Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 janvier 2020 à 10h05
Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur :

Pour commencer cette nouvelle année, nous examinons ce matin la proposition de loi de Mme Nicole Bonnefoy visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, ces dernières étant, sans doute, l'un des grands défis de la décennie à venir pour nos collectivités comme pour les Français.

Cette proposition de loi fait suite aux travaux de la mission d'information, à laquelle j'ai participé, qui a rendu ses conclusions en juillet dernier. Elle comporte cinq articles issus des propositions de la mission. La commission des finances a délégué au fond les articles 4 et 5 à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, afin que nous puissions nous concentrer sur les dispositions budgétaires et fiscales et celles du code des assurances, qui relèvent traditionnellement des compétences de la commission des finances.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail de la mission d'information, dont le rapport a mis en exergue les immenses difficultés rencontrées par les sinistrés. De la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à l'indemnisation, en passant par la prévention des risques climatiques, ils font souvent face à un véritable parcours du combattant. Comme nous l'ont encore récemment rappelé les inondations dans le Var et les Alpes-Maritimes, lorsqu'une catastrophe naturelle dévaste une résidence principale, ce sont, bien souvent, les économies de toute une vie qui disparaissent, avec une charge affective que chacun d'entre nous peut comprendre.

En reprenant certaines recommandations de la mission d'information, les objectifs de cette proposition de loi sont louables et fondés, à savoir assurer une indemnisation la plus juste et équitable possible, à la hauteur du préjudice subi, avec l'objectif de mieux mobiliser les dépenses affectées à la prévention des risques naturels.

En tant que rapporteur, j'ai souhaité examiner ces dispositions avec trois exigences : premièrement, ces dispositions correspondent-elles à un réel besoin pour les sinistrés ? Deuxièmement, sont-elles opérationnelles, tant pour les sinistrés que les assureurs et les pouvoirs publics ? Troisièmement, leur efficacité est-elle à la hauteur de leur coût pour les finances publiques ?

J'en viens à l'examen des articles 1 à 3 qui relèvent de notre commission.

L'article 1er de la proposition de loi comporte plusieurs dispositions relatives au fonds de prévention des risques naturels majeurs, plus communément appelé fonds Barnier. D'abord, il propose de déplafonner le montant des recettes affectées au fonds. Il est en effet principalement financé par un prélèvement obligatoire de 12 % sur le produit des primes ou cotisations additionnelles payées par les assurés au titre de la garantie contre le risque de catastrophes naturelles. Mais la loi de finances pour 2018 a plafonné l'affectation de ce prélèvement au fonds à 137 millions d'euros par an. Le prélèvement représentant chaque année environ 200 millions d'euros, le surplus est reversé depuis cette date au budget général de l'État.

Le souhait des auteurs de la proposition de loi d'augmenter les recettes du fonds me paraît justifié, pour deux raisons. D'une part, depuis 2016, les dépenses du fonds sont supérieures aux recettes plafonnées, et cette tendance devrait s'accentuer ces prochaines années ; d'autre part, la question de la soutenabilité du fonds se fait jour, alors que sa trésorerie diminuerait de moitié en 2020 par rapport à la fin 2018 et s'élèverait à 114 millions d'euros.

Pour autant, je considère qu'un déplafonnement pur et simple des recettes affectées au fonds n'est pas souhaitable. D'abord, ce déplafonnement relève du domaine exclusif de la loi de finances, car il s'agit d'une disposition qui affecte le budget général de l'État. En pratique, compte tenu de la variabilité des dépenses du fonds, il pourrait également conduire à l'accumulation d'une trésorerie dont résulterait in fine un prélèvement par l'État, comme cela a déjà été le cas par le passé.

Ensuite, il prévoit de supprimer plusieurs plafonnements des sous-actions du fonds Barnier. Or, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, deux amendements identiques en ce sens ont été adoptés par le Sénat à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy et de M. Michel Vaspart. Alors qu'elles ont été conservées dans la loi de finances promulguée, les dispositions afférentes proposées par le présent article sont donc d'ores et déjà satisfaites.

Enfin, cet article entend inscrire dans la loi les missions du Conseil de gestion du fonds de prévention des risques naturels majeurs et en élargir sa composition. Il propose également de renforcer les pouvoirs de ce conseil en lui confiant la détermination d'un objectif pluriannuel pour les dépenses contribuant au financement des études et travaux des personnes physiques et morales.

Je partage les intentions des auteurs s'agissant du pilotage stratégique du fonds, mais je me dois de rappeler que la définition des missions de ce conseil relève non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. Les dispositions proposées sont donc contraires à l'article 41 de la Constitution. D'ailleurs, le décret du 18 décembre 2019 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif a procédé à la fusion du Conseil de gestion avec le Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM), afin de clarifier la gouvernance du fonds.

La fixation d'un objectif pluriannuel de dépenses du fonds ne me paraît pas souhaitable, dès lors que ces dépenses sont difficiles à prévoir plusieurs années à l'avance. La détermination d'objectifs chiffrés pluriannuels sans prise en compte des besoins des territoires ne me semble pas à même d'améliorer la performance du fonds.

