La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle, à notre invitation, d'une délégation du Parlement estonien, conduite par son président, M. Toomas Varek.
Cette visite, après ma visite à Tallinn, en juin 2006, contribue, à l'évidence, à la poursuite des échanges de grande qualité entre nos deux assemblées et au renforcement des liens qui unissent, au sein de l'Union européenne, la France et la si dynamique République d'Estonie.
Je suis heureux d'adresser, au nom du Sénat, mes souhaits de cordiale bienvenue à cette délégation.
M. le ministre, Mme la ministre, Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.
J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d'une part, du projet de loi organique et, d'autre part, du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer sont parvenues à l'adoption d'un texte commun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, mon rappel au règlement porte sur la décision qu'a rendue, le 25 janvier dernier, le Conseil constitutionnel quant à la loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique, dont il a déclaré contraire à la Constitution l'article 23.
Cet article 23, introduit sur l'initiative du Gouvernement, avait pour objet d'autoriser celui-ci à « modifier par ordonnance les dispositions législatives relatives aux soins psychiatriques sans consentement », dispositions dont il était par ailleurs question dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, ce que le Conseil constitutionnel n'a pas manqué de souligner.
Nous étions nombreux dans cet hémicycle, monsieur le président, à nous être élevés contre cette très étrange procédure.
D'une part, nous considérions comme anormal que des dispositions relatives aux maladies mentales soient insérées dans un projet de loi consacré à la prévention de la délinquance dans la mesure où cela tendait à présupposer que les malades mentaux étaient des délinquants. Cette démarche a d'ailleurs été jugée très sévèrement tant par les associations des familles concernées que par les psychiatres.
D'autre part, M. le ministre de la santé était convenu du caractère inapproprié de ce projet de loi pour une telle disposition. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a fait le choix de demander une habilitation à légiférer par ordonnance sur cette question, dans un projet de loi dont l'objet était sans rapport avec celle-ci, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel.
Il en résulte un véritable imbroglio juridique, et ce n'est pas une bonne façon de légiférer.
Monsieur le président, vous ne manquerez sans doute pas d'évoquer cette question avec le Gouvernement. En tout cas, nous espérons vivement que sera respectée la parole de M. le ministre de la santé, lequel a déclaré en substance que le maintien des dispositions relatives aux maladies mentales dans la loi relative à la prévention de la délinquance était inapproprié ; nous souhaitons également que le Parlement ait ultérieurement l'occasion de débattre sereinement, sur le fond, d'une grande loi sur la maladie mentale et la psychiatrie, loi qui est assurément nécessaire.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur Sueur, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Le Gouvernement vous a entendu. Pour ma part, je ne manquerai pas de lui faire part de vos remarques.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd'hui présenté prévoit diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. L'un de ses articles revêt une importance particulière parce qu'il pose un acte politique, sociétal, social et humain fondamental pour notre pays.
Le logement n'est pas seulement une affaire de statistiques. Il n'est pas forcément non plus une affaire d'ingénieurs. Dans les sociétés modernes, notamment urbaines, les individus et les familles ont besoin d'un nid. Le logement, c'est l'habitat, c'est l'endroit où l'on fabrique sa personnalité. C'est l'endroit où l'on peut disposer d'une corde de rappel quand les choses vont mal.
Tout le monde sait que le véritable isolement et la vraie pauvreté résident en réalité dans l'absence de logement décent. Un certain nombre de personnes mènent d'ailleurs un combat à cet égard depuis vingt ans. Nul n'ignore que les échecs scolaires trouvent essentiellement leurs causes dans des conditions de logement inadaptées ou insalubres. De même, on connaît la relation entre le logement et l'emploi : le premier influe directement sur la capacité à trouver un emploi ; inversement, l'absence d'emploi peut conduire à la perte de son logement.
Après que le Parlement, dans la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, dite « loi Besson », eut fait de la garantie du droit au logement « un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation », après que le Conseil constitutionnel eut affirmé, dans une décision rendue en 1995, que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent était un objectif de valeur constitutionnelle, le présent texte, prenant acte du fait que l'offre de logements n'a pas correspondu à la demande entre 1990 et 2002 ou 2003, a pour ambition de nous donner les moyens de rendre effectif le droit au logement en le rendant opposable, au même titre que l'éducation ou la santé. En effet, la décision du Conseil constitutionnel n'y suffisait pas.
Ce texte n'a ni pour vocation ni pour objet de rendre le logement gratuit. Un ancien premier ministre avait jadis déclaré qu'il ne voulait plus de bidonvilles dans un délai de cinq ans. À l'époque, de grands programmes avaient été lancés. Dans les mêmes conditions, avec ce texte, nous nous fixons l'obligation absolue d'engager les chantiers de construction nécessaires aux besoins et nous nous en donnons les moyens. Nous n'accepterons plus que, au cours de longues périodes, on construise moins qu'il n'est nécessaire en raison de l'émiettement du pouvoir de décision entre différents statisticiens et prévisionnistes, consécutivement à la décentralisation.
Évidemment, on nous objectera peut-être que ce texte ne fera pas « pousser les constructions », que ce projet est trop ambitieux, trop rapide. Mais nous ne pouvons plus attendre. Chacun d'entre nous, à son poste de responsabilité, qu'il se situe dans le secteur public ou dans le secteur privé, doit se donner les moyens pour que la période noire qu'a connue notre pays ne se reproduise plus jamais.
Dois-je vous rappeler que, à l'époque de l'appel de l'abbé Pierre, 200 000 logements, toutes catégories confondues, étaient construits tous les ans en France, et que, pendant une dizaine d'années, nous n'avons cessé d'augmenter le nombre de ces constructions pour les porter à 600 000 par an ? Puis, cela s'est effondré, ...
...230 000 logements par an en moyenne ont été construits.
C'est là, dans un secteur qui a besoin de temps, qu'est née la crise du logement, rendant indispensable le coup de reins qui est présenté aujourd'hui.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il est toujours difficile de déposer un texte de principe devant avoir un effet opérationnel, de prévoir le bon curseur et la date la plus appropriée afin de répondre de façon optimale aux exigences en la matière, mais sans donner de faux espoirs ou faire des promesses inutiles. C'est toujours une responsabilité difficile, et c'est dans cet esprit que nous avons élaboré ce texte.
Ce projet de loi se situe intellectuellement dans la continuité des efforts tant de Louis Besson que des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, ces deux premiers ministres ayant toujours affirmé qu'ils plaçaient leur action en faveur du logement « dans la perspective du droit au logement opposable ».
C'est cette même perspective qui était inscrite dans l'exposé des motifs de la loi portant engagement national pour le logement, que j'ai eu l'honneur de faire adopter par le Parlement en 2006. Lors des débats sur ce projet de loi, j'avais proposé, vous vous en souvenez, que le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par Xavier Emmanuelli, approfondisse les conditions objectives permettant de franchir le cap de l'opposabilité du droit au logement. §Cela a donné lieu à la commande, par le Premier ministre, en juin 2006, d'un rapport sur cette question, que le Haut comité a rendu à la fin de l'automne dernier.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui répond également à la demande formulée par le Président de la République le 31 décembre 2006, lors de ses voeux aux Français ; si des femmes et des hommes ont contribué à faire avancer le moment de la présentation au Parlement de ce texte, ce dernier n'est pas pour autant une improvisation, tant il est vrai qu'il prolonge et renforce les résultats déjà obtenus par la loi portant engagement national pour le logement, en s'appuyant sur le rapport demandé à Xavier Emmanuelli, le président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Nous avons décidé d'aller vite, car ce texte nous le permettait.
Mais cette avancée sociale, attendue par nombre de nos concitoyens, n'est possible aujourd'hui qu'en raison de l'effort sans précédent qui a été réalisé en matière de logement depuis plusieurs années par les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette législature. L'arrivée à maturité du caractère opposable du droit au logement consacre en effet, d'une certaine manière, l'action entreprise depuis 2002 pour relancer toute la chaîne du logement.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF. - Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Depuis 2002, le Gouvernement a pris toute une batterie de mesures pour augmenter considérablement la construction de logements.
L'année 2006 a battu tous les records depuis vingt-huit ans, ...
...avec près de 430 000 mises en chantier sur les douze derniers mois, toutes catégories de logements confondues. Le nombre de permis de construire délivrés en 2006, soit quelque 565 000, se situe lui aussi à un niveau historique : c'est le record depuis trente ans ! (M. Guy Fischer s'exclame.)
Afin d'atteindre l'objectif de lancement annuel de 450 000 logements neufs et de 120 000 logements locatifs sociaux dans le parc public, l'État a, de surcroît, décidé de montrer l'exemple en mobilisant ses terrains, représentant 30 000 logements sur trois ans.
Sur la période 2005-2009, la construction de 500 000 logements sociaux dans le parc public et de 200 000 logements à loyer maîtrisé dans le parc privé a été prévue par la loi de programmation pour la cohésion sociale qui - faut-il le rappeler ?- est une première dans l'histoire des politiques sociales.
En 2006, 144 000 logements à loyer accessible ont été produits, dont 106 000 dans le parc public social, selon la définition de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, et 38 000 dans le parc privé, contre à peine - veuillez m'excuser de cette comparaison - 50 000 logements accessibles produits en l'an 2000
Voilà ! sur les travées de l'UMP
Alors, au moment où un consensus est en train de se dégager sur ce texte, ...
...sur cette ardente obligation que nous nous imposons, de grâce, évitons d'entamer une polémique sur les années noires de la construction des logements sociaux en France (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) ...
: par rapport à 5 009 PLAI et à 33 000 PLUS en 2000, l'augmentation s'élève respectivement à 66 % et à 76 % !
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le nombre de logements sociaux du parc public est ainsi passé de 42 000, en 2000, à 103 000 cette année, et il faudra encore trois ou quatre ans pour sortir réellement de la crise du logement que vous nous avez laissée.
M. Roland Muzeau s'exclame.
À un moment où l'ensemble des partis de ce pays, à l'instar de nombreuses associations aux opinions d'ailleurs extrêmement diverses, parfois mêmes contradictoires, expriment le sentiment d'une impérieuse nécessité quant à un droit au logement opposable, de grâce, n'abaissons pas le débat ! Un tel droit permettra à la France de rester toujours vigilante et de devenir, après l'Écosse, le deuxième pays européen à se doter d'un dispositif de ce type.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l'occasion de débattre de la mise en place de la commission de médiation, instance nécessaire dans ce type de dispositif, du rythme auquel elle se réunira, des voies de recours qui pourront être utilisées contre certaines décisions et des contraintes qui seront éventuellement prévues.
Un droit aussi fondamental - nous pouvons être d'accord sur ce point, qui est peut-être le plus important -mérite qu'une instance de suivi puissante et précise existe et que le Parlement - Assemblée nationale et Sénat - soit tous les ans associé à l'évolution de sa mise en place.
Je vous propose, dans ce texte, la création du comité de suivi pour la mise en place du droit au logement opposable. En clair, c'est sur la base des décisions du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, enrichi des représentants des communes, des départements, des régions de France et de tous les grands acteurs et opérateurs, que le droit opposable au logement sera progressivement mis en place.
Nous n'ignorons pas qu'il faudra probablement, peut-être dès l'année prochaine, examiner le mode de gouvernance en matière de logements, notamment en Île-de-France, car, comme l'a signalé à juste titre le Haut comité, il s'agit d'un sujet dans le sujet. Mais nous n'allons pas attendre que tout soit examiné avant de poser les principes.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité acquiesce.
...et, dans cette action, je compte sur chacun des sénateurs. Sincèrement, quand j'entends les leçons que nous donnent ceux qui ont laissé le 1% du logement social, inutilisé pendant des années, ...
...rejoindre le budget général de l'État, ...
M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... je ressens un peu de colère !
Vifs applaudissementssur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Mesdames, messieurs les sénateurs, d'autres éléments sont à prendre en compte, et je vous donnerai tout à l'heure les chiffres, qui sont spectaculaires.
Mais je souhaite revenir au fond du sujet, parce que la République doit reprendre de la hauteur ! Ce projet de loi s'apparente à ceux qui ont été adoptés en matière d'éducation ! C'est un texte à la Jules Ferry ! Qu'avait affirmé ce dernier ? « Un instituteur, une classe par commune ! »
Rires sur les travées du groupe socialiste.
Ce texte comprend quelques éléments complémentaires que je souhaiterais évoquer brièvement.
Nous proposons tout d'abord un article sur nos « vieux » travailleurs migrants, au sens le plus noble du terme, ces travailleurs maintenant retraités qui ont construit notre pays avec nous, mais qui n'ont pas cotisé assez longtemps et qui doivent, pour bénéficier de leurs droits sociaux, séjourner obligatoirement neuf mois sur notre territoire national. Vous en connaissez probablement tous certains.
Absolument ! Ce très beau terme de la langue arabe signifie « vieux ». Ces vieux travailleurs migrants n'ont pas choisi, à l'époque, le regroupement familial, et ils sont restés isolés dans notre pays. Ils ont contribué au développement de la France, mais n'ont pas tous les points de retraite nécessaires. Ils vivent essentiellement de l'assurance vieillesse, seuls ou dans des résidences sociales.
Par ce texte, nous leur proposons de choisir leurs conditions de vie pour la dernière partie de leur existence.
Ce dispositif se présente sous forme d'indemnités complémentaires. Ces immigrés retraités auront le choix d'aller et venir où ils veulent en conservant les mêmes droits que ceux qu'ils ont acquis.
J'espère que cet article sera, lui aussi, voté à l'unanimité !
Quand je suis allé le présenter dernièrement à Asnières dans une résidence Sonacotra, organisme qui vient de changer de dénomination, j'ai vu des larmes, presque de l'incrédulité chez certains : cela sera-t-il vraiment possible ? Pourra-t-on réellement le faire ? Je crois juste que c'est une mesure nécessaire, une mesure d'humanité, de respect à l'égard de nos Chibanis. Il était temps que nous puissions la mettre en place.
Par ailleurs, ce texte prévoit une disposition relative aux travailleurs indépendants en micro-entreprises, à savoir l'instauration d'un régime de cotisations sociales proportionnelles au chiffre d'affaires, permettant ainsi aux entreprises nouvellement créées de ne pas supporter immédiatement les forfaits de charges sociales qui tuent une création avant même le décollage. Ce texte est déjà venu en discussion et vous l'aviez alors soutenu. Mais il a connu quelques vicissitudes, et nous vous le proposons donc à nouveau.
Enfin, le dernier rapport du Conseil économique et social sur les services à la personne préconise que les salariés français qui ne paient pas d'impôts sur le revenu puissent bénéficier du crédit d'impôt non pas sur deux secteurs des services à la personne, mais sur les vingt métiers concernés, qui contribuent à l'augmentation de 26 % des offres d'emploi référencées par l'ANPE. C'était une demande de l'ensemble des acteurs de la filière. Je suis à peu près convaincu que nous y parviendrons.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je défends devant vous un texte qui tourne pour l'essentiel autour de ce grand droit qu'est le droit opposable au logement, que je vois comme une vigie républicaine. En effet, quand toute la chaîne du logement tousse, ce sont ceux qui se situent au bout qui connaissent le plus de difficultés ; j'ai croisé, comme vous tous, des jeunes en errance, et Catherine Vautrin s'occupe de ce problème jour et nuit. Les conditions globales d'accueil ne sont pas à la hauteur des besoins. Certes, nous avons augmenté de 30 % le nombre de places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale ...
... ainsi que le nombre de places en centres d'accueil des demandeurs d'asile, ...
... mais c'est l'ensemble de la chaîne du logement qui doit progresser sous peine que l'objectif visé ne puisse être atteint.
Je vous rappelle que le projet de loi qui vous est soumis a reçu l'assentiment unanime du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, et je vous demande de prendre acte de notre engagement à publier le jour même de la promulgation de la loi le décret créant le comité de suivi, indispensable pour procéder aux ajustements nécessaires au fur et à mesure de la mise en oeuvre de ce texte.
En espérant que la période qui s'ouvre ne fera pas déraper la qualité de ce débat sur des considérations à court terme, je vous demande du fond du coeur de soutenir le présent projet de loi.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons la discussion n'est pas un texte de mise au point technique ni de régulation d'un mécanisme à perfectionner, ce qui est souvent le cas des textes que nous avons à examiner ici.
En effet, le projet de loi que nous abordons aujourd'hui est d'une nature particulière et rare, une sorte de retour aux fondamentaux de l'humanité.
C'est un texte d'une nature rare, parce qu'il affirme de façon exceptionnelle le primat du politique sur l'économique, reconquête qui mérite d'être saluée dans un temps où la politique se soumet désormais trop souvent aux lois du marché.
Il est d'une nature particulière, parce qu'il défend l'idée d'une véritable écologie humaine, en proclamant que la personne humaine ne s'arrête pas à l'enveloppe extérieure de son corps, mais s'étend au logement dans lequel il doit pouvoir s'abriter, y développer sa vie intime et organiser celle de sa famille immédiate. La dignité humaine comporte, en effet, cet impératif d'habitat que constituent le corps de notre mère jusqu'à notre naissance et, ensuite, un logement conforme à notre dignité.
Partant de ce constat, l'État est en passe de reconnaître, avec ce texte, sa propre responsabilité au regard de cet impératif catégorique que constitue le droit, pour chaque être humain, d'avoir un toit, une maison. Nous sommes ici en train de poser les fondations d'une véritable protection sociale contre le mal-logement ou l'absence de logement. C'est un événement dont le succès dépendra de l'attention que nous lui porterons.
Il faut, dans un premier temps, se protéger des écueils qui pourraient contrarier la mise en oeuvre de ce nouveau droit.
Une première erreur consisterait à croire que tout est réglé, alors que ce texte n'est qu'une première étape, qui va permettre de faire évoluer nos pratiques juridiques et nos comportements, pour les adapter à cette nouvelle réalité.
Les premières difficultés viendront des divergences d'interprétation sur la définition et les causes du mal-logement. Autant la problématique est claire quand on se trouve en présence de causes étrangères au mal-logement - insuffisance de l'offre ou insolvabilité, du fait de la pauvreté, par exemple - autant la question sera plus délicate lorsque la responsabilité du demandeur de logement sera partiellement engagée dans la naissance de la situation, ou lorsqu'il s'agira d'apprécier la « stabilité » de résidence d'un demandeur. Nous reparlerons d'ailleurs de cette question de stabilité lors de l'examen des articles.
En proposant au vote du Parlement ce texte très particulier, le Gouvernement prend date, et ce sur des bases dont on ne connaît guère d'exemples étrangers, hormis celui de l'Écosse. Peut-être faudra-t-il d'ailleurs nous en inspirer et élaborer un « code d'orientation » à destination des autorités concernées, sorte de manuel d'utilisation de la loi afin de qualifier juridiquement les situations et de poser quelques principes pour faciliter les arbitrages et limiter les décisions d'opportunité.
En effet, si la commission des affaires sociales a apporté avec conviction son soutien aux objectifs fixés par le texte, elle a aussi mesuré les difficultés d'application qu'il est susceptible de soulever.
Ainsi, dans le système qui nous est ici proposé, il reviendra aux commissions de médiation de distinguer les demandes simplement prioritaires de celles qui ont un caractère urgent ; mais la définition des catégories telle qu'elle est établie ne leur laisse, à ce stade, qu'une faible latitude d'appréciation.
Un autre écueil devra être évité : celui qui est lié au risque de confusion des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales. Or il nous est apparu qu'un consensus semble se dégager en faveur d'une responsabilité exclusive de l'État.
Les associations représentatives des élus que nous avons consultées sont, en effet, unanimement hostiles au transfert automatique de la responsabilité du droit au logement aux collectivités signataires d'une convention de délégation du contingent préfectoral. On peut le comprendre, car, en l'absence des moyens coercitifs du préfet - le pouvoir de réquisition, par exemple - pour mettre en oeuvre le droit au logement, aucune collectivité locale n'a de vocation naturelle à exercer cette responsabilité.
Madame, messieurs les ministres, en prévoyant ce transfert de responsabilité, n'existe-t-il pas un risque de décourager les communes et les établissements publics de coopération intercommunale de signer des conventions de délégation ?
Enfin, l'on ne peut écarter l'argument repris par les associations en charge de l'insertion et du logement des personnes défavorisées, qui considèrent que la garantie de l'État est le gage d'une application équitable et solidaire du droit au logement sur l'ensemble du territoire national.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales ne s'est pas montrée favorable à ce transfert automatique de responsabilité ni, par voie de conséquence, à l'expérimentation éventuelle de ce dispositif à l'échelon local proposée par le texte.
Il est encore une troisième menace dont nous devons être conscients : il s'agit du risque d'un engorgement, spontané ou organisé, des tribunaux administratifs. Sur ce point, une part d'inconnu existe, il est vrai. D'ailleurs, est-il illégitime de considérer que si la loi ouvre un droit, c'est bien pour qu'il soit utilisé ?
En réalité, poser cette question nous renvoie à celle du calendrier proposé par le texte. Ce point n'a pas manqué de soulever un certain nombre d'interrogations, voire de doutes, chez quelques-uns de nos collègues. Certes, on ne peut nier que ce calendrier soit ambitieux.
Rappelons-le, il ouvre le droit au logement opposable aux cinq catégories prioritaires en 2008 et à tous les autres demandeurs en 2012. Nous nous sommes bien sûr interrogés sur la pertinence de cet échéancier et nous avons posé la question au ministre, qui nous a convaincus de sa faisabilité.
La commission des affaires sociales n'a pas souhaité contester le calendrier proposé, et ce pour différentes raisons.
