Ainsi que je l’ai déjà souligné, le suicide d’un agriculteur est l’aboutissement d’une accumulation complexe de facteurs, d’un ensemble de pressions, de drames, de craintes, d’injonctions contradictoires et de sentiments de déconnexion, le fruit, enfin, de l’absence de reconnaissance morale et financière. Il y a autant de causes qu’il y a de décès, ce qui limite d’autant la possibilité de légiférer sur le sujet.
En outre, la connaissance même de cette problématique n’est pas assurée. Trop peu d’études ont été réalisées ; leurs conclusions sont souvent divergentes. Nous ne pouvons pas édicter de normes à partir de données aussi parcellaires et incomplètes. Monsieur le ministre, nous avons évoqué ensemble tout à l’heure la nécessité de bâtir sur des bases très justes, pour avancer dans ce domaine de façon positive.
Une loi risquerait, au mieux, de n’aborder qu’une petite partie du problème et, au pire, de se révéler inapplicable sur le terrain et de susciter beaucoup de déception. Il faut donc commencer par mieux connaître et comprendre ce phénomène ; nous en sommes d’accord.
Certes, des dispositifs d’identification et de prévention existent, mais ils sont bien souvent peu coordonnés entre eux, quand ils le sont même. Ils sont aussi souvent mal connus des agriculteurs et de leurs proches. Des marges de progression existent donc en la matière ; on devra notamment accorder impérativement une place centrale à l’humanisation des procédures.
N’oublions pas qu’un agriculteur qui commet l’irréparable est un agriculteur qui se sent profondément seul ; il n’effectuera donc généralement pas la démarche d’aller signaler sa situation et l’exposer aux pouvoirs publics. Traiter ce sujet implique de l’humilité face à la situation ; il faut aussi du temps pour mener un travail transpartisan de qualité et de terrain.
C’est pour se donner ce temps nécessaire que la commission des affaires économiques vous propose, mes chers collègues, cette motion.
Si elle est adoptée, notre commission créera dans la foulée un groupe de travail transpartisan sur les moyens mis en œuvre par l’État en matière de prévention, d’identification et d’accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. Nous nous sommes engagés à mener ce travail avec détermination, mais aussi avec l’écoute humaine indispensable.
Travailler sur ce sujet dans toute sa complexité, de façon transpartisane et collégiale, permettra d’aboutir, j’en suis sûre, à un rapport de qualité qui proposera des solutions concrètes.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit : « Rassemblons-nous sur l’être humain. » La phrase est importante, mais je garde en même temps à l’esprit les témoignages poignants que nous a transmis Henri Cabanel.
Il nous revient de rendre hommage à ces agriculteurs et à ceux qui les ont rejoints ; c’est ce que nous allons faire au travers des travaux à venir, mes chers collègues, si vous en êtes d’accord.