J'en reviens au projet de loi, qui distingue cinq catégories de demandeurs prioritaires pouvant saisir la commission de médiation sans condition de délai, dès le 1er décembre 2008 : il s'agit des personnes dépourvues de logement, expulsées sans relogement, hébergées, logées dans des locaux impropres à l'habitation ou insalubres, ou ayant des enfants mineurs et vivant dans un logement indécent ou suroccupé.
Pour répondre aux demandes considérées comme « urgentes » par la commission, l'État est appelé à mobiliser ses droits de réservation dans le parc social : c'est le « contingent préfectoral ». Bien entendu, il ne pourra effectivement le faire que dans le cadre des mutations, c'est-à-dire lorsqu'un logement se libère. Or les taux de rotation, dans le parc social, atteignent à l'heure actuelle des niveaux historiquement bas.
En d'autres termes, le hiatus sera immense entre le nombre de demandes que l'État devra honorer à la suite d'une décision de la commission ou du tribunal administratif et le nombre de logements dont il disposera pour loger ces personnes. À Paris, par exemple, le nombre des publics prioritaires concernés par ce texte est estimé à 35 000 ménages, pour quelque 1 000 attributions effectuées chaque année dans le cadre du contingent préfectoral. Par conséquent, 34 000 demandes resteront sans solution et seront susceptibles de donner lieu à une astreinte ! C'est l'équivalent de trente-quatre années d'attribution : est-ce bien réaliste ?
Au niveau national, selon la Fondation Abbé-Pierre, les critères de priorité établis par le projet de loi concerneront 7, 9 millions de personnes. Certes, toutes n'ont pas déposé une demande de logement social, puisque le nombre de dossiers est estimé à 1, 4 million environ. Néanmoins, ce sont près de 8 millions de personnes mal logées ou dont le logement est précaire qui attendent potentiellement du débat parlementaire des réponses à leurs difficultés. Près de 8 millions de personnes croient que l'un des aspects les plus précaires et les plus angoissants de leur quotidien disparaîtra grâce à l'adoption de l'opposabilité du droit au logement. Près de 8 millions de personnes, enfin, auront une bien piètre opinion des politiques lorsqu'elles s'apercevront de la mystification.
Prenons bien la mesure de la responsabilité qui est la nôtre, aujourd'hui, dans cet hémicycle. Si la loi instituant le droit opposable au logement ne revient qu'à changer l'ordre de la file d'attente, nous aurons raté le coche, en adoptant une déclaration d'intention, rien de plus.
À ce stade de mon propos, je voudrais dire un mot sur les astreintes prévues à l'article 3 du projet de loi, qui font l'objet d'un autre malentendu. Nos concitoyens ont bien compris que, s'ils obtiennent gain de cause devant le tribunal et si l'État n'est pas en mesure de leur attribuer un logement, ce dernier sera condamné à payer une sorte d'indemnité dénommée « astreinte ». Nos concitoyens imaginent, en toute logique, que cet argent leur sera versé, ...