Tout d'abord, nous ne disposons, à ce jour, d'aucune donnée chiffrée précise nous permettant d'évaluer le nombre de recours qui pourraient intervenir à compter de la mise en oeuvre du dispositif.
Le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement estime toutefois à près de deux millions le nombre de personnes qui seraient susceptibles d'être concernées au 1er décembre 2008.
Ensuite, il ne faudrait pas sous-estimer les effets positifs que pourrait susciter la dynamique nouvelle enclenchée par ce texte.
Pour ces motifs, la commission des affaires sociales a considéré qu'en reportant les échéances, d'une manière d'ailleurs tout aussi aléatoire, on risquait surtout d'anéantir l'effet d'entraînement attendu de ce texte.
Pour autant, nous n'avons pas jugé utile d'anticiper d'un an la mise en oeuvre du droit au logement des personnes sans abri. Qu'on ne se méprenne pas, nous sommes très vigilants sur cette question, mais il ne faudrait pas entretenir une confusion regrettable entre droit au logement et droit à l'hébergement.
Notre attitude a donc plutôt consisté à organiser, sur une base pragmatique, un suivi précis et scrupuleux du déroulement du processus que nous enclenchons.
Nous proposons donc de confier au comité de suivi, mis en place autour du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, le soin de l'organiser, et notamment, de proposer dès juillet prochain des adaptations éventuelles du calendrier, modulables selon les degrés de tensions immobilières que connaissent les territoires. Il nous faut, en effet, tenir compte du cas particulier de la région parisienne et, de façon plus générale, des zones urbaines ou des territoires où la situation du logement est particulièrement critique.
Parallèlement, il m'a paru judicieux et légitime de recourir à la compétence reconnue du Conseil économique et social en ce domaine, à qui pourrait être confiée la rédaction d'un rapport d'évaluation à présenter au Président de la République et au Parlement avant le 1er octobre 2010, soit à mi-parcours, avant la généralisation du dispositif au 1er janvier 2012. Ce rapport aurait pour vocation d'apprécier les progrès réalisés dans le domaine du logement et de l'hébergement, ainsi que les besoins de la population à partir des données chiffrées précises concernant l'activité des commissions de médiation et des tribunaux administratifs. Nous pourrons alors proposer l'aménagement éventuel du dispositif et préciser les échéances à suivre.
D'ici là, la vraie solution passe par l'augmentation de l'offre de logements, notamment de logements adaptés aux besoins des ménages à revenus modestes. Nous ferons sur ce point plusieurs propositions pour accélérer le programme de construction de logements très sociaux, pour mieux mobiliser le parc privé et pour améliorer la solvabilité des ménages, en augmentant l'efficacité sociale des aides au logement et en étendant le système de garantie des revenus locatifs.
Avant de conclure, permettez-moi d'ajouter quelques mots sur la seconde partie du texte, qui traite de sujets plus divers, mais non moins intéressants.
D'abord, il s'agit de la reprise du mécanisme de « bouclier social », disposition adoptée par le Parlement dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, mais invalidée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure.
L'objectif, comme je l'avais d'ailleurs préconisé en mai 2003 dans un rapport au Premier ministre sur la mise en place d'un contrat d'accompagnement généralisé, est de lever un frein à l'initiative, parfois découragée par la complexité et le coût des procédures, et de permettre de légaliser un certain nombre de petites activités qui fonctionnent « au noir », faussant ainsi la concurrence avec les commerçants et les artisans qui exercent dans un cadre légal. Cette mesure mérite, à notre avis, d'être soutenue.
Ensuite, le texte reprend une proposition faite au Sénat, sur l'initiative de notre collègue Alain Gournac, visant à instituer un crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile au profit des ménages non imposables qui ne peuvent, par définition, bénéficier de la réduction d'impôt actuelle. Le projet de loi étend cette disposition à tous les métiers des services à la personne, c'est-à-dire aux vingt métiers recensés, en particulier concernant l'aide aux personnes âgées ou handicapées, et permet d'y avoir accès y compris lorsqu'il est fait appel à un organisme agréé, tel un centre communal d'action sociale.
Cela a paru tout à fait opportun à la commission, et je vous inviterai donc à adopter cet article, mes chers collègues.
Une troisième disposition opère la transposition en droit national de l'article 24 de la directive européenne relative aux droits des citoyens de l'Union européenne de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, qui autorise les États d'accueil à ne pas accorder de droits à une prestation d'assistance sociale aux personnes entrées sur leur territoire pour y chercher un emploi.
Le projet de loi applique cette mesure à trois types de prestations : le revenu minimum d'insertion, ou RMI, la couverture maladie universelle, ou CMU, et les prestations familiales. Il s'agit simplement d'éviter des mouvements de population liés à de seuls effets d'aubaine. Nos voisins ont d'ailleurs tous adopté des mesures similaires.
Enfin, la dernière mesure tend à créer un mécanisme nouveau, et à certains égards inédit, d'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine.
Il est ainsi proposé d'accorder à ces personnes une aide équivalente à la somme qu'elles auraient perçue si le minimum vieillesse était toujours exportable.
Nous comprenons parfaitement l'objectif humain de cette mesure, mais nous sommes plus réservés sur ses modalités qui soulèvent de réelles difficultés sur les plans juridique et financier. C'est pourquoi je vous ferai des propositions afin, notamment, d'éviter le risque d'une requalification de cette aide en prestation de sécurité sociale par la Cour de justice des Communautés européennes, car, dans ce cas, la France serait obligée de rétablir le caractère exportable du minimum vieillesse.
Pour conclure, je suis convaincu que ce texte, qui a rencontré l'adhésion de tous les acteurs associatifs et institutionnels du logement et de l'insertion, aura un effet stimulant et amplifiera les résultats déjà acquis et ceux qui sont à venir.
Je forme le voeu que chaque Français prenne la mesure de l'engagement pris par le Président de la République et le Gouvernement devant l'opinion publique.
À nous, parlementaires, de mettre en forme aujourd'hui ce texte, sans en dénaturer l'inspiration et en lui donnant l'énergie de notre confiance.
L'abbé Pierre se plaisait à dire ceci : « La politique, c'est rendre possible ce qui est nécessaire ».
M. Bernard Seillier, rapporteur. Parce que la réalisation de cet objectif nous oblige, je suis certain que les mesures nécessaires seront prises pour honorer l'engagement que nous prenons ensemble devant nos concitoyens.
Applaudissementssur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, six mois après la promulgation de la loi portant engagement national pour le logement et à quelques semaines d'échéances électorales majeures pour notre pays, le Parlement est à nouveau appelé à débattre de la question du logement. Pour la dernière fois de cette législature, il est demandé à notre assemblée de se prononcer sur les moyens donnés à la puissance publique pour garantir à chacun la mise à disposition d'un logement adapté à ses besoins et à ses ressources.
Il s'agit, mes chers collègues, d'une question cruciale pour notre société.
Tout le monde en conviendra, sans logement, rien n'est possible. Dans notre République, qui a fait de la solidarité l'une de ses valeurs fondamentales, il est de notre devoir d'apporter sécurité et stabilité à nos concitoyens, en particulier aux plus démunis. Or, disposer d'un toit conditionne l'accès à l'éducation, aux soins et, surtout, au travail. Le logement est de ce fait placé au coeur des politiques publiques.
Nous ne pouvons feindre de redécouvrir en plein coeur de l'hiver une réalité qui est malheureusement devenue une évidence : la France, l'une des principales puissances économiques mondiales, ne permet pas à chacun de ses citoyens de se loger dans des conditions décentes.
Nous avons amplement débattu de cette question au cours des cinq dernières années. Pas moins de cinq projets de loi ont été soumis à notre approbation, chacun ayant, totalement ou partiellement, un seul objectif clair : apporter des solutions à la grave crise du logement que connaît notre pays. Chaque fois, il nous a été demandé de faire preuve d'imagination, de bon sens et de réalisme face à l'urgence des situations auxquelles nous, responsables politiques, sommes tenus d'apporter des réponses.
C'est cette exigence qui m'a constamment guidé lors de ces débats, quand, aux côtés du Gouvernement, à ma modeste place de parlementaire ou de rapporteur, j'ai souhaité prendre part à ce défi, lequel nous impose de répondre à la détresse de centaines de milliers de personnes qui, dans la rue ou mal logées, souffrent de leurs conditions de logement. Il est inacceptable, mes chers collègues, que notre société, au seuil du xxie siècle, laisse des femmes et des hommes dans la rue, quelquefois pour y périr.
Au cours de ces vingt dernières années, le droit au logement a été progressivement érigé par la loi en principe fondamental de notre organisation sociale. Cette reconnaissance, fruit d'un long processus politique, social et législatif, n'a pourtant pas permis de régler ce mal terriblement déstabilisant pour notre société qu'est le mal-logement. Le constat est amer : le droit au logement n'est toujours pas effectif dans le pays.
M. Jean Desessard s'exclame.
M. Dominique Braye, rapporteur pour avis. Dans le prolongement de ces évolutions, il nous est proposé de franchir un cap dont je souhaite qu'en toute conscience nous mesurions pleinement les implications. Il s'agit de reconnaître l'opposabilité du droit au logement avant même d'avoir traité les causes de la crise du logement, qui reste en très grande partie liée à la pénurie et à l'inadaptation de l'offre dans notre pays.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Ne sous-estimons pas l'innovation juridique majeure qui sous-tend cette proposition. Pour la première fois en matière de droits économiques et sociaux, nous nous apprêtons à fixer à l'État une obligation de résultat dans un domaine si fondamental pour l'épanouissement de chacun d'entre nous.
Si je suis résolument convaincu de la nécessité de se fixer des objectifs ambitieux, je suis en revanche plus sceptique, monsieur le ministre, sur la stratégie qui nous est proposée pour les atteindre.
À cet égard, je reste persuadé que la reconnaissance de l'opposabilité du droit au logement ne peut résulter que d'une construction progressive.
Comment va-t-il faire pour expliquer qu'il est favorable au projet de loi ?
Ce n'est pas parce que, un hiver de plus, nous avons pris conscience que l'on souffrait dans notre pays qu'il nous faut céder à un mal très français qui voudrait que le vote d'une loi suffise à résoudre tous les problèmes.
Doit-on, parce que cette prise de conscience trouve cette année un écho particulièrement retentissant auprès des médias, prendre des décisions hâtives ?
Je le dis très sereinement, mes chers collègues, il serait dangereux de croire qu'il suffit de proclamer, un peu à la manière d'un slogan, l'opposabilité du droit au logement pour rendre celui-ci effectif.
Il serait illusoire de penser que l'ouverture de voies de recours contentieuses permettra de répondre aux besoins de nos concitoyens en matière de logement.
Affirmer le contraire ne pourrait que créer au sein de la population un immense sentiment de frustration et de déception qui viendrait discréditer un peu plus la parole politique, laquelle n'a pas besoin de cela aujourd'hui.
Au fond, il convient de rappeler l'enjeu de ce projet de loi. Nous nous demandons aujourd'hui si l'État a les moyens de fournir à tous un logement décent et indépendant, sous peine de se faire condamner par la justice administrative, à compter du 1er décembre 2008 pour certaines catégories de la population et à compter du 1er janvier 2012 pour tous les demandeurs restés sans réponse.
Avant de nous engager sur cette voie, il nous faut regarder avec lucidité la situation actuelle et ses perspectives d'évolution à court terme. Notre pays compte plus de 80 000 personnes sans abri, et plus de 3 millions de ménages y souffrent de mauvaises conditions d'habitat.
Plus de 1 300 000 ménages sont en attente d'un logement social, depuis plusieurs années pour certains. Compte tenu des retards accumulés par le passé...
... - et la période la plus funeste de ces vingt dernières années, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, a été la période 1997-2002 -, ...
... on estime qu'il manque entre 800 000 et 1 000 000 logements, notamment à destination des personnes les plus démunies.
Elle a retrouvé le goût de la construction en général, avec 430 000 mises en chantier en 2006.
M. Dominique Braye, rapporteur pour avis. Mais elle a aussi, monsieur Fischer, retrouvé le sens de la justice sociale, avec plus de 100 000 logements sociaux financés la même année, alors que vous n'en faisiez, quand vous étiez au pouvoir, que 38 000 !
Applaudissementssur certaines travées de l'
Vous ne voulez pas en construire ! C'est pour cela que nous avons fait la loi SRU !
Cette dynamique vous doit beaucoup, monsieur le ministre, et je tenais à vous en rendre hommage. Vous avez su, quand d'autres avaient baissé les bras - et ils hurlent aujourd'hui ! -, mobiliser des moyens financiers considérables afin que la République reprenne à bras-le-corps la question des quartiers en difficulté.
Vous avez su, dans un cadre pluriannuel et sécurisé, réinscrire au coeur des politiques publiques la nécessité de développer une offre de logements abordables pour le plus grand nombre.
Sans tomber dans l'autosatisfaction, il y a lieu, à mon avis, de se féliciter de ces résultats, qui ne sont pas le fruit du hasard mais procèdent bel et bien d'une mobilisation intense de tous les acteurs du logement en général, et, naturellement, de l'État en particulier.
Pour autant, monsieur le ministre, nous ne devons pas nous arrêter au milieu du chemin, car, comme vous l'avez vous-même rappelé, il reste encore beaucoup à faire. Selon certaines estimations, il faudrait construire chaque année plus de 350 000 logements pour absorber au moins la croissance démographique et le solde des flux migratoires.
À supposer que notre pays soit en mesure de continuer à produire plus de 430 000 logements par an, il faudrait plus de dix années pour résorber le déficit que j'évoquais à l'instant !
Certes, monsieur le ministre, vous avez indiqué à la suite de la présentation de ce projet de loi que l'État redoublerait d'efforts pour augmenter encore le niveau de la construction de logements sociaux dans le pays et pour développer les capacités d'hébergement pour les ménages les plus en difficulté.
Toutefois, malgré ces efforts substantiels, dont je ne peux que me féliciter, je me demande si nous ne confondons pas mobilisation et précipitation.
Je prends pleinement la mesure du saut qualitatif qu'il nous est demandé de franchir avec ce texte en inscrivant dans le droit français, de manière irréversible, le droit au logement opposable. Sur le principe, j'y suis, à titre personnel et au nom de la commission des affaires économiques, tout à fait favorable.
Pour autant, vous me permettrez de diverger légèrement sur la méthode, qui nous conduit à débattre d'un projet de loi soulevant des questions complexes restées pour la plupart sans réponse. Vous m'autoriserez également à vous faire part de certaines de mes réserves sur le fond quant à plusieurs dispositions du texte.
(M. Thierry Repentin rit.) et dans des conditions bien peu respectueuses du débat démocratique.
M. Jean Desessard s'exclame.
Je regrette tout d'abord la méthode, qui nous conduit à discuter dans une certaine précipitation §
Celui-ci aurait commandé que les parlementaires disposent d'une étude d'impact évaluant les conséquences du projet de loi. Or, à ce jour, personne n'est en mesure de nous indiquer les implications exactes de ce texte, notamment s'agissant du nombre de personnes qui seront en position de demander à l'État un logement dès le 1er décembre 2008 - autant dire demain ! -, et peut-être de le faire condamner. De même, personne n'est capable de nous donner une estimation du coût pour les finances publiques que pourraient représenter les astreintes que l'État serait amené à verser.
Nous savons bien que, dans un contexte de pénurie, la possibilité de former un recours contentieux devant la juridiction administrative ne suffira pas à faire sortir des logements de terre. Si l'offre fait défaut, certes l'État sera condamné. Mais quelles seront les solutions concrètes pour les personnes en attente d'un logement ?
Vous me permettrez également, monsieur le ministre, d'être réservé sur les moyens qui sont mis en oeuvre pour assurer le droit au logement. Le dispositif repose exclusivement sur la mobilisation du contingent préfectoral de logements sociaux, qui représente dans le meilleur des cas 25 % des attributions annuelles de logements. Cet outil, nous le savons tous, ne suffira pas à satisfaire la demande. Il me paraît d'ailleurs illusoire de penser que certaines collectivités territoriales, comme le prévoit le projet de loi, accepteront d'anticiper l'échéance, déjà irréaliste, de 2008 en demandant la délégation du contingent préfectoral. Sur ce point, les trois commissions sont d'accord.
Pour autant, mes chers collègues, ne croyez pas qu'il s'agisse de frilosité de la part des collectivités territoriales. Il me semble qu'elles ont su, ces dernières années, prendre toutes leurs responsabilités dans la conduite des politiques de l'habitat, dont elles sont aujourd'hui des acteurs de premier plan.
Ne leur demandons pas l'impossible ! Bien souvent, elles ne maîtrisent qu'une infime part des paramètres de cette politique. La reconnaissance d'une responsabilité territoriale dans le domaine du droit au logement suppose donc qu'on leur donne tous les outils qui leur permettront d'assurer la satisfaction des besoins de leurs habitants. Dans cette attente, la solution est claire : seul l'État est en mesure de garantir l'opposabilité du droit au logement.
Enfin, et j'en terminerai par là, je crains que l'institution du droit au logement opposable dans le calendrier que vous nous proposez, monsieur le ministre, ne se fasse au détriment de certaines catégories de population, ...
... de la frange la plus modeste des classes moyennes, malheureusement.
Ces ménages, bien qu'ayant des revenus décents, n'en éprouvent pas moins des difficultés aiguës de logement. Comment allons-nous leur expliquer que, demain, leurs demandes passeront après celles des nouveaux publics prioritaires pour l'accès au logement social ?
Je souhaite ne pas être mal compris : mon propos n'est pas de nier l'intérêt de ce débat. J'estime toutefois qu'il méritait par son importance un travail plus approfondi, s'appuyant sur une large concertation avec la totalité des acteurs du logement, afin de déterminer une stratégie progressive et ambitieuse, comme le proposait d'ailleurs le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous appartient, tous ensemble, de ne pas décevoir les espoirs suscités par ce projet de loi et de redonner crédit à la parole politique.
Vous êtes, monsieur le ministre, celui qui, après cinq années particulièrement funestes, a révolutionné la construction du logement.
Applaudissements sur certaines travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Vous êtes aujourd'hui celui qui va instituer dans notre pays ce droit au logement dont il est si souvent question mais qui n'a jamais été mis en place.
Il nous appartient donc de ne pas décevoir nos concitoyens, et c'est dans ce sens que la commission des affaires économiques a déposé un certain nombre d'amendements qu'elle vous demandera, mes chers collègues, d'adopter.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a une portée historique ainsi qu'une valeur de symbole.
C'est d'abord un acte historique, parce que le droit au logement sera désormais opposable au même titre que le droit à l'éducation ou à la santé.
Et avec cette avancée sociale considérable, la France sera l'un des tout premiers pays au monde - avec l'Écosse - à s'engager dans cette voie d'une solidarité nationale inédite en faveur du logement des personnes défavorisées.
Ainsi, selon le calendrier établi, toute personne en difficulté pourra revendiquer le droit à un logement ou à un hébergement adapté à sa situation.
Je pense bien entendu, en premier lieu, aux quelque 100 000 personnes sans abri, puis aux plus de 2 millions de personnes mal logées qui attendent de nous des mesures concrètes et rapides.
C'est un acte symbolique, car, plus de cinquante ans après l'appel lancé par l'abbé Pierre, et malgré les efforts considérables du Gouvernement depuis cinq ans, la France et les Français souffrent toujours du mal-logement.
Et, concours de circonstance particulièrement émouvant, ce texte arrive en discussion quelques jours seulement après la disparition de l'abbé Pierre, auquel je voudrais rendre hommage au début de ce propos.
Ce texte est aussi un acte symbolique parce qu'il donne une réelle portée juridique à un droit au logement pour tous, pourtant déjà reconnu depuis bien longtemps.
La saisine de la commission des lois s'est limitée aux dispositions tendant à rendre le droit au logement opposable, c'est-à-dire à instituer une obligation de résultat à la charge de la collectivité publique et à ouvrir une possibilité de recours juridictionnel pour en assurer le respect.
Après avoir rappelé l'évolution du droit au logement dans notre pays et ses incidences sur la situation du logement, j'évoquerai les conditions dans lesquelles le droit au logement est rendu opposable et les grands axes des modifications au texte initial que propose la commission des lois.
J'examinerai donc tout d'abord l'évolution du droit.
Sur le principe, le droit au logement existe depuis 1982 avec le droit fondamental à l'habitat, suivi en 1989 par la reconnaissance d'un droit au logement, puis en 1990 par celle du droit au logement décent et indépendant.
Ce droit a été complété en 2004 par le droit de disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et des services téléphoniques.
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a considéré en 1995 que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ».
Enfin, le principe du droit au logement comme composante de la « dignité humaine » est consacré dans de nombreux engagements internationaux souscrits par la France, au premier rang desquels figure la Déclaration universelle des droits de l'homme de décembre 1948.
Mais la portée de ce droit reste cependant relative et ne peut être assimilée à une liberté fondamentale en l'état actuel du droit. En effet, si les autorités publiques doivent tendre à sa réalisation, elles ne sont pas tenues pour autant par une obligation absolue de résultat.
Dans ces conditions, le droit au logement peine à être effectif, malgré les efforts considérables consentis par le Gouvernement ces dernières années.
Ces efforts considérables sont concrétisés par de nombreux programmes ambitieux comme le programme de rénovation urbaine, le plan de cohésion sociale ou encore le dernier plan d'action renforcé pour 2007. Mais de nombreuses dispositions législatives et réglementaires ont également été prises pour rendre pleinement opérationnels ces programmes : pas moins de quatre lois et plusieurs ordonnances en quatre ans.
