Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 10 février 2011 à 21h30
Adaptation au droit de l'union européenne en matière de santé de travail et de communications électroniques — Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à transposer, dans l’urgence, un certain nombre de directives communautaires en droit national. Il s’ajoute à une série de textes nécessaires à la transposition des directives par voie de projets de loi, de propositions de loi et d’amendements, et ce dans des conditions qui ne permettent pas la tenue d’un débat satisfaisant.

Ce projet de loi amène plusieurs remarques. Nous nous trouvons en présence d’un texte « fourre-tout », désordonné et indigeste, qui amalgame des dispositions très diverses et ne facilite pas leur lisibilité par le Parlement.

Pour couronner le tout, il nous est proposé en procédure accélérée pour pallier le retard important de transposition de certaines directives et éviter les sanctions financières encourues de la part de la Cour de justice de l’Union européenne. Ces directives sont au nombre de cinq. Mais nous nous attacherons principalement à la transposition de la directive Services, qui concerne les articles 1er à 4 et 6 à 8.

Rappelons que, d’inspiration libérale, le droit européen encadre étroitement l’intervention de l’État et des collectivités territoriales dans la vie économique et sociale. Aussi peut-on se demander légitimement s’il n’est pas susceptible d’entraîner un démantèlement des services, notamment des services publics.

Pourtant, des marges de manœuvres juridiques et politiques existent, et il revient à chaque État membre de définir, en fonction du modèle de société qu’il souhaite promouvoir, un certain nombre de services d’intérêt économique général en aménageant le droit à la concurrence dans des secteurs d’activité qu’il ne souhaite pas voir régis par les lois du marché.

Or on peut s’étonner que le Gouvernement ne se soit pas saisi de cette possibilité. De fait, il en résulte qu’un certain nombre de services sont aujourd’hui confrontés à une situation d’insécurité juridique dommageable. Au premier contentieux impliquant le droit ou les autorités communautaires, la légalité des aides ou subventions que ces services reçoivent pourrait être remise en cause. Ce sont tout de même des milliers d’emplois qui sont en jeu !

Nous le savons tous, l’application de la directive sur la libre circulation des services ne peut manquer d’avoir des conséquences importantes, notamment parce que les États membres effectuent en moyenne deux tiers de leurs échanges dans le marché intérieur, et que les services représentent à eux seuls 70 % du produit intérieur brut de l’Union.

Certes, me direz-vous, des textes communautaires existaient déjà avant cette directive dans le domaine des services, mais, bien entendu, aucun d’entre eux n’avait une portée générale. La Commission européenne a donc souhaité élaborer un texte « horizontal », englobant l’ensemble des services quel que soit leur secteur d’activité. Mais le Parlement européen a profondément remanié le texte, en rejetant notamment le principe du pays d’origine, qui pouvait – il est vrai – représenter un risque important de dumping social et juridique.

À une très large majorité, le Parlement européen a également souhaité exclure un certain nombre de domaines du champ de la directive, dont celui de la santé, des services sociaux, afin de leur garantir une réelle protection. Tout simplement parce que, pour les citoyens européens, ces services de proximité revêtent pour eux un caractère essentiel, et ce à double titre : pour faciliter leur vie quotidienne et pour garantir leur droit fondamental à la dignité et à la sécurité.

Ces exclusions, relativement larges, laissaient aux États membres une grande marge d’appréciation.

Il faut également le rappeler, à la suite de la polémique autour du droit applicable dans le cadre de la liberté d’établissement, la directive Services a fait l’objet d’un compromis défendu par la députée européenne socialiste Evelyne Gebhardt et d’une nouvelle rédaction des articles litigieux. Il est ainsi précisé que la directive ne s’applique que dans la mesure où elle n’oblige les États membres « ni à libéraliser les services économiques d’intérêt général, ni à privatiser des entités publiques [proposant de tels services], ni à abolir les monopoles existants ».

Telle que définie, la directive a été définitivement adoptée le 12 décembre 2006 et les vingt-sept États membres avaient jusqu’au 28 décembre 2009 pour la transposer en droit national.

Or, plusieurs pays de l’Union ont choisi d’adopter une loi-cadre pour ce faire. Ce mode de transposition a permis la tenue d’un débat général sur la directive Services et ses implications. Cela n’a malheureusement pas été le cas en France, nous le voyons encore aujourd’hui.

Contrairement à la majorité des États membres, le Gouvernement français a choisi une transposition sectorielle, et essentiellement réglementaire. Cette méthode présentait l’énorme avantage, pour lui, d’évacuer les difficultés politiques. Elle avait cependant l’inconvénient d’être difficilement lisible pour le Parlement ainsi que pour les collectivités territoriales, également touchées par les réformes.

