Intervention de Richard Yung

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 octobre 2019 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Audition du général philippe lavigne chef d'état-major de l'armée de l'air

Photo de Richard YungRichard Yung :

Mon général, ma question porte sur les appareils de transport. Ce sont des investissements très importants. Avez-vous des projets en la matière ? Ne pourrait-on imaginer développer des appareils de grande capacité et de long rayon d'action ?

Général Philippe Lavigne. - Tout d'abord, s'agissant de la base aérienne projetée H5, la pertinence de sa constitution et des effets produits s'exprime pleinement dans le contexte actuel : participation directe au combat contre Daesh par des actions cinétiques et des actions de renseignement, protection des forces de la coalition (en appui aérien notamment), pivot logistique et présence française significative au coeur du Proche et Moyen Orient.

Le positionnement de la BAP H5 est en effet idéal, à proximité des zones de combat, dans un environnement sécuritaire favorable, permettant une action la plus autonome possible sur le théâtre syro-irakien (moindre besoin de ravitaillement en vol, réactivité). H5 est également un point nodal du circuit logistique de toute la zone.

En termes économiques, les investissements nécessaires à son activité ont été réalisés et sont en cours d'amortissement. Moins de 300 aviateurs y sont déployés ; la BAP fonctionne à un coût maitrisé et a atteint un niveau de polyvalence optimal.

Le concept est d'ailleurs au coeur des réflexions de l'armée de l'air américaine.

Comme je l'ai rappelé, Daech a évolué dans sa forme de combat en devenant insurrectionnel et s'est retranché dans les déserts. L'arme aérienne est plus que jamais pertinente en termes de renseignement et de fulgurance pour pouvoir traiter les objectifs qui nous sont fixés.

Ce système de combat est modulaire, réactif et réversible. La décision concernant l'avenir de la base aérienne H5, qui peut accueillir des avions de combat, de transport ou de renseignement, appartient bien évidemment au chef d'état-major des armées.

Concernant les vecteurs hypersoniques, effectivement les grandes puissances développent désormais des missiles capables de bouleverser l'équilibre des forces mondiales : la Russie, la Chine, comme les Etats-Unis, n'hésitent pas à afficher leur savoir-faire dans un milieu réputé pourtant ultra-secret. Dans les airs, la bataille du futur passe par la maitrise de la vélocité. Ces vecteurs, capables de porter des charges conventionnelles comme nucléaires, permettraient à leurs détenteurs de frapper n'importe où sur de longues distances et dans un périmètre large. La France a pris la mesure de cette menace. Mme la ministre a en effet estimé que la France ne pouvait plus attendre pour en faire de même, d'autant qu'elle dispose de toutes les compétences pour cela ; elle a annoncé début 2019 qu'un démonstrateur de planeur hypersonique, appelé V-MAX, effectuerait un premier vol d'ici fin 2021. Il permettra d'étudier les atouts qu'apporte cette capacité, dans le domaine offensif, ainsi que les mesures à prendre face à cette nouvelle menace.

S'agissant de l'accord de Toulouse, la France et l'Allemagne ont réaffirmé leur volonté de coopérer, sur le volet espace d'abord, dans le domaine de l'évaluation de la menace, de la promotion des normes de comportement responsable dans l'espace, du programme GALILEO qui vise à renforcer l'autonomie européenne en matière de navigation par satellite, ou de la coordination des capacités dans le domaine de la sécurité spatiale.

Cette coopération structurée permanente s'appuie sur les fonds européens de défense et constitue une action complémentaire à celle de l'OTAN.

S'agissant du système de combat aérien futur, la notification d'un contrat de recherche et technologie annoncée pour fin janvier 2020 est une bonne chose pour tenir l'objectif d'un démonstrateur d'avion de combat de nouvelle génération d'ici à 2026.

Pour revenir sur l'espace, vous m'avez questionné Monsieur le président, sur les moyens alloués, alors que vient d'être créé le Commandement de l'Espace au sein de l'armée de l'air. 3,6 milliards d'euros y sont consacrés dans la LPM 2019-2025 et un programme à effet majeur « maitrise de l'espace », de 700 M€, va être lancé, qui, comme je vous l'ai dit en introduction, intégrera les volets surveillance spatiale et défense active de nos satellites.