Ces efforts sans précédent commencent à porter leurs fruits car, grâce à ces mesures que vous avez impulsées, madame, messieurs les ministres, le rythme des constructions de nouveaux logements s'accélère très nettement. Et, sans aucun esprit polémique, je veux rappeler trois chiffres : 430 000 mises en chantier de logements en 2006 pour 380 000 en 2000, soit une augmentation de 40 %, 144 000 logements sociaux publics et privés financés en 2006 pour seulement 51 800 en 2000, soit presque trois fois plus, enfin 30 000 places en hébergement et insertion créées depuis 2002, pour atteindre un total de 95 000 places cette année, soit 50 % de plus.
C'est précisément cette amélioration significative qui rend aujourd'hui possible cette nouvelle étape en faveur d'un réel droit au logement.
C'est aussi une réponse concrète et clairement planifiée que veut apporter le Gouvernement à la détresse des personnes défavorisées, face à l'impossibilité ou à la difficulté de se loger.
J'aborderai maintenant l'analyse du texte par la commission des lois, sans revenir sur l'exposé du projet de loi déjà largement commenté.
La commission des lois considère que ce projet de loi consacre un droit essentiel pour le respect de la dignité de chacun et qu'il constitue l'étape déterminante en faveur d'un réel droit au logement.
Toutefois, elle considère qu'il ne faut pas sous-estimer les risques, dans les conditions actuelles, de l'institution du droit au logement opposable.
Le premier risque tient au fait que, si la responsabilité de l'État est clairement définie, elle n'en est pas moins partagée avec les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, dont les maires ou les présidents bénéficient, à leur demande, du contingent préfectoral de logements sociaux.
En l'état actuel du texte, cette délégation de responsabilité risque de freiner fortement la volonté des collectivités d'en bénéficier.
Le deuxième risque est de provoquer une concentration des demandes sur les communes qui disposent déjà de nombreux logements sociaux...
... et qui sont donc les plus à même de répondre à une demande qui va s'amplifier.
Il importe donc de développer l'offre de logements sociaux accessibles sur l'ensemble du territoire...
... pour ne pas remettre en cause les efforts déployés par les maires ou les bailleurs sociaux en faveur de la mixité sociale et de la rénovation urbaine des quartiers sensibles.
Le troisième risque est de provoquer des déceptions au sein de notre société.
En effet, les personnes défavorisées seraient extrêmement déçues si, au terme d'un long parcours jalonné par la constitution d'un dossier, la saisine de la commission de médiation puis du juge administratif, elles ne parvenaient qu'à obtenir la condamnation de l'État à leur verser une indemnité et à payer une astreinte dont le produit serait versé aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain, ce qui ne réglerait pas leur situation.
Enfin, la saturation des juridictions administratives constitue un quatrième risque non négligeable car, sans moyens supplémentaires, les juridictions ne peuvent traiter convenablement un contentieux qui s'annonce massif.
Compte tenu de ces observations, la commission des lois propose plusieurs aménagements au texte qui nous est proposé.
Ces propositions répondent à trois volontés fortes.
Première volonté, nous voulons affirmer la responsabilité de l'État comme garant du droit opposable au logement et ouvrir le champ de l'expérimentation locale.
Le garant du droit au logement et à l'hébergement doit être en toutes circonstances l'État, et donc y compris en cas de délégation du contingent préfectoral. En effet, une délégation n'implique pas un transfert de compétence, et le délégataire agit pour le compte et sous le contrôle de l'État en l'occurrence. Cela est d'autant plus vrai que l'État, en cas de refus du bailleur social de loger un demandeur, peut se substituer à son délégataire pour procéder à l'attribution d'un logement.
La commission des lois proposera donc de supprimer les dispositions prévoyant une opposabilité du droit au logement aux communes et aux EPCI délégataires du contingent dans le dispositif général.
Pour autant, souscrivant à la proposition d'une expérimentation locale lancée par le Premier ministre et formulée par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, la commission des lois vous propose de permettre aux EPCI délégataires des aides à la pierre qui le souhaitent d'assurer - en contrepartie de compétences renforcées, notamment en matière de police -, pour une durée de six ans, la responsabilité du droit au logement opposable, avec l'accord des maires des communes naturellement.
Dans ce cas, une convention EPCl-État associerait également le département pour offrir à ce dispositif les moyens d'un accompagnement social des demandeurs, gage de la réussite dans ce domaine aussi.
Deuxième volonté, la commission des lois souhaite distinguer aussi le droit à l'hébergement et le droit au logement opposable, et prévoir un calendrier adapté à l'urgence, mais aussi un calendrier réaliste au regard de l'offre actuelle de logements.
Il convient, en effet, de clarifier les contours du droit au logement pour l'adapter clairement à la nature de la demande.
Le droit à l'hébergement constitue le premier niveau du droit au logement : c'est un droit à un accueil en structure d'hébergement, en établissement ou en logement de transition, ou encore en logement dans un foyer.
Ce droit, le plus urgent pour offrir un toit aux quelque 100 000 personnes sans abri, pourrait être mis en place dès le 1er décembre 2007. Il offrirait ainsi une garantie d'hébergement aux personnes les plus en difficulté dès l'hiver prochain.
J'ajoute que ce calendrier semble réaliste au regard des efforts considérables consentis par le Gouvernement pour offrir de nouvelles places d'hébergement depuis cinq ans.
Le droit au logement décent et indépendant ou le droit à se maintenir dans un tel logement doit être précisé, car il diffère du simple droit à obtenir une aide pour se loger, comme le précisait la loi Besson de 1990.
Pour les catégories de demandeurs d'un logement locatif social pouvant saisir la commission de médiation sans délai, le recours juridictionnel pourrait être possible à compter du 1er décembre 2009 pour tenir compte de l'offre réelle de logements et des effets attendus de la totalité du plan de cohésion sociale.
Cette position pourrait être revue si le Gouvernement, en répondant à la demande des trois commissions saisies, s'engageait à accélérer encore la construction de logements très sociaux sur les trois ans à venir.
M. Roland Muzeau s'exclame.
En tout état de cause, ce calendrier demeure plus ambitieux que celui qui est proposé par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées et maintient l'objectif de 2012 fixé par le Gouvernement.
Enfin, troisième volonté, la commission des lois souhaite favoriser une offre de logements adaptée à la demande et assurer une cohésion territoriale à la mixité sociale.
Autrement dit, nous devons nous assurer d'une répartition harmonieuse de l'offre de logements sur tout le territoire. En effet, le droit opposable sera applicable partout, et il doit donc être réellement opposable partout. Il serait en effet regrettable que les communes qui disposent de logements sociaux assument seules l'obligation d'offrir un logement à toute personne qui en fait la demande.
Le souci d'équité entre toutes les communes nous conduit donc à proposer, selon un calendrier souple, d'élargir le champ des communes soumises à l'obligation de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux.
La disposition proposée s'adresserait aux communes de plus de 3 500 habitants et de plus de 1 500 habitants en région parisienne situées dans un EPCI de plus de 50 000 habitants qui dispose d'une ville-centre de plus de 15 000 habitants, et ce pour tenir compte de la réalité des bassins d'emploi déjà organisés solidairement.
Ces commues disposeraient d'un délai de six ans à compter du 1er janvier 2008 sans aucune pénalité financière pour atteindre l'objectif de 20 % de logements sociaux, soit la durée du prochain mandat municipal.
Quant à l'offre de logements, malgré les efforts consentis, le marché de logements disponibles à l'échéance 2008 risque de ne pas être suffisant pour répondre efficacement à un droit au logement opposable. En effet, si l'offre augmente, elle ne répond malheureusement pas toujours à la nature de la demande.
La tension la plus forte porte et portera, à l'échéance de 2008, sur les logements locatifs très sociaux, et ce malgré une augmentation substantielle de leur programmation dans le plan de cohésion sociale et l'annonce du financement de 17 000 logements supplémentaires pour 2007.
C'est pourquoi la commission des lois vous propose également de prévoir pour 2008-2009, comme pour 2007, le financement de 17 000 logements locatifs très sociaux supplémentaires dans le cadre du plan de cohésion sociale.
Enfin, nous savons aussi que la mobilisation du parc social privé peut constituer une vraie opportunité pour répondre à la demande de logements et au véritable challenge qui est lancé.
La commission des lois vous propose donc, mes chers collègues, de favoriser cette mobilisation en ouvrant les logements placés sous le dispositif fiscal « Borloo dans l'ancien » à la location à des personnes morales assurant ensuite la sous-location à des personnes en difficulté, tout en présentant une vraie garantie pour le propriétaire.
Telles sont, monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les principales observations que la commission des lois soumet à l'examen de la Haute Assemblée.
Enfin, je terminerai ce propos en formant un voeu, car c'est encore possible en cette fin de mois de janvier : je souhaite que, au-delà de nos différences, nous trouvions les moyens, dans le débat qui va s'ouvrir, de nous rassembler pour que ce droit au logement - essentiel pour la dignité de chacun - s'inscrive plus fortement dans le marbre de la loi.
C'est en tout cas ce qu'attendent de nous toutes les personnes défavorisées que nous ne pouvons plus laisser sans abri, sans hébergement, sans logement.
Ce texte n'est sans doute pas parfait, car la tâche est immense ; il nécessitera une évaluation régulière et des adaptations législatives, ...
M. Pierre Jarlier, rapporteur pour avis. ...mais, comme le disait l'abbé Pierre, « il ne faut pas attendre d'être parfait pour commencer à agir ».
Applaudissementssur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 76 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Michelle Demessine.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, intervenant la première dans la discussion générale, après M. le ministre et MM. les rapporteurs, permettez-moi de changer un peu de musique !
Monsieur le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, par deux fois, dans le cadre de la discussion de la loi portant engagement national pour le logement, le groupe communiste républicain et citoyen a déposé un amendement visant à instituer un droit opposable au logement.
Le 23 novembre 2005, lors de la première lecture, M. le rapporteur de la commission des affaires économiques l'avait alors qualifié d' « incantatoire » et taxé notre groupe de « y a qu'à, faut qu'on ». Les « y a qu'à, faut qu'on » sont nombreux maintenant !
Rires sur les travées du groupe CRC.
Le 6 avril 2006, en deuxième lecture, mon ami et collègue Jack Ralite, dans une démonstration exemplaire que chacun se rappelle ici, ...
...réitérait cette proposition, et le Gouvernement, par la voix de Mme Catherine Vautrin, l'avait alors qualifiée de « prématurée » et « irréaliste ».
Dès lors, comment ne pas se poser la question de la raison soudaine qui a pu faire qu'une disposition « prématurée » et « irréaliste » au printemps devienne possible une fois l'hiver venu ?
Ce n'est sans doute pas le dérèglement climatique qui est à l'origine de ce qu'il faut bien appeler au premier abord un « revirement » de la position du Gouvernement, revirement qui engage d'ailleurs également sa majorité parlementaire ! Ou alors, c'est juste le changement de climat né de l'exposition de l'intolérable situation du logement dans notre pays !
Ce changement de climat, mes chers collègues, est sans doute dû à l'atmosphère qui a quelque peu changé, notamment depuis que les bords du canal Saint-Martin se sont couverts de tentes à l'appel de l'association Les Enfants de Don Quichotte...
...et que la question du logement a fait une irruption inattendue dans le débat public.
Nous sommes à quelques heures du cinquante-troisième anniversaire de l'appel sur les ondes de Radio Luxembourg de l'abbé Pierre. Malgré la ténacité du combat de ce dernier, auquel je souhaite rendre un hommage particulier aujourd'hui, des situations de logement parfaitement indignes d'une société évoluée, d'une société démocratique comme la nôtre, subsistent encore dans notre pays.
Le mal-logement, mes chers collègues, est une insulte constante à notre société, une violence quotidienne à ceux qui en souffrent !
Nous n'osons donc croire que c'est par pure opportunité que le Gouvernement nous invite aujourd'hui à débattre des questions de logement pour la cinquième fois depuis le début de la législature. Nous n'osons pas croire qu'il ne cherche qu'à se donner bonne conscience avant de devoir s'exposer au verdict des Françaises et des Français.
Ce projet de loi, dont j'évoquerai le contenu dans un instant, lui a été en quelque sorte « arraché » par le rassemblement de tous ceux qui sont attachés à la mise en oeuvre des droits sociaux.
En effet, la situation de mal-logement, qui s'est révélée aux Français en décembre dernier, s'est particulièrement aggravée ces dernières années.
Mme Michelle Demessine. En témoigne d'abord l'accroissement du nombre de personnes privées de logement. Notre pays compte aujourd'hui plus de 100 000 personnes sans domicile fixe, dont 40 % - fait symptomatique de notre situation - ont un contrat de travail.
M. Adrien Gouteyron s'exclame.
Le nombre de demandeurs de logements sociaux n'a, lui non plus, cessé de croître. Il est estimé actuellement entre 1, 3 et 1, 4 million, soit 300 000 de plus qu'il y a trois ans, alors que notre pays compte quelque 1, 5 million de logements vacants.
Et encore ces données ne rendent-elles pas compte du caractère multiforme de la crise du logement, de la situation tant des victimes de l'insécurité locative, des habitants d'immeubles insalubres ou dégradés, des personnes hébergées dans leur famille ou chez des amis que de nos concitoyens habitant dans des campings à l'année ou vivant dans des squats.
Au total, la crise du logement frapperait aujourd'hui, selon la Fondation Abbé-Pierre, plus de 3 millions de personnes.
Permettez-moi de revenir sur les facteurs qui ont conduit à la situation catastrophique que nous connaissons aujourd'hui, ...
... ce que nous ne faisons pas assez, me semble-t-il.
Le premier facteur déterminant réside dans l'explosion de la spéculation immobilière. Les prix du foncier ont augmenté de 94 % entre 1998 et 2004. Cette flambée a été largement encouragée, dans la dernière période - il faut bien le reconnaître -, par la politique fiscale du Gouvernement.
Des dispositifs d'incitation fiscale tels que le « Robien » ou le « Borloo populaire dans l'ancien »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.
... ont contribué et contribuent encore non seulement à priver l'État de ressources utiles, mais aussi à alimenter la flambée des prix et à assécher le marché foncier, rendant chaque jour plus difficile la construction de logement sociaux.
Cela nous conduit au second facteur déterminant de la crise : l'insuffisance chronique de la production de logements véritablement sociaux.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2000, la production immobilière était de 311 000 logements. La production sous plafond de ressources, en location et en accession, représentait 208 000 logements, soit 66, 9 % de la construction. En 2005, la production globale a été de 410 000 logements, mais la construction sous plafond de ressources est tombée à 169 000 logements, soit 41 % de l'ensemble.
Selon des estimations récentes, les besoins en logements se chiffreraient à 900 000 unités, dont deux tiers de logements sociaux.
À l'heure actuelle, la France dispose de quatre millions de logements sociaux. Le taux de rotation étant de 10 %, le nombre annuel d'attributions se chiffre à 400 000, c'est-à-dire que le tiers à peine de la demande est satisfait.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Le problème se situe donc bien au-delà de la construction de 70 000 ou 80 000 logements sociaux par an.
Toutes ces évolutions, convenez-en, mes chers collègues, ont contribué à vider de leur contenu les dispositions constitutionnelles et législatives visant à la reconnaissance du droit au logement.
Selon l'étude du professeur Michel Mouillard, de l'université de Paris X, relative aux « aides et circuits publics de financement pour le logement », le constat chiffré est particulièrement édifiant.
Si, en 1995, le secteur locatif social bénéficiait encore de 32, 4 % des dépenses de la collectivité en faveur du logement, soit, à l'époque, près de deux fois plus que le secteur locatif privé qui n'en captait, lui, que 18, 3 %, dix ans plus tard, notamment depuis le désengagement massif du début des années 2000, la part allouée au secteur social ne représente plus que 23, 5 %, et est donc inférieure à celle qui est consentie au secteur privé, qui s'établit à 25, 6 %.
Il y a donc un redéploiement des moyens envers ceux qui en ont le moins besoin. Là encore, les chiffres sont édifiants : jusqu'en 2000, 65 à 70 % des flux de la construction concernaient des logements sous plafond de ressources ou à loyer encadré, alors que les prévisions pour 2006 laissent apparaître que moins de 40 % de la construction concernera des logements sous condition de ressources ou ayant des loyers hors marché. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les conditions d'accès à un logement se soient si gravement détériorées !
Paradoxalement, cette politique qui ne permet manifestement pas de répondre aux demandes de logements sociaux est particulièrement profitable pour les caisses de l'État. Ce dernier, outre les économies qu'il tire de son désengagement budgétaire, empoche les dividendes de la bonne santé des marchés immobiliers, ...
... avec une augmentation de 28 % entre 2001 et 2006 sur le total des prélèvements fiscaux et parafiscaux, soit 5, 1 % par an.
Autrement dit, la spéculation, qui accable chaque jour plus de ménages, profite opportunément à l'État. Depuis 2002, Bercy peut ainsi se féliciter de retirer bien plus du logement que ce qu'il lui octroie.
Au total, ce sont ainsi près de 10 milliards d'euros qui auront été « récupérés » jusqu'en 2005, montant auquel il convient d'ajouter les 5, 8 milliards d'euros attendus cette année.
Cette énumération, un peu longue je l'admets, nous éclaire sur la politique réelle de ce gouvernement en matière de logement social ! C'est une position constante, c'est le moins que l'on puisse dire, et nous l'avons à nouveau constaté lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement.
De tout temps, on a stigmatisé le logement social alors que l'on aurait dû pointer la hausse exorbitante des loyers du secteur privé.
On désigne des populations vulnérables et fragilisées là où l'on devrait s'attaquer aux agissements des spéculateurs de toute obédience.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
On discourt à n'en plus finir sur le manque de logements là où les terrains se libèrent pour réaliser des opérations de pure rentabilité financière !
Alors effectivement, aujourd'hui, l'un des intérêts de ce débat - et de ce projet de loi, si tant est que l'on puisse l'améliorer - est de replacer la question du logement sous le bon angle de vision. Pour la première fois, ce qui importe ici, ce ne sont pas le point de vue de l'investisseur, la pure logique financière ou budgétaire de l'État, la question de la rentabilité fiscale de tel ou tel circuit de financement ; ce qui importe, c'est de se placer du point de vue des personnes mal logées
M. Guy Fischer applaudit.
Et puisque l'on dresse le bilan de la situation, ce que l'on ne fait jamais dans cette enceinte, comment ne pas aussi incriminer la responsabilité - cela ne doit pas être occulté - des politiques de régression sociale qui sont intervenues brutalement durant cette législature et dont les conséquences sont les suivantes : l'émiettement du code du travail, permettant de jeter à la rue un nombre grandissant de travailleurs, lesquels basculent ainsi du jour au lendemain dans le camp de la pauvreté, ...
... la précarisation du travail qui devient la règle et qui touche massivement les nouvelles générations de salariés, les baisses de salaire et de pouvoir d'achat, habilement cachées par un indice du coût de la vie aujourd'hui parfaitement tronqué.
Et je pourrais ajouter les difficultés grandissantes de notre population pour accéder aux soins.
Une autre conséquence directe de ces politiques de régression sociale est la suppression, en 1991, de l'allocation de logement et du droit de travail des demandeurs d'asile, décision qui a administrativement produit des personnes sans logis !
Lorsque l'on ferme des centaines de milliers de lits d'hôpitaux psychiatriques et que l'on divise par dix le temps de prise en charge, on fabrique administrativement des personnes sans abri !
Lorsque l'on construit pas à pas la précarisation de notre population, il ne faut ensuite ni s'étonner de la situation ni verser quelques larmes de crocodile !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
La crise du logement, mes chers collègues, est orchestrée par les mécanismes spéculatifs, et les dispositions législatives que vous avez adoptées durant cette législature ou de 1993 à 1997 les ont pour ainsi dire légalisés.
Mme Michelle Demessine. Et s'il fallait remonter plus loin encore - c'est utile -, nous dirions même que bon nombre des problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés étaient contenus en germe dans les lois Barre de 1976 qui, je le rappelle, ont marqué le début du déclin de l'aide de l'État à la pierre
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Chacun ses priorités, c'est évident !
Que des gouvernements et des majorités parlementaires d'une autre sensibilité que vous ne cessez de conspuer
M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.
Si, aujourd'hui, le Gouvernement peut se targuer de faire beaucoup pour le logement, il oublie un peu vite que, sans la loi SRU, votée par une autre majorité et contre nombre de vos propositions, mes chers collègues, il n'y aurait sans doute pas 80 000 logements sociaux construits chaque année...
Mme Michelle Demessine. ... depuis deux ans, quand bien même cette définition englobe un peu trop généreusement les logements PLS, qui ne sont pas tout à fait des logements sociaux.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat applaudit.
Sans la loi SRU, pas de logements sociaux construits à Neuilly, dans le xvie arrondissement de Paris ou dans nombre de localités qui en étaient dépourvues ou faiblement dotées !
Sans l'obligation faite par la loi SRU, les chantiers de construction dans ces villes continueraient de ne faire émerger que des immeubles de bureaux vides et des logements de standing destinés à la spéculation.
La réalité de la situation du logement dans notre pays appelle donc un examen attentif et réaliste.
