Merci de m'avoir conviée à cette audition sur les crédits de la mission « Aide publique au développement » et, en particulier, sur les crédits dont la direction générale du Trésor a la responsabilité.
Le ministère de l'économie et des finances participe à l'élaboration de la stratégie d'aide publique au développement (APD), au côté du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Les deux ministères assurent le secrétariat du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui est l'outil concret opérationnel de coopération et de pilotage de l'aide publique au développement.
La responsabilité de la direction générale du Trésor dans le dispositif de l'APD, est le volet économique et financier de l'APD : les grands fonds multilatéraux, le financement des prêts de l'AFD et annulations de dette -, ainsi que des interventions en matière d'environnement et de climat, du fait notamment de la dimension fortement financière de certains des instruments utilisés, ainsi que de la volonté d'ancrer ces sujets de développement durable au sein des questions de croissance et de politique économique. De son côté, le MEAE pilote principalement les actions sectorielles hors climat, notamment la santé et l'éducation, ainsi que les dons-projets, et donc l'activité de l'AFD en dons. Cette double tutelle a donc une logique : pour le MEAE, la partie dons et une priorité sectorielle sur la santé et l'éducation, et pour le MEF, la compétence en matière économique et financière, et notamment toute l'activité bancaire de l'AFD qui est un établissement de crédit soumis à la supervision de l'ACPR.
Le programme 110 est géré par la Direction générale du Trésor, le programme 209 par le MEAE, et nous gérons en commun, en lien avec le MEAE et la direction du Budget, le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dont les crédits extrabudgétaires contribuent au financement de fonds multilatéraux sur la santé et sur le climat.
En matière de priorités, le CICID a défini cinq grandes priorités thématiques en 2018 : la lutte contre les changements climatiques, l'égalité entre les femmes et les hommes, la réponse aux crises et vulnérabilités, la santé et l'éducation.
Le programme 110 couvre particulièrement les trois premières priorités.
Tout d'abord, la lutte contre les changements climatiques avec une priorité clairement française qui a été un des axes majeurs du sommet du G7 de Biarritz : la France s'est engagée à doubler sa contribution au Fonds vert pour le climat. Cette contribution s'élèvera à un montant de 1,5 milliard d'euros environ sur la période 2020-2023, financée à la fois par prêt et par don. La conférence de reconstitution du Fonds se tiendra demain et après-demain à Paris [24 et 25 octobre] ; nous avons bon espoir que cette reconstitution s'achève sur des résultats positifs. L'enjeu principal est de combler le manque à gagner qui découle du retrait de la contribution des États-Unis, qui représentait un engagement de 3 milliards de dollars sur les 10 milliards dans la première constitution du Fonds. Les engagements déjà annoncés par d'autres pays représentent un montant d'environ 7,5 milliards de dollars et l'un des enjeux sera de se rapprocher de l'objectif de 10 milliards annoncé par le Président de la République.
Deuxième grande priorité : la réponse aux crises et vulnérabilités. C'est dans cet objectif que nous inscrivons la reconstitution de plusieurs grands fonds multilatéraux, qui sont l'Association internationale de développement (AID), qui est gérée par la Banque mondiale, et le Fonds africain de développement (FAD), qui est le seul guichet concessionnel uniquement consacré aux pays africains. Nos priorités pour la reconstitution de l'AID est la priorité au Sahel - nous visons un objectif d'une augmentation de 30 % des financements accordés à la région Sahel, qui est en grande difficulté - et un objectif climat, qui serait que 30 % des financements de l'AID aient un effet positif sur le climat. Un troisième élément de réponse aux crises et vulnérabilités sont les contributions françaises en faveur de la mobilisation des ressources intérieures dans les pays en développement. Un des enjeux majeurs pour les pays fragiles est d'arriver à avoir une base de ressources fiscales propres qui soutiennent un Etat et les besoins minimum en matière de fonctionnement de l'Etat et de services publics. C'est pourquoi nous avons augmenté notre financement en faveur de la mobilisation des ressources intérieures dans les pays en développement en appuyant l'activité de l'AFD et d'Expertise France, et, dans un cadre multilatéral, avec des contributions spécifiques en la matière.