Nous disposons déjà de moyens de surveillance que nous travaillons à renforcer, qu'il s'agisse du renseignement image (le satellite CSO-1 a été lancé le 19 décembre 2018) ou du renseignement électromagnétique (le satellite CERES, qui devrait être lancé en 2020, doit permettre de détecter, de caractériser et de suivre les émissions électromagnétiques sur les théâtres d'opération. Une étude est déjà menée sur son successeur, CELESTE).

Nous coopérons activement avec nos voisins allemands et italiens, notamment au travers de leurs systèmes d'observation radar SAR-Lupe et Cosmo-Skymed, et leurs successeurs (SARah et CSG).

En matière de télécommunications, le programme Syracuse IV doit être lancé entre 2021 et 2022. La commande d'un troisième satellite est annoncée. Il sera plus spécialement dédié à la connectivité. Les satellites étant de plus en plus nombreux et petits, les systèmes doivent être de plus en plus efficaces. Je pense notamment à GRAVES et à la trajectographie SATAM, dont une rénovation est prévue au titre de la LPM 2019-2015.

Enfin, la protection active de nos satellites fait aujourd'hui l'objet d'études : quelle doit être notre doctrine ? Quels sont nos besoins ? Nous travaillons actuellement sur une feuille de route.

S'agissant des ressources humaines, vous m'avez interrogé sur les leviers que l'armée de l'air a mis en place pour recruter, en quantité et en qualité, et pour fidéliser.

Entre 2008 et 2017, l'armée de l'air a perdu plus de 15000 aviateurs, soit 30% de ses effectifs, alors qu'elle était plus engagée que jamais. Les conséquences ont été significatives, sur l'équilibre des flux RH et sur la pyramide des compétences associées. Aujourd'hui, certains métiers sont en tension, impactant directement les capacités opérationnelles (commandos, mécaniciens, spécialistes infrastructures, ...), en particulier pour les métiers d'expertises longues à acquérir (pilotes de chasse, experts des systèmes d'information et de communication, ...).

En conséquence, un effort majeur est porté sur le recrutement, passé de 1 300 à plus de 3 000 par an en 5 ans. Pour cela, nous avons adopté des méthodes basées sur le démarchage systématique, par le biais du e-sourcing ou des réseaux sociaux ; nous menons une communication attractive et innovante (notre prochaine campagne paraitra d'ailleurs prochainement). Nous renforçons et professionnalisons notre chaine de recrutement, et nous modernisons profondément nos formations initiales et professionnelles. Tout cela afin d'attirer les nouvelles générations, plus « pressées » d'exercer un métier.

En matière de formation, l'armée de l'air dispose d'instructeurs, qui savent enseigner et qui connaissent les besoins opérationnels. Nous développons des partenariats avec l'éducation nationale et l'enseignement supérieur.

S'agissant plus spécifiquement de la formation des personnels navigants, la livraison des dix-sept PC21 à Cognac a grandement contribué à moderniser la formation initiale des pilotes de chasse. Le projet « Mentor » vise à compléter cette modernisation par la rationalisation des phases amont (à Salon de Provence) et aval (aujourd'hui sur Alphajet à Cazaux), ce qui aura pour effet de diminuer les durées et coûts de formation des équipages. Il permettra de former plus tôt les stagiaires à l'utilisation d'un système de combat et offrira un rôle capital à la simulation.

Au total, nous devrions gagner douze mois de formation sur quatre ans. Cela répond à un besoin urgent de renforcer les unités opérationnelles et de motiver les jeunes pilotes. A la question posée de la remontée d'activités des équipages chasse, celle-ci est prévue en LPM à compter de 2022, pour atteindre la norme de 180 heures en 2025.

S'agissant de la fidélisation, dans un contexte de remontée en puissance sous tension opérationnelle et de compétences intéressant le secteur privé, il est essentiel de fidéliser les aviatrices et les aviateurs, dont le savoir-faire précieux contribue au succès des missions de l'armée de l'air et des autres entités du ministère. J'ai ainsi validé en début d'année 2019 une feuille de route « fidélisation » qui repose sur six axes : niveau de rémunération attractif, progression dynamique, compétences valorisées, dialogue, conditions de vie améliorées et entreprises concurrentes partenaires.

Nous avons également développé des partenariats avec certains industriels ou campus, qui ont déjà mis en place des outils d'ingénierie de formation très utiles pour moderniser l'instruction de nos jeunes.