Avec 430 000 mises en chantier, l'année 2006 serait la démonstration que nous aurions atteint un niveau particulièrement élevé de constructions neuves ! Quel dommage que, parmi ces logements, on compte moins de 2 % de logements PLA-intégration, auxquels auraient droit 70 % des demandeurs de logement social !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Quel paradoxe, enfin, lorsque les crédits budgétaires du logement sont en baisse de 200 millions d'euros dans le budget pour 2007 au regard du budget de 2006 !
C'est bien dit, mais c'est faux ! Vous voulez faire prendre les vessies pour des lanternes !
Le plan d'urgence pour le relogement des personnes sans abri, que la mobilisation des Enfants de Don Quichotte sur le canal Saint-Martin vous a imposé, ne représente jamais que les 70 millions d'euros que vous avez soustraits au budget d'aide aux réfugiés, ...
...ou encore le retour d'une partie des 200 millions d'euros que vous avez ponctionnés sur l'aide personnalisée au logement, ou des 150 millions d'euros qui se sont évanouis pour construire des logements sociaux nouveaux !
Venons-en au texte, puisqu'il résulte de tout cela ! L'inscription de l'opposabilité du droit au logement se présente - nous aurons l'occasion de le souligner de nouveau - comme la reconnaissance de l'évidence et du bien-fondé de l'action de tous ceux qui font du respect du droit au logement l'une des clés de voûte de l'équilibre social de ce pays.
C'est un droit qui est largement à construire et qui devra s'opposer sans doute - c'est du moins notre souhait - au droit à construire des logements vides destinés à la spéculation, tant aidée ces dernières années.
C'est un droit à construire qui devra s'appuyer sur une déclaration de principe intangible, non suspecte d'équivoque.
Ce n'est pas encore le cas du présent projet de loi - je ne suis pas la seule à le dire - dont nous entendons bien améliorer la clarté.
Selon nous, le droit au logement opposable doit être un instrument efficace dans la construction d'un droit au logement effectif pour tous.
Toutefois, cet outil ne peut être une fin en soi. Il ne saurait se résumer à de nouvelles techniques de gestion de la pénurie qui produiraient là encore de terribles effets au regard notamment de la mixité sociale.
Le texte, dans sa rédaction actuelle, crée un droit de recours qui est soumis à des conditions telles qu'il en devient impraticable.
Il faut d'abord déposer une demande auprès d'une commission qui décide, sans qu'aucun délai ne lui soit imposé, de classer la demande comme « prioritaire » ou non. Si elle décide que la demande n'est pas prioritaire, le juge ne peut alors pas être saisi. Autrement dit, le droit de saisir le juge est conditionné à une décision administrative initiale qui n'est contestable que dans les formes du droit commun.
Mes chers collègues, j'aimerais que chacun de nous se mette un instant à la place d'une personne en situation d'extrême précarité, confrontée à une telle procédure et à de tels délais !
De plus, le texte prévoit des conditions particulièrement mal définies : « suroccupation manifeste », « demande prioritaire », « ressources insuffisantes » ... Face à un public aussi fragilisé, ces conditions d'accès au droit sont évidemment d'une terrible complexité.
Nous pensons que l'opposabilité du droit au logement doit non seulement se définir selon les procédures prévues par la loi, que nous nous devons, en tant que parlementaires responsables, de rendre lisibles et efficaces, mais aussi s'appuyer sur les outils existants en la matière. Je pense notamment à la réquisition des logements laissés vacants par leur propriétaire, à la sollicitation des autres contingents et à une mobilisation importante du parc locatif privé aidé par l'État.
La crise du logement à laquelle nous sommes confrontés demande une politique plus résolue s'appuyant, dans un même mouvement, sur tous les leviers disponibles.
Il faut un plan d'urgence qui non seulement prévoie d'emblée l'arrêt des expulsions et des coupures d'eau, de gaz et d'électricité, la production massive de logements sociaux et la sécurisation des parcours résidentiels, mais aussi qui freine la spéculation immobilière, recentre la dépense fiscale, revalorise les aides au logement et encadre la baisse des loyers, de façon que ceux-ci n'excèdent pas 20 % des revenus du foyer.
Enfin et surtout, il convient de créer un grand service public du logement chargé de faire valoir le droit sur la loi du marché et d'assurer la transparence concernant l'offre locative et la satisfaction de la demande.
C'est avec ces moyens, que les amendements que nous avons déposés sur ce texte vous permettront d'adopter, mes chers collègues, que nous donnerons sens à l'opposabilité du droit au logement, envisagée dès 2002 par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.
J'évoquerai rapidement, puisque j'y suis contrainte par le temps, la seconde partie du projet de loi, qui n'a pas de rapport avec la première partie.
Je souhaite simplement vous demander, monsieur le ministre, la raison pour laquelle ces mesures pour le moins diverses se trouvent à la remorque des dispositions relatives à l'opposabilité du droit au logement. Certaines d'entre elles, en tout cas, semblent plus une remise en cause des droits qu'une avancée.
Mes chers collègues, il serait regrettable que l'adoption par le Parlement du texte instituant le droit opposable au logement, qui est le reflet d'une émotion légitime, serve de cache-misère à quelques coups de canif supplémentaires dans notre modèle social.
Bien entendu, c'est en fonction de la prise en compte de nos propositions que nous nous déterminerons sur l'attitude à adopter au terme de la discussion de ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà seulement huit mois, la configuration de cet hémicycle était similaire : les mêmes ministres étaient présents, pour évoquer, comme aujourd'hui, le problème du logement. Il avait même été question du droit au logement opposable, dont nous débattons aujourd'hui de façon assez expéditive, hélas ! vous en conviendrez !
On peut s'étonner que ceux qui, l'année dernière, souhaitaient faire de la question du logement un « engagement national » n'aient pas défendu à cette occasion le droit au logement opposable. Or ils prétendent aujourd'hui régler cet important problème dans la précipitation, ...
...laissant ainsi le soin à la majorité qui sortira des urnes de donner vie à ce principe.
Saisissez le Haut comité, monsieur Repentin !
Méfions-nous des attentes légitimes que de telles annonces pourraient susciter au sein de la population, car celles-ci seraient rapidement déçues si ces déclarations restaient lettre morte. Créer une telle attente parmi nos concitoyens sans donner de suites concrètes ne pourra que contribuer à aggraver la défiance à l'encontre des responsables politiques.
Je souhaite donc que nos débats, durant les prochaines soixante-douze heures, soient plus fructueux que les précédents et qu'ils concourent à faire du droit au logement opposable une perspective que j'oserai qualifier de « prochaine et réaliste ».
En effet, c'est l'accès de tous à un logement décent et indépendant qui est au coeur de l'engagement des sénatrices et des sénateurs de gauche, plus particulièrement dans les rangs socialistes.
Ce combat historique de la gauche s'est traduit dès 1989 par l'inscription dans la loi du droit au logement en tant que droit fondamental.
Mais c'est la loi Besson du 31 mai 1990 qui franchit un pas décisif, en transformant le droit du logement en droit au logement. Parce que son objet est le logement des personnes les plus défavorisées, ce texte de 1990 fait du droit au logement son fondement. Son article 1er précise d'ailleurs que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ». La décision du Conseil constitutionnel, en 1995, viendra conforter ce droit en le reconnaissant « objectif de valeur constitutionnelle ».
C'est à nouveau dans une loi adoptée sur l'initiative de l'union de la gauche plurielle en 1998, la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, que ce droit est réaffirmé comme un enjeu majeur des politiques publiques.
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C'est, enfin, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains adoptée en 2000, sous un gouvernement de gauche, qui témoignera d'un engagement sans précédent en faveur de l'effectivité de l'accès au logement, par le biais, notamment, de son article 55.
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Voilà rapidement résumés presque vingt ans de législation relative au sujet qui nous occupe, presque vingt ans de textes audacieux voulus par la gauche et systématiquement déférés au Conseil constitutionnel par l'opposition d'alors, comme M. Braye s'en souvient certainement. Je constate aujourd'hui que la majorité sénatoriale va devoir se ranger derrière nos positions historiques, une fois n'est pas coutume !
M. Thierry Repentin. Je salue cette indéniable avancée, même si je regrette qu'elle soit encore bien timide. J'en veux pour preuve ce curieux glissement sémantique du « droit au logement opposable » au « droit opposable au logement ».
M. Jean-Louis Borloo s'exclame.
Après l'émotion légitime suscitée par les Enfants de Don Quichotte concernant la situation des personnes sans abri, le présent projet de loi est présenté comme un tournant du droit et des politiques publiques en faveur de nos très nombreux concitoyens éprouvant des difficultés à se loger. Pourtant, j'ai le regret de le dire, il y a, pour l'instant, tromperie. Ce projet de loi n'apportera pas de réponse à la grave crise du logement à laquelle nous sommes confrontés et n'améliorera pas le quotidien des trois millions de personnes mal logées qui vivent dans notre pays.
Je vais répondre à vos chiffres, monsieur le ministre ! À ce sujet, j'ai lu avec étonnement les propos que vous avez tenus la semaine dernière à l'Assemblée nationale, en réponse à une question de M. le député Pierre-André Périssol. Vous avez alors affirmé ceci : « Plus jamais notre pays ne doit, durant toute une décennie - s'agit-il de celle-ci ? -, construire deux fois moins de logements qu'il n'en a besoin. Tel est l'objectif de cette loi. »
Monsieur le ministre, parlons-nous bien du même texte ? En effet - vous le savez d'ailleurs en votre for intérieur -, ce projet de loi ne créera en vérité pas un seul logement supplémentaire, a fortiori pas un seul logement social supplémentaire, puisqu'il ne comporte aucune disposition visant à renforcer l'application de la loi dite SRU ou à augmenter l'effort public en faveur de la construction abordable. Ce dispositif, imaginé dans la précipitation et discuté en urgence, est en complet décalage avec l'ampleur des besoins.
Monsieur le ministre, vous avez exprimé votre colère, que je partage, au sujet du fonds du 1 % logement. Mais sans doute avez-vous été partiellement - je ne dis pas « partialement » - informé par vos conseillers sur ce sujet.
Non ! Je peux vous communiquer la note qui m'a été remise !
En effet, de quoi s'agit-il exactement ? Lorsque M. Périssol était ministre, il avait mis en place le dispositif du prêt à taux zéro, le PTZ. Mais le premier ministre de l'époque, M. Juppé, lui avait demandé de se débrouiller pour trouver les fonds nécessaires. Vous pourrez vérifier cette information dans les archives du ministère : de 1997 à 1998, le PTZ a été financé, à hauteur de 7 milliards de francs, par les seules contributions du 1 % logement. Après le départ de M. Périssol, il a fallu trouver une sortie à ce dispositif.
Par conséquent, plutôt que de la colère, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous éprouviez de la reconnaissance à l'égard du ministre qui a résolu ce problème ! Ainsi, quand M. de Robien est devenu ministre du logement, il n'a pas eu à gérer cette difficulté, puisque, sous le gouvernement de Lionel Jospin, le fonds du 1 % logement avait retrouvé la plénitude de ses moyens.
Telle est la réalité ! Mais sans doute ces informations ne vous avaient-elles pas été données !
J'en reviens au projet de loi, qui distingue cinq catégories de demandeurs prioritaires pouvant saisir la commission de médiation sans condition de délai, dès le 1er décembre 2008 : il s'agit des personnes dépourvues de logement, expulsées sans relogement, hébergées, logées dans des locaux impropres à l'habitation ou insalubres, ou ayant des enfants mineurs et vivant dans un logement indécent ou suroccupé.
Pour répondre aux demandes considérées comme « urgentes » par la commission, l'État est appelé à mobiliser ses droits de réservation dans le parc social : c'est le « contingent préfectoral ». Bien entendu, il ne pourra effectivement le faire que dans le cadre des mutations, c'est-à-dire lorsqu'un logement se libère. Or les taux de rotation, dans le parc social, atteignent à l'heure actuelle des niveaux historiquement bas.
En d'autres termes, le hiatus sera immense entre le nombre de demandes que l'État devra honorer à la suite d'une décision de la commission ou du tribunal administratif et le nombre de logements dont il disposera pour loger ces personnes. À Paris, par exemple, le nombre des publics prioritaires concernés par ce texte est estimé à 35 000 ménages, pour quelque 1 000 attributions effectuées chaque année dans le cadre du contingent préfectoral. Par conséquent, 34 000 demandes resteront sans solution et seront susceptibles de donner lieu à une astreinte ! C'est l'équivalent de trente-quatre années d'attribution : est-ce bien réaliste ?
Au niveau national, selon la Fondation Abbé-Pierre, les critères de priorité établis par le projet de loi concerneront 7, 9 millions de personnes. Certes, toutes n'ont pas déposé une demande de logement social, puisque le nombre de dossiers est estimé à 1, 4 million environ. Néanmoins, ce sont près de 8 millions de personnes mal logées ou dont le logement est précaire qui attendent potentiellement du débat parlementaire des réponses à leurs difficultés. Près de 8 millions de personnes croient que l'un des aspects les plus précaires et les plus angoissants de leur quotidien disparaîtra grâce à l'adoption de l'opposabilité du droit au logement. Près de 8 millions de personnes, enfin, auront une bien piètre opinion des politiques lorsqu'elles s'apercevront de la mystification.
Prenons bien la mesure de la responsabilité qui est la nôtre, aujourd'hui, dans cet hémicycle. Si la loi instituant le droit opposable au logement ne revient qu'à changer l'ordre de la file d'attente, nous aurons raté le coche, en adoptant une déclaration d'intention, rien de plus.
À ce stade de mon propos, je voudrais dire un mot sur les astreintes prévues à l'article 3 du projet de loi, qui font l'objet d'un autre malentendu. Nos concitoyens ont bien compris que, s'ils obtiennent gain de cause devant le tribunal et si l'État n'est pas en mesure de leur attribuer un logement, ce dernier sera condamné à payer une sorte d'indemnité dénommée « astreinte ». Nos concitoyens imaginent, en toute logique, que cet argent leur sera versé, ...
... ce qui leur permettrait de se loger par eux-mêmes, notamment dans le parc privé. Pourtant, ils n'en toucheront pas un centime, puisque le montant des astreintes abondera un fonds d'aménagement urbain. Belle satisfaction !
Tel qu'il est actuellement rédigé, le projet de loi ne répondra donc pas aux besoins des Français les plus en difficulté, mais il suscitera des interrogations de la part des ménages qui attendent un logement social depuis longtemps, quelquefois depuis plusieurs années. Comme cela a été dit, il sera difficile d'expliquer à ces familles qui remplissent les conditions de ressources pour accéder à un logement social et qui, pour 40% d'entre elles, attendent depuis plus de trois ans cette attribution que la probabilité pour qu'elles en bénéficient diminue encore. Veillons à ne pas dresser les classes moyennes contre les ménages modestes, les ménages modestes contre les personnes en situation de précarité et les personnes en situation de précarité contre les personnes les plus démunies !
Le groupe socialiste n'aura de cesse de défendre, au sein et hors de cet hémicycle, le droit au logement opposable. Encore faut-il que ce dernier soit mis en oeuvre de manière effective et efficace !
Un retour à la définition du droit au logement s'impose à nous, mes chers collègues. La loi de 1990 prévoit que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité [...] pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir ».
Dans ce texte, chaque mot est important. Il y est tout d'abord question d' « accéder à un logement ». Le droit au logement est donc bien distinct du droit à l'hébergement. Tous deux doivent être garantis, mais ils ne recouvrent pas les mêmes réalités et, surtout, ne doivent pas être assimilés. Il serait en effet absurde de proposer un hébergement en lieu et place d'un logement à une famille jusqu'alors installée dans un appartement suroccupé et menacée d'expulsion sans relogement ou à une personne sans abri qui travaille. J'ai bien entendu les propositions de M. Dominique Braye qui visent à nous faire adopter un texte instituant un droit à l'hébergement et non pas un droit au logement.
Il faut les deux ! On ne peut pas mettre immédiatement dans un logement certaines personnes ! Ce serait ridicule ! Il faut un parcours résidentiel !
Au-delà des effets d'annonce qui laissent croire à nos concitoyens que le problème des personnes sans domicile fixe pourrait être définitivement résolu en moins de deux ans, l'effort public doit être accru afin de développer le nombre de places en centres d'hébergement d'urgence. Une loi de 1994 impose déjà, il est vrai, la réalisation d'une place d'hébergement par tranche de 1 000 habitants. Toutefois, cette obligation est loin d'être respectée par les acteurs qui en ont la charge.
À l'image du dispositif obligeant les communes déficitaires à proposer 20 % de logements sociaux, les parlementaires du groupe socialiste et apparentés ont déposé un amendement dont l'objet est d'assurer un plus grand respect de la loi de 1994, en mettant en place des sanctions adéquates contre les communes qui ne se conformeraient pas à cet objectif. En contrepartie, l'État devra s'engager à apporter les crédits nécessaires à la réalisation de ces logements.
C'est en distinguant clairement droit au logement et droit à l'hébergement, comme nous vous y inviterons, que l'on peut élaborer un droit au logement opposable universel. Telle est notre conception de l'opposabilité du droit au logement : un progrès pour tous, pas seulement pour les personnes les plus démunies, et un droit effectif, s'appuyant sur un large parc de logements disponibles.
Or, c'est là que le bât blesse. Le contingent préfectoral ne permettra pas de répondre à l'ampleur des besoins existants. J'irai même plus loin : il n'est pas souhaitable que le parc social réponde seul aux besoins de logement des publics prioritaires. En effet, mobiliser le seul parc HLM reviendra à accentuer encore la paupérisation des quartiers.
C'est pourquoi le parc privé conventionné devra contribuer à la mise en oeuvre du droit au logement opposable.
Vous avez dit tout à l'heure que toute forme de responsabilité, publique ou privée, devait être mise en oeuvre. Nous vous tendons une perche !
Le groupe socialiste a déposé plusieurs amendements tendant à ce que les conventions passées entre un bailleur privé et l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat prévoient la possibilité pour le préfet de mobiliser le logement concerné en réponse à une injonction du juge.
De façon plus large, la seule mobilisation du parc HLM est une atteinte à la mixité non seulement sociale, mais aussi urbaine et territoriale.
En effet, dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi contribuera à solliciter les seuls territoires disposant d'un nombre significatif de logements sociaux. En d'autres termes, seront à nouveau sollicités ceux qui prennent déjà leurs responsabilités dans l'effort de solidarité nationale. Quant aux communes qui ne respectent pas l'article 55 de la loi SRU, elles resteront complètement étrangères au dispositif !
Aujourd'hui, certaines d'entre elles ne veulent pas construire de logements sociaux et violent délibérément la loi, ...
... sans que l'État use - sauf dans un seul cas, pour le moment - des prérogatives dont il dispose, tels le constat de carence et la substitution à la collectivité défaillante.
Demain, ces mêmes communes ne seront pas le moins du monde concernées par l'opposabilité du droit au logement. On voit mal, en effet, comment elles pourraient accueillir des ménages prioritaires dans des logements sociaux qui n'existent pas sur leur territoire !
Les sénatrices et les sénateurs du groupe socialiste ne peuvent accepter que des maires s'exemptent de tout devoir de solidarité. Ils ont donc déposé plusieurs amendements à cet égard.
L'un d'entre eux vise ainsi à rendre les communes contrevenantes directement responsables de l'opposabilité du droit au logement. Rendre opposable l'article 55 de la loi SRU, voilà qui serait incitatif et symboliquement fort !
Dans le même ordre d'idées, et afin de ne pas ghettoïser davantage les communes dont les habitants sont très défavorisés et qui accueillent sur leur territoire une majorité de logements sociaux - 50 %, 60 %, voire 70% -, ils proposeront que celles-ci soient exclues des attributions préfectorales issues de l'application du présent projet de loi.
J'ajoute que 62 % du parc HLM est localisé dans les aires urbaines de plus de 100 000 habitants, contre 13 % dans les communes rurales et les aires urbaines de moins de 10 000 habitants. Pour autant, les publics décrits comme prioritaires dans le projet de loi ne vivent pas tous à Paris, Lille, Lyon ou Marseille ! Dans certaines zones rurales paupérisées où l'offre locative est très restreinte, l'accès au logement peut représenter une véritable difficulté. Le droit au logement opposable perdra-t-il de sa valeur dans certaines régions ? Sera-t-il moins garanti dans les petites communes que dans les grandes villes ?
Les parlementaires socialistes ne peuvent, pour leur part, se satisfaire de cette perspective et proposeront donc que l'opposabilité du droit au logement s'accompagne d'une politique publique volontariste faisant du logement une grande cause nationale. Celle-ci passera tout d'abord par un renforcement de l'article 55 de la loi SRU, cher au coeur de M. Braye. Grâce à cette dernière disposition, qu'il avait combattue, vous pouvez vous targuer, monsieur le ministre, d'avoir mis en place, en 2006, 16 000 PLAI et PLUS, dont le bénéfice revient, sur le plan statistique, au gouvernement auquel vous appartenez.
Or si ces PLAI et ces PLUS ont été accordés, c'est parce qu'une loi, en 2000, a permis d'enjoindre à ces communes de réaliser les logements qu'elles refusaient de construire.
Nous sommes ravis que vous puissiez porter à votre crédit des réalisations rendues possibles grâce à une loi votée sous un gouvernement de gauche !
Un autre de nos amendements tend à conditionner l'octroi du permis de construire, dans les communes faisant l'objet d'un constat de carence, à la réalisation de 30 % au moins de logements sociaux lors de chaque opération nouvelle, et à définir précisément ce qu'est un logement social. En effet, nous avons visiblement, sur ce point, des divergences d'interprétation.
Il ne s'agit plus de construire n'importe quelle offre.
