Trois sujets vont être évoqués ce matin. Le premier concerne le Parquet européen, plus exactement la manière dont il sera intégré dans notre système judiciaire. Le deuxième porte sur les juridictions spécialisées : vous serez amenés à examiner plusieurs points particuliers, notamment concernant le parquet national antiterroriste, le parquet national financier et la création de pôles spécialisés dans chaque cour d'appel en matière de droit de l'environnement, avec la mise en place de conventions judiciaires d'intérêt public. Le troisième est l'examen d'un certain nombre de mesures diverses.
Parmi celles-ci, notons la question des réquisitions données par les procureurs aux officiers de police judiciaire, au titre de l'article 77-1 du code de procédure pénale, la création d'un délit touchant le secteur des transports collectifs, en particulier le métro et le RER, et une problématique concernant le financement du fonds issu de la loi dite « Macron » de 2015 qui concerne les professions de notaires et d'huissiers de justice. Pour éviter toute redondance et ne pas trop vous lasser, je traiterai ces questions lors de l'examen de certains de mes amendements, et non dans mes propos introductifs, concentrant donc ces derniers sur les deux premiers sujets.
S'agissant du Parquet européen, pardonnez-moi d'être quelque peu discourtois sur le plan intellectuel, mais je sauterai directement à la conclusion : au regard de sa construction, comme de la façon dont il sera intégré dans notre système judiciaire, c'est une bonne surprise ! Pour une fois, nous sommes face à un dispositif relativement simple et pragmatique, sur lequel, d'ailleurs, le Conseil d'État n'a formulé aucune observation critique.
Ce Parquet européen est le fruit d'une longue discussion - l'idée remonte à plus de dix ans -, ayant connu deux épisodes principaux.
En 2013, on envisage la création d'un Parquet européen très intégré, avec un chef du Parquet et des magistrats européens. Cette proposition fait alors l'objet de vives critiques au regard du principe de subsidiarité, notamment de la part du Sénat - de vous-mêmes, mes chers collègues -, qui brandit à l'encontre de la Commission européenne un « carton jaune ». Quatorze autres parlements font de même, ce qui oblige la Commission à revoir sa copie.
Après quatre années de négociation, une directive est adoptée en 2017, transposée en droit français par une ordonnance du 18 septembre 2019, pour définir une liste d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne, ainsi que le règlement instituant le Parquet européen.
Le Parquet européen est compétent sur les seules atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne définies par la directive, dite directive « PIF ». Son champ d'intervention est donc limité. Pour l'essentiel, seront concernées les infractions en matière de TVA, et encore ces dernières devront-elles porter sur des montants supérieurs à 10 millions d'euros et mettre en jeu au moins deux États. La Chancellerie a repéré 43 dossiers susceptibles d'entrer dans son champ pour notre pays, et l'on estime qu'en rythme de croisière, ce chiffre pourrait atteindre 60 à 100 dossiers.
Le Parquet européen résulte d'un compromis assez intéressant, en ce sens que, indépendamment de votre approche politique, il saura vous satisfaire : si vous défendez une construction plus intégrée de l'Union européenne, vous saluerez sa création ; si, au contraire, vous êtes souverainiste, vous apprécierez son organisation.
Ainsi sa présidente, la Roumaine Laura Kövesi est-elle assistée d'un représentant par État, qui forment un collège chargé de la coordination de la politique pénale. Des chambres permanentes donneront les instructions sur chaque dossier précis, sachant qu'il revient au Parquet européen de décider, ou pas, de se saisir d'une affaire. Chaque chambre comprendra trois magistrats, dont un sera forcément issu du pays d'origine du dossier à traiter.
Garanties supplémentaires pour les défenseurs d'une approche souverainiste, les enquêtes seront réalisées par les services français, les mesures privatives de liberté seront du ressort du juge des libertés et de la détention (JLD) français et, quand les dossiers viendront au fond, c'est la juridiction française - en l'occurrence celle de Paris - qui tranchera. Enfin, en cas de désaccord entre parquet français et Parquet européen sur le fait de savoir si ce dernier est compétent, la décision ultime appartiendra au procureur général français ou à la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce sont donc de nombreux verrous qui ont été apposés, pour une solution satisfaisante. Comment tout cela va-t-il fonctionner dans notre système juridique interne ?
Le dispositif est original, mais c'est justifié par la situation. Chaque État doit désigner au moins deux procureurs européens délégués. Nous avons décidé, pour la France, d'en rester à ce seuil minimal - deux procureurs pour 60 à 100 dossiers à traiter, cela paraît raisonnable ; d'autres pays, comme l'Allemagne, ont dans l'idée de désigner dix magistrats, mais qui ne seront pas spécialisés.
