité pour lequel ils ont été programmés : ainsi un robot d'accueil est capable de nous faire la conversation, mais n'aura pas le réflexe de nous rattraper si nous trébuchons et tombons de manière inattendue ; il ne saura pas quoi faire. Les robots rencontrent aussi des « bugs ». L'intelligence artificielle n'est pas une intelligence générale. Enfin, elle est très performante pour multiplier les calculs et appliquer des règles, même complexes, elle est en revanche plus en difficulté en matière d'intelligence sociale, c'est-à-dire dans sa capacité à interagir avec autrui.
Une deuxième limite est économique et sociale : la mise au point de robots intelligents est en réalité coûteuse, et passe par une phase d'intégration qui est le maillon essentiel de la chaîne. Le rapport Villani sur l'intelligence artificielle le rappelle utilement : il n'est pas toujours avantageux d'un point de vue économique d'automatiser une tâche. En outre, des résistances sociales peuvent aussi apparaître lors d'un processus d'automatisation de tâche. La réponse n'est pas forcément celle des seuls ingénieurs mais doit passer par de l'accompagnement du changement.
Dans les services, la dynamique d'automatisation est en réalité très hétérogène et dépend de multiples facteurs. L'acceptabilité sociale ou la disponibilité de la main d'oeuvre en sont des paramètres : ainsi, au Japon, la robotisation avance plus vite car la société japonaise est très technophile et car il existe des besoins importants de main d'oeuvre, rare donc chère. Ainsi, pour s'occuper des personnes plus âgées, les robots se diffusent beaucoup plus vite que chez nous.
L'observation fine des activités de service touchées par la robotisation montre que ce mouvement déplace des tâches et permet d'enrichir le panel offert aux usagers ou clients. Dans les EHPAD, des robots-compagnons contribuent à animer des ateliers d'activités ou de mémoire. Ils ne font pas disparaître les emplois d'animateurs mais leur donnent un outil supplémentaire pour améliorer le service rendu. Dans le commerce, la robotisation réduit les tâches physiques mais transforme aussi les vendeurs en conseillers apportant un service personnalisé, tandis que la relation commerciale de base, peu complexe, est automatisée. Dans la sécurité, des robots assurent des tâches répétitives de contrôle, y compris désormais de reconnaissance faciale, mais la présence de personnes physiques assure un filet de sécurité et un deuxième niveau de contrôle, plus fin. On s'est même interrogé sur la robotisation de l'enseignement : il existe désormais des exercices pouvant être faits en ligne comme des cours en ligne : les fameux MOOC. Pour autant, l'enseignant n'est pas menacé dans son existence même car il reste irremplaçable pour réaliser l'analyse personnalisée de la situation des élèves, pour apporter un conseil adapté à chacun. Au final, l'avenir n'est pas écrit et la mise en oeuvre pratique des innovations passera beaucoup par l'expérimentation, les tâtonnements, avec très probablement des impacts sectoriels sur l'emploi, sur l'organisation du travail et sur les conditions de travail, qui seront très variés. Lorsque l'on pilote des politiques publiques, on ne peut pas se satisfaire de ce grand flou : dans notre rapport, nous avons donc poussé plus loin pour identifier quelles étaient les conditions d'une « robotisation heureuse ».