Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, internet peut être un formidable outil de partage et d’expression, un espace de liberté qu’il nous faut impérativement préserver. Néanmoins, il arrive de plus en plus souvent que son utilisation soit dévoyée.

Associé au sentiment d’impunité lié à l’anonymat ou à la virtualité, il est aujourd’hui devenu le lieu privilégié de la prolifération et de la propagation de contenus violents, haineux, ou encore de fausses informations et autres théories du complot. Nous en sommes quotidiennement témoins, si ce n’est victimes.

Ces comportements intolérables ont des conséquences parfois dramatiques, devant lesquelles le législateur ne saurait rester silencieux.

Il s’agit d’un constat unanimement partagé sur toutes les travées de cette assemblée : il est de notre responsabilité d’agir, tout en trouvant un équilibre entre modération des contenus et respect de la liberté d’expression.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, portée par la députée Laetitia Avia, dont je souhaite saluer le travail considérable, s’attaque à cette tâche difficile.

Issue d’un rapport remis en septembre 2018 au Premier ministre par son auteure elle-même, Karim Amellal et Gil Taïeb, elle a pour ambition de renforcer la pression sur les plateformes numériques, en les soumettant à des sanctions pénales si elles ne retirent pas en vingt-quatre heures les contenus haineux, et met en place une régulation administrative ambitieuse de ces grandes plateformes placée sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Ce texte facilite également l’organisation de la réponse judiciaire par la spécialisation d’un parquet et d’une juridiction en matière de lutte contre la haine en ligne.

Enfin, il promeut certaines actions de prévention en milieu scolaire.

La révolution numérique a grandement modifié les comportements, notamment chez les plus jeunes, qui sont les premiers utilisateurs d’internet. Ce fait justifie que l’on mise sur la prévention, la sensibilisation, l’éducation et la responsabilisation au numérique.

Inspirée du précédent allemand, entré en vigueur le 1er janvier 2018, la proposition de loi s’efforçait, me semble-t-il, d’en éviter les écueils.

Depuis son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 20 mars 2019, ce texte a beaucoup évolué, pour tenir compte, notamment, de l’avis du Conseil d’État en date du 16 mai 2019.

Si les dispositions concernant la régulation, l’organisation judiciaire de la répression et la formation emportent la conviction de chacun, la mesure relative à la création d’un nouveau délit, pourtant au cœur du dispositif, a suscité une levée de boucliers.

La commission des lois du Sénat, par la voix de son rapporteur, M. Christophe-André Frassa, dont je salue la qualité du travail, a choisi de supprimer ce nouveau délit dit de « non-retrait », que nous proposions au contraire de préciser, au motif que celui-ci inciterait les plateformes à retirer des contenus licites au moindre doute, par excès de prudence et peur d’une éventuelle sanction.

Ce sont des arguments que nous comprenons, même si nous pensons que le texte était parvenu à un équilibre en laissant à la justice le soin de trancher, en cas de contestation, sur le respect de ces obligations de retrait ou, au contraire, en cas de retrait abusif.

Nous avons par ailleurs déposé un certain nombre d’amendements, qui ont été adoptés en commission.

Je pense à celui qui vise à mieux associer les régies publicitaires à la lutte contre le financement des sites facilitant la diffusion en ligne des discours de haine, en renforçant les obligations de transparence qui leur incombent.

Je pense aussi à la suppression de l’obligation mise à la charge des plateformes d’empêcher, de façon générale et indiscriminée, la réapparition de contenus haineux illicites déjà retirés. Cette procédure de notice and stay down était manifestement contraire au droit de l’Union européenne, la directive e-commerce interdisant toute forme de surveillance généralisée des réseaux.

Je pense enfin à l’amendement tendant à préciser que le CSA prend en compte l’hétérogénéité des modèles de plateforme dans l’appréciation des moyens mis en œuvre.

À ceux-là, s’ajoute un amendement de réécriture de l’article 6 bis AA ayant reçu l’avis favorable de la commission des lois.

En conclusion, nous sommes tous d’accord pour reconnaître que les grandes plateformes doivent être davantage responsabilisées, afin qu’elles participent bien plus qu’aujourd’hui à la lutte contre la propagation des discours de haine en ligne.

Notre législation actuelle, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui se contente d’imposer aux hébergeurs d’agir « promptement » pour retirer les contenus manifestement illicites qui leur sont signalés, n’est plus adaptée.

Nous pouvons nous féliciter qu’une action ait été entreprise à l’échelon national, même s’il nous paraît évident qu’une législation harmonisée au plan européen permettrait une réponse plus efficace dans cette lutte contre la haine en ligne.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu du fait que le texte a été amputé de l’une de ses dispositions principales, le groupe La République En Marche s’abstiendra.

La haine en ligne évolue sans cesse, au gré des progrès techniques. Le dispositif mis en place devra faire ses preuves, et il y a fort à parier que nous serons contraints, tant les changements sur internet sont rapides, de remettre l’ouvrage sur le métier et de faire de nouveau évoluer notre loi.

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