Intervention de François Bonhomme

Réunion du 6 février 2020 à 14h30
Propagande électorale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi d’Emmanuel Capus a été déposée en quelque sorte en réaction aux élections européennes de mai dernier. Elle vise à mieux accompagner les maires dans la gestion de la propagande électorale, alors que beaucoup ont manqué de panneaux pour apposer les affiches des trente-quatre listes – pas moins ! – de candidats.

L’obligation d’installer des panneaux électoraux remonte à une loi bien lointaine, datant de 1914. Il s’agissait déjà, à l’époque, de garantir une certaine équité entre les candidats. Le rapporteur du Sénat, Alexandre Bérard, critiquait ainsi « la multiplicité des affiches », qui donnait aux « candidats riches une supériorité […] inique, relativement à leurs concurrents moins fortunés ».

Ces panneaux métalliques sont aujourd’hui installés pour l’ensemble des scrutins, à l’exception des élections sénatoriales. Comme pour la tenue des bureaux de vote, les communes agissent au nom de l’État, qui leur verse en contrepartie une dotation pour frais d’assemblée électorale.

Tous les candidats bénéficient d’une surface identique pour apposer leurs affiches. L’État rembourse les dépenses des candidats ayant recueilli un nombre suffisant de voix, généralement fixé à 5 % des suffrages exprimés.

Or, comme chacun a pu le constater, beaucoup de communes ont manqué de panneaux électoraux lors des dernières élections européennes. De nombreux articles de presse ont évoqué une « pénurie de panneaux », un « casse-tête logistique » ou encore des maires contraints de « bricoler » pour sortir de l’impasse.

Je rappelle que les maires ont eu moins de dix jours pour trouver des solutions, incluant deux week-ends et un jour férié. En l’absence de rallonge financière du Gouvernement, ils ont dû recourir au « système D » en scindant leurs panneaux en deux parties, en fabriquant leurs propres panneaux ou en délimitant de nouveaux emplacements sur les murs des bâtiments publics.

Cette situation paraît d’autant plus absurde que nombre de panneaux sont restés inoccupés. D’après les professionnels de l’affichage, sur les trente-quatre listes de candidats aux élections européennes, seule une quinzaine de listes ont apposé des affiches sur la plupart de leurs emplacements.

En pratique, certains candidats n’impriment qu’un nombre réduit d’affiches, notamment lorsqu’ils ne pensent pas atteindre le seuil de remboursement de leurs dépenses. D’autres rencontrent des difficultés matérielles pour « approvisionner » les panneaux, malgré l’aide des militants.

Avant d’évoquer la proposition de loi, madame la ministre, je souhaiterais dire un mot sur ce que je considère comme le « péché originel » ayant conduit à ce casse-tête des élections européennes.

À mes yeux, le retour à la circonscription unique a encouragé la multiplication des listes de candidats et créé des difficultés matérielles, qui n’ont pas été suffisamment anticipées. Par une sorte d’effet d’aubaine, il suffisait de trouver soixante-dix-neuf colistiers pour s’inviter dans une campagne de niveau national et bénéficier des moyens de propagande.

J’ai pu observer, comme beaucoup d’autres, que les électeurs étaient totalement perdus face à cette profusion de candidatures. Difficile, en effet, de s’y retrouver entre trente-quatre listes de candidats comportant, au total, 2 686 noms !

Si j’évoque ce point, madame la ministre, c’est que je me rappelle tout de même de notre discussion du printemps 2018, lorsque vous défendiez le projet de loi visant à passer à une circonscription unique pour ces élections. Dans vos propos liminaires – les souvenirs que j’en ai sont encore frais –, vous faisiez valoir tout l’avantage de cette évolution en termes d’intelligibilité du scrutin. À l’aune de ce qu’il s’est passé par la suite, cette affirmation n’a rien d’évident.