Troisième priorité : l'égalité entre les femmes et les hommes, qui est aussi une des priorités du sommet du G7 avec deux annonces spécifiques faites dans le cadre du G7 : d'une part, une contribution française de 25 millions de dollars en faveur de l'inclusion numérique financière des femmes en Afrique à l'appui d'un certain nombre d'initiatives qui favorisent la bancarisation, le développement des infrastructures de paiement et l'identification digitale . La deuxième initiative sur laquelle nous allons apporter un soutien spécifique, est l'initiative Afawa, qui vise à favoriser l'accès des femmes au financement en Afrique, et pour laquelle plusieurs pays du G7 dont la France apporteront un concours. Sur le programme 110, 45 millions d'euros sur cinq ans sont prévus pour financer des garanties à des projets entrepreneuriaux portés par des femmes en Afrique. Il a par ailleurs été décidé par le CICID de 2018 que la moitié des volumes annuels d'engagements de l'AFD auront un objectif genre principal ou significatif.
Notre direction générale intervient de manière plus marginale et indirecte en matière de financement de l'éducation et de la santé, à travers notre action au sein de fonds multilatéraux, ainsi la part des financements de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement pour la santé et l'éducation.
Je souhaite à présent revenir sur la question de la trajectoire d'APD. Nous sommes proches des cibles intermédiaires fixées par le CICID de 2018 avec une marge de 0,01% du revenu national brut puisque, en 2018, l'APD française a atteint 10,3 milliards d'euros, soit 0,43 % du RNB malgré un effet défavorable lié au mode de comptabilisation des prêts concessionnels qui entre en vigueur à partir de 2018. Le ratio de 0,43 % serait maintenu en 2019, avec une augmentation de la part bilatérale et malgré l'effet défavorable du contrecoup en 2019 du décaissement du prêt accordé à l'AID en 2018. L'objectif pour 2020 est une augmentation assez sensible de ce ratio, à 0,46 % du RNB, et c'est ce qui est prévu en application du budget présenté cette année. Donc, nous sommes proches de la trajectoire et nous gardons l'objectif de 0,55 % du RNB fixé par le Président de la République pour 2022.
S'agissant du calendrier du projet de loi relatif à l'aide au développement, je ne saurais aller plus loin que ce qu'a annoncé le Président de la République lors de la Conférence des ambassadeurs fin août, qui était : consultations à l'automne, saisine du Conseil d'Etat et examen du projet de loi au premier semestre de 2020. Ce projet de loi devrait contenir des éléments de trajectoire budgétaire, mais les discussions doivent se poursuivre.
Sur la mission budgétaire « Aide publique au développement » et le programme 110 en particulier : dans le projet de loi de finances pour 2020, la mission représente 7,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,3 milliards d'euros en crédits de paiement et, en 2020 , si l'on y ajoute les crédits du Fonds de solidarité pour le développement, soit 738 millions d'euros, on arrive à un total de plus de 4 milliards d'euros de crédits pour l'aide publique au développement. La hausse des crédits de paiement, qui représente déjà une hausse de 7 % entre 2019 et 2020, va s'accélérer dans les années suivantes : on anticipe une hausse totale de 57 % des crédits de paiement entre 2019 et 2022, à comparer à une hausse de 5 % pour le budget de l'État. L'aide publique au développement est la politique publique qui enregistre la plus forte progression sur la période, en cohérence avec les objectifs fixés par le Président de la République.
Pour le programme 110, les crédits de paiement augmenteront de 76 % entre 2019 et 2022. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit pour ce programme 4,47 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,14 milliard d'euros en crédits de paiement.
