Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 février 2020 à 9h00
Projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Faut-il parler de « boursouflure juridique », monsieur Collombat ? Non, et ce pour deux raisons.

D'une part, il y a tout de même une question d'impulsion. Actuellement, des infractions sont commises, font l'objet de discussions publiques et de campagnes de presse sans que rien ne permette de garantir qu'elles seront poursuivies. Il semblerait ainsi que, dans deux pays proches de la mer Noire, des personnalités politiques aient acquis des biens immobiliers en bénéficiant de subventions européennes au titre de projets à caractère touristique. Demain, la décision de poursuivre de telles infractions viendra de Bruxelles, et non des pays concernés. Autre exemple, le Premier ministre de l'un des 27 États membres fait actuellement l'objet de poursuites judiciaires pour des conflits d'intérêts en matière d'utilisation de subventions publiques.

D'autre part, l'objectif principal est de lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne. Pour les fraudes à la TVA, qui ont incontestablement une dimension transfrontalière, on parle de sommes atteignant des milliards d'euros. On subodore que le décalage constaté, en France, entre l'évolution du PIB et celle des recettes de TVA est dû à une évaporation de TVA liée à ces fraudes.

Sur l'indépendance des parquetiers, monsieur Bigot, effectivement l'arrivée de cette culture européenne, dans laquelle l'indépendance est très marquée, encouragera une évolution en ce sens.

Je n'irai pas sur le terrain de la subtilité, monsieur Sueur, comme vous m'y encouragez, pour essayer de vous répondre plutôt sur le terrain de la complexité. Nous présentons un système relativement complexe, c'est vrai, mais il est le fruit du compromis et, au bout du compte, il y a une forme d'unicité au niveau de la jurisprudence - non pas européenne, mais nationale - et dans la conception de la politique pénale à l'échelle européenne.

Pour répondre à Jérôme Durain, la spécialisation des juridictions ne garantit pas l'efficacité. Mais l'idée répandue dans le monde judiciaire est qu'elle évite certains problèmes et améliore globalement le traitement des dossiers. En outre, les juridictions spécialisées recouvrent des réalités variables, comme le montre la spécialisation sur la pollution du littoral. Les dossiers traités dans ce cadre, très peu nombreux, concernent exclusivement des dossiers d'archéologie maritime. Mais faut-il s'en moquer ? La conséquence du fait de disposer d'un cadre particulièrement strict en matière de pollution maritime, c'est que les navires évitent de commettre des infractions près du littoral français !

S'agissant des conventions judiciaires, le montant de l'amende potentielle est élevé, jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires annuel. Les conventions devant être homologuées, une audience est tenue, les victimes peuvent s'exprimer, les montants arbitrés intègrent la réparation du préjudice. Une publication est prévue sur le site internet de la commune concernée par l'atteinte portée à l'environnement, ce qui permet une information de la population. Enfin, ces conventions permettent d'aller plus loin, avec des instruments intrusifs comme le plan de mise en conformité. Au titre de la convention, il peut être exigé que l'on suive, pendant trois ans, les mesures prises par l'entreprise pour s'assurer que les problèmes constatés en matière d'environnement ne se reproduiront pas.

Merci, madame Sophie Joissains, de votre mise en perspective sur ces sujets, que vous connaissez parfaitement.

Je ne vais pas insister sur la question du régime accusatoire ou inquisitoire. Le système proposé ne déroge pas sur ce point au modèle français, dont il se distingue seulement par la possibilité donnée au procureur européen délégué de procéder à une enquête préliminaire puis, éventuellement, à une instruction.

Je remercie M. Sutour d'avoir insisté sur le fait que nous aurons un parquet collégial. L'intérêt, d'ailleurs, ne tient pas dans cette seule collégialité, mais dans le fait qu'une affaire dont le coeur se situera en France sera supervisée par un magistrat connaissant notre système. C'est un gage d'efficacité.

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