Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs lectures de ce projet de loi insolite instituant le droit opposable au logement peuvent être faites.
Les uns souligneront la précipitation de l'initiative gouvernementale, à moins de trois mois de l'élection présidentielle. « Politicien », diront-ils, non sans raison !
D'autres pointeront le risque de judiciarisation d'un droit au logement promulgué par la loi depuis 1990, maintes fois réaffirmé depuis et sans cesse démenti par les faits, comme le montrent en ce moment même les tentes de sans-abri le long du canal Saint-Martin, à Paris, ou le million de demandeurs inscrits sur les listes d'attente des organismes d'HLM. « Hypocrite », diront ceux-là, expliquant que le recours au juge et à l'État sert à nous exonérer du seul devoir qui nous incombe : construire, construire encore, pour satisfaire tous les citoyens en mal de logement. Les plus cyniques ajouteront que l'afflux massif de plaintes auprès du tribunal administratif suffira à déconsidérer rapidement la procédure.
Ainsi, le droit au logement resterait, une fois de plus, lettre morte pour toutes les catégories de Français qui n'ont pas les ressources financières suffisantes, eu égard à l'explosion des loyers et à l'envolée spéculative du prix du foncier.
Monsieur le ministre, je fais miennes toutes ces considérations : calendrier tardif, risque de judiciarisation d'un problème éminemment politique, absence de données économiques par strates de logements et par grandes régions au regard des besoins recensés. Et pourtant, j'ai décidé de prendre au mot le Gouvernement et de tenter de donner forme à ce droit opposable au logement qui s'imposerait à la nouvelle majorité, quelle qu'elle soit.
Sans doute suis-je influencé par l'abbé Pierre et la Fondation Emmaüs, sans oublier toutes ces associations qui oeuvrent en faveur des exclus : Mouvement international ATD Quart monde, Les Restos du coeur, le Secours populaire, Les Enfants de Don Quichotte, etc.
Plus profondément, j'ai le sentiment aigu d'une urgence. Après tant de dispositifs législatifs inopérants, tant de discours vains, le moment est venu de renverser les rôles : donner à l'État une obligation de résultat et mettre entre les mains du citoyen l'arme du recours amiable ou contentieux, lui qui jusqu'ici n'obtient même pas toujours une réponse, fût-elle négative, à sa demande de logement social.
Cette dernière formule m'alerte. S'agit-il seulement de construire des HLM à la façon des années soixante-dix et dans les mêmes cités ? Ce projet de loi n'a-t-il pas pour dessein secret de cantonner socialement et géographiquement les populations pauvres dans des quartiers réservés ?
La tentation existe, comme l'a montré encore récemment la pression de la majorité de droite pour exonérer certaines villes de l'obligation de proposer 20 % de logement social. La décision de la commission de médiation, ou celle du juge, au cas par cas, ne saurait garantir la mixité sociale, concept fondamental que ce texte ignore.
Le droit opposable au logement doit s'inscrire dans une problématique plus vaste et concerner aussi les classes moyennes, qui ne sauraient faire les frais du « tout-privé » pour les plus riches et du « tout-social » pour les exclus. C'est même là tout le problème : ce droit opposable au logement ne risque-t-il pas de se transformer en machine à ségrégation ?
J'imagine que le Gouvernement va protester de sa bonne foi, énumérer comme autant de trophées les prévisions à la hausse de constructions depuis 2005 - après, il est vrai, un début de législature catastrophique -, mais cela ne suffira pas à nous rassurer.
Au fond, monsieur le ministre, vous nous demandez de tirer une traite sur l'avenir, de faire confiance à la prochaine majorité et au prochain Président de la République.
Quelle imprudence et quelle naïveté, me diront mes amis ! Et pourtant, parce que la détresse des mal-logés est immense, comme sont également immenses le dévouement et la générosité des bénévoles qui sont mobilisés sur le terrain, j'accepte le risque et j'entre dans le débat sans a priori, attentif aux améliorations indispensables que vous accepterez sous la forme d'amendements.
Mais, monsieur le ministre, prenez garde à vos amis. Ils sont sans doute le principal risque de naufrage pour votre fragile embarcation !