Les PLS sont loin d'être accessibles à une majorité de demandeurs. Il est d'ores et déjà parfois difficile, dans certaines régions, d'attribuer des logements de type PLUS, en raison de la faiblesse des revenus des demandeurs de logement social. La France manque cruellement de logements très sociaux : moins de 8 000 PLAI ont été réalisés en 2006, ce qui est largement insuffisant.
Avant de conclure mon propos, je m'arrêterai sur l'un des termes de la définition du droit au logement donnée par la loi de 1990 : la capacité à se « maintenir » dans le logement. Cette expression a été reprise dans l'article 1er du projet de loi, et seulement dans cet article. Aucune disposition, dans les articles suivants, ne tend à prévoir que la collectivité doit venir en aide aux personnes et aux familles éprouvant des difficultés à se « maintenir » dans leur logement.
Pourtant, rendre effectif ce droit au maintien dans le logement passe immanquablement par la solvabilisation des ménages, laquelle a pour fondements la revalorisation des aides au logement, d'une part, et l'indexation de ces aides sur l'indice de référence des loyers, d'autre part.
C'est l'objet de l'un de nos amendements, qui a déjà été déposé à plusieurs reprises - à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, du projet de loi portant engagement national pour le logement, mais aussi des projets de lois de finances pour 2005, pour 2006 et pour 2007 -, et auquel a été opposé à chaque fois l'article 40 de la Constitution.
J'ai constaté avec intérêt que M. Seillier, rapporteur de la commission saisie au fond, avait déposé ces jours-ci un amendement identique. Souhaitons, puisque nous vivons une période de conversions soudaines à nos idées
Murmures sur les travées de l'UMP.
En conclusion, je tiens à vous assurer, madame, messieurs les ministres, que mes collègues du groupe socialiste et apparentés et moi-même avons la farouche volonté d'inscrire l'opposabilité du droit au logement dans le droit français. Comment, en effet, pourrait-il en être autrement ?
Nous ne renierons ni nos combats, ni nos engagements, ni nos ambitions. Nous y contribuerons, par notre vote, dès lors que l'effectivité du droit au logement opposable sera garantie.
Monsieur le ministre, nous serons vigilants, et nous apprécierons la sincérité de l'engagement gouvernemental...
... à la lumière de l'utilisation raisonnée qu'il fera de l'article 40 de la Constitution et des avis qu'il émettra sur les amendements des rapporteurs et des sénateurs.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous abordons la discussion parlementaire dans un esprit de « construction », au sens propre comme au sens figuré du terme, et nous aurons pour exigence morale, au moment du vote, de ne pas mentir à nos concitoyens. L'adoption de nos amendements de fond peut vous aider à nous rejoindre sur la voie de cette exigence morale et républicaine.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les tentes dressées le long du canal Saint-Martin et l'action de l'association des Enfants de Don Quichotte ont été emblématiques de la crise du mal-logement à laquelle est confrontée une partie de nos compatriotes.
Cette action emblématique a provoqué une prise de conscience, que les associations oeuvrant dans ce secteur ont eu bien des difficultés, pendant des années, à faire partager, malgré leur énorme mobilisation et le formidable travail qu'elles accomplissent au quotidien, et que je salue en cette occasion.
M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.
Cette action, elles en ont été le flambeau et le porte-drapeau. En effet, on ne répétera jamais assez combien, depuis des années, l'ensemble du tissu associatif défend cette cause auprès de chacun d'entre nous.
Cette action très médiatique a placé cette prise de conscience au premier rang de l'actualité. On peut regretter qu'il faille en venir à de telles « opérations coup-de-poing » pour sensibiliser l'opinion. Mais on peut aussi se réjouir que ce coup de projecteur sur la situation des plus démunis d'entre nous ait été l'élément déclencheur permettant de franchir une nouvelle étape vers l'opposabilité du droit au logement.
Comme la plupart d'entre nous, je me félicite que cette mesure, qui paraissait voilà quelques mois encore impossible à atteindre, fasse aujourd'hui l'objet d'un projet de loi. Quelque part, la demande répétée de ces associations n'était donc pas déraisonnable !
Dans le même temps, il nous faut constater que jamais, jusqu'ici, un gouvernement n'avait annoncé un effort de construction aussi important que celui qui est présenté au travers du plan de rénovation urbaine et du plan de cohésion sociale. Pourtant, nos concitoyens ressentent aujourd'hui un décalage énorme entre la difficulté de se loger au quotidien, qui touche quasiment tout le monde, et l'annonce de ces milliers de logements.
Oui, nous sommes favorables a priori au principe du droit opposable au logement, car il est impossible d'accepter que, dans une société comme la nôtre, les personnes en situation particulièrement précaire n'aient pas droit à un toit.
Notre soutien à ce projet de loi s'accompagnera cependant, monsieur le ministre, de nombreuses questions et interrogations concernant sa mise en oeuvre effective, afin de lever toute inquiétude quant à son application concrète.
La première question, évidente, qui se pose porte sur le calendrier. Ce qui était irréalisable, voilà quelques mois encore, doit désormais devenir possible.
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, l'effort considérable consenti pour construire et rénover massivement des logements. Nous ne demandons qu'à vous croire. Mais, en tant qu'élus de terrain, nous constatons, dans nos régions respectives, combien il est difficile de faire sortir de terre les logements programmés sur le papier.
L'ambition de rénover les quartiers dégradés tout en produisant des logements supplémentaires exige, il est vrai, non seulement des moyens, mais aussi des opérateurs capables d'assumer ces deux entreprises de front. C'est un sacré pari ! Et sans doute avons-nous demandé aux opérateurs de logements de fournir un effort quelque peu démesuré par rapport à leurs possibilités. Il faudra donc, désormais, les accompagner dans le développement de ces projets.
Dans la perspective de l'ouverture de ce droit nouveau à partir de 2008, et sachant que l'effort de construction de logements sociaux que vous annoncez ne pourra se traduire concrètement avant deux ou trois ans au minimum, il nous faudra redoubler d'énergie et mettre en oeuvre tous les outils nécessaires à la réalisation de cet objectif. Nous aborderons ce point dans nos amendements.
Par ailleurs, nous sommes favorables à l'introduction du droit opposable à l'hébergement. Il nous semble en effet nécessaire de définir ce droit particulier et de le dissocier du droit au logement opposable. Les propositions faites à cet égard sont assez intéressantes. Mais il est avant tout essentiel, selon nous, de respecter le calendrier fixé, dans le texte que vous nous présentez, pour la mise en oeuvre du droit opposable au logement.
Ma deuxième interrogation porte sur l'offre de logements nécessaire afin de garantir à chacun un logement adapté à ses besoins.
Nous présenterons plusieurs amendements tendant à encourager la production de logements très sociaux, en particulier dans les communes soumises à l'article 55 de la loi SRU. À titre personnel, je soutiendrai également la proposition de notre collègue Pierre Jarlier visant à l'extension du périmètre d'application de l'article 55 de la loi SRU dans les agglomérations.
En effet, la crédibilité de la démarche du Gouvernement reposera entièrement sur cet effort global de construction de logement très social. À défaut d'un tel effort, la procédure de recours ouverte par le projet de loi débouchera sur une nouvelle file d'attente, dont l'ordre de passage aura simplement été un peu revu. Mais l'objectif final, c'est-à-dire trouver un toit, ne sera toujours pas atteint.
S'il nous faut plus de logements sociaux, il nous faut encore plus de logements très sociaux. C'est le chaînon manquant du parcours résidentiel, chacun en est conscient. Il faut désormais passer aux actes.
Enfin, et ce sera le troisième point de mon intervention, il ne suffit pas de produire des logements ; encore faut-il que les personnes qui y vivent soient autonomes et capables de s'y maintenir. L'ouverture du droit au logement opposable nous conduit donc inévitablement à nous interroger sur notre capacité à accompagner ces personnes dans la voie de l'accès et du maintien dans le logement.
Les associations, les bailleurs sociaux et les collectivités seront très attentifs à cette question, et nous vous proposerons des amendements sur ce point.
Je souhaite vivement, madame, messieurs les ministres, que cette question fondamentale ne soit pas absente de nos débats, car elle y est intimement liée, qu'il s'agisse du niveau des aides au logement, de leur indexation, ou de l'accompagnement social.
Vous le savez mieux que quiconque, monsieur Borloo, car vous connaissez bien ce type de publics : une personne en très grande difficulté, qui bénéficie d'un relogement à la suite de l'examen de son dossier par la commission de médiation, risque à tout coup de voir sa situation se dégrader à nouveau très rapidement si un accompagnement social n'a pas été assuré parallèlement. En effet, ce droit au logement ne dure qu'un temps.
L'autre point crucial du texte, c'est la place des collectivités locales dans ce dispositif.
Nous soutiendrons, comme les rapporteurs des trois commissions l'ont proposé, une clarification du rôle des collectivités, intercommunalités ou communes ayant en charge la délégation de l'aide à la pierre et assumant la délégation du contingent préfectoral.
Les collectivités sont bien évidemment au coeur du processus de production de logements. Elles pourront ainsi procéder, au plus près des besoins, aux attributions de logement et à la gestion de ce contingent.
Mais, en aucun cas, elles ne peuvent porter une responsabilité qui est celle de l'État. Si ce dernier choisit de s'engager sur le droit opposable, il doit en assumer les conséquences juridiques, et le recours ne peut se faire que contre lui.
Ce débat de clarification, qui sera sans nul doute un moment important de la discussion du texte, sera déterminant sur notre vote définitif si nous voulons que le système ne soit pas verrouillé d'entrée et ne décourage la bonne volonté des collectivités désireuses de s'investir sur ces questions.
Á l'heure où le Gouvernement vient, à l'occasion du projet de loi de modernisation du dialogue social, de proposer la consultation systématique en amont des partenaires sociaux sur les sujets qui les concernent, il est dommage qu'un texte aussi important n'ait pas fait l'objet d'une très large concertation avec les associations.
Au-delà de l'indéniable caractère prioritaire que revêt ce projet, je regrette que la procédure d'urgence ne permette pas une réflexion semblable à celle que nous avons eue lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement. Avec plusieurs lectures, sans doute aurions-nous été en mesure de mieux cerner le dispositif entre hébergement et logement, de mieux préciser le fonctionnement de la commission de médiation et ses voies de recours.
Certes, il fallait entamer le débat, il fallait poser des jalons. Monsieur le ministre, ce que nous souhaitons maintenant, c'est que le travail du Haut comité de suivi porte ses fruits. Fort de ses conclusions, le Parlement reprendra la réflexion pour améliorer encore l'ambition que vous venez d'inscrire dans le marbre et redéfinir les moyens nécessaires.
Telle est, en l'état, notre contribution à ce vaste chantier sur lequel chacun d'entre nous se doit d'avancer. Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir bien voulu inscrire à l'ordre du jour du Parlement ce texte, certes imparfait, sur un sujet qui n'est pas simple.
J'espère que ce débat initiera une vaste réflexion commune et que d'autres projets suivront afin que chacun soit entendu et que les moyens soient ajustés au plus près des besoins.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes devant un texte législatif majeur, un de ceux qui donnent du sens à l'action publique parce qu'ils sont au coeur du pacte républicain, fondé sur l'égalité et la fraternité.
La disparition de l'abbé Pierre, au moment où s'ouvre ce débat, résonne comme un ultime message nous enjoignant d'agir et de créer l'irréversible pour que notre société se mobilise et s'engage définitivement à ne plus accepter l'inacceptable : des femmes, des hommes et des enfants sans habitat pour construire leur parcours de vie.
Monsieur le ministre, je suis heureux que cette loi fondatrice d'un droit essentiel porte votre nom ; j'y associe évidemment celui de Mme Vautrin. J'en suis heureux, car il est juste de reconnaître qu'elle est l'aboutissement naturel de votre action, qu'elle a la crédibilité de votre bilan et de votre démarche.
Murmures sur les travées du groupe CRC.
Là où vos prédécesseurs, de gauche comme de droite, restaient prisonniers de lois, de procédures, d'administrations, de budgets qui conduisaient les maires et tous les acteurs du logement à accepter comme une fatalité la stagnation, voire la baisse de la construction sociale et la concentration inéluctable de toutes les précarités dans nos cités HLM, vous avez brisé les scepticismes, rassemblé et mobilisé toutes les énergies pour relever ces défis incontournables.
Avec l'ANRU, ce sont 500 projets décidés ou examinés, représentant 33 millions d'euros de travaux, dont un tiers est subventionné. Ce sont 400 000 logements réhabilités ou « résidencialisés », 100 000 qui sont démolis ou reconstruits. Au total, ce sont plus de 500 000 ménages qui vont accéder à un habitat de qualité, dans des quartiers qui n'auront rien à envier, ni par leurs équipements ni par leur mixité sociale, aux autres quartiers de la ville.
Avec le plan de cohésion sociale et la loi portant engagement national pour le logement, vous nous avez démontré qu'il était possible de doubler le rythme de la construction sociale, voire de le porter à 2, 5 si l'on se réfère à l'année 2000. Vous nous avez appris également qu'il était possible de multiplier par trois la mise sur le marché de logements privés à loyers maîtrisés produits avec l'aide de l'ANAH. Vous avez contribué à la relance de l'accession sociale qui libérera, dans le parc social, des logements pour les plus nécessiteux.
Oui, monsieur le ministre, vous nous avez démontré qu'on sous-estime l'énergie que peut produire une société rassemblée sur un objectif clair et partagé. Et le droit opposable au logement fait partie de ces objectifs qui doivent, chers collègues, tous nous rassembler.
Vous aurez, quant à vous, du mal à défendre le bilan en la matière des gouvernements que vous souteniez !
Le problème qui se pose à nous est donc non pas de contester le bien-fondé de cette loi, mais de l'enrichir. Je tiens, ici, à saluer la contribution remarquable de nos rapporteurs et la mobilisation des trois commissions : affaires sociales, lois et affaires économiques. Les nombreux amendements déposés illustrent, monsieur le ministre, notre volonté d'être à vos côtés pour renforcer les chances d'atteindre l'objectif.
Personnellement, je souhaite aborder trois questions : quelles étapes et quel calendrier doit-on retenir ? Quelles accélérations convient-il de donner à la politique déjà mise en oeuvre ? Quelle doit être la place des collectivités locales dans le dispositif ?
Première question : quelles étapes et quel calendrier faut-il retenir ? Vous fixez, monsieur le ministre, au 1er décembre 2008 - c'est-à-dire dans vingt mois - soit à six mois du renouvellement des équipes municipales, la première étape d'application du droit au logement pour une population d'ayants droit largement définie ou, du moins, qui peut être très importante suivant les interprétations locales de la phrase « personnes logées dans des locaux impropres à l'habitat ou ne disposant pas d'un logement décent ».
Je me permets de signaler que l'hébergement est aujourd'hui loin d'être assuré dans des conditions décentes sur l'ensemble du territoire. Vous l'avez, d'ailleurs, vous-même reconnu en définissant un nouveau dispositif destiné à « changer radicalement l'accueil dans les centres d'hébergement d'urgence » - je ne fais que reprendre vos propres termes - et en prévoyant près de 30 000 nouvelles places disponibles pour répondre à toute demande d'hébergement de façon adaptée.
Dès lors, ne faut-il pas définir une étape préalable, à savoir le droit à l'hébergement opposable, avant de renvoyer vers les tribunaux celles et ceux auxquels l'État serait incapable de fournir un logement ? Il s'agit, non de transformer cette loi en droit à l'hébergement opposable, mais d'assumer un constat, à savoir la nécessité d'assurer au préalable le droit à l'hébergement.
Fort de ma propre expérience à Perpignan, je crois sincèrement, monsieur le ministre, que la première étape est fragile dans son calendrier, sauf à compromettre tous les efforts consentis pour promouvoir la mixité sociale dans les cités HLM où se sont concentrées toutes les précarités, sauf aussi à donner les moyens juridiques et financiers à l'État pour réquisitionner massivement les logements privés vacants, ce qui n'est pas le cas.
Vingt mois pour une première étape d'application large, c'est, à mon avis, un peu court. Rien ne serait plus dangereux qu'une loi que tout le monde, ou presque, s'accorde aujourd'hui à juger nécessaire, mais qui, dès la première étape, serait appliquée dans la confusion et, surtout, inégalement suivant les territoires.
J'ai du mal à croire qu'en Île-de-France, compte tenu des difficultés de rénovation urbaine que l'on y connaît, il sera possible d'être, dans vingt mois, au rendez-vous fixé par la loi. Il faut donc se poser la deuxième question : quelles accélérations donner à la politique mise en oeuvre ?
Il est évident, monsieur le ministre, qu'il faudra revisiter tout à la fois votre plan de cohésion sociale, l'article 55 de la loi SRU et l'ensemble des textes qui permettent de mobiliser le parc privé, conventionné ou non par l'ANAH.
Cette tâche incombera...
..., pour l'essentiel, à l'équipe gouvernementale et à l'Assemblée nationale qui sortiront des scrutins des mois à venir. Et ce n'est pas votre bilan 1997-2002 en matière de logement que vous pourrez mettre en avant, chers collègues de l'opposition !
En tout cas, il nous appartient, dès à présent, de montrer le chemin, par exemple, en proposant de revisiter l'échéancier du plan de programmation pour la cohésion sociale ; de compléter les financements à la disposition de l'ANRU ; d'améliorer les incitations, notamment fiscales, au bénéfice des bailleurs privés conventionnés ; d'imposer des obligations nouvelles aux communes qui ne respectent pas le seuil des 20 % de logements sociaux, par exemple en réservant 20 % de logements sociaux...
... dans toute construction nouvelle de plus de dix logements, voire en liant, dans ces communes, toute vente d'HLM ou tout déconventionnement à la compensation par un nombre équivalent de logements sociaux nouveaux, à l'instar des démolitions dans les programmes de rénovation urbaine.
Mais il faudra aussi aborder, demain, la question de la mobilisation du parc privé. Le conventionnement sans travaux, la réforme des procédures sur l'insalubrité et les logements indignes vont dans le bon sens. Innovation considérable, la garantie des risques locatifs va permettre de remobiliser le secteur privé, mais il faudra certainement aller plus loin.
Permettez au Catalan que je suis d'évoquer au passage la loi projetée par la Catalogne, qui obligera à louer un appartement laissé vacant deux ans, sauf à se voir, en cas de refus, dépossédé temporairement - pendant cinq ans - de la propriété dudit logement.
..., mais cet exemple illustre la nécessité de ne pas faire peser la charge du droit au logement opposable sur les seuls bailleurs sociaux.
Troisième question : quelle est la place des collectivités locales dans ce dispositif ? Tout en approuvant sans réserve l'objectif de la loi et le fait que l'État assumera cette mission, l'Association des maires des grandes villes de France, présidée par notre collègue, Jean-Marie Bockel, a exprimé plusieurs inquiétudes.
Je ne reviens pas sur la nécessité d'assurer en préalable le droit à l'hébergement décent, ni sur celle d'accroître les moyens financiers du plan de cohésion sociale. Je n'insisterai pas davantage sur le renforcement des contraintes dans les communes qui ne satisfont pas aux 20 % de logements sociaux.
L'inquiétude porte fondamentalement sur trois questions : d'abord, en situation de pénurie et de répartition inégale des logements sociaux, le risque est grand de concentrer à nouveau toutes les précarités dans les quartiers, dans les communes et les communautés qui cherchent, avec votre aide, monsieur le ministre, à améliorer la mixité sociale, condition nécessaire du combat contre le communautarisme, les discriminations à l'emploi ou encore l'échec scolaire.
M. Thierry Repentin applaudit.
Ensuite, si les moyens de l'accompagnement social ne sont pas considérablement renforcés - et, là, les conseils généraux sont directement impliqués - l'accès au logement ne permettra pas à ces ménages de recouvrer rapidement une situation d'autonomie et, donc, d'intégration sociale. Le projet de loi n'aborde pas cette question ; tôt ou tard, il faudra le faire !
Enfin, de nombreux EPCI sont aujourd'hui l'autorité organisatrice de la politique sociale du logement par délégation de l'État. Il est clair que les conventions actuelles seront rendues caduques dès que le droit au logement sera opposable ; de nouvelles conventions devront être négociées avec l'État, comme avec les conseils généraux. L'objectif est de faire émerger un bloc de compétences cohérent depuis le financement, en passant par la planification, l'accompagnement social, les programmes de rénovation urbaine ou le droit de réquisition pour leur permettre d'assumer cette responsabilité.
Monsieur le ministre, je suis de ceux qui sont convaincus que, tôt ou tard, ce seront des EPCI élus démocratiquement qui pourront être l'autorité responsable et efficace parce que proche du terrain et impliquée dans la politique de la ville sous tous ses aspects et sur un territoire pertinent.
Vous le voyez, monsieur le ministre, vous ouvrez un chantier immense, et personne n'était plus crédible que vous pour nous y engager.
La grande vertu de ce texte qui couronne, j'aime à le rappeler, votre bilan exceptionnel est de créer enfin l'irréversible, de briser une fois encore les scepticismes. Et si le scepticisme est d'humeur, avec vous, monsieur le ministre, l'optimisme est de volonté !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en commençant l'examen de ce projet de loi, comment ne pas évoquer la mémoire de l'abbé Pierre, dont l'infatigable combat a porté la voix des plus démunis ?
Pendant plus de cinquante ans, il a conservé intacte sa capacité d'indignation pour essayer de redonner à ceux qui n'avaient plus rien les moyens de vivre dignement. Il bousculait les consciences, du simple citoyen aux plus hauts dirigeants de ce monde. Et il est malheureusement vrai que notre société d'opulence détourne encore souvent les yeux de la souffrance des plus faibles.
