Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 décembre 2019 à 9h00
Proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet — Examen des amendements au texte de la commission, amendement 53

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur :

L'amendement n° 53 du Gouvernement vise non pas à « coordonner et modifier » l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, comme peut le laisser penser une lecture rapide de son objet, mais à durcir considérablement le régime administratif de retrait des contenus à caractère terroriste ou pédopornographique. Il prévoit en effet de créer une obligation de retrait en une heure des contenus à caractère terroriste ou pédopornographique notifiés par l'administration aux hébergeurs et aux éditeurs. Sa méconnaissance serait pénalement sanctionnée d'un an de prison et de 250 000 euros d'amende, portés au quintuple pour les personnes morales.

La méthode du Gouvernement n'est pas acceptable : présenter un amendement aussi important sous couvert de procéder à une coordination, la veille de l'examen en séance, auprès de la deuxième assemblée saisie, sans étude d'impact, et sans que nous ayons pu interroger précisément les services concernés sur ce qui justifie une telle extension de leurs pouvoirs. Voilà qui n'est pas très respectueux du travail parlementaire ! La gravité du sujet mériterait une analyse poussée que les délais contraints ne vont pas permettre de mener de façon totalement satisfaisante.

En l'état du droit, pour mémoire, si l'éditeur ou l'hébergeur ne répond pas en vingt-quatre heures aux demandes de l'administration, celle-ci peut enjoindre les fournisseurs d'accès de procéder au blocage administratif des sites terroristes ou pédopornographiques. Ce blocage échappe au contrôle préalable d'un juge : le Conseil constitutionnel a admis cette exception en raison du caractère d'évidence et d'extrême gravité des infractions poursuivies. En outre, une personnalité qualifiée indépendante s'assure a posteriori de la justification de la mesure.

L'amendement n° 53 tend à faire peser la charge du blocage administratif directement sur les éditeurs et les hébergeurs : en une heure, sur demande de l'administration, quels que soient leur taille ou leurs moyens, et sous peine de sanctions pénales.

Nous devrions plutôt attendre l'adoption du projet de règlement européen, qui fait encore l'objet de vifs débats, avant d'envisager de modifier aussi hâtivement notre droit. Si nous devions accepter ce dispositif, nous ne saurions l'envisager sans adopter plusieurs sous-amendements, pour le rééquilibrer.

Tous les hébergeurs n'étant pas en mesure de répondre en une heure, il conviendrait de cibler les grandes plateformes. Eu égard aux cas de force majeure ou d'impossibilité technique insurmontable, il nous faudrait prévoir des cas d'exonération de responsabilité. Les contenus retirés devraient être préservés pour pouvoir les rétablir à la demande de la personnalité qualifiée ou du juge en cas d'erreur de l'administration. Enfin, il nous faudrait donner un caractère temporaire à ce nouveau dispositif, jusqu'à l'adoption du projet de règlement européen.

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