Les magistrats concernés seront détachés auprès du Parquet européen et soumis aux orientations arrêtées par ce dernier. Pour assumer leurs fonctions, ils pourront exercer les attributions des procureurs et des juges d'instruction. Cela permet de résoudre un problème pratique : dès lors que les procureurs européens délégués sont soumis aux instructions du Parquet européen, il n'est pas possible d'introduire dans le traitement des dossiers une intervention de notre juge d'instruction français, qui, par essence, est indépendant.
Le Procureur européen délégué, quand il a vocation à intervenir dans le ressort de notre territoire, aura donc, dans un premier temps, une casquette de procureur et, dès que le dossier nécessitera d'avoir recours à des actes d'instruction, il deviendra magistrat instructeur. Si, dans ce cadre, des décisions attentatoires à la liberté doivent être prises, elles le seront par un JLD français, avec un recours possible devant la chambre de l'instruction. Seules les mesures de contrôle judiciaire relèveront du procureur européen délégué, sous le contrôle du JLD, contraint de trancher dans les trois jours, avec une possibilité d'appel devant la chambre de l'instruction.
Toutes les garanties protectrices des droits des personnes sont bien mises en oeuvre dans le dispositif.
En bref, la solution proposée est conforme au souhait exprimé jadis par le Sénat, à savoir que le fonctionnement du Parquet européen soit le plus respectueux de notre système judiciaire.
S'agissant des juridictions spécialisées, plusieurs questions se posent.
La première est assez technique, mais donne satisfaction aux professionnels que j'ai pu auditionner. Il s'agit de la résolution des conflits de compétences : d'une part, la priorité ira toujours à la juridiction spécialisée, au détriment de la juridiction de droit commun ; d'autre part, au sein des juridictions spécialisées, elle ira toujours à la juridiction ayant le ressort le plus étendu. Cela ne pose, à mes yeux, aucune difficulté.
Par ailleurs, un point rapide sur le parquet national antiterroriste (PNAT) et le parquet national financier (PNF).
Deux types de mesures sont prises s'agissant du premier. D'une part, on en fait l'interlocuteur exclusif de la Cour pénale internationale pour toutes les questions d'entraide judiciaire. D'autre part - élément qui pourrait vous intriguer, mais ne pose en réalité de problème à personne, l'usage voulant que ces cas soient depuis très longtemps traités au sein du pôle antiterroriste de Paris -, il prendrait en charge les dossiers pour crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, principalement des dossiers d'espionnage.
Par ailleurs, la compétence du PNF serait étendue aux pratiques dites anticoncurrentielles : entente, abus de position dominante, abus de dépendance économique. Le PNF y est favorable, et une telle disposition n'empiétera pas sur les périmètres d'intervention de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de la concurrence.
Reste l'innovation que constitue la création de pôles de compétences spécialisés en matière d'environnement. Il ne s'agit pas de créer une juridiction nouvelle, mais de permettre, par la création de ces pôles au sein de chaque cour d'appel, le traitement d'un nombre plus important de dossiers et l'accroissement des compétences des magistrats en la matière, afin d'améliorer le suivi pénal du droit de l'environnement, qui reste insuffisant.
Ce dispositif ne suscite pas l'enthousiasme, mais je n'ai entendu aucun avis négatif. On peut considérer sa création comme une mesure d'ordre pédagogique vis-à-vis du système judiciaire, encourageant un investissement plus fort dans le champ de l'environnement. En réalité, l'augmentation du nombre de dossiers risque d'être faible : tous les dossiers relatifs au droit de l'urbanisme, aux activités de pêche ou de chasse, à des troubles anormaux de voisinage resteront traités au niveau des juridictions de droit commun et ces juridictions désignées dans chacune des cours d'appel ne traiteront probablement que d'infractions à la législation sur les établissements classés. Pour autant, mes chers collègues, ce projet n'est pas un texte d'opportunité, visant à répondre au drame de Lubrizol. Deux pôles spécialisés existent déjà en matière d'atteintes graves à l'environnement en France - Paris et Marseille - et l'affaire Lubrizol est prise en charge par le pôle parisien.
La création de ces pôles ne porte pas atteinte à la spécialisation, pour le haut du spectre, de Paris et Marseille, ni à celle des six juridictions du littoral, compétentes pour les pollutions marines.
De plus, le projet de loi prévoit d'autoriser les procureurs à recourir, dans le domaine de l'environnement, aux fameuses conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Sous réserve de points de détail que nous verrons lors de l'examen des amendements, on peut donc considérer que les deux premiers titres du projet de loi présentent un intérêt certain.