Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 30 janvier 2007 à 21h30
Droit opposable au logement — Article 1er

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui, hier, dans ces lieux, avec le mépris qu'on leur connaît, raillaient la proposition « utopiste, irréaliste, démagogique » visant à inscrire dans la loi le droit au logement opposable, tentent aujourd'hui de nous convaincre, comme leur candidat à l'élection présidentielle, qu'ils ont changé et que tout est désormais possible.

En l'espace de six mois, les conditions préalables et nécessaires à la concrétisation de ce droit ont-elles structurellement changé ?

A-t-on produit massivement des logements à loyers accessibles ? Les communes qui jusque-là refusaient de satisfaire à leur obligation de construction de 20 % de logements sociaux ont-elles été contraintes par les préfets de respecter la loi ? L'accès à la sécurisation des risques locatifs est-il désormais ouvert à tous, y compris aux bénéficiaires de minima sociaux, aux jeunes de moins de vingt-cinq ans ? Les avantages fiscaux consentis - et l'on sait qu'ils sont larges - ont-ils été conditionnés par des contreparties sociales ? L'État s'est-t-il mobilisé pour enrayer la flambée des loyers et des prix de l'immobilier ?

La réponse à toutes ces questions - vous la connaissez - est assurément négative. Ce qu'il n'a pas fait en douze ans de mandat, le Président de la République se propose de l'accomplir en un instant, par le biais du présent texte.

Les raisons de ce revirement soudain, de ces coups d'accélérateur sur le dispositif de garantie des risques locatifs et, maintenant, sur l'opposabilité du droit au logement sont à rechercher du côté des sans-toit, qui ont crevé l'écran, et de la visibilité accrue des multiples visages de la nouvelle pauvreté française. Ce sont autant d'images dérangeantes à quatre mois d'échéances électorales majeures, autant de motivations pour relancer la machine à plaire et à promettre.

Il est vrai que ce gouvernement se devait de trouver le moyen de masquer l'échec de sa politique consistant à laisser faire le marché et de faire oublier ses responsabilités dans la crise du logement.

En tranchant positivement une problématique portée depuis de longues années déjà par l'ensemble du monde associatif, le Gouvernement s'offre une belle bouffée d'air politico-médiatique.

Je ne partage pas l'opinion de M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, pour qui « le droit opposable apparaît comme le couronnement de la politique volontariste menée par le Gouvernement en faveur du logement et de l'hébergement. ». C'est bel et bien sous la pression que celui-ci s'est résolu à légiférer !

Je n'accepte pas non plus l'astuce qui consiste à repousser à la fin de la première partie du texte l'examen des articles additionnels avant l'article 1er alors qu'ils constituent évidemment le fondement de ce que serait la crédibilité du présent texte.

Le projet de loi dont nous discutons - plus précisément, les cinq articles instituant une responsabilité juridique du droit au logement et organisant sa garantie par l'Etat - a été véritablement arraché au Gouvernement par les associations.

Depuis 2002, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées travaille à donner son entière portée à ce droit fondamental et préconise, pour ce faire, la mise en oeuvre du droit au logement opposable. En 2005, les modalités de cette opposabilité et son calendrier ont été définis. Si le Premier ministre a récemment confié une nouvelle mission au président du Haut comité, n'était-ce pas pour mieux botter en touche sous couvert d'expérimentation ?

Cette parenthèse sur l'ironie de la situation étant refermée, permettez-moi de me satisfaire de cette évolution des positions. Le législateur s'empare enfin de la question de l'opposabilité du droit au logement et propose de franchir une étape considérable en introduisant à la charge de l'État une obligation de résultat.

Je regrette toutefois, comme l'ensemble des associations et des personnes auditionnées par notre groupe, que ce texte soit délibéré en urgence. En effet, selon les termes de la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, la FAPIL, « la précipitation dans le contexte actuel ne peut que restreindre la portée d'un droit qui se veut fondamental et universel si toutes les compétences qui y participent ne sont pas réorientées vers lui ».

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen abordent donc ce débat dans un esprit constructif, mais avec beaucoup de prudence et un grand réalisme, craignant que « la réponse apportée se révèle être elle-même seulement médiatique », comme l'analyse Frédéric Rollin, professeur de droit public, et qu'en conséquence, les déceptions ne soient aussi grandes que les espérances suscitées par le projet de loi.

Prudence donc, parce que le message adressé par les commissions saisies pour avis - la commission des affaires économiques et la commission des lois - est pour le moins négatif à l'égard du texte. Nombre d'amendements s'attaquent à l'économie générale du texte. Dans un prétendu souci de pragmatisme, les dates de 2008 et 2012, à compter desquelles le droit au logement serait garanti par des voies de recours sont reculées. Sous prétexte de mieux articuler les compétences des commissions de médiation, il est fait du droit à l'hébergement un préalable à la reconnaissance du droit au logement... Ne concevez-vous pas de facto l'hébergement comme ghetto de la misère, l'exclusive du parc locatif social aux plus pauvres ? Cette différence d'approche entre commissions elles-mêmes augure mal de l'opposabilité du droit au logement en fin de compte.

Prudence également parce que, au-delà de l'intitulé du projet de loi, l'examen attentif du texte révèle une tout autre réalité. Il instaure une responsabilité en aval, c'est-à-dire à l'échelon de l'attribution des logements sociaux, et non en amont, à l'échelon de la production de logements et, en particulier, du logement très social, dans le cadre du dispositif du prêt locatif aidé d'intégration, ou PLAI.

Si l'article 1er proclame la garantie par l'État d'un droit au logement pour toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, il n'assure un recours effectif qu'à celles dont la demande aura été déclarée prioritaire et urgente par une commission, laquelle statue sans obligation de délai et sans avoir à motiver sa décision, cette dernière n'étant pas susceptible de recours. Ce n'est que dans un second temps que la possibilité de saisir le juge administratif est ouverte.

Autrement dit, les conditions cumulatives posées pour engager un recours juridictionnel - tenant à la personne et aux caractéristiques de sa demande - sont telles que la portée du droit ouvert est largement restreinte. Par ailleurs, le droit ouvert porte sur l'obtention d'un logement ou sur un placement dans une structure adaptée - foyer, hôtel meublé - ou « toute autre forme de logement », formule imprécise ne renvoyant à aucune expression connue.

En outre - et cela n'a échappé à personne -, le seul instrument mobilisable par l'État pour s'acquitter de ces obligations, c'est le contingent de droits à réservation de logements locatifs sociaux dont dispose chaque préfet dans le département. Autant dire que ce n'est pas grand-chose pour satisfaire l'ensemble des besoins, notamment en région parisienne.

Ajoutons à cela que le Gouvernement n'envisage pas la mise en place de mesures exceptionnelles, d'un plan d'urgence en faveur du logement, l'obligeant à produire en nombre des logements très sociaux, à véritablement adapter l'offre à la demande, à mobiliser les logements vacants ou à arrêter les expulsions, ce qui nous amène à conclure que le projet de loi ne permettra pas à lui seul d'atteindre l'objectif qui lui est assigné.

Comment ne pas être réservé quant à la volonté du Gouvernement et à la capacité de l'État à réinvestir le domaine du logement lorsque l'on sait que la panoplie de mesures prises depuis cinq ans...

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