Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 23 novembre 2009 à 14h45
Loi de finances pour 2010 — Article 5

Christine Lagarde, ministre :

Permettez-moi pour une fois d’intervenir un peu longuement, mais les coûts concernés le justifient.

Nous parlons d’un secteur qui bénéficie aujourd’hui de mesures de soutien de l’ordre de 620 millions d’euros. Cet amendement, s’il était adopté, conduirait à augmenter de 200 millions d’euros ces mesures de soutien, somme qui bénéficierait non pas aux ménages, comme on pourrait l’espérer, mais aux producteurs, et donc aux pétroliers. Il faut en être bien conscient.

Vous avez évoqué un manque de cohérence, monsieur le rapporteur général ; or il y a une cohérence. La France a souhaité développer les biocarburants, et ce pour trois raisons. Elle l’a fait d’abord pour des raisons économiques évidemment, les biocarburants constituant une nouvelle source de revenus pour les agriculteurs. Nous y tenons. Elle l’a fait ensuite afin de préserver l’environnement, les biocarburants permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle l’a fait enfin pour des raisons géopolitiques : plus la France sera capable de développer des sources d’énergie sur son territoire, moins elle sera dépendante de l’extérieur.

Pour favoriser le développement des biocarburants, nous avons eu recours à deux moyens que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs.

D’une part, nous avons utilisé l’incitation financière directe, sous la forme d’un remboursement de TIPP accordé aux pétroliers qui incorporent des biocarburants aux carburants fossiles. Plus ils incorporent d’agrocarburants – nous allons les appeler ainsi, car c’est plus simple – dans les carburants fossiles, plus ils bénéficient d’exonération de TIPP.

D’autre part, nous avons institué une obligation d’incorporation dans une proportion fixée par les pouvoirs publics et sanctionnée, en cas de non-respect, par la taxe générale sur les activités polluantes, dont le taux est égal à la différence entre l’objectif fixé et le niveau d’incorporation réalisé. Si les pétroliers ne réalisent pas d’incorporation, ils paient la TGAP. S’ils la réalisent, ils ne sont pas sanctionnés.

Monsieur le sénateur, vous proposez de majorer la défiscalisation d’un montant égal à un pourcentage des tarifs de contribution carbone déterminé en fonction des réductions théoriques d’émission de CO2 des biocarburants par rapport aux carburants classiques.

La question du niveau de défiscalisation a été abondamment débattue l’année dernière, puis tranchée lors des discussions. Nous étions alors convenus de la nécessité de diminuer progressivement la défiscalisation et d’effectuer un glissement technologique en nous orientant le plus possible vers les biocarburants de nouvelle génération, dont on sait qu’ils seront plus efficaces.

Telles sont les raisons pour lesquelles le mécanisme en place nous paraît suffisamment incitatif. Nous nous plaçons dans la durée en envisageant de soutenir les biocarburants de nouvelle génération. Nous disposons pour cela d’un double mécanisme : d’une part, une incitation fiscale grâce au remboursement de TIPP – c’est la carotte –, d’autre part, d’une taxation – c’est le bâton – si l’incorporation de biocarburants n’est pas réalisée dans les proportions requises. Il ne nous paraît donc pas souhaitable de prévoir en plus une exonération de contribution carbone.

L’introduction de la contribution carbone ne change rien à la problématique de compensation entre les carburants fossiles et les coûts de production des biocarburants.

Par ailleurs, l’augmentation proposée de la défiscalisation, je le rappelle, bénéficierait entièrement aux producteurs, c’est-à-dire aux pétroliers. Elle n’aurait pas d’effet sur les ménages, qui, eux, paient à la pompe. En l’absence de circuits de distribution distincts, l’augmentation de la défiscalisation n’aurait aucun effet sur le signal-prix, cet effet étant l’objectif de la contribution carbone.

Enfin, s’il y a consensus sur le fait que les biocarburants émettent moins de gaz à effet de serre que les carburants fossiles, vous n’ignorez pas que la mesure précise de cette vertu environnementale « du puits à la roue », comme disent les spécialistes, est controversée et incertaine. C’est d’ailleurs cette incertitude qui légitime la priorité que nous voulons donner aux biocarburants de deuxième génération.

En résumé, cet amendement, s’il était adopté, aggraverait la défiscalisation, qui passerait de 620 millions d’euros aujourd’hui à 820 millions d’euros demain, au bénéfice essentiellement des producteurs que sont les pétroliers. Les ménages ne verraient quasiment rien passer et le signal-prix serait inexistant.

Dans ces conditions, il ne me paraît pas souhaitable d’adopter cet amendement. J’invite donc leurs auteurs à le retirer.

Cela étant dit, je reconnais volontiers que la question de l’inclusion des biocarburants dans les carburants d’origine fossile constitue un véritable problème. Je suis prête à engager une réflexion sur ce sujet avec Jean-Louis Borloo et à examiner avec lui tous les dispositifs applicables aux biocarburants – la contribution carbone, mais également les multiples défiscalisations existantes – afin de trouver des solutions permettant de mieux soutenir cette filière et de répondre à l’objectif économique qui demeure : offrir une source de revenus supplémentaires aux agriculteurs.

Maintenons cet objectif, mais ne tentons pas de l’atteindre par le biais d’une taxation supplémentaire qui ne bénéficierait qu’aux pétroliers !

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