Sur la rémunération et la valorisation des compétences, la différence entre le salaire des militaires et celui proposé par certaines sociétés est une réalité. Nous avons donc créé ou étendu certaines primes de qualifications ou de lien au service. En outre, une étude sur la nouvelle politique de rémunération des militaires est en cours. Elle doit permettre une meilleure lisibilité et une plus grande cohérence. L'armée de l'air a la particularité de mener des opérations depuis ses bases aériennes. Cela doit être pris en compte dans la rémunération des militaires concernés ; je pense notamment au personnel qui, sur la base de Lyon-Mont Verdun, conduit des opérations à partir de l'ouvrage enterré, vous l'évoquiez madame la sénatrice Goy-Chavent.

J'ai également évoqué, parmi les axes de fidélisation, l'amélioration des conditions de vie et de travail. À Lyon-Mont Verdun, une salle de sport a été créée à l'intérieur de l'ouvrage enterré. A Saint-Dizier, des bâtiments destinés à l'hébergement ont été réhabilités et la construction de bâtiments pour l'escadron de protection d'Istres est prévue en 2020. Et, parce que l'amélioration des conditions de vie doit s'appliquer autant au militaire qu'à sa famille, deux maisons familiales ont été aménagées à Villacoublay pour permettre la visite d'enfants aux parents séparés. A Solenzara enfin, une maison des assistantes maternelles tenue par les conjoints des militaires est en cours de création.

Concernant le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », comme vous l'avez souligné monsieur le sénateur Allizard, une partie des ressources servira à financer les études portant sur le renouvellement des composantes de dissuasion nucléaire et les études de maturation des différentes briques technologiques qui seront utilisées par les aéronefs du SCAF. C'est notamment le cas des travaux relatifs aux évolutions du Rafale, principalement dans les domaines de la localisation et de la guerre électronique. S'agissant des missiles, seront pris en compte les travaux concernant le démonstrateur de planeur hypersonique que j'ai évoqué précédemment. Par ailleurs, se poursuivront les programmes conduits en coopération avec les Britanniques, dont le Futur missile anti-navire/Futur missile de croisière. L'année 2020 verra en outre le lancement d'études en matière de gestion des drones et d'autoprotection des aéronefs de transports.

Enfin, le programme 144 porte le financement des travaux sur la préparation des moyens spatiaux futurs de renseignement d'origine image et électromagnétique, ainsi que sur le futur satellite de communication militaire, dont l'architecture de la charge utile sera définie en cours d'année.

Monsieur le sénateur Boutant, vous m'avez interrogé sur l'ONERA. Cet établissement public est l'un des principaux centres de recherche français du secteur aéronautique, spatial et défense, ayant travaillé sur les programmes Rafale, missiles, moteurs et radars de l'armée de l'air.

En matière de recherche, nous coopérons non seulement avec l'ONERA, mais également avec le CNRS ou le CNES. La co-implantation sur la base aérienne de Salon de Provence d'un centre de l'ONERA avec l'Ecole de l'air, favorise les échanges entre chercheurs et dans le cadre de la formation des officiers (soufflerie, spatial).

Pour revenir sur le SCAF, sur lequel vous m'avez posé plusieurs questions, j'espère qu'il n'y aura au final qu'un seul système européen. Comme l'a dit Mme la ministre, le SCAF sera ouvert en temps utile à d'autres partenaires. Avec le Royaume-Uni, la coopération se poursuit dans le cadre du traité de Lancaster House. En atteste le projet majeur du futur missile de croisière et missile anti-navire, créé en 2017 et dont les engagements contractuels sont attendus en 2020 des deux côtés de la Manche. Les travaux d'interopérabilité guident aussi nos activités entre les systèmes de combat F35 britannique et Rafale français. Cette interopérabilité est une priorité à court ou moyen terme, sur laquelle nous travaillons notamment au travers d'exercices majeurs tels qu'Atlantic Trident avec nos alliés américains et britanniques.

S'agissant du SCAF, nous nous réunissons régulièrement avec mes homologues allemands et espagnols pour remettre l'« opérationnel » au coeur du système. Un document appelé « HLCORD » en précise les grandes caractéristiques. Nous sommes en train de les décliner pour faire en sorte que l'architecture et les développements industriels les prennent en compte. Trois officiers allemands ont rejoint la Combined Project Team du SCAF en octobre 2019 ; les premiers officiers espagnols sont attendus début 2020.

Nous partageons de plus les feuilles de route de nos aviations de combat respectives afin d'assurer l'interopérabilité des appareils dits « de deuxième cercle du SCAF » et d'améliorer les capacités de combat collaboratif dans une démarche incrémentale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion