Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 8 janvier 2020 à 21h30
La pédopsychiatrie en france — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peu de sujets ont fait l’objet d’autant de rapports publics au cours de la dernière décennie que la psychiatrie. Sénat, Assemblée nationale, IGAS (inspection générale des affaires sociales), missions mandatées par le Gouvernement : chacun a ajouté sa pierre à la production de données et de recommandations sur le sujet de la santé mentale. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la psychiatrie est sinistrée, la pédopsychiatrie encore davantage.

La santé mentale de la population française est très préoccupante, notamment celle des jeunes. Selon une enquête française révélée en avril 2018, les problèmes de santé mentale dans la jeunesse sont en passe de devenir l’un des principaux enjeux de santé publique du XXIe siècle. C’est ainsi que 12, 5 % des enfants et des adolescents seraient concernés en France.

Comme le relève l’IGAS dans un rapport de septembre 2018, la prise en charge pâtit d’un effet ciseaux : la demande de soins psychiatriques ne cesse d’augmenter – elle a doublé en vingt ans –, alors que, dans le même temps, la démographie pédopsychiatrique est défavorable.

Selon le rapport de novembre 2016 de la mission Bien-être et santé des jeunes, la France est le pays européen où l’offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible en termes de patriciens.

Aussi, je tiens à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. En effet, la pédopsychiatrie, et plus globalement la santé mentale des enfants et des jeunes, est à la croisée de politiques publiques qui connaissent actuellement de grandes difficultés, cela a été rappelé par notre collègue : l’organisation de notre système de soins, hôpitaux publics et psychiatrie en tête, la protection de l’enfance, avec l’aide sociale à l’enfance et l’accompagnement des mineurs non accompagnés, mais également les services de la justice et de l’éducation nationale.

Le chantier de la pédopsychiatrie est immense, comme en attestent les cinquante-deux propositions formulées par notre collègue Michel Amiel en 2017.

Ces dernières années, le Gouvernement a tenté de répondre aux enjeux : élaboration d’une feuille de route, nomination d’un délégué interministériel, octroi de 80 millions d’euros en 2019 au secteur, création de dix nouveaux postes de chef de clinique en pédopsychiatrie en 2019, en plus des dix postes créés en 2018.

Dernièrement, Agnès Buzyn a rendu publics les résultats d’un appel à projets, doté de 20 millions d’euros, visant à renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Trente-cinq projets ont été retenus pour améliorer l’offre de pédopsychiatrie dans les territoires les plus en difficulté. Je veux saluer cette prise de conscience et l’engagement du Gouvernement.

En revanche, je regrette l’absence d’une véritable politique coordonnée avec tous les acteurs de la protection de l’enfance, avec les maisons des adolescents, avec les services à domicile, dans tous les départements, et pas seulement les plus en difficulté. Je déplore que l’on ne puisse pas véritablement agir sur ce terrain.

Des projets naissent parfois sur les territoires, mais, faute de professionnels disposant de suffisamment de temps, ils ne se mettent pas en place.

Enfin, lors du dernier PLFSS, nous avons eu peu de possibilités de débattre de l’article 25 du texte, qui visait à faire évoluer le modèle de financement des établissements de soins psychiatriques vers un objectif de dépenses globalisées.

Je ne peux que regretter les conditions d’examen de ce PLFSS, d’autant que notre rapporteure, Catherine Deroche, avait proposé un amendement intéressant en première lecture. Alors que l’Assemblée nationale devait ajouter une pondération spécifique à la dotation populationnelle, se fondant sur des éléments relatifs à la précarité et à la couverture médico-sociale, Mme Deroche voulait y ajouter la prise en compte des soins pédopsychiatriques, ce qui aurait permis de les reconnaître enfin au niveau législatif.

En tant qu’élue départementale, je constate que les services de l’aide sociale à l’enfance et de l’accompagnement des mineurs non accompagnés ne sont pas équipés pour apporter une réponse adaptée aux mineurs victimes de troubles psychiatriques. L’ADF, l’Assemblée des départements de France, estime que près d’un tiers des mineurs confiés à l’ASE requièrent un soutien clinique. Les temps d’attente pour une intervention pédopsychiatrique peuvent aller jusqu’à une année. Or une attention toute particulière doit être apportée à ces jeunes personnes, notamment les mineurs non accompagnés, qui sont malmenés par un parcours migratoire difficile et qui souffrent de pathologies post-traumatiques.

Je sais qu’il existe aujourd’hui des centres qui peuvent prendre en charge ces jeunes, notamment les mineurs non accompagnés, mais ils sont trop éloignés des services de l’aide sociale à l’enfance et il est difficile de programmer des rendez-vous. Dans le cadre de mon rapport d’information sur les mineurs non accompagnés, j’ai pu saisir toute la difficulté de cette prise en charge. Suite à une incohérence juridique, ces derniers sont en effet considérés comme éligibles à l’aide médicale de l’État, réservée aux personnes en situation irrégulière, et non à la protection universelle maladie (PUMa). La non-admission des jeunes migrants non accompagnés à la PUMa a des effets très concrets. Elle les empêche d’accéder aux centres médico-psychologiques, dont les frais ne sont pas couverts par l’aide médicale de l’État. Aussi, ma proposition n° 18 visait à réviser la rédaction du décret et de la circulaire régissant le système de protection des mineurs isolés en faveur de leur éligibilité inconditionnelle à la PUMa.

Enfin, il nous faut réaliser une véritable mobilisation globale de la société en matière de santé mentale.

D’une part, il me semble nécessaire d’agir le plus en amont possible. La prise en charge précoce est essentielle pour limiter l’impact de la pathologie sur la personne atteinte et son entourage, ainsi que sur les finances publiques. Il faut, notamment, renforcer le repérage à l’école, grâce à des formations adaptées aux enseignants et aux encadrants, et sensibiliser davantage les parents, les médecins traitants et les services de PMI sur les signes et les outils disponibles. Il faut surtout agir sur la formation des nouveaux professionnels, car les besoins de compétences sont énormes. Il faut aussi repérer et accompagner les parents vulnérables. En ce sens, le rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant proposait très justement de développer le recours à des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) en périnatalité et prévention de la dépression post-partum, dans un cadre concerté entre PMI, maternité et CAF. Les TISF interviennent au domicile des familles confrontées à des difficultés pouvant affecter l’équilibre de la cellule familiale. Selon le pédopsychiatre Jacques Dayan, « les TISF ont une efficience psychique considérable et peuvent éviter une prise en charge plus lourde ».

D’autre part, il convient d’assurer l’aval, en proposant un véritable parcours de santé mentale qui favorise autant que possible l’ambulatoire. C’est notamment l’objectif du plan Ma santé 2022, qui prévoit une obligation de mise en œuvre des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) d’ici à juillet 2020, en organisant le lien avec les soins de premier recours portés par les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) et les hôpitaux de proximité. Où en est-on sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Serons-nous prêts ? A-t-on également des éléments sur l’extension des formations d’infirmiers de pratique avancée à la psychiatrie cette année ?

En définitive, notre objectif, collectivement, est d’aboutir à une détection plus précoce des pathologies grâce à une politique ambitieuse de prévention et de coordination, de lutte contre la stigmatisation des personnes malades, mais aussi d’accès à la pédopsychiatrie et de développement de la recherche, notamment des neurosciences.

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