La présente proposition de loi aborde le problème sous un angle différent, en cherchant à rationaliser l’utilisation des panneaux électoraux. La commission des lois y est favorable : l’intervention du législateur peut permettre, je l’espère, de mieux accompagner les maires et d’éviter ainsi de s’en remettre au « système D ». Elle a donc adopté la proposition de loi, tout en sécurisant son dispositif et en préservant la liberté d’expression des candidats, qui constitue, je le rappelle, un droit de valeur constitutionnelle. Elle a également différé l’entrée en vigueur des dispositions du texte, pour éviter toute interférence avec les prochaines élections municipales.

Au titre du premier mécanisme proposé, les candidats devraient préciser, dans leur déclaration de candidature, s’ils souhaitent ou non utiliser leurs emplacements. Le « droit aux panneaux » ne serait pas remis en cause pour autant. Tous les candidats pourraient en bénéficier, à condition d’en faire la demande en amont de la campagne. L’objectif est simple : éviter d’installer des panneaux inutiles, que les candidats ne souhaitent pas utiliser.

Par ailleurs, la commission a supprimé le dispositif de sanction, qui lui paraissait à la fois complexe à mettre en œuvre pour les maires et disproportionné pour les candidats. Elle a privilégié un système de déclaration sur l’honneur, qui reposera sur la bonne foi des candidats.

Nous avons également instauré un « droit au remords ». Chaque candidat pourra solliciter l’installation de panneaux électoraux jusqu’au vendredi précédant le scrutin. Cette souplesse s’adresse aux candidats qui – cela peut arriver – modifient leur stratégie électorale dans la dernière ligne droite, selon les financements recueillis.

S’agissant spécifiquement des élections européennes, nous avons ajusté le calendrier du scrutin pour que les communes disposent d’une semaine supplémentaire pour installer leurs panneaux.

Initialement, le deuxième mécanisme prévu dans la proposition de loi prévoyait de réduire de moitié le nombre et la dimension des affiches lorsque les panneaux électoraux sont utilisés par plus de quinze candidats. Ce dispositif soulevait toutefois quelques difficultés opérationnelles : pour des raisons calendaires, la taille des affiches ne peut pas être modifiée à quelques jours du scrutin.

Dans un souci de compromis, la commission a proposé un mécanisme plus souple, consacrant la possibilité pour le maire d’adapter les dimensions des panneaux électoraux en fonction des circonstances locales. Nous y reviendrons avec l’examen de l’amendement de notre collègue Stéphane Piednoir.

Je souhaiterais, de manière transversale, rappeler aussi l’attachement du Sénat à la propagande électorale sous format papier. La matérialité du vote, par sa dimension solennelle, est essentielle pour la vie démocratique de notre pays. À l’inverse, la dématérialisation n’est pas de nature à améliorer la participation des citoyens les plus âgés ou vivant encore dans des zones blanches. Le Gouvernement semble d’ailleurs avoir renoncé à cette idée, après trois échecs consécutifs devant le Parlement. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez nous confirmer cet élément.

À la suite de mes auditions, je dois alerter le Sénat sur les conditions d’organisation des élections régionales et départementales de mars 2021. En effet, les professionnels du secteur, que j’ai reçus avec Alain Richard, ont exprimé leurs très grandes inquiétudes face à la concomitance de ces deux scrutins.

Imprimeurs, afficheurs, routeurs, tous doutent fortement de leur capacité à mettre sous pli et envoyer en temps et en heure l’ensemble des documents de propagande. Leurs inquiétudes concernent surtout le second tour : pour ces deux scrutins, les candidatures seront déposées le mardi soir, les commissions de propagande devront se réunir le mercredi et les envois devront être réalisés, au plus tard, le jeudi ou le vendredi. Peu réaliste, ce calendrier représente un risque pour l’acheminement des professions de foi jusqu’aux citoyens. Je profite donc de cette séance publique, madame la ministre, pour interroger le Gouvernement sur les mesures qu’il compte mettre en œuvre pour éviter un nouveau casse-tête dans la distribution de la propagande.

Sans préjudice de ces observations d’ordre général, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter le texte d’Emmanuel Capus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion