Intervention de Cédric O

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution et mandat des membres de la hadopi — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission et d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Cédric O :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être aujourd’hui devant vous pour vous présenter le projet de loi organique et le projet de loi modifiant les lois organique et ordinaire relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Le projet de loi ordinaire proroge en outre le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Il s’agit, pour l’essentiel, de tirer les conséquences de diverses dispositions législatives adoptées récemment, afin de permettre au Parlement de continuer d’exercer son contrôle sur le pouvoir de nomination du Président de la République prévu à l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. En effet, en vertu de cet article, le Président de la République nomme « aux emplois civils et militaires de l’État ».

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété cet article d’un cinquième alinéa renvoyant au législateur organique la détermination des « emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ».

Ce droit de veto sur certaines nominations décidées par le chef de l’État est une avancée démocratique majeure, pour laquelle il faut rendre hommage au Constituant de 2008 et au législateur organique de 2010.

Il est désormais bien ancré dans notre Ve République que les nominations par décret du Président de la République à des emplois se caractérisant par leur importance, soit pour la garantie des droits et libertés, soit pour la vie économique et sociale, doivent faire l’objet d’un avis préalable des commissions permanentes compétentes des deux assemblées parlementaires. Cette nomination ne peut se faire que lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Au fil du temps, le législateur organique a eu à compléter la liste prévue par l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. Aujourd’hui, ce sont 52 autorités administratives indépendantes (AAI), établissements publics ou entreprises publiques dont les principaux responsables font désormais l’objet d’un tel contrôle parlementaire. Loin d’être une formalité, ces auditions sont un temps politique et, même si le droit de veto n’a jamais encore été mis en œuvre, elles sont l’occasion pour les commissions d’examiner les compétences des personnes proposées.

Ces auditions sont publiques et font l’objet d’un avis public : elles permettent de lancer le mandat de la personne désignée, de lui donner un élan particulier avec une légitimité particulière.

Des réformes importantes adoptées ces derniers mois requièrent d’actualiser les lois organique et ordinaire de 2010.

Les textes que le Gouvernement vous a présentés, mesdames, messieurs les sénateurs, tirent la conséquence de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui transforme au 1er janvier 2020 le groupe public ferroviaire constitué de trois établissements publics industriels et commerciaux, ou EPIC, en groupe public unifié composé de la société nationale SNCF et de ses filiales directes et indirectes, notamment SNCF Voyageurs et SNCF Réseau. À ce propos, des désaccords subsistent encore sur la gouvernance de l’ensemble, comment ont semblé le montrer vos débats en commission.

Vous le savez, l’ambition de la loi Nouveau pacte ferroviaire était de normaliser la gouvernance du groupe SNCF. Elle le fait, notamment, en ne prévoyant aucune disposition, dans la loi elle-même ou dans l’ordonnance prise sur son fondement, qui fige le cumul ou la dissociation des fonctions de président et de directeur général pour la SNCF ou pour SNCF Réseau.

C’est pourquoi prévoir la nomination par décret de trois ou quatre dirigeants d’un même groupe, ce que le texte que vous avez adopté en commission prévoit, me semble-t-il, ne semble pas nécessairement de nature à normaliser l’entreprise.

J’ajoute que cette solution est contraire au droit commun des sociétés à participation publique, qui prévoit que seul le directeur général ou, lorsque les fonctions ne sont pas dissociées – cela pourra très bien être le cas à la SNCF –, le président-directeur général d’une société détenue directement à plus de 50 % par l’État, est nommé par décret du Président de la République.

Les ajouts de la commission des lois du Sénat sont probablement motivés par la volonté de garantir l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure.

Certes, nous partageons cette volonté, mais l’ordonnance prise sur le fondement de la loi Nouveau pacte ferroviaire répond déjà à ces inquiétudes, en prévoyant que la nomination, le renouvellement et la révocation du directeur général de SNCF Réseau resteront soumis à l’avis conforme de l’Autorité de régulation des transports (ART), spécifiquement chargée de la régulation du secteur.

Je tiens d’ailleurs à signaler que le président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) n’est pas non plus nommé par décret du Président de la République et qu’il n’est pas auditionné par les assemblées.

En revanche, sa candidature est bien « validée » en amont par le régulateur, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), ce qui a toujours été considéré comme suffisant sur le plan juridique pour assurer l’indépendance de la société à l’égard de la société mère EDF. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions lors de la discussion des amendements.

Les textes que nous examinons tirent également la conséquence de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », qui prévoit la privatisation de la Française des jeux (FDJ). Cette privatisation est désormais effective ; du reste, elle a été un grand succès populaire. L’argent issu de cette privatisation servira à alimenter le fonds pour l’innovation et l’industrie, qui investira dans la durée dans des technologies de rupture, comme l’intelligence artificielle ou la nanoélectronique.

Ces textes tirent également la conséquence de l’ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, qui met en place une nouvelle autorité administrative indépendante de régulation du secteur des jeux, l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Celle-ci reprend l’intégralité des missions de l’ancienne Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), en étendant son domaine de compétence à l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard, à l’exception des casinos.

Ces textes tirent aussi la conséquence de l’ordonnance du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires, qui remplace l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) par l’Autorité de régulation des transports (ART).

Ils prolongent également les mandats des six membres de la Hadopi, afin d’anticiper les conséquences du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, qui entend fusionner le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Hadopi d’ici au mois de janvier 2021 en un futur organe unique, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), aux compétences plus étendues.

Les textes dont nous discutons sont essentiellement techniques, de conséquence juridique et d’application pratique.

Je note avec plaisir que la commission des lois du Sénat a approuvé les dispositions des projets de loi initiaux. Elle les a même enrichis, soucieuse de bonne légistique et de cohérence juridique.

Elle a aussi fait preuve d’une certaine constance dans ses convictions, en demandant l’ajout du président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) à la liste prévue dans la loi organique de 2010.

À notre sens, cet ajout n’est pas justifié, la CADA ne satisfaisant pas au critère de « l’importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », du fait de son rôle presque exclusivement consultatif. De même, l’ajout du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ne nous paraît pas opportun, cet organisme ayant également un rôle consultatif important.

Le Gouvernement est en revanche pleinement favorable aux autres amendements adoptés par la commission des lois du Sénat.

Je me réjouis des discussions que nous allons avoir sur ces sujets, qui témoignent de la vigueur de notre démocratie et de l’équilibre, toujours changeant, toujours vivant, que celle-ci a su trouver entre deux de ses pouvoirs.

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