Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 10 février 2011 à 14h45
Adaptation au droit de l'union européenne en matière de santé de travail et de communications électroniques — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Madame la secrétaire d’État, je ne doute pas que le sujet des communications électroniques vous passionne. Je vais m’efforcer, au nom de la commission de l’économie, d’être synthétique.

Comme l’a dit Mme le rapporteur, en règle générale, les parlementaires sont toujours un peu méfiants lorsqu’il s’agit d’autoriser un gouvernement, quel qu’il soit, à prendre par ordonnance des dispositions législatives, puisque celui-ci se substitue en définitive au pouvoir législatif.

Pour ce projet de loi de transposition, notamment pour ce qui concerne les dispositions relatives aux communications électroniques, l’utilisation de cette procédure ne me choque absolument pas. En effet, de bonnes raisons le justifient et de vraies garanties ont été posées.

Au rang des bonnes raisons, figure d’abord le fait qu’il s’agit d’un texte très technique.

La deuxième raison est le délai très court fixé pour la transposition, puisqu’il s’achèvera le 25 mai prochain.

Enfin, la troisième raison est le peu de marge de manœuvre laissée aux États membres pour la transposition en ce qui concerne cette partie du texte.

Dans le même temps, des garanties ont été prises dans la mesure où, , il y aura le projet de loi de ratification : nous aurons toujours le pouvoir de l’amender et nous vérifierons scrupuleusement ce qui aura été fait par le Gouvernement entre-temps.

C’est donc le troisième « paquet télécoms » qui nous est proposé.

Le premier, dans les années quatre-vingt-dix – certains s’en souviennent sans doute – avait ouvert à la concurrence ce secteur important pour notre économie, la libéralisation du marché étant intervenue le 1er janvier 1998. C’était un texte de rupture.

Le deuxième paquet télécoms avait posé le cadre juridique de l’économie numérique. La France l’avait transposé au travers de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. C’est une loi très importante, et pas seulement pour les spécialistes, une loi fondatrice pour l’économie numérique, à l’image de ce que fut, pour les médias, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Ce troisième paquet télécoms, pour ce qui concerne la partie relative aux communications électroniques, ne constitue pas – loin de là – une rupture. Il s’agit plutôt d’un approfondissement, même si ce texte aborde des sujets nouveaux qui, pour autant, n’en sont pas moins importants.

Au titre de l’approfondissement, je voudrais essentiellement souligner le renforcement des pouvoirs du régulateur.

D’abord, il y a l’affirmation d’une meilleure coordination à l’échelon européen, dans le cadre d’une fédération des régulateurs nationaux. Elle aura beaucoup plus de poids que celle qui pouvait prévaloir auparavant dans le cadre de l’Organe des régulateurs européens des télécommunications, l’ORET.

Ensuite, de nouveaux pouvoirs seront confiés au régulateur en matière de sanction et de régulation asymétrique. J’évoquerai également ces nouveaux pouvoirs à propos de la neutralité des réseaux, sujet fondamental à mes yeux.

Enfin, il y a aussi une exigence rehaussée en matière d’indépendance et d’impartialité, et je sais que, à l’article 13, mes chers collègues, nous ne manquerons pas d’en discuter.

Sur la régulation, il faut se féliciter, car c’est important, de ce que l’objectif de la concurrence ne soit plus l’alpha et l’oméga, et que ce paquet télécoms propose en même temps comme objectif au régulateur de garantir la capacité des entreprises à investir. En cela, il conforte ce que j’appellerai la « régulation à la française », dont la finalité dépasse le seul droit de la concurrence et prend en compte d’autres objectifs de politique publique. Outre l’investissement, cela peut être aussi l’aménagement du territoire.

Je ne dresserai pas la liste exhaustive de tous les sujets nouveaux abordés dans ce projet de loi, me bornant à en évoquer trois.

Le premier est la sécurité des réseaux. Au fur et à mesure de l’évolution vers la maturité de l’économie numérique, cette préoccupation est devenue fondamentale.

