Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier nos collègues André Reichardt et Philippe Mouiller, du groupe Les Républicains, qui ont souhaité l’examen en séance de cette convention, ce qui nous permet d’aborder la situation dramatique du Burkina Faso.
Comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, les conventions que nous examinons ce matin visent à actualiser le cadre juridique de la coopération franco-burkinabée dans les domaines de l’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition. Le cadre en vigueur, défini en 1961, est devenu obsolète et appelle une révision destinée à y inclure des dispositions plus adaptées au contexte et aux enjeux actuels. La justice française est par ailleurs confrontée à une certaine lenteur des autorités burkinabées à accorder l’entraide judiciaire, ce qui, dans la plupart des cas, vide les demandes de leur substance.
Afin de pallier le défaut de diligence de certains États, la France a entrepris la négociation de nouvelles conventions avec les pays de la bande sahélo-saharienne. Cette démarche a permis la conclusion des présentes conventions avec le Burkina Faso, ainsi que d’instruments similaires avec le Niger, que le Sénat a approuvés le mois dernier. Les négociations conduites à cette fin avec le Mali devraient également aboutir dans les mois à venir.
Les demandes d’entraide judiciaire émanant de nos autorités concernent principalement des dossiers très sensibles, comme des attentats ou des enlèvements de personnes. La triste actualité nous a rappelé à quel point cette région était dangereuse pour les populations locales, mais aussi pour nos compatriotes, et ce depuis plusieurs années déjà. Tout le monde a probablement en mémoire la double attaque djihadiste du 2 mars 2018 qui a frappé l’ambassade de France et l’Institut français de Ouagadougou, ou encore l’opération de récupération d’otages français qui a coûté la vie à deux militaires du commando Hubert le 9 mai 2019. Depuis 2015, le terrorisme a fait environ 750 morts dans le pays et plus d’un demi-million de déplacés.
L’ensemble du territoire burkinabé est désormais déconseillé aux voyageurs par le Quai d’Orsay tant la situation sécuritaire, déjà très préoccupante, se dégrade au fil des semaines.
Les zones frontalières du Mali, du Niger, du Togo et du Bénin font l’objet d’une vigilance soutenue eu égard aux risques très élevés d’enlèvement dans ces régions où les factions terroristes se jouent des frontières poreuses.
Les risques pour nos compatriotes sont réels : plus de 3 600 d’entre eux vivent au Burkina Faso et quelque 10 000 Français s’y rendent chaque année, alors que la situation s’enlise et que le ressentiment envers la présence militaire française sur place, pourtant essentielle au maintien d’une certaine stabilité, ne fait que s’accroître.
Des intérêts étrangers ont par ailleurs été visés en novembre dernier. En effet, une embuscade contre un convoi transportant des employés d’une société minière canadienne a fait une quarantaine de morts et une soixantaine de blessés.
Outre les actes terroristes et les enlèvements de personnes, les pays du Sahel sont confrontés à plusieurs types de trafic qui peuvent avoir des répercussions sur notre pays, comme le trafic de stupéfiants ou encore le trafic d’êtres humains à travers les réseaux de passeurs clandestins.
À ce titre, il est important de rappeler l’imbrication du terrorisme et de la grande criminalité : en tissant des liens avec les narcotrafiquants, les groupes terroristes participent, directement ou indirectement, à ces trafics, qui constituent pour eux une source de financement importante. Par conséquent, le renouvellement du cadre conventionnel vise principalement à lutter contre le terrorisme, son financement et ses conséquences pour les intérêts français dans la région, en renforçant la coopération bilatérale. Cela permettra de fluidifier les échanges entre les parties et d’assurer ainsi une meilleure exécution des demandes d’entraide, notamment lorsqu’il s’agit d’enquêtes visant des infractions terroristes.
Pour ce faire, la nouvelle convention d’entraide judiciaire organise de façon claire les modalités de communication entre les parties, notamment dans les cas les plus urgents, et définit plus précisément les délais d’exécution des demandes.
Elle prévoit en outre la possibilité de recourir à des techniques spéciales d’enquête comme les opérations d’infiltration, les interceptions de télécommunications ou encore les livraisons surveillées, qui consistent à laisser passer certains convois de drogues pour permettre l’identification et l’arrestation des commanditaires ou des destinataires du trafic, sans se contenter des seuls convoyeurs.
Le texte offre enfin de larges possibilités en matière de gel des avoirs et de confiscation des produits et instruments des infractions.
Le Burkina Faso se dote actuellement des outils nécessaires à la mise en œuvre des techniques précitées. Ses magistrats ont été formés à la judiciarisation de ces crimes, notamment par la France, dans le cadre de programmes de coopération. « L’appui au retour de l’État » est d’ailleurs l’un des quatre piliers du nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel défini par les chefs d’État lors du sommet de Pau sur la situation dans l’espace du G5 Sahel.
S’agissant, à présent, de la convention d’extradition, le texte retenu correspond au projet soumis par la partie française. Cette convention respecte donc parfaitement nos standards juridiques nationaux et internationaux.
Ainsi, les demandes d’extradition seront systématiquement refusées si elles concernent des infractions politiques ou des raisons tenant aux opinions politiques, à la nationalité ou à la religion de la personne demandée. Lorsque l’infraction est passible de la peine capitale, la demande sera systématiquement refusée. Il faut souligner à ce titre que le Burkina Faso a récemment aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun à la faveur d’une réforme de son code pénal. Toutefois, le code de justice militaire prévoit toujours l’application de la peine capitale pour certains crimes.
En matière d’extradition, le volume de demandes est très faible. Au cours des dix dernières années, la France et le Burkina Faso ont ouvert six dossiers, qui, pour l’heure, n’ont pas abouti la remise des personnes aux autorités requérantes. L’une de ces demandes mérite néanmoins d’être signalée, celle qui concerne l’extradition de François Compaoré, frère de Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso de 1987 à 2014.
François Compaoré a été arrêté le 29 octobre 2017 à l’aéroport de Roissy sur le fondement d’un mandat d’arrêt émis par un juge d’instruction investiguant sur les assassinats, en 1998, de Norbert Zongo, journaliste, et de ses trois compagnons de voyage. En juin dernier, la Cour de cassation a écarté la question prioritaire de constitutionnalité posée par l’intéressé et a rejeté le pourvoi qu’il avait formé contre l’avis favorable de la chambre de l’instruction. À la lumière de ces arrêts, un décret du Premier ministre accordant l’extradition est en cours de rédaction.
L’ambassadeur du Burkina Faso nous a indiqué que cette décision d’extradition était très attendue par la population burkinabée. Selon lui, il s’agit d’un acte important, de nature à apaiser les ressentiments qui s’expriment actuellement à l’encontre de notre pays, comme le fut la décision du Président de la République, Emmanuel Macron, de déclassifier les archives portant sur l’assassinat de Thomas Sankara. L’un des défis qui se posent aujourd’hui au gouvernement burkinabé est d’ordre mémoriel. Cette décision était heureuse à cet égard ; l’extradition de François Compaoré le sera tout autant.
Mes chers collègues, ces nouvelles conventions répondent au souhait émis par les autorités françaises d’une coopération plus efficace avec le Burkina Faso dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Elles n’impliquent aucune adaptation de nos dispositions législatives ou réglementaires.
À la lumière de ces observations, je préconise donc l’adoption de ce projet de loi, voté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.