En 2007, en France, pays développé, est-il admissible, mes chers collègues, que des dizaines de milliers de nos compatriotes - nos frères ! - dorment dans la rue ? De cela, nous sommes tous un peu responsables.
Le principe de précaution, érigé en dogme à tout bout de champ, n'est pas pris en compte dans ce domaine du logement, pourtant capital pour les SDF, dont l'espérance de vie est faible.
Selon le rapport pour 2006 de la Fondation Abbé-Pierre, environ 86 000 personnes sont dépourvues de logement, plus de 120 000 sont accueillies dans des structures d'hébergement d'urgence et d'insertion, plus de 200 000 sont hébergées de façon précaire par des amis ou des parents, et plus de 2 millions sont logées dans un habitat indécent.
Ces chiffres sont indignes ! Mais il s'agit aussi de garder en mémoire la multiplicité des cas qu'ils recouvrent : travailleurs et retraités pauvres, ménages dépendant des minima sociaux, familles monoparentales, étrangers en situation irrégulière, etc. Chaque situation appelle un traitement adapté.
Les causes du « mal logement » sont également multiples. L'insuffisance du parc social conjuguée à l'augmentation des prix de l'immobilier a poussé de plus en plus de personnes hors des circuits traditionnels. Les délais d'attente sont de plus en plus longs, surtout en région parisienne. Les retards des programmes de construction accumulés ainsi que l'insécurité juridique de certains bailleurs privés ont amplifié le phénomène.
L'espérance de l'abbé Pierre ne doit pas rester vaine. Il nous appartient maintenant, à nous représentants de la souveraineté nationale, de rendre un ultime hommage à son juste combat en inscrivant dans le marbre de la loi républicaine que l'État aura désormais l'obligation de garantir un logement décent à tout citoyen qui n'a pas les moyens d'y accéder.
Du point de vue juridique, le droit au logement a connu bien des vicissitudes. Proclamé par la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948, il était déjà reconnu comme principe concourant au droit à une existence convenable par le Préambule de la Constitution de 1946. Il fut également érigé en objectif de valeur constitutionnelle en 1995 par le Conseil constitutionnel. Le législateur ne fut pas en reste, puisqu'il en proclama le caractère fondamental à de nombreuses reprises, en 1982, 1990, 1995 et 1998 notamment.
Aujourd'hui, sous l'impulsion du Président de la République, nous nous apprêtons à dépasser la simple déclaration de bonnes intentions pour transcrire durablement ce devoir de protection des plus faibles par la collectivité. Nous rendons ainsi effectif ce devoir de solidarité dont nous sommes les débiteurs vis-à-vis de nos compatriotes les plus démunis.
Cette loi n'aurait pas vu le jour sans le travail considérable et le concours efficace du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, qui a su mobiliser des experts de tous horizons au service de la cause des sans-logis et des mal-logés pour assigner aux pouvoirs publics une obligation de résultat. Je tiens ici à saluer l'action de ses deux présidents successifs, Louis Besson et Xavier Emmanuelli. Enfin, je veux rendre hommage au remarquable travail de notre rapporteur, Bernard Seillier, dont l'engagement en faveur de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion ne sont plus à démontrer, notamment au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
L'opposabilité du droit au logement doit s'articuler avec une politique du logement ambitieuse. Ce texte resterait lettre morte s'il ne s'accompagnait pas de la construction des logements afférents.
Je connais suffisamment votre détermination à ce sujet, monsieur le ministre, pour savoir que votre volonté est sans faille. L'ensemble des acteurs de la chaîne du logement doivent être impliqués : État, élus locaux, partenaires sociaux ou encore représentants des bailleurs sociaux, des propriétaires privés et des locataires.
Donnons aussi l'exemple : l'accès au logement social doit être réservé à ceux qui en ont vraiment besoin.
En 2006, les premiers résultats tangibles du volet « logement » du plan de cohésion sociale ont été observés, avec la mise en chantier de près de 430 000 logements. Votre objectif de construire 120 000 logements sociaux par an est en passe d'être atteint et contribuera, à n'en pas douter, à rendre effective l'opposabilité du droit au logement.
Il est indispensable que cette politique du logement soit coordonnée avec une politique sociale globale.
L'État et les pouvoirs publics doivent exercer pleinement leur rôle de garant du développement des individus, mais il ne faut pas pour autant négliger la responsabilité et le libre arbitre des bénéficiaires des dispositifs d'aide sociale. Le relogement n'est qu'une étape, certes indispensable, vers la réinsertion. La lutte contre le chômage est ainsi le premier rempart contre la spirale infernale menant à la précarité et à l'exclusion. Sur ce point, vous commencez à recueillir, monsieur le ministre, le fruit des réformes initiées depuis quelques années.
Une fois cette loi votée, notre vigilance sera grande. Le groupe du RDSE, comme Thierry Repentin, veillera particulièrement à la mise en application de ce texte. Le temps des atermoiements a cessé, celui de l'action est venu.
Léon Bourgeois, grande figure radicale, auteur, au début du xxe siècle, de la doctrine solidariste, voulait que la République assurât le progrès et l'épanouissement. C'est ainsi qu'il écrivait en 1902 : « La Nation veut que la République soit une société vraiment équitable où, dans un commun respect pour toutes les lois, le citoyen puisse avec sûreté jouir de tous ses droits, exercer toutes ses activités, trouver la juste récompense de son travail et de son mérite ».
C'est fort de cet état d'esprit, et conscient de la solennité du moment, que je voterai, avec bon nombre de mes collègues, ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la disparition de l'abbé Pierre a monopolisé ces derniers jours tous les médias. Rien de plus normal : l'abbé Pierre méritait un tel hommage, lui qui a dédié toute sa vie aux plus démunis et, surtout, aux personnes sans logis.
Je m'y associe pleinement, mais je souhaite également rendre hommage à tous ceux qui oeuvrent sans relâche auprès des familles en difficulté et des sans-abri, de plus en plus nombreux. La tâche des « aidants » est de plus en plus lourde, car les solutions deviennent de plus en plus difficiles à trouver tant les problèmes sont complexes.
J'ai moi-même été assistante sociale durant plus de vingt ans. De nombreuses familles étaient déjà en grande difficulté, mais force est de constater que, depuis ces quinze dernières années, le fossé de la précarité s'est creusé.
Rendre la dignité à toutes ces personnes doit être notre priorité, et leur permettre d'avoir un toit constitue une première réponse.
L'abbé Pierre le savait bien. C'est ainsi qu'à mon collègue député du Nord, Marc-Philippe Daubresse, alors ministre du logement, qui lui parlait du droit au logement opposable pour 2010, il avait répondu : « Cinq ans, c'est trop long, il faut aller plus vite ! »
Notre gouvernement a répondu à l'appel des sans-abri en annonçant, dès la fin du mois de décembre, une série de mesures, dont l'extension immédiate des horaires d'ouverture des centres d'accueil d'urgence. Le 17 janvier, le conseil des ministres adoptait le projet de loi instituant le droit opposable au logement : d'ici à cinq ans, ce nouveau droit sera ainsi placé au même rang que le droit aux soins ou le droit à l'éducation.
Trois millions de personnes sont, en France, mal logées et environ 100 000 vivent dans la rue. À ce jour, un seul pays européen, l'Écosse, a adopté une telle loi.
Monsieur le ministre, je salue votre détermination. Et je m'étonne que cette loi ne fasse pas l'unanimité auprès de mes collègues, car, sauf erreur de ma part, elle répond aux appels des associations et à celui de l'abbé Pierre, qui nous avait demandé de faire vite.
Le droit au logement existe déjà en France - lois de 1982, de 1989, de 1990 et de 1998 -, mais il demeure, d'une certaine façon, virtuel. C'est pourquoi les protections juridiques au profit des plus démunis doivent être renforcées.
Certes, il existe déjà des mécanismes, tels que les commissions de médiation, qui ont pour mission la prise en charge des personnes n'ayant pas obtenu un logement social après un délai anormalement long. Mais ces candidats à la location n'ont aucune garantie quant à l'obtention d'une HLM. Ils restent tributaires des disponibilités dans le parc social et de modalités d'attribution souvent complexes.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, 115 000 personnes sont toujours en attente d'une solution pour se loger, alors que le parc de logements sociaux y est de 10 points supérieur à la densité moyenne nationale.
Pourtant, on ne peut pas dire que rien n'a été fait dans ce domaine depuis 2002. En effet, dès son arrivée aux commandes de notre pays, le Gouvernement a compris la mesure du problème et l'a pris à bras-le-corps. Je citerai simplement la mise en oeuvre du plan de rénovation urbaine, du plan de cohésion sociale et la loi de 2006 portant engagement national pour le logement.
Ainsi, environ 430 000 logements ont été mis en chantier et 565 000 nouveaux logements ont été autorisés depuis cinq ans. De même, le Gouvernement a financé 105 000 logements locatifs sociaux en 2006, soit deux fois plus qu'en 2001. En termes financiers, ce sont 720 millions d'euros qui ont été dévolus à cette politique en 2006, soit 150 millions d'euros de plus qu'en 2001. Jamais un gouvernement n'a construit autant de logements sociaux !
En instaurant un droit opposable au logement, l'État met en place un dispositif coercitif donnant à chacun la possibilité de faire valoir un droit déjà reconnu, je l'ai dit, dans plusieurs textes. Mais l'objectif est bien de tout mettre en oeuvre pour qu'il n'y ait pas de contentieux. Pour ce faire, l'opposabilité doit impérativement s'accompagner d'une production de plus en plus importante de logements à loyers accessibles, mais également d'une forte mobilisation des collectivités locales et de l'État pour parvenir à une offre adéquate de logements sur l'ensemble du territoire.
Avant de conclure, je souhaite dire quelques mots sur l'accueil et l'hébergement d'urgence. Sous l'impulsion de notre ministre Catherine Vautrin, dont je salue le travail de grande qualité, le nombre de places d'hébergement et d'insertion a augmenté de 50 %. De nouveaux types d'hébergement, en maisons relais ou en structures dites « de stabilisation », ont été créés pour accueillir les personnes sans domicile fixe.
Permettez-moi de citer en exemple ce qui a été fait sur mon secteur du Dunkerquois, que je connais particulièrement bien. En tant que vice-présidente du PACT, je me suis en effet impliquée fortement sur ces dossiers.
Depuis 2005, un local dit « grand froid » ouvre ses portes jour et nuit, et quinze personnes y résident. C'était, jusqu'à la fin de l'année dernière, le seul lieu d'accueil en France à avoir cette amplitude d'ouverture.
Je citerai aussi, toujours dans la région de Dunkerque, la construction, en pleine concertation avec les associations et la communauté urbaine, de trois maisons relais, dispositif créé dans les années quatre-vingt-dix sous le nom de « pension de famille ». Ces maisons relais apportent une réponse pertinente, car elles s'adaptent aux gens qui vivent dans la rue, et non l'inverse.
Ce droit à l'hébergement constitue le premier niveau du droit au logement et permet une réinsertion en douceur, avec l'appui d'équipes compétentes en termes d'encadrement. C'est très important, car je reste convaincue que seule fonctionne l'aide qui demande une participation active de la personne aidée. L'application de ce principe, qui n'est rendue difficile, voire impossible, que dans quelques cas extrêmes, respecte réellement la personne aidée et lui permet de se rendre davantage maître de son destin.
L'aide à sens unique, l'État providence, l'assistanat ne peuvent constituer que des solutions à court terme.
Le Gouvernement l'a bien compris et a engagé, depuis cinq ans, une politique volontariste qui a permis d'accroître considérablement le parc locatif social. Cette tendance se poursuivra dans les années à venir, et l'opposabilité du droit au logement servira de piqûre de rappel au cas où l'État ne respecterait pas ses obligations.
Je souscris donc pleinement aux objectifs de ce texte et je tiens à féliciter le Gouvernement pour son audace ainsi que nos collègues rapporteurs pour la qualité de leur travail. (
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après Thierry Repentin, qui s'est exprimé sur les dispositions relatives au logement, j'évoquerai, pour ma part, celles qui ont trait à la cohésion sociale.
Les quatre articles concernés permettent en fait au Gouvernement de s'offrir une session de rattrapage, tant il est vrai qu'ils reprennent pour l'essentiel des mesures qui furent, soit censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu'elles constituaient des cavaliers sur d'autres textes, soit retirées parce que « pas au point », soit rejetées par une majorité de députés UMP.
Étant donné le manque de cohérence entre ces articles, je me permettrai de les commenter l'un après l'autre.
L'article 6 crée un bouclier social pour les travailleurs indépendants.
Chacun d'entre nous ici se souvient que cette disposition avait été introduite par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, à la faveur d'un amendement communiqué aux sénateurs présents en séance dix minutes avant son examen, alors même que la presse en annonçait le contenu depuis le matin !
Sur toutes les travées, nous avions protesté contre cette façon de traiter le Parlement et je me plais à croire que c'est aussi cette méthode que le Conseil constitutionnel a censurée dans sa décision du 14 décembre 2006.
Aujourd'hui, nous avons eu le temps d'étudier cette disposition ; elle nous semble a priori positive.
La question des cotisations sociales des travailleurs indépendants qui débutent leur activité est à la fois réelle et récurrente. Les articles L. 131- 6 et L. 131- 6- 1 ont, en effet, déjà été modifiés à plusieurs reprises, tant en 1998 qu'en 1999 et en 2003.
A chaque fois, l'objectif était de parvenir à un taux de cotisations sociales dont le montant ne puisse mettre en péril l'activité de la jeune entreprise, dont nous savons tous que c'est pendant les trois premières années qu'elle est la plus fragile.
Le groupe socialiste est donc prêt à souscrire à cette disposition, à la condition expresse que le Gouvernement réaffirme bien son engagement de compenser à la sécurité sociale les pertes de recettes qu'elle implique. Nous aimerions aussi savoir, monsieur le ministre, si ces mesures seront applicables à ceux qui ont déjà contractualisé et qui rencontrent des difficultés de ce fait.
L'article 7 crée une aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens travailleurs migrants dans leur pays d'origine.
Nous connaissons tous, dans nos villes, ces chibani venus travailler dans notre pays dans les années 1960-1970 en laissant leur famille au pays et qui, aujourd'hui, ne peuvent pas rentrer chez eux sous peine de perdre le bénéfice des prestations sociales, notamment le minimum vieillesse. Ainsi, nombreux sont ceux qui vivent complètement isolés dans les foyers ex- Sonacotra, désormais appelés foyers Adoma. Ma collègue Bariza Khiari reviendra plus longuement sur cette mesure lors de l'examen de l'article 7, car sa rédaction comporte quelques incertitudes.
Cela étant dit, je puis d'ores et déjà vous indiquer que nous accueillons plutôt favorablement cet article qui, d'une certaine manière, permet de rétablir la dignité de ces personnes.
L'article 8 ouvre un crédit d'impôt pour les ménages non imposables utilisateurs de services à la personne.
Contrairement à ce qui est affirmé dans l'exposé des motifs du projet de loi, monsieur le ministre, cet article n'est pas seulement rédactionnel ; il vise, en fait, à revenir sur la décision des députés UMP qui, lors du vote de la loi de finances rectificative, ont largement et volontairement restreint la portée du dispositif que vous aviez proposé au Sénat par l'intermédiaire de notre collègue Alain Gournac.
Au groupe socialiste, nous n'avons jamais été, vous le savez pertinemment, opposés au développement des services à la personne, et pour cause ! Il nous semble à cet égard que le fait de permettre aux ménages non imposables de recourir à ces prestations grâce à un crédit d'impôt constitue une mesure d'équité.
Les services à la personne ne doivent pas, en effet, être réservés à ceux qui payent l'impôt, car, lorsqu'il s'agit de faire garder ses enfants, de s'occuper d'une personne âgée ou handicapée, les besoins sont les mêmes, que l'on soit ou non imposable ; je dirais même que la charge est proportionnellement plus lourde quand on dispose de revenus modestes.
Nous l'avions déjà dit au moment du vote de la loi du 26 juillet 2005 et nous avions également déposé un amendement similaire à l'occasion de l'examen du dernier projet de loi de finances, visant à transformer la réduction d'impôt accordée aux ménages ayant recours à une aide à domicile en crédit d'impôt, l'objectif étant d'ouvrir le bénéfice de cette aide aux foyers non imposables, comme l'avait recommandé le Conseil des impôts dans son rapport de 2003 consacré à la fiscalité dérogatoire.
A cette époque, pas si lointaine, notre amendement avait été rejeté ; nous nous réjouissons donc du changement de cap qui est intervenu.
Néanmoins, cela ne règle en rien le problème des conditions de travail des prestataires de ces services à la personne. Certes, monsieur le ministre, le secteur des services à la personne est un vivier d'emplois, mais le plus souvent il s'agit d'emplois faiblement qualifiés, à temps très partiel et avec des horaires fractionnés. Or ce ne sont pas les mesures fiscales que vous proposez qui donneront un statut à ces milliers de salariés.
Comme le précisait il y a quelques années un rapport du Commissariat général du plan, « le défi consiste à faire en sorte que ces emplois ne viennent pas gonfler les cohortes des working poors », autrement dit des travailleurs pauvres. Dans ce domaine, le chantier reste donc totalement ouvert.
Monsieur le ministre, la dernière disposition de votre texte sur laquelle je voudrais insister est beaucoup plus contestable, puisqu'elle vise à priver de RMI, de CMU et de prestations familiales les ressortissants communautaires venus en France pour y trouver un emploi pendant la période de recherche d'emploi.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article 9 a pour objet de lutter contre les fraudes. Or s'il est vrai que certains départements ont connu quelques cas étranges, nous avons la conviction que la disposition que vous préconisez ne résoudra pas ce problème, monsieur le ministre.
Devant notre commission, vous avez indiqué que cette mesure était surtout destinée à empêcher les effets d'aubaine, voire les multiples appels d'air dont pourraient abusivement profiter les étrangers communautaires, en l'occurrence les ressortissants des pays de l'Est nouvellement intégrés ; c'est ce que vous avez laissé entendre.
Pour cela - et cela fera sans doute l'objet d'un nouveau débat -, vous utilisez la possibilité offerte par la directive européenne 2004/38/CE du 29 avril 2004 qui précise que « les citoyens de l'Union européenne et les membres de leurs familles ont un droit de séjour (...) tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assurance sociale de l'État membre d'accueil ».
En fait, nous avons déjà eu cette discussion au Parlement voilà à peine un an, lors des débats sur le projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, dont l'article 7 prévoyait une condition de résidence de trois mois pour l'accès au RMI.
Il s'agissait là de l'une des deux restrictions à l'égalité de traitement normalement applicable entre nationaux et ressortissants communautaires, permises par l'article 24 de la directive précitée. À l'époque, nous ne nous étions pas opposés à cette mesure au motif qu'il convenait de prendre quelques précautions ; je vais y revenir.
Or, aujourd'hui, vous avez changé d'avis, puisque vous décidez finalement de durcir les conditions d'attribution de ces prestations sociales.
Peut-être est-ce bien à vos yeux, monsieur About, mais tel n'est pas notre avis !
En effet, vous introduisez dans notre législation la seconde restriction, celle qui figure à l'article 14, paragraphe 4, point b, et qui concerne la période de recherche d'emploi. Je me demande ce qui, en quelques mois, vous a conduit à un tel durcissement de votre position ! L'afflux de demandeurs du RMI venus des pays récemment entrés dans l'Union européenne a-t-il été tel qu'il justifie un pareil choix ? Si c'est le cas, il faut le dire et nous attendons que vous le démontriez, monsieur le ministre.
Pour notre part, nous ne le croyons pas et nous nous demandons si, en fin de compte, il ne s'agit pas d'un « alignement sarkozien » de circonstance !
Murmures sur les travées de l'UMP.
Pas du tout, monsieur Braye !
Cette seconde restriction a été introduite lors de l'examen de la loi n° 2006- 911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. En effet, il y est prévu que le droit au séjour de plus de trois mois des citoyens de l'Union européenne dans un autre État membre est conditionné par des critères socio-économiques. Ainsi, il faut disposer de « ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assurance sociale », ainsi que d'une assurance maladie.
Cette fois-là, nous nous étions opposés à une telle mesure, considérant que ce critère introduisait une discrimination entre citoyens de l'Union, plongeait dans l'irrégularité ceux qui n'avaient pas les ressources suffisantes ou un travail, et ne permettait pas, in fine, de garantir l'effectivité du droit au séjour à tous les citoyens européens quelle que soit leur situation économique.
Pour nous, de telles conditions sont inacceptables en ce qu'elles représentent une rupture avec la logique de solidarité européenne et avec l'objectif de construction d'une Europe sociale, qui reste à faire ; en effet, vous ne seriez pas dans l'obligation de prendre de telles dispositions si une Europe sociale commençait à voir le jour !
Or, pendant ce temps, les capitaux, eux, continueront à circuler librement, les travailleurs les plus diplômés seront « aspirés » par les entreprises et les délocalisations perdureront, avec pour conséquence inévitable de faire travailler à bas prix ces salariés dans leur pays d'origine. Le tour est joué !
Nous demanderons donc la suppression de l'article 9.
En résumé, je dirai que trois des quatre articles du chapitre II de ce projet de loi nous semblent pouvoir faire l'objet de discussions.