Le deuxième sujet qui s’impose est la protection des consommateurs, absente du premier paquet télécoms, peu présente lors de la transposition du deuxième paquet et très présente sur ce troisième paquet, signe des temps et d’une évolution qui est, là encore, extrêmement forte.

Il convient de noter l’obligation faite aux opérateurs de donner une meilleure information aux usagers, aux consommateurs.

Il importe aussi de souligner la facilitation du changement d’opérateur avec la fameuse portabilité du numéro, rendue possible pour la téléphonie mobile et qui devrait normalement l’être un jour – mais j’en doute encore – pour le téléphone fixe.

Il faut en outre remarquer le renforcement de l’obligation du consentement préalable pour les internautes – c’est le problème des cookies –, notamment pour tout ce qui concerne la prospection commerciale.

Le troisième sujet nouveau, je le disais tout à l’heure, est fondamental, c’est la neutralité d’internet. C’est une vraie question, largement débattue, sur laquelle le Gouvernement a rendu cet été un rapport important. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a formulé dix recommandations. Des initiatives parlementaires ont été prises, notamment par la commission de la culture et la commission de l’économie du Sénat. Mme Catherine Morin-Desailly et moi-même avons organisé une table ronde à l’automne dernier, et la Commission européenne doit prochainement remettre un Livre blanc sur le sujet.

Il s’agit donc d’une question fondamentale et porteuse d’avenir, mais deux risques symétriques sont présents.

Le premier est la congestion, voire l’embolie des réseaux, compte tenu de l’explosion extraordinaire du trafic. Le trafic par utilisateur double environ tous les deux ans. Ainsi, en 2009, au niveau planétaire, le surcroît de capacité que les opérateurs ont apporté sur le marché est l’équivalent de toutes les capacités qui existaient en 2007.

L’autre risque est le verrouillage de l’accès aux contenus, aux services, aux applications puisque, sous prétexte de gestion du trafic, certains pourraient être tentés par des mesures qui ne seraient ni plus ni moins que du blocage ou, en tout cas, qui ne faciliteraient pas l’accès à internet. Internet, selon moi mais c’est aussi le point de vue de la commission, doit rester un bien stratégique collectif et, en ce sens, demeurer un réseau ouvert.

Il faut se féliciter de ce que le troisième paquet télécoms innove à plusieurs titres sur le sujet de la neutralité.

Premièrement, le principe de la neutralité est consacré comme objectif de régulation.

Deuxièmement, le régulateur se voit attribuer de nouveaux moyens pour faire respecter le principe de la « Net-neutralité ». Des obligations de transparence sont fixées aux opérateurs pour ce qui concerne les pratiques de gestion du trafic. Par ailleurs, le régulateur aura un double pouvoir : celui de fixer une exigence minimale de qualité de service, et il conviendra de s’interroger, par exemple, sur le sens de l’expression « offre illimitée » ; celui de régler par arbitrage les différends opposant opérateurs de réseaux, fournisseurs d’accès, à des fournisseurs de contenus, des prestataires de services internet.

Ces mesures sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. C’est la raison pour laquelle la commission de l’économie a souhaité introduire une disposition majeure pour conforter la neutralité des réseaux, en ajoutant aux objectifs de régulation de l’ARCEP le principe essentiel de la non-discrimination. C’est une mesure simple, plutôt consensuelle, ce qui est rare lorsque l’on traite de ce sujet, mais elle est susceptible de régler, nous le pensons, une très large partie des problèmes relatifs à la Net-neutralité.

Enfin, la commission a beaucoup travaillé sur le régime des noms de domaine pour répondre à la censure du Conseil constitutionnel. Ce dernier a en effet considéré, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, que le législateur n’avait pas suffisamment encadré les règles d’attribution des noms de domaine.

En conclusion, mes chers collègues, ce texte n’est pas une révolution. La vraie révolution, vous le savez, c’est la révolution numérique, qui a toujours un temps d’avance sur les directives et sur les lois nationales. Cela doit nous inciter à être bien sûr modestes, mais en même temps volontaristes, afin que notre pays puisse tirer le meilleur profit en termes d’emploi, d’économie et de culture de cette belle révolution du numérique.

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