S'agissant de l'article 2, il prévoit de garantir une meilleure indemnisation des assurés à la suite de catastrophes naturelles, en agissant sur trois paramètres. Tout d'abord, il propose d'allonger de deux ans à cinq ans le délai de prescription. Concrètement, aujourd'hui, un assuré dispose de deux ans pour réclamer auprès de son assurance l'indemnisation des dommages subis. Ce délai, relativement court, vise à encourager à effectuer les travaux de réparation rapidement, ce qui permet une résilience plus efficace des territoires sinistrés.

Les auditions que j'ai menées en compagnie de Mme Tocqueville ne m'ont pas permis de conclure que l'allongement du délai de prescription était une priorité pour les sinistrés. Le délai de deux ans ne fait pas obstacle, aujourd'hui, à l'indemnisation des dommages. En réalité, la volonté d'allonger ce délai ne paraît justifiée que pour l'indemnisation des dommages liés aux épisodes de sécheresse dont les désordres mettent plusieurs années à apparaître et peuvent s'aggraver au cours du temps. Les délais d'expertise pour ces sinistres sont également particulièrement longs, faute, nous a-t-on dit, de compétence des experts disponibles.

En revanche, l'allongement du délai de prescription pour l'ensemble des dommages liés aux catastrophes naturelles entraînerait une différence de procédures d'indemnisation, pour un même contrat d'assurance, en fonction de la nature de la cause du dommage.

De plus, l'article vise à inscrire dans la loi le fait que l'indemnisation reçue doit « garantir une réparation pérenne et durable, de nature à permettre un arrêt complet et total des désordres ». Les interlocuteurs rencontrés en audition ont tous émis de fortes réserves sur la rédaction de cette disposition. D'une part, sa portée normative semble très limitée et les termes redondants. D'autre part, elle interroge la responsabilité de l'assureur qui, en principe, n'indemnise que le préjudice subi, et qui ne peut pas verser à l'assuré une indemnisation d'un montant supérieur à la valeur vénale du bien.

Les auteurs de la proposition de loi ont souhaité s'assurer que l'indemnisation reçue permette de financer des dépenses efficaces pour la remise en état du bâti, qu'importe si celles-ci sont particulièrement onéreuses. Il s'agit d'éviter que les sinistrés ne subissent une double peine : une catastrophe naturelle qui endommage leur bien, suivie d'une réparation bâclée qui poserait plus de difficultés pour l'avenir qu'elle n'en réglerait. Nous avons surtout à l'esprit les travaux minimalistes entrepris pour réparer les fissures à la suite de l'épisode de sécheresse.

Je ne peux que souscrire à cet objectif, mais, en l'état, la rédaction proposée ne semble pas pleinement opérationnelle et nécessite des aménagements.

Enfin, l'article a pour objet d'intégrer les frais de relogement d'urgence dans le périmètre de la garantie catastrophes naturelles (CatNat). Cette demande est portée de longue date par les associations de sinistrés et a l'appui du secteur assurantiel. Les garanties dites annexes des contrats d'assurance habitation proposent déjà cette prise en charge. Toutefois, elles sont facultatives et d'une durée variable d'un contrat à l'autre. L'article prévoit que la durée de prise en charge soit fixée par décret, ce qui permettrait une harmonisation des pratiques.

L'article 3 vise à créer un crédit d'impôt au titre des dépenses supportées pour la prévention des aléas climatiques. Ce crédit d'impôt s'appliquerait « aux dépenses engagées dans le but d'améliorer la résilience du bâti aux effets des catastrophes naturelles » et s'élèverait à 50 % du montant de ces dépenses. La détermination des conditions d'éligibilité à ce crédit d'impôt est quant à elle renvoyée à un décret.

Les auteurs de la proposition de loi ont souhaité inciter les propriétaires à réaliser des travaux renforçant la résilience du bâti aux effets des catastrophes naturelles et diminuer le reste à charge des particuliers en cas de survenance d'une telle catastrophe. Or, le crédit d'impôt tel que proposé serait très coûteux pour le budget général de l'État. Son taux apparaît en effet particulièrement élevé, alors même que ces travaux sont bien souvent très onéreux. En outre, et ce n'est pas anecdotique, le périmètre des dépenses éligibles n'est pas défini, ce qui aurait pourtant permis d'en limiter l'impact budgétaire.

Je vous rappelle qu'en application du gentlemen's agreement il ne m'est pas possible de vous présenter à ce stade des amendements visant à améliorer ces dispositions sans l'accord du groupe auteur de la proposition de loi. Par conséquent, je vous invite à ne pas adopter, à ce stade, cette proposition de loi au regard des réserves que j'ai exprimées. Il s'agit, vous l'avez bien compris, d'une position d'attente, car je vous présenterai la semaine prochaine des amendements en vue de la séance publique afin d'apporter le maximum d'améliorations aux dispositions proposées. Bien évidemment, cela doit aussi favoriser l'intégration des propositions d'amélioration de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, je vous propose de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi les dispositions relatives aux recettes et aux dépenses du fonds de prévention des risques naturels majeurs, les règles de prescription telles que définies aux articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances, ainsi qu'à l'assurance des risques de catastrophes naturelles relevant des articles L. 125-1 à L. 125-6 du même code et les dispositions relatives à la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

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