Il est dommage, monsieur le ministre, que, à la fin du texte, vous ayez retrouvé vos réflexes communautaristes et d'exclusion, à l'image en quelque sorte de la politique menée ces cinq dernières années par les gouvernements successifs, en particulier en matière de code du travail et de droits des salariés.
Dans ce domaine, la politique conduite depuis cinq ans a ébranlé en profondeur notre pays et a profondément dénaturé notre modèle social. Qu'il s'agisse du temps de travail, du contrat de travail, des droits sociaux, le Gouvernement n'a cessé d'aggraver les inégalités et les précarités.
Il serait trop long de dresser un inventaire ; celui-ci ne manquera pas d'être fait le moment venu. Vous avez d'ailleurs déjà été largement sanctionnés non seulement par la rue - la crise du CPE en fut le point d'orgue -, mais aussi par les plus hautes juridictions françaises et communautaires : l'annulation récente par la Cour de justice des Communautés européennes de l'ordonnance excluant les jeunes de moins de vingt-six ans du décompte des effectifs des entreprises en est le dernier exemple. Dois-je rappeler combien d'heures nous avons passées ici à expliquer qu'il n'était pas bon de dire à ces jeunes qu'ils n'avaient pas d'existence dans l'entreprise, alors qu'ils existent bel et bien comme citoyens en tant qu'électeurs ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous réservons donc notre vote sur ce texte, en fonction, d'une part, de vos explications, monsieur le ministre, et, d'autre part, du sort qui sera réservé à nos amendements portant sur les articles 6, 7, et 8. Quant à l'article 9, ainsi que je l'ai indiqué, nous en demanderons la suppression. À défaut, nous voterons contre ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce projet de loi, la Haute Assemblée est invitée par le Président de la République et le Gouvernement à contribuer, en toute hâte, à l'instauration du droit opposable au logement.
Eu égard à l'importance de ce texte fondateur, je tiens à exprimer ma satisfaction tout autant que ma frustration : satisfaction de débattre, enfin, de cette évolution du droit au logement vers une véritable obligation de résultat, mais frustration d'avoir à examiner, dans l'urgence, des dispositions aussi indispensables que complexes.
Monsieur le ministre, vous avez placé le droit au logement au même rang que le droit aux soins ou à l'éducation ; j'y souscris.
Comme vous le savez, l'histoire parlementaire est riche de débats passionnés au cours desquels la représentation nationale a pu exprimer la diversité des opinions sur l'instauration de telles normes protectrices.
Nous trouvons l'une des plus belles illustrations de ces déclarations dogmatiques dans les oppositions manifestées lors de l'examen des lois de Jules Ferry qui établirent, à la fin du XIXe siècle, les principes de l'obligation scolaire, de la liberté, de la gratuité et de la laïcité de l'enseignement.
C'est ainsi que, au cours de la séance publique du 2 juin 1881, le sénateur de la Dordogne Marie-François-Oscar Bardy de Fourtou, déclarait : « (...) le principe de l'instruction obligatoire est moins en cause (...) que la liberté d'enseignement et la liberté de conscience elles-mêmes. ».
Sur d'autres sièges, une conception opposée se faisait jour : celle d'une école de la République entièrement dévouée à l'épanouissement individuel.
Le baron Gui Lafond de Saint-Mür s'exprimait en ces termes : « Au droit de l'enfant, au droit de la société, au droit du suffrage universel, on viendrait opposer un prétendu droit du père de famille ; on violerait sa liberté ?
« Quelle liberté ? Celle de laisser son enfant sans lumière et, par suite, frappé d'infériorité, voué peut-être à la misère, à l'immoralité ? ».
Or, malgré ces débats, tant au sein du Parlement que dans la société tout entière, ces grands principes ne furent jamais remis en cause par les gouvernants et les régimes suivants.
Comment, dès lors, expliquer cette permanence des lois Ferry ?
Est-ce une victoire de la République sur une tradition séculaire ? Non ! Cette universalité de l'obligation scolaire et de ses corollaires s'explique par son caractère consensuel, qui fut possible seulement à force d'échanges et de confrontations d'idées.
La France aura finalement fait sienne la pensée de Jules Ferry, qui considérait l'enseignement primaire gratuit, laïque et obligatoire comme le moyen d'« assurer l'avenir de la démocratie et [de] garantir la paix sociale ».
Mes chers collègues, avec ce droit opposable au logement, nous visons les mêmes objectifs et aspirons aux mêmes garanties. Percevez donc mes propos non comme une diatribe à l'encontre de ce droit, mais plutôt comme la manifestation d'un regret, celui de devoir le consacrer dans la précipitation.
Bien évidement, je me félicite que la situation des « mal- logés » et des personnes « sans toit » ait enfin incité nos gouvernants à agir. Mais ceux-ci, à force de confondre, depuis des décennies, les plans d'urgence avec l'urgence d'une stratégie, ne pouvaient que céder, un jour ou l'autre, à la pression d'un mouvement d'opinion qui, orchestré avec obstination par les responsables des Enfants de Don Quichotte et abondamment relayé par les médias, a paradoxalement abouti alors que l'hiver présentait des températures et un climat aux accents automnaux !
Avec des circonstances météorologiques si clémentes, comment expliquer ce revirement de notre pouvoir exécutif ? N'avions-nous pas entendu le Gouvernement, à l'occasion des débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, qualifier ce droit opposable de « prématuré et irréaliste » ?
Quelles réponses apporter à ces interrogations ? Je n'en vois qu'une seule : l'absence d'un réel projet politique pour venir en aide aux Français privés de logement. Ce vide a permis au temps médiatique de dicter sa loi au temps politique. Il en résulte un texte qui, certes, prévoit de consacrer le droit opposable au logement, mais qui repose sur une confusion et comporte des incertitudes.
La discussion parlementaire revêt donc une importance toute particulière. En effet, vouloir apporter des réponses aux sans domicile fixe en érigeant le droit opposable au logement en arme universelle risque de déplacer le problème vers d'autres publics et d'altérer les effets escomptés des opérations de renouvellement urbain.
Aussi, à l'instar de nombreux collègues, je milite en faveur d'un plan ambitieux adaptant les réponses à la spécificité des difficultés rencontrées, avec la reconnaissance d'un droit à l'hébergement puis, progressivement, d'un droit opposable au logement.
Ces propositions ne constituent nullement une critique adressée aux promoteurs du projet de loi ; elles se veulent plutôt une invitation à en améliorer l'effectivité, dans le respect des compétences et des moyens des collectivités publiques et des bailleurs concernés.
En effet, que recouvre cette notion d'opposabilité appliquée au droit au logement ? Comme vous l'avez rappelé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, « le droit au logement constitue jusqu'à présent davantage une obligation de moyens qu'une obligation de résultat. ». Le présent projet de loi a donc pour ambition, selon vous, « de permettre aux personnes défavorisées prioritaires dans l'attribution d'un logement de pouvoir non seulement saisir la commission de médiation mais aussi d'engager un recours devant la juridiction administrative en cas d'avis favorable de la commission non suivi d'effet dans un délai raisonnable. »
Largement inspiré des réflexions et préconisations du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, dont je tiens d'ailleurs à saluer ici l'excellente qualité des travaux, ce texte ne devrait donc inspirer aucune interrogation, ni même appeler de modification.
Toutefois, la démarche globale du Haut comité présidé par M. Xavier Emmanuelli a accouché d'un projet de loi aux mesures volontaristes, certes, mais par trop partielles. En effet, l'absence d'une réelle mobilisation du parc locatif privé exercera une pression préjudiciable sur le parc social.
Pourtant, comme le souligne le rapport du Haut comité, « le parc locatif privé présente des atouts essentiels dans une politique visant à répondre, dans les meilleures conditions, aux besoins de logement des populations en difficulté. Sa grande diffusion géographique permet d'assurer la présence d'une offre locative sur l'ensemble du territoire, y compris en milieu rural. Son insertion urbaine diversifiée ne peut qu'être favorable à la bonne intégration des populations fragiles ; elle est un élément de réponse à l'objectif de mixité sociale. »
Sans cette contribution du parc privé, les obligations rejailliront entièrement sur les communes qui possèdent un nombre important de logements sociaux, aggravant encore leurs difficultés.
Nombre de maires m'ont fait part de leur appréhension. Qu'adviendra-t-il des opérations de renouvellement urbain qui procèdent à une « dédensification » urbaine par la suppression de barres entières de logements ? Ces appartements seront-ils réquisitionnés par les préfets ?
Il existe, par ailleurs, de longues listes d'attente qui pourraient être grandement perturbées par la mise en oeuvre aveugle du droit opposable au logement. Sur ces listes figurent, comme l'a souligné notre collègue Jean-Paul Alduy, « des personnes qui sont véritablement en attente d'un logement mais qui ne sont pas dans la cible de la loi ».
Aussi, il importe de sérier les problèmes en leur apportant des solutions adaptées. Pour répondre aux situations insoutenables et intolérables vécues par les « sans domicile fixe », consacrons législativement le droit à l'hébergement et engageons les moyens financiers propres à la création de structures d'hébergement, d'établissements spécialisés, de logements de transition ou de logements-foyers.
Aux familles victimes du « mal-logement », soit plus de trois millions de nos concitoyens, adressons un message fort, celui d'une nation solidaire, qui consacre le droit opposable au logement tout en fixant un calendrier réaliste et un cadre ambitieux, inspirés tous deux de l'exemple écossais, que vous avez d'ailleurs évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre.
Pour notre voisin européen, en effet, l'enjeu réel est de se trouver au rendez-vous de 2012 en termes de programmation d'une offre de logements accessibles. Pour lui, l'opposabilité du droit au logement est garantie par un processus partenarial entre le gouvernement écossais, les collectivités locales, les bailleurs sociaux agréés, les bailleurs privés et les services de solidarité.
Cette démarche, empreinte de pragmatisme et d'une réelle solidarité nationale, doit nous guider.
Dans cette perspective, affirmons que le droit opposable au logement ne peut se concevoir qu'avec le recours aux bailleurs privés, bénéficiaires d'aides publiques versées par l'ANAH.
Dans cette perspective, adaptons la progressivité de ce droit à la réalisation de programmes sociaux complémentaires des opérations de renouvellement urbain.
Dans cette perspective, reconnaissons les singularités franciliennes pour mieux adapter les moyens d'action.
Dans cette perspective, faisons de l'accompagnement social et d'une meilleure indexation des aides au logement les corollaires indissociables du droit opposable au logement.
Dans cette perspective, n'enfermons pas les communes ou groupements de communes délégataires de l'aide à la pierre dans un processus faussement volontaire, qui les amènerait, à quelques mois du scrutin municipal, moins à délibérer sur leur volonté de poursuivre cette délégation qu'à assumer ses conséquences en termes de responsabilité dans la mise en oeuvre du droit opposable au logement.
Dans cette perspective, plaçons plutôt notre confiance dans les élus locaux et offrons-leur la possibilité de mener, sur la base du volontariat, des expérimentations sur leurs territoires.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'urgence a marqué la rédaction, puis l'inscription à l'ordre du jour des travaux du Parlement de ce projet de loi. Sénateurs et députés ne disposeront donc que d'une seule lecture pour adopter un texte fondateur. Souhaitons, à l'instar ce qui a prévalu pour les lois Ferry évoquées dans mon propos introductif, que la sagesse sénatoriale nous guide tout au long de ce débat et nous permette d'aboutir, par une démarche consensuelle, à l'instauration effective d'un droit à l'hébergement et d'un droit au logement opposables.
Si nous y parvenons, nous aurons rétabli la primauté du temps politique sur le temps médiatique, mais nous aurons surtout le sentiment d'avoir honoré, comme il se doit, la mémoire de l'abbé Pierre, qui a tant oeuvré pour améliorer l'existence de nos compatriotes les plus fragiles.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue un texte charnière : il clôt un premier cycle de réformes législatives réalisées en faveur de la construction de logements pour ouvrir la voie aux nouvelles réflexions que ne manquera pas de susciter le droit au logement opposable.
Ce texte est au coeur de l'actualité, mais il ne doit pas, selon moi, être considéré comme une réaction à chaud. Il constitue la conclusion logique de cinq années d'efforts en faveur du logement pour tous, au cours desquelles le Parlement a été saisi de quatre textes, qu'il a enrichis : en 2002, la loi « habitat et urbanisme » ; en 2003, la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui a créé l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU ; en 2004, la programmation pour la cohésion sociale, que j'ai pu voter car j'étais alors parlementaire, et qui a fixé un objectif de réalisation de 500 000 logements locatifs sociaux ; en 2005, enfin, la loi portant engagement national pour le logement, qui a mis en place des mesures visant à développer l'accession à la propriété, à lutter contre l'insalubrité et la vacance des logements, mais aussi à inciter les collectivités locales à construire des logements sociaux.
Cette construction législative a été progressive et accompagnée des moyens financiers nécessaires à sa mise en oeuvre. Pour ma part, j'estime qu'il s'agit d'un succès, puisque nous avons enregistré ces six dernières années une augmentation de 40% du nombre des chantiers nouveaux, de 130 % du nombre de logements sociaux et de 400 % du nombre des logements locatifs privés conventionnés.
Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : c'est parce que des efforts ont été demandés à tous les acteurs, et surtout aux collectivités locales, que nous nous trouvons maintenant au coeur d'une dynamique d'accroissement du parc de logements et que nous pouvons aborder la question du droit opposable au logement.
En ce qui concerne les efforts consentis par les collectivités locales, je partage l'opinion formulée par M. Dominique Braye dans son rapport, qui est également celle de nombreux maires que j'ai pu rencontrer, en particulier hier, lors de la réunion du conseil général dont je suis membre : il est nécessaire de marquer une pause dans les réformes législatives, afin de laisser aux acteurs locaux le temps de s'adapter.
Quant à M. Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales, il a parfaitement saisi ce que mes collègues franciliens et moi-même avons tenté de dire, ici même, lors de l'examen de la loi portant engagement national sur le logement : en raison du taux de chômage et du nombre élevé de divorces, ce sont à présent 60 % de notre population qui peuvent prétendre à un logement social, du moins en région parisienne et dans le département dont je suis l'élue ! Naturellement, ce n'est pas une loi qui réglera tout d'un seul coup.
Je rappellerai aussi que la sédentarisation des locataires dans les logements sociaux bloque l'ensemble du système : comme le maintien dans les lieux est intangible, toute fluidité est impossible et la seule solution est de toujours construire, y compris des places d'urgence, puisque les gens ne quittent plus les logements sociaux, compte tenu du prix du marché !
M. Roland Muzeau. Mais oui, il y a trop de pauvres ! Dehors, les pauvres !
Sourires sur les travées du groupe CRC.
Mes chers collègues, vous noterez que les membres du groupe CRC approuvent mes propos !
Le droit au logement opposable doit être pensé et développé à côté des mesures en faveur de la construction et pour l'accession à la propriété.
Il faut construire des logements sociaux à Saint-Maur, à Vincennes, partout où il n'y en a pas, et rendre inéligibles les maires qui n'en construisent pas !
Je ne m'étendrai pas sur les mécanismes introduits par cette loi afin de consacrer le droit opposable au logement : M. le ministre et les orateurs qui m'ont précédée ont été suffisamment clairs et explicites.
Toutefois, je veux aborder ce qui constitue à mes yeux le corollaire du droit opposable au logement, à savoir le droit du propriétaire occupant ou du locataire de pouvoir habiter dans son logement - j'insiste sur ce point -, c'est-à-dire sa résidence principale, en supposant d'ailleurs qu'il en ait une autre !
Même si j'y suis attachée et si certaines décisions de justice le disqualifient pour non-usage, c'est non pas le droit de propriété que je veux défendre à l'occasion de l'examen de ce texte, mais le droit pour une famille de pouvoir habiter dans le logement dont elle est locataire en titre ou propriétaire occupante !
En effet, les exemples se multiplient de personnes qui, au retour d'un mois de vacances ou d'un déplacement professionnel, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants sans titre et surtout sans scrupules !
Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, applaudit également.
Mes chers collègues, interrogez les gens autour de vous, y compris au Sénat, et vous constaterez que ce phénomène se répand de plus en plus ; j'ai été étonnée du nombre de cas qui se sont produits, et qui m'ont confortée dans ma décision de m'attaquer à ce problème.
Imaginez le drame d'une famille qui revient chez elle avec ses enfants après trois semaines d'absence et qui ne peut réintégrer son logement, ou celui de la personne âgée qui, au retour d'un séjour à l'hôpital ou en rééducation, se retrouve brusquement à la rue !
Monsieur le ministre, l'exclusion, c'est aussi cela ! Et cette situation est possible parce que le squatter est défini comme un occupant sans titre d'un local qui devait être vide, et non occupé, et qu'il bénéficie d'une protection, puisque, passé un délai de quarante-huit heures, le logement en question devient le domicile de la personne installée illégalement !
Le locataire, ou le propriétaire, qui tente de reprendre par la force possession de son habitation commet alors une violation de domicile, ce qui, comme vous l'avez souligné, monsieur Vasselle, est invraisemblable !
J'ai vérifié cette information auprès de commissaires de police, qui m'ont cité des cas où ils avaient dû intervenir contre les occupants en titre d'un appartement, ...
... parce que les squatters occupaient celui-ci depuis plus de deux jours !
Ces individus ne pouvaient donc pas faire l'objet d'un flagrant délit !
Ces cas ne sont plus marginaux : il existe maintenant des squatters professionnels.
Mme Catherine Procaccia. Je vous conseille de suivre mon exemple et d'aller sur Internet, comme je l'ai fait hier soir. J'y ai découvert un site qui s'intitule littéralement « Comment squatter sans se faire expulser »
M. Alain Vasselle s'exclame.
Il ne reste plus aux locataires qu'à attendre une décision d'expulsion du tribunal, ce qui sera long. Pour la faire exécuter, il leur faudra s'adresser à un huissier, qui devra faire appel à la force publique. Pendant tous ces mois, la famille doit bien se reloger, s'habiller. En outre, elle ne sait pas dans quel état elle retrouvera son logement. Enfin, il faut imaginer le traumatisme qu'une telle situation provoque.
Vous l'aurez compris, je défendrai avec conviction un amendement visant à instaurer une procédure d'expulsion d'urgence en cas de squat d'un logement occupé. Je remercie les dix-sept collègues qui l'ont cosigné.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous nous proposez de compléter le dispositif de cohésion sociale, à l'aide de quatre mesures très différentes.
La première, nommée « bouclier social » - vous l'avez évoquée tout à l'heure -, a pour objet de simplifier la vie administrative et financière des travailleurs indépendants qui réalisent un petit chiffre d'affaires, surtout lorsqu'ils démarrent leur activité.
L'amendement gouvernemental, adopté par le Sénat et confirmé par la commission mixte paritaire, a été censuré par le Conseil constitutionnel - encore une fois ! -, pour des raisons de procédure parlementaire.
Il serait dommage de renoncer à une telle mesure. En effet, même s'il a été aménagé par rapport au droit commun, le régime actuel de la micro- entreprise demeure encore trop pénalisant dans la pratique : les travailleurs indépendants se retrouvent à devoir acquitter des charges sociales pour un montant supérieur au chiffre d'affaires réalisé. Dans ces conditions, comment éviter le travail illégal ?
Le système met en place une cotisation sociale proportionnelle, vous l'avez également rappelé, monsieur le ministre. Elle me paraît adaptée aux moyens du travailleur indépendant. Le paiement des charges sociales pourra s'effectuer chaque trimestre, sur la base du chiffre d'affaires constaté. Naturellement, les droits sociaux équivalents en termes de retraite ou d'assurance maladie sont garantis. Il s'agit d'une bonne mesure pour ces petits travailleurs indépendants.
La seule réserve que j'émettrai porte sur les seuils relativement bas au-delà desquels cette cotisation proportionnelle devient moins intéressante qu'une cotisation forfaitaire. Il faudra faire preuve d'une grande vigilance, afin, je le souhaite, de permettre au travailleur indépendant d'acquitter une cotisation en rapport avec sa situation personnelle.
La deuxième mesure concerne la création d'une aide à la réinsertion familiale et sociale des vieux migrants. Cela a été évoqué à cette tribune par plusieurs orateurs. Depuis le 1er janvier 2006, nous avons mis un terme au versement du minimum vieillesse à l'étranger. En effet, de nombreux cas de fraudes étaient constatés et ce versement avait un coût élevé.
Afin que les vieux travailleurs immigrés n'aient plus à choisir entre continuer à bénéficier de cette prestation, et donc organiser des séjours durables en France, et y renoncer en demeurant dans leur pays d'origine, vous avez choisi, monsieur le ministre, de créer une aide équivalente à la somme que ces personnes auraient perçue si le minimum vieillesse était toujours exportable. Dans ce cadre, ces personnes auront les moyens de réaliser des allers et retours vers leur pays d'origine, tout en continuant de résider en France quelques mois par an, dans leur foyer habituel, selon un système de location alternée.
Monsieur le ministre, je vous avoue rejoindre le jugement mesuré et nuancé du rapporteur, Bernard Seillier, sur les modalités d'application de cette mesure, qui soulèvent d'importantes difficultés sur les plans juridique - peut-être les résoudrez-vous - et financier.
Le texte renvoie très largement la définition de ces modalités au pouvoir réglementaire. Nous souhaitons donc connaître les conditions d'accès au dispositif et les moyens qui seront mis en oeuvre pour lutter contre la fraude, puisqu'elle continuera à exister et que c'est elle qui avait conduit à supprimer le système que nous rétablissons aujourd'hui. Enfin, monsieur le ministre - cette question a déjà été posée -, avez-vous une idée du coût global d'une telle disposition ?
