Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution et mandat des membres de la hadopi — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission et d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a examiné ce projet de loi organique et ce projet de loi ordinaire le 11 décembre dernier. Ils abordent deux sujets distincts : le mandat des membres de la Hadopi et le contrôle, par les commissions parlementaires, des nominations du Président de la République.

Initialement, le Gouvernement présentait ces textes comme un travail d’actualisation, voire de coordination. Le diable se cache toutefois dans les détails, et la commission des lois a adopté treize amendements, afin de corriger certaines maladresses. Elle a surtout rappelé son attachement au contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics.

Le Gouvernement souhaite prolonger le mandat de six membres de la Hadopi pour une durée d’un an ou de six mois. Il ne veut pas nommer de nouveaux membres, alors que la Haute Autorité devrait fusionner avec le CSA le 25 janvier 2021.

Le Gouvernement souhaite également que l’actuel président de la Hadopi continue son travail de préfiguration, pour bien préparer cette fusion. La commission des lois ne s’est pas opposée à cette disposition, dont la portée reste limitée. L’examen de l’amendement de notre collègue David Assouline permettra d’en débattre de manière plus approfondie.

J’en viens à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Créée par la révision constitutionnelle de 2008, elle permet au Parlement de bloquer une nomination du Président de la République lorsque l’addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés ; c’est ce que l’on appelle parfois les « trois cinquièmes négatifs ».

Cette procédure concerne aujourd’hui 54 emplois, qui présentent une « importance particulière pour les droits et libertés ou pour la vie économique et sociale de la Nation ». Comme l’avait souligné Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois du Sénat, elle permet d’écarter des candidatures de complaisance et de renforcer la transparence des nominations, notamment grâce à l’audition des candidats pressentis.

Depuis 2011, le Parlement s’est exprimé à 110 reprises sur des nominations envisagées par le Président de la République. Il n’a jamais mis en œuvre son pouvoir de veto, ce qui a d’ailleurs conduit le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle à proposer une modification des règles de blocage.

À six reprises, l’une des commissions compétentes a formulé un avis négatif, marquant son désaccord sur le projet de nomination. Je rappelle notamment l’opposition du Sénat à la nomination d’un membre du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, qui souhaitait, à titre temporaire, cumuler cette fonction avec celle d’ambassadeur de France à Madrid… La plupart d’entre nous s’en souviennent, c’est assez récent.

Le dernier exemple date de la semaine dernière. La commission des affaires économiques du Sénat s’est opposée à la nomination du directeur général de l’Office national des forêts. Il s’en est fallu d’une seule voix pour bloquer la nomination !

Avec ces projets de loi, le Gouvernement propose d’actualiser la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires.

Certaines dispositions ne soulèvent aucune difficulté, notamment pour changer le nom de l’Arafer, cette instance s’appelant désormais Autorité de régulation des transports. La commission a d’ailleurs poursuivi cet effort de coordination, notamment en actualisant le nom de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Le Gouvernement propose également de supprimer le poste de P-DG de la Française des jeux de la liste de l’article 13 de la Constitution.

Nous gardons tous en mémoire l’opposition qu’a exprimée le Sénat sur le projet de privatisation de la société. Il s’agit toutefois, en l’espèce, de tirer les conséquences juridiques de ce processus. Depuis le mois de novembre dernier, le capital de la FDJ appartient en majorité au secteur privé. Son P-DG ne peut donc plus être nommé par le Président de la République. Nous y reviendrons tout à l’heure lors de l’examen d’un amendement de Jean-Yves Leconte.

Au-delà de ces aspects techniques, les textes du Gouvernement soulèvent un problème de méthode et un problème de fond, qui dépassent un simple exercice de toilettage.

Sur le plan de la méthode, nous sommes invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux ou l’organisation du réseau de transport. Alors qu’elle réorganise entièrement la SNCF, l’ordonnance du 3 juin 2019 n’a toujours pas été ratifiée, plus de six mois après sa publication. J’espère que le Gouvernement sera capable de s’engager sur un calendrier de ratification, ce qu’il n’a toujours pas fait !

Sur le fond, les projets de loi initiaux conduisaient à un recul, même léger, du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics. La commission des lois n’a pas accepté cette évolution, qui serait allée à rebours des efforts accomplis depuis 2009 pour renforcer cette procédure de contrôle et élargir son périmètre.

Je remercie la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et son rapporteur, Didier Mandelli, de l’attention portée à la gouvernance de la SNCF.

Pour la première fois depuis 2010, le Parlement aurait perdu tout droit de regard sur la gouvernance du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, SNCF Réseau, ce qui n’était pas acceptable. SNCF Réseau doit, au contraire, bénéficier de garanties d’indépendance suffisantes, pour éviter toute discrimination entre les entreprises de transport, dont SNCF Voyageurs.

En conséquence, le texte de la commission soumet au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution le président du conseil d’administration et le directeur général de la société nationale SNCF, mais également celui de SNCF Réseau.

Dans la même logique, la commission des lois a ajouté deux fonctions à la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires : le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Nous avons travaillé de conserve avec Jean-Yves Leconte pour obtenir ce résultat, qui me semble très satisfaisant.

La mission de l’OFII en matière d’accueil des demandeurs d’asile et des immigrés s’est fortement affirmée au cours des dernières années.

Pour la seule année 2018, l’OFII a organisé le premier accueil de 109 783 demandeurs d’asile. Il a également conclu 97 940 contrats d’intégration républicaine, qui permettent aux étrangers d’accéder à des formations linguistiques, donc de mieux s’intégrer à la société française.

L’importance de la CADA n’est plus à démontrer. Cette instance joue un rôle essentiel dans la garantie, pour chaque citoyen, d’accéder aux documents administratifs. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a même étendu ses missions, lesquelles couvrent désormais la publication en open data des documents administratifs et la réutilisation d’informations publiques.

Le Sénat a toujours été très attentif au bon fonctionnement de la CADA, comme le montre le rapport d’information de 2014 de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux, fait au nom de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, que présidait à l’époque Jean-Jacques Hyest.

Nous souhaitons donc vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État, sur la situation de cette autorité administrative indépendante, qui n’arrive plus à faire face au volume et à la complexité des demandes reçues.

En 2018, la CADA a été saisie de 5 867 demandes d’avis. En moyenne, chaque dossier a été traité en 128 jours, alors que la loi fixe un délai théorique de 30 jours. Une fois la décision de la CADA rendue, les citoyens doivent encore attendre deux mois pour obtenir une réponse de l’administration et, le cas échéant, pour se porter devant le tribunal administratif. C’est un véritable labyrinthe !

En commission, nombre de collègues ont également mentionné les élus d’opposition, qui, dans leurs assemblées, ne parviennent pas à obtenir des documents dans les temps. De l’aveu même de son président, la CADA ne peut plus continuer ainsi. Son « stock d’affaires » s’élève actuellement à 1 800 dossiers, ce qui correspond à environ quatre mois d’activité.

Quelles solutions envisagez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pour mettre fin à cette situation, alors que les citoyens sollicitent de plus en plus l’accès aux documents administratifs ? Il s’agit, vous l’aurez compris, d’un sujet essentiel pour le Sénat.

Plus globalement, nous regrettons l’attitude du Gouvernement qui a déposé tardivement sept amendements visant à revenir sur les amendements de la commission des lois. Une telle attitude ne semble pas respectueuse ni du Sénat ni du principe de contrôle parlementaire.

Mes chers collègues, sous réserve de ce point de vigilance, la commission des lois vous propose d’adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire, ainsi modifiés.

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