À plusieurs reprises, les socialistes ont demandé que le Gouvernement élabore une loi-cadre pour transposer les principes de la directive afin d’assurer la transparence, ce qui se justifiait notamment par le fait qu’une telle directive était emblématique d’une certaine construction de l’Europe.

Le Gouvernement n’a pas souhaité donner suite à cette demande. En faisant le choix de ne pas rendre public le débat relatif à la directive Services adoptée en 2006, il a privilégié une approche exclusivement technique, écartant, de fait, le Parlement de la discussion.

Pourtant, au nom de la concurrence libre et parfaite, le traité européen interdit, en principe, que des activités de services ou de production bénéficient d’aides d’État. Toutefois, les services d’intérêt économique général pouvaient bénéficier, sous certaines conditions, de dérogations à ce régime, prévues dans le « paquet Monti-Kroes ». Pour ce faire, les États membres devaient remettre, en décembre 2009, un rapport notifiant leurs dérogations.

Ainsi, en janvier 2010, c’est-à-dire après le délai légal de mise en conformité avec le droit européen, la France a transmis à la Commission européenne un rapport prenant la forme de fiches élaborées par les ministères concernés et validées par la mission interministérielle. Or, lors de la discussion de la proposition de loi de Roland Ries relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive Services, à la fin du mois de mars 2010, le Gouvernement a refusé, dans un premier temps, la communication de ces fiches au Sénat, comme il l’avait refusée à l’Assemblée nationale. Cette pratique, ni légale ni légitime, bafoue, encore une fois, les prérogatives politiques du Parlement.

Après maintes interventions, ces fiches ont fini par nous parvenir, quelques heures seulement avant le démarrage des débats dans l’hémicycle. Nous avons notamment appris à leur lecture que les services d’aide à domicile auprès des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées n’étaient pas exclus du champ de la concurrence, contrairement aux établissements médico-sociaux, lesquels reçoivent pourtant le même public !

Nous retrouvons ces contradictions dans ce projet de loi. Nous en citerons deux.

D’une part, l’article 3 relatif à l’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux propose de modifier le régime d’habilitation des 38 000 établissements médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d’exercer de manière temporaire et occasionnelle en France une évaluation externe de ces établissements.

La modification proposée consiste à ne plus exiger de ces organismes établis dans un autre État membre qu’une simple déclaration d’activité, alors qu’il leur faut actuellement établir un dossier pour obtenir une habilitation.

Franchement, de quelles assurances dispose-t-on pour s’assurer que les organismes d’évaluation d’autres États ont une connaissance approfondie non seulement de la législation sociale française encadrant les établissements médico-sociaux, mais aussi de la réglementation concernant les publics fragiles ?

D’autre part, j’évoquerai l’article 8 concernant la mise en œuvre de la directive Services pour les agences de mannequins.

Pour pouvoir exercer son activité, une agence de mannequins doit obtenir une licence – y compris pour une prestation exceptionnelle –, qui garantit qu’elle respecte le régime des incompatibilités professionnelles avec un certain nombre de prescripteurs de prestations, afin de réduire les risques de pression sur les jeunes, du fait de leur vulnérabilité.

Or cet article autorise les agences établies dans un État membre à exercer leur activité en France, de manière temporaire et occasionnelle, après une simple déclaration préalable d’activité et supprime donc les incompatibilités professionnelles qui avaient un caractère protecteur. En conséquence, l’interdiction de prêt de main-d’œuvre et la présomption de salariat pour les mannequins exerçant en libre prestataire ne s’appliquent plus.

Compte tenu des conditions d’exercice de la profession de mannequin et du public spécifique qui la pratique, on aurait pu penser que le Gouvernement invoquerait des raisons impérieuses d’intérêt général pour maintenir les dispositions protectrices existantes.

Ces deux exemples montrent malheureusement que le Gouvernement n’a pas saisi, dans le cadre de la transposition, les éléments positifs introduits par le traité de Lisbonne et n’a pas utilisé la large latitude que l’article 14 de ce traité et le protocole additionnel n° 26 confèrent aux États membres pour apprécier ce qui relève ou non de services devant être protégés de la concurrence.

Le Gouvernement propose, au contraire, une déréglementation des services et la fin de la sécurisation et de la consolidation des services d’intérêt général, ceux qui garantissent la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons déposé des amendements de suppression des articles de déréglementation, dont un certain nombre ont été soutenus par la commission des affaires sociales. Espérons que les débats, dans cet hémicycle, nous permettent de prévoir des solutions emblématiques de la construction d’une Europe sociale et d’un Gouvernement respectueux de ses institutions, en accord avec nos concitoyens.

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