Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2019, 49 millions de Français ont acheté des biens de consommation sur internet.
Le total des ventes sur internet en France s’élevait l’année dernière à plus de 100 milliards d’euros et ne cesse de progresser, puisqu’il a bondi de 11 % en un an.
C’est dans ce contexte marqué par l’explosion du marché du e-commerce que l’État se révèle bien souvent démuni et impuissant pour élaborer et faire respecter une réglementation difficile à appliquer à des multinationales en position de monopole de fait.
Claude Malhuret a parlé du « crétin digital »… On pourrait aussi trouver l’ignorant 2.0 et nous rappeler qu’il y a vingt ans Alain Finkielkraut parlait déjà de l’inquiétante extase que suscitait ce nouveau mode de communication et d’un espace public devenu un vide-ordures planétaire.
Pour revenir à la taxation des géants du numérique, nous pourrions également égrener la litanie des tentatives infructueuses de légiférer sur ce sujet. La dernière taxe sur les GAFA, dont le Gouvernement nous a parfois tympanisés, a d’ailleurs été abandonnée face au risque de déclencher une guerre commerciale avec les États-Unis.
Il n’empêche que cette étrange mise en scène traduit au moins les enjeux liés à ce sujet.
Le rapport sénatorial de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique nous a alertés sur la nécessité de doter la France et l’Union européenne de mesures fortes et protectrices.
En effet, la prédominance de certains acteurs et les enjeux économiques liés au e-commerce font peser un risque majeur sur les consommateurs. Songeons par exemple que Google et Facebook concentrent à eux seuls près de 75 % du marché de la publicité digitale en France.
L’objectif n’est pourtant pas de faire fi de l’opportunité économique offerte par le numérique au marché français. Il n’est pas non plus question d’en brider l’essor. Pour autant, il est impératif de mettre en place des dispositifs à même de pallier les lacunes qui existent actuellement en matière de protection du consommateur sur le cyberespace.
Aussi, la proposition de loi de Sophie Primas prévoit d’imposer une neutralité sur l’accès aux différents contenus depuis les terminaux mobiles et de permettre par conséquent aux utilisateurs d’installer l’application ou le contenu qu’ils souhaitent.
Il paraît anormal que les consommateurs soient privés de certaines applications selon qu’ils possèdent ou non tel ou tel type de téléphones, sous des prétextes commerciaux évidents. Je pense, comme cela a été dénoncé à plusieurs reprises, à Apple, qui dernièrement a refusé à ses utilisateurs la possibilité de bénéficier de titres de transport dématérialisés sur mobile.
Au-delà du consommateur, ce sont les différents acteurs du e-commerce qui sont affaiblis par ce monopole. En effet, en 2019, la Commission européenne a été saisie d’une plainte du site de streaming musical Spotify, accusant Apple de discrimination à l’encontre de son application sur l’App Store au profit de son propre service de streaming musical.
En renforçant le rôle et les pouvoirs de l’Arcep, cette proposition de loi permet de renforcer notre capacité de contrôle sur ces géants du numérique, et ainsi de préserver les consommateurs de pratiques abusives.
En dépit des rodomontades, la France n’a que trop tardé sur ce sujet. En Allemagne, le Gouvernement s’est engagé sur un projet de réforme visant à adapter sa législation à l’économie numérique.
Il est bien évidemment primordial d’œuvrer à l’échelon européen, afin qu’une réglementation soit votée et appliquée à ce niveau. Mais cela ne doit pas nous empêcher de commencer à légiférer en ce sens.
Je tiens à saluer le travail de la commission, qui a enrichi ce texte d’un nouveau chapitre sur la sincérité des interfaces utilisateur des plateformes numériques, afin de protéger le consommateur des pratiques abusives visant à obtenir son consentement de façon déguisée.
Nous avons donc l’espoir que cette proposition de loi, si elle est adoptée, permette à la France de rattraper son retard et d’adresser un signal significatif aux entreprises du numérique, qui sont en position de quasi-monopole.