La troisième mesure complète l'article 70 de la loi de finances rectificative pour 2006 et institue un crédit d'impôt sur le revenu au titre des services à la personne. Elle est le pendant de celle qui permet de déduire de l'impôt sur le revenu la moitié des dépenses effectuées pour l'emploi d'un salarié à domicile, dans la limite d'un plafond.
Il me semble normal que cette mesure, qui encourage l'emploi et contribue à lutter contre le travail illégal, puisse également bénéficier aux personnes payant peu d'impôt sur le revenu, voire n'en payant pas du tout.
La commission mixte paritaire avait réduit le champ d'application d'un tel dispositif. Monsieur le ministre, vous nous proposez aujourd'hui d'étendre le bénéfice du crédit d'impôt non seulement aux personnes qui passent par l'intermédiaire d'une association ou d'une entreprise agréée, mais également à l'ensemble des services à domicile, et non plus exclusivement aux gardes d'enfant et au soutien scolaire.
Cette disposition devrait être positive pour les ménages à revenus modestes. En outre, elle conforte le principe qui avait été mis en oeuvre.
La quatrième mesure supprime l'accès à certaines prestations pour les citoyens de l'Union européenne qui viennent chercher un emploi. Jean-Pierre Godefroy vient de l'évoquer, je ne m'y étendrai donc pas.
Il s'agit de l'application d'une directive européenne qui repose sur le principe selon lequel « il convient d'éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil pendant une première période de séjour ». L'effet d'aubaine, déjà évoqué à cette tribune, existe bien, surtout dans une Europe élargie à laquelle je suis, personnellement, tout à fait favorable.
Je vous remercie à l'avance, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, de l'attention que vous porterez aux amendements que j'ai déposés avec mes collègues, dont l'objet est d'améliorer le texte, sans le déformer.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs lectures de ce projet de loi insolite instituant le droit opposable au logement peuvent être faites.
Les uns souligneront la précipitation de l'initiative gouvernementale, à moins de trois mois de l'élection présidentielle. « Politicien », diront-ils, non sans raison !
D'autres pointeront le risque de judiciarisation d'un droit au logement promulgué par la loi depuis 1990, maintes fois réaffirmé depuis et sans cesse démenti par les faits, comme le montrent en ce moment même les tentes de sans-abri le long du canal Saint-Martin, à Paris, ou le million de demandeurs inscrits sur les listes d'attente des organismes d'HLM. « Hypocrite », diront ceux-là, expliquant que le recours au juge et à l'État sert à nous exonérer du seul devoir qui nous incombe : construire, construire encore, pour satisfaire tous les citoyens en mal de logement. Les plus cyniques ajouteront que l'afflux massif de plaintes auprès du tribunal administratif suffira à déconsidérer rapidement la procédure.
Ainsi, le droit au logement resterait, une fois de plus, lettre morte pour toutes les catégories de Français qui n'ont pas les ressources financières suffisantes, eu égard à l'explosion des loyers et à l'envolée spéculative du prix du foncier.
Monsieur le ministre, je fais miennes toutes ces considérations : calendrier tardif, risque de judiciarisation d'un problème éminemment politique, absence de données économiques par strates de logements et par grandes régions au regard des besoins recensés. Et pourtant, j'ai décidé de prendre au mot le Gouvernement et de tenter de donner forme à ce droit opposable au logement qui s'imposerait à la nouvelle majorité, quelle qu'elle soit.
Sans doute suis-je influencé par l'abbé Pierre et la Fondation Emmaüs, sans oublier toutes ces associations qui oeuvrent en faveur des exclus : Mouvement international ATD Quart monde, Les Restos du coeur, le Secours populaire, Les Enfants de Don Quichotte, etc.
Plus profondément, j'ai le sentiment aigu d'une urgence. Après tant de dispositifs législatifs inopérants, tant de discours vains, le moment est venu de renverser les rôles : donner à l'État une obligation de résultat et mettre entre les mains du citoyen l'arme du recours amiable ou contentieux, lui qui jusqu'ici n'obtient même pas toujours une réponse, fût-elle négative, à sa demande de logement social.
Cette dernière formule m'alerte. S'agit-il seulement de construire des HLM à la façon des années soixante-dix et dans les mêmes cités ? Ce projet de loi n'a-t-il pas pour dessein secret de cantonner socialement et géographiquement les populations pauvres dans des quartiers réservés ?
La tentation existe, comme l'a montré encore récemment la pression de la majorité de droite pour exonérer certaines villes de l'obligation de proposer 20 % de logement social. La décision de la commission de médiation, ou celle du juge, au cas par cas, ne saurait garantir la mixité sociale, concept fondamental que ce texte ignore.
Le droit opposable au logement doit s'inscrire dans une problématique plus vaste et concerner aussi les classes moyennes, qui ne sauraient faire les frais du « tout-privé » pour les plus riches et du « tout-social » pour les exclus. C'est même là tout le problème : ce droit opposable au logement ne risque-t-il pas de se transformer en machine à ségrégation ?
J'imagine que le Gouvernement va protester de sa bonne foi, énumérer comme autant de trophées les prévisions à la hausse de constructions depuis 2005 - après, il est vrai, un début de législature catastrophique -, mais cela ne suffira pas à nous rassurer.
Au fond, monsieur le ministre, vous nous demandez de tirer une traite sur l'avenir, de faire confiance à la prochaine majorité et au prochain Président de la République.
Quelle imprudence et quelle naïveté, me diront mes amis ! Et pourtant, parce que la détresse des mal-logés est immense, comme sont également immenses le dévouement et la générosité des bénévoles qui sont mobilisés sur le terrain, j'accepte le risque et j'entre dans le débat sans a priori, attentif aux améliorations indispensables que vous accepterez sous la forme d'amendements.
Mais, monsieur le ministre, prenez garde à vos amis. Ils sont sans doute le principal risque de naufrage pour votre fragile embarcation !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques années, le logement est devenu pour les Français un sujet de préoccupation majeur.
En effet, un million de personnes ne bénéficient pas d'un logement décent et indépendant. Ainsi, 100 000 d'entre elles sont à la rue, les autres vivant dans un habitat précaire : hôtel meublé, sous-location surpeuplée, camping-caravaning, habitat de fortune. Il convient d'y ajouter les 5 % de Français qui, en matière de logement, cumulent les déficiences : surpeuplement, vétusté, absence de confort. Enfin, 9 % de la population habitent dans des logements surpeuplés : 800 000 personnes, dont un tiers de jeunes, sont privées de domicile personnel, 450 000 adultes, hors étudiants et apprentis, vivent chez des proches, parfois avec des enfants. Entre 400 000 et 600 000 logements sont indignes, insalubres ou dangereux.
Par ailleurs, jamais le logement n'aura autant pesé sur le budget des ménages. L'inflation constante des prix de l'immobilier, la progression des coûts de construction et, bien sûr, la hausse des loyers - 2, 7 % en moyenne pour les loyers, 5 % pour les charges en 2006 - condamnent de nombreux Français à une précarité durable. Selon la FNAIM, les loyers des appartements ont augmenté de 4, 6 % par an depuis 2000, soit largement le double de l'inflation.
La loi de finances pour 2007 constate que le taux d'effort net moyen des ménages est de 19, 5 % pour les bénéficiaires des minima sociaux et de 27, 4 % pour les salariés. Mais, selon la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, ceux qui perçoivent les plus bas salaires - un SMIC pour une personne isolée ou 1, 5 SMIC pour un couple avec deux enfants - peuvent supporter un taux d'effort proche de 50 %.
Le logement constitue, aujourd'hui, un critère de ségrégation, non seulement sociale mais aussi territoriale. En effet, lorsqu'ils existent, les logements locatifs sociaux se trouvent concentrés sur certaines communes. Ce sont elles qui supportent au quotidien l'effort de la nation, réparti de manière inégale sur le territoire. Je rappelle, d'emblée, que sur les 740 communes concernées par l'application de la loi SRU, un tiers ont réalisé moins de 50 % de leurs objectifs et près d'une centaine n'ont rien entrepris pour rattraper leur retard. C'est inacceptable !
En cristallisant autant d'inégalités, le logement constitue désormais un enjeu de cohésion sociale.
Face à cet enjeu, monsieur le ministre, vous avez affirmé votre volonté politique. Vous présentez, d'ailleurs, la relance de la construction, chiffres à l'appui, comme le gage du succès de votre action. Certes ! Vous prétendez, aujourd'hui, parachever votre travail en instituant un droit opposable au logement. Pourquoi pas ?
Le droit au logement, qui a été depuis longtemps affirmé par la législation - il est inscrit dans la loi depuis 1989 ; il a été renforcé par la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement et reconnu comme objectif de valeur constitutionnelle depuis 1995 -, constitue un principe de progrès et de justice. Il a, d'ailleurs, été au coeur des combats menés par la gauche, tant institutionnelle que sociale.
Mais plus ce principe est érigé en obligation légale, constitutionnelle, plus la question de sa mise en oeuvre se pose. Ce n'est pas parce que l'on déclare passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat que la question pratique, liée à l'effectivité de ce droit, cesse de se poser.
Oui à un droit opposable au logement si, et seulement si, sa mise en oeuvre obéit au réalisme le plus élémentaire, si des dispositions fortes et concrètes sont prises en faveur du logement social destiné à tous les Français non logés ou mal logés.
Les amendements proposés par le groupe socialiste vous aideront, monsieur le ministre, à avancer concrètement dans cette direction. Vous en aurez d'ailleurs bien besoin, car en légiférant avec autant de précipitation, en prétendant résoudre aussi vite et aussi complètement le déficit en matière de logements, le Gouvernement éveille une suspicion bien légitime parmi tous les acteurs du secteur.
Rendre concret le droit opposable au logement signifie moins préciser les contours du recours juridictionnel que créer les conditions rendant inutile son emploi. Autrement dit, le droit opposable au logement n'intéresse les Français que s'ils n'ont pas à s'en servir !
Ce qui les intéresse, c'est d'être logés et non de voir l'astreinte versée par l'État, ou par son délégataire, enrichir un fonds d'aménagement urbain devant, à son tour, contribuer à leur logement. Or, la réponse à cette demande ne se trouve pas dans la seule augmentation quantitative de l'offre globale de construction. En effet, il convient de distinguer, en général, les logements financés et les logements lancés. Ensuite, seule la pleine adaptation de l'offre à la demande est en mesure de rapprocher véritablement les plus défavorisés du logement.
De ce point de vue, le nombre et, surtout, la structure des logements sociaux locatifs ne sont pas encore à la hauteur des besoins. Certes - c'est un point positif - vous venez de revoir vos ambitions à la hausse en ce domaine, mais le déficit structurel demeure et vous avez pris du retard.
Ce n'est pas le Gouvernement qui a pris du retard !
En 2005, seuls 7 700 logements ont été construits grâce à un prêt locatif aidé d'intégration, un PLAI, la part de logement social intermédiaire atteignant, quant à elle, 30 % des logements financés. Or, les deux tiers des demandeurs ont des ressources inférieures à 60 % des plafonds relatifs au prêt locatif à usage social, le PLUS.
Par ailleurs, l'offre n'existe pas toujours, car il faut passer des programmes financés aux programmes lancés, puis déduire les démolitions, les ventes et les expirations de convention. En raisonnant en termes de solde, le parc social n'a augmenté que de 41 000 logements en 2005, alors que, en 2004, il avait crû de 30 000.
Soulignons, au passage, qu'il nous manque des données précises et harmonisées en ce qui concerne tant la réalité de la demande que la structure exacte de l'offre.
La mobilisation du contingent préfectoral annoncée dans le projet de loi, par le biais des conventions de délégation, ne suffira pas à garantir l'offre et à assurer ainsi l'effectivité du droit opposable au logement.
De plus, un tel levier fait toujours peser la charge du logement social sur les mêmes communes. L'un des paradoxes de l'application du droit opposable au logement pourrait être le renforcement de la ségrégation territoriale. Cette amplification du phénomène de ghettoïsation urbaine aurait alors un coût social extrêmement élevé.
La pleine application de l'article 55 de la loi SRU constitue donc une priorité, si l'on souhaite à la fois répondre au défi du logement pour tous et garantir la mixité sociale.
De nombreux outils existent : étendre le champ des communes soumises à l'obligation de disposer de 20 % de logements locatifs sociaux, affecter un coefficient supérieur au logement financé par un PLAI ou un PST et minorer les PLS, multiplier le prélèvement effectué par logement social manquant ou moduler la DGF en fonction de la réalité de l'effort entrepris, substituer à la défaillance communale l'autorité de l'État pour la mise en oeuvre de programmes de rattrapage.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, un certain nombre de maires, qui vous sont proches, préfèrent payer une amende plutôt que de souscrire aux programmes de solidarité dans le domaine du logement.
Dans un esprit proche, pour assurer l'égalité de traitement des collectivités territoriales devant l'effort en matière de logement, les plans départementaux de l'habitat, les PDH, et les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées, les PDALPD, pourraient être généralisés et devenir très contraignants.
Au-delà de la loi SRU, l'exigence de mixité de l'habitat devrait être encouragée à toutes les échelles : tout programme neuf financé en PLUS pourrait comprendre un pourcentage de logements financés en PLAI ; tout programme de construction aidé, notamment fiscalement, pourrait comporter un pourcentage de logements sociaux et très sociaux.
Par ailleurs, il serait illégitime et inefficace de limiter l'action en faveur de l'offre au seul parc public. La mobilisation du parc privé est nécessaire, afin non seulement d'accroître l'offre quantitative, mais aussi d'en garantir la qualité, notamment en termes de mixité et de confort.
À cet effet, notamment par le biais de l'ANAH, les programmes d'action des PLH peuvent à la fois orienter la construction neuve privée et contribuer au développement d'une offre locative à loyers maîtrisés, voire très maîtrisés. Ils peuvent favoriser la résorption de la vacance et aider à la lutte contre l'habitat indigne.
Les collectivités territoriales, ou l'État en cas de défaillance, pourraient aussi répondre graduellement aux besoins par la location temporaire de logements ordinaires, financée notamment par l'aide personnelle.
En cet instant, je souhaite ouvrir une parenthèse et citer l'expérience intéressante menée en Grande-Bretagne. Ce pays a mis en place, depuis 1977, le homeless persons act, notamment à Londres, qui met en réseau les mairies d'arrondissement, les housing associations, les propriétaires et l'État. Les mairies, auxquelles incombe l'obligation du droit opposable au logement, établissent des listes de homeless et s'adressent aux associations précitées pour trouver des opportunités de location, moyennant rémunération. Les housing associations passent des contrats avec les propriétaires privés et remettent les logements en état a minima. Les propriétaires ont une garantie de loyer. Les populations défavorisées sont logées et réparties dans le parc privé. Elles y restent entre six mois et cinq ans, ce qui permet de trouver des solutions plus définitives. L'État verse aux housing associations l'équivalent d'une aide personnelle au logement. En 2004, 280 000 personnes étaient ainsi hébergées en logements temporaires.
Un tel dispositif, qui se substitue au système de l'hébergement en hôtel, permet actuellement d'apporter une bouffée d'air en matière de logement, secteur également confronté à de grandes difficultés en Grande-Bretagne, notamment à Londres. À Paris, un effort a été effectué, puisque la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris, la SIAMP, s'est vu confier la mission d'inciter des propriétaires privés à louer leur appartement, moyennant un loyer garanti.
De manière générale, les collectivités locales sont de plus en plus mises à contribution, notamment celles qui ont demandé la délégation des aides à la pierre. Nombre d'entre elles ne sont pas servies financièrement à hauteur des conventions de délégation signées.
De plus, la subvention unitaire moyenne accordée par l'État aux opérations financées par un PLUS ou un PLAI est en baisse relative, compte tenu de la forte augmentation des coûts de construction.
Ces mêmes collectivités continuent à financer les surcharges foncières et elles gèrent, au niveau des départements, les fonds de solidarité pour le logement, après le retrait de l'État et des ASSEDIC.
À rebours de ce mouvement, les maires bâtisseurs de logements sociaux devraient, au contraire, être financièrement encouragés, par exemple, à travers la dotation d'équipement, la modulation des taux de subvention pour les équipements publics ou la modulation de la DGF.
Si l'on ajoute à cela la fiscalisation croissante de la politique du logement, au détriment, notamment, de l'investissement budgétaire, on conviendra que nous assistons, en termes de moyens, à un désengagement relatif de l'État.
Rappelons à ce titre que, en 2007, l'amortissement Robien devrait coûter à l'État 400 millions d'euros, montant comparable aux crédits finançant les logements locatifs sociaux. Un logement financé selon le dispositif de l'amortissement Robien coûte bien plus cher à la nation qu'un logement social : son coût s'élève à 33 000 euros par an. Je vous communique ce chiffre pour que vous puissiez le méditer !
Cette défiscalisation a contribué à l'enrichissement personnel d'investisseurs plutôt aisés sans contrepartie sociale : les logements haut de gamme ainsi construits, loués à un prix élevé, trouvent parfois difficilement des locataires.
L'amortissement Robien aura contribué à la hausse des prix du marché et à la constitution, avec la bénédiction de l'État, d'une ségrégation supplémentaire, d'un nouvel « entre soi » réunissant ceux qui peuvent supporter le coût de loyers élevés.
Mes chers collègues, cela est d'autant plus choquant que, dans le même temps, les aides à la personne ont été peu augmentées, voire pas du tout. Or, ce sont bien ces aides, au sens large du terme, qui constituent l'outil le plus efficace pour garantir le logement pour tous. Disons le nettement : l'offre est, certes, insuffisante, mais elle est surtout inadaptée car trop chère.
Une action sociale forte en faveur de l'accès au logement serait le plus sûr moyen d'assurer concrètement le droit au logement. Face à la constante inflation des loyers, c'est bien leur blocage pendant un an et leur indexation sur les prix qui s'imposent. De plus, la solvabilité des familles doit être mieux prise en compte.
Au-delà de leur augmentation, les aides personnelles doivent être mises en cohérence avec le plafond des aides à la pierre ; leur barème doit être révisé en tenant compte des ressources de transfert et de la modulation des charges en fonction de leur coût réel.
Dans le même esprit, la question du mois de carence pour les emplois précaires doit être réexaminée.
Plus généralement, les aides à la personne doivent permettre de ne pas dépasser un certain taux d'effort pour tous ceux qui bénéficient d'un loyer conventionné ou réglementé. Tel est le principe du « bouclier logement », présenté dans le projet du parti socialiste.
Mais les aides ne sont pas seulement quantitatives ; elles impliquent également un meilleur suivi social des familles. On peut ici préconiser la généralisation de la gestion urbaine de proximité, associant les élus et les bailleurs sociaux.
Les organismes de logements sociaux doivent être davantage responsabilisés, notamment dans leurs relations avec les réservataires, à condition que les bailleurs reçoivent en retour l'aide nécessaire au suivi social.
Monsieur le ministre, tout le monde est favorable au droit opposable au logement. Cependant, nous devons non pas fabriquer de faux droits, gagés sur la parole, mais nous doter des moyens adéquats.
Je ne mets pas votre bonne foi en cause et je souhaite que vous interveniez auprès d'un certain nombre de vos amis politiques, maires de communes, qui, dans cet hémicycle, au mois de juin dernier, poussaient des cris d'orfraie lorsque vous présentiez un autre texte relatif au logement et qui se soustraient à l'obligation qui leur est faite de construire des logements sociaux. Si vous voulez que ce projet de loi connaisse des résultats positifs, il faut que tout le monde participe à l'effort de solidarité en la matière.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Mes chers collègues, ne voulant pas rompre avec une vieille tradition - l'opposition m'en voudrait ! - et dans un souci de logique, je demande la réserve...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ...de tous les amendements tendant à insérer un article additionnel au chapitre Ier, et ce jusqu'à la fin de l'examen dudit chapitre.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
La réserve est de droit.
La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.
Je tiens à m'élever vivement contre la méthode employée ! En effet, M. le président de la commission, en accord avec M. le ministre, vient de mettre à bas tout le travail que nous avions effectué sur ce texte en renvoyant la discussion de l'ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels au chapitre Ier jusqu'après l'examen dudit chapitre.
Cela, nous ne pouvons l'admettre. C'est une remise en cause du droit d'amendement des sénateurs !
Notre groupe, comme d'autres, j'en suis persuadé, a travaillé, a imaginé une stratégie, qui se trouve ainsi ruinée d'une manière autoritaire par M. le président de la commission.
Nous protestons donc véhémentement !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
J'interviens pour que les choses soient claires, monsieur le président : je demande la réserve de l'ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels au chapitre Ier jusqu'après l'examen dudit chapitre !
Ce n'est pas la première fois que l'on nous « fait le coup » ! Tout le monde a bien compris qu'il s'agit là d'un moyen de fausser le débat.
C'est un moyen de le fausser parce que - mon collègue M. Thierry Repentin l'a bien dit - le sort réservé aux amendements tendant à insérer des articles additionnels au chapitre Ier que le groupe socialiste a déposés conditionne la position qu'il prendra.
... qui puisse nous permettre de déterminer notre position. Le débat est donc faussé, ...
...ce que je trouve tout à fait dommage.
Si le Gouvernement souhaitait que ce texte soit consensuel, il ne fallait pas qu'il adopte cette méthode ! En agissant ainsi, il fait en sorte qu'il n'y ait pas de consensus !
Il faudrait savoir si ce projet de loi vise réellement à instituer le droit opposable au logement ou s'il est purement politicien...
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Philippe Richert.