Je voudrais souligner le caractère très contraint du programme 110, qui est fortement conditionné par les engagements internationaux de la France. Les crédits de paiement sont souvent la traduction d'engagements antérieurs que la France a souscrit et auxquels elle ne peut se soustraire, tels que des fonds multilatéraux, comme l'AID, le FAD, le Fonds vert pour le climat, et la bonification de prêts qui ont déjà été octroyés par l'Agence française de développement.
La forte hausse des autorisations d'engagement sur le programme 110 en 2020 est liée à la reconstitution triennale de trois fonds multilatéraux importants : le Fonds vert pour le climat avec le doublement de la contribution française, la reconstitution du Fonds africain de développement (FAD) pour 0,5 Md€, et la reconstitution de l'Association internationale de Développement (AID) pour 1,4 Md€.
Le maintien de notre engagement dans ces fonds est une condition pour maintenir notre influence dans les institutions multilatérales de développement et pour que ces institutions servent les priorités géographiques et thématiques de l'APD française - on voit l'enjeu de l'AID pour la priorité Sahel - et il permet d'avoir un effet de levier sur les contributions des autres pays.
Sur la question de la part des prêts et des dons dans l'APD française. Le prêt reste l'un des outils importants de l'APD française : c'est un outil vertueux puisqu'il permet de financer des projets de grande ampleur, notamment d'infrastructures, qui pourraient être difficilement financés par dons ; il permet de maximiser l'impact de notre effort budgétaire par un effet de levier ; il permet à des États qui ne pourraient accéder à des prêts sans bonification de disposer de ces financements ; dernier élément positif, il permet de responsabiliser les États bénéficiaires. Cet instrument doit être manié avec prudence et nous sommes très vigilants dans l'utilisation des prêts de ne pas sur-endetter les pays récipiendaires. Il y a des enjeux de surveillance de l'endettement. Il y a un certain nombre de pays qui se retrouvent, non pas du fait de nos interventions ou des interventions de pays de l'OCDE, mais de l'intervention de nouveaux créanciers, dans une situation de risque de surendettement. Nous utilisons donc cet instrument de façon raisonnée, raisonnable et avec beaucoup de précaution sur la soutenabilité de la dette des pays récipiendaires. Il reste un instrument pertinent pour un certain nombre de pays qui ont la capacité de s'endetter et pour lesquels les conditions de financement, aujourd'hui assez favorables, permettent de financer des projets dont la rentabilité interne est supérieure au taux d'endettement.
Le dernier point sur lequel je voulais revenir est la question de la coopération avec le MEAE et la manière dont nous exerçons conjointement la tutelle de l'AFD. Notre tutelle conjointe et notre coopération se sont beaucoup renforcées. Je vois de façon très régulière, avec le secrétaire général du MEAE, le directeur général de l'AFD pour travailler sur les sujets d'intérêt conjoints et définir les priorités conjointes de l'AFD, les sources de financement, les priorités sectorielles, l'organisation de l'agence pour améliorer son efficacité en tant qu'opérateur de l'aide au développement. Nous avons, par exemple, beaucoup travaillé sur le rapprochement d'Expertise France avec l'AFD. Nos deux compétences se complètent de façon nécessaire et pertinente: nous apportons la compétence bancaire et financière, à la fois nationale et internationale, et le MEAE, et notamment la direction générale de la mondialisation, apporte une compétence plus sectorielle, notamment en matière de santé et d'éducation. Ces deux regards et cette double tutelle paraissent pertinents et nécessaires pour une structure de l'aide au développement française qui repose sur un opérateur qui a un rôle à la fois de banque et de gestionnaire de dons pour le compte de l'Etat, et représente donc une structure complexe biface qui regroupe tous les outils. C'est le choix qui a été fait il y a plusieurs années de regrouper l'essentiel des outils dans un opérateur, une intégration des différents outils qui répond à un continuum de l'aide, les prêts et les dons se complétant.