Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune technologie ne peut être neutre, car toutes portent en elles une vision du monde.
La délégation à la prospective du Sénat a réfléchi, à la demande de son président, M. Roger Karoutchi, à la question de l’impact sur l’emploi de l’utilisation de plus en plus fréquente de robots et de machines intelligentes dans toutes les sphères d’activité, publiques ou privées.
Le recours à des robots n’est plus l’apanage de la seule industrie pour effectuer des tâches pénibles et répétitives. Nous voyons se déployer rapidement des systèmes automatiques qui réalisent mieux que nous des tâches qui nous étaient jusque-là imparties dans notre activité quotidienne.
Certes, un monde où l’ensemble des tâches, des plus banales, comme conduire une voiture ou faire la cuisine, aux plus complexes, comme analyser une masse de documents, seraient effectuées par des machines, cela relève encore de la science-fiction. Cependant, la révolution des robots est déjà là.
Une technologie joue un rôle important dans ce vaste mouvement vers l’automatisation : l’intelligence artificielle, l’IA. Elle a connu un essor spectaculaire durant la dernière décennie, avec le développement de l’apprentissage automatique ou les réseaux de neurones profonds.
La mise en réseau des informations à travers l’internet et, maintenant, l’internet des objets, la capacité de traiter de gigantesques masses de données : tout cela permet d’affiner le comportement des machines et de les mettre en mesure, à l’instar des robots conversationnels, de réagir à une grande variété de situations.
L’impact de cette révolution technologique sur l’emploi inquiète. Les salariés peuvent-ils être remplacés par des machines ? Ce mouvement a déjà été observé de manière massive sur les chaînes de production industrielle. Il concerne aussi désormais les services : caisses automatiques, applications de recherche de vols et de voyages en ligne, analyse de la solvabilité des emprunteurs par les banques…
Les services ne sont donc pas épargnés par le mouvement d’automatisation des tâches. Or les emplois de service représentent 75 % de l’emploi en France. Même des métiers qualifiés sont touchés : le radiologue est désormais en concurrence avec la machine pour lire avec précision un cliché radiographique, les traders des salles de marché sont remplacés par des ordinateurs effectuant du trading à haute fréquence.
Le rapport Frey-Osborne de 2013 estimait que 50 % des emplois risquaient de disparaître aux États-Unis en vingt ans, sous l’effet de l’automatisation des tâches. Les estimations plus récentes sont moins effrayantes : des travaux laissent penser que seulement de 10 % à 15 % des emplois existants aujourd’hui sont menacés de disparition du fait de l’automatisation. Des compensations paraissent donc possibles au niveau macroéconomique, avec la création d’emplois pour exécuter des tâches non automatisables.
La crainte de voir émerger un chômage technologique de masse ne nous paraît donc pas fondée. Cette hypothèse ne s’est jamais vérifiée dans l’histoire. Les pays les plus robotisés, comme l’Allemagne, le Japon ou la Corée du Sud, sont aussi ceux qui ont le taux de chômage le plus faible.
En revanche, les experts ont une certitude : de très nombreux emplois vont être transformés par l’automatisation. Les compétences attendues des salariés, l’organisation du travail risquent d’être bouleversées assez rapidement par un progrès technologique rapide.
Il ne faut pas croire que, par nature, certaines activités seront épargnées. Nous avons observé que, dans de nombreux domaines – l’agriculture, la logistique et les transports, la sécurité et la défense, les services financiers, le commerce, les loisirs, l’énergie, l’environnement, les services juridiques et même le soin et l’accompagnement des personnes âgées –, les robots se diffusent, parfois pour améliorer l’efficacité du travail humain, mais parfois aussi pour le remplacer en automatisant des tâches. Dans les transports, la perspective du véhicule autonome conduit à envisager la fin des métiers de chauffeur routier ou de taxi.
Ne croyons pas non plus que des services à forte dimension relationnelle ne soient pas automatisables, au moins en partie : l’accueil dans les hôtels ou l’animation d’un atelier dans une maison de retraite peut être confié à un robot, une procédure administrative peut être remplacée par une téléprocédure.
Le plus grand risque d’automatisation pèse sur les emplois intermédiaires : comptables, assistants juridiques, personnels administratifs gèrent des procédures assez normées facilement exécutables par des machines. Leur savoir-faire, une fois « encapsulé » dans des algorithmes, ne leur appartient plus et se trouve transféré aux machines. De tels salariés sont appelés à évoluer rapidement vers des tâches nouvelles, qui ne sont pas confiées à des machines pour des raisons techniques ou économiques, faute de quoi ils perdront leur emploi.
Tout est plus incertain, et une question fondamentale nous est posée : sera-t-on capable de répondre à ce besoin d’adaptation ?
Ne versons pas dans le pessimisme, et préparons-nous à ce changement, préparons-nous à une robotisation heureuse !