Je commencerai par vos questions relatives au contexte général des négociations européennes en 2020.
Constatant que la programmation des fonds structurels européens à La Réunion sur la période 2014-2020 a été très satisfaisante, puisque 80 % des fonds avaient été utilisés en novembre 2019, et que La Réunion est la seule région d'outre-mer affichant de tels résultats, vous souhaitez savoir comment nous y sommes parvenus.
Ce résultat plus que satisfaisant est imputable tant à la grande qualité des services de la région, qu'à l'expérience acquise en tant qu'autorité de gestion. Elle a aussi tiré une grande expérience de ses fonctions antérieures d'autorité de gestion Interreg et de service instructeur de plusieurs dispositifs. Elle a mis en place les moyens humains nécessaires dès la fin 2013. Une organisation spécifique pour les Fonds européens structurels et d'investissement (FESI), basée sur la spécialisation, le professionnalisme et la séparation stricte des fonctions a été mise en place, et quatre guichets uniques ont été créés. La collectivité est très attentive au niveau politique au bon déroulement des programmes européens qui dans un DOM représentent un enjeu majeur.
Dans votre questionnaire, vous nous demandez quel bilan nous tirons de l'utilisation des différents fonds européens à La Réunion sur la période 2014-2020.
Ce bilan est positif en termes de compétences données à la région et d'usage des fonds. En revanche, nous portons un regard critique sur l'alourdissement considérable des procédures, qui pèsent sur les bénéficiaires et l'autorité de gestion, remettent en question l'efficacité des soutiens et peuvent donner une mauvaise image de l'Europe.
Pour ce qui concerne l'état des négociations budgétaires européennes intéressant les RUP, vous nous demandez si nous nous estimons suffisamment informés et si les positions de la France nous paraissent suffisamment claires et déterminées, notamment sur la défense de la politique de cohésion.
Les informations sur l'état d'avancement de ces négociations nous parviennent par différents canaux, à l'occasion de réunions de groupes de travail tripartites organisées par la Commission européenne et associant les 9 régions ultrapériphériques (RUP), ainsi que les représentations permanentes de la France, de l'Espagne et du Portugal, ou de réunions des chargés de mission « Europe » de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et du ministère des outre-mer. Il faut cependant noter que les RUP françaises sont très peu consultées ex ante par les autorités nationales. Les documents de séance du Conseil ou les décisions, même partielles, du Conseil ne sont pas communiqués aux régions.
Vous souhaitez aussi savoir ce que nous attendons de la 24e conférence des présidents des RUP, qui se tient actuellement à Saint-Martin, avant que Mayotte n'assure la prochaine présidence, et si nous percevons une mobilisation des RUP sur certains sujets européens.
Cette conférence s'inscrit dans un cycle périodique de rencontre des exécutifs des RUP à l'occasion de laquelle une déclaration finale est adoptée. Cette dernière permet d'arrêter des positions conjointes qui tiennent compte de l'actualité européenne. Les RUP sont toutes mobilisées sur les sujets d'intérêt communs comme en témoigne la dernière déclaration conjointe en date du 18 novembre 2019.
Par ailleurs, vous nous demandez si le bureau de représentation de La Réunion à Bruxelles parvient, selon nous, à défendre efficacement nos intérêts auprès des institutions européennes, et quelles sont ses relations avec la Représentation permanente de la France et avec les autres représentations ultramarines.
Les RUP agissent conjointement depuis une vingtaine d'années auprès des institutions européennes, par l'intermédiaire de la conférence des présidents des RUP. La région Réunion défend une approche pragmatique : en fonction de la nature des intérêts à défendre, elle apprécie si ceux-ci revêtent un caractère bilatéral - action de la collectivité que nous menons dans ce cas en direct avec les institutions européennes -, ou s'il s'agit d'intérêts qui revêtent un caractère commun entre les RUP françaises - dans ce cas, il s'agit d'une action commune entre les neuf RUP - dans ce dernier cas, c'est la conférence des présidents des RUP qui est le porte-parole.
J'en viens aux questions relatives aux aspects financiers.
Sur les conséquences concrètes, en cas d'absence d'accord budgétaire européen pluriannuel, d'un régime transitoire annuel pour les projets engagés par votre région, je rappelle que ce régime est d'ores et déjà prévu par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). S'agissant du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE), un régime transitoire rapidement mis en oeuvre serait préférable à la situation de 2013, lorsque les règlements n'ont été finalisés qu'au mois de décembre.
Pour autant, ce régime ne permettrait pas de stabiliser un nouveau programme rapidement - y compris au regard des élections régionales en 2021 - et dès lors la règle nouvelle du N+2 (DO) concernant le dégagement d'office devrait être revue pour le post 2020.
Vous demandez ensuite si je suis aussi alarmiste que le président de la commission du développement régional du Parlement européen, M. Younous Omarjee, sur les risques que ferait peser la baisse du budget de la cohésion pour les RUP, et si je crois à la possibilité d'un front uni des « amis de la cohésion », avec l'Espagne et le Portugal, entre autres.
Les baisses budgétaires envisagées peuvent affecter différemment les États membres et leurs régions. Ainsi, la baisse du fonds de cohésion n'affecte pas les RUP françaises. La Réunion reste très vigilante sur le niveau des enveloppes qui seront attribuées à la France en général et à La Réunion en particulier. Les critères pour le calcul des enveloppes sont encore plus déterminants que les montants globaux. Le président du conseil régional, M. Didier Robert, a adressé un courrier au Président de la République, le 12 décembre 2018, sur les risques financiers qui pèsent dans le cadre des négociations budgétaires. Nous n'avons pas encore reçu de réponse.
La baisse envisagée par la Commission du premier pilier de la politique agricole commune (PAC) risquant de conduire à la diminution du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi) à destination des RUP, vous souhaitez savoir quels seraient ses impacts sur la filière agroalimentaire de La Réunion et, s'agissant du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), du FEADER et du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), quels sont nos principaux points de vigilance.
Toute baisse des crédits au titre de la PAC et de la PCP aura un impact négatif sur le développement de l'ensemble des filières locales. Dans le domaine agricole, il importe de préserver les mesures spécifiques qui permettent d'accompagner toutes les entreprises agro-alimentaires indépendamment de leur taille. Dans le domaine de la pêche, de l'aquaculture et de l'économie bleue, une dotation financière amoindrie au titre du FEAMP ne permettra pas de soutenir les nouvelles actions liées à l'économie bleue à la hauteur des opportunités qu'offre ce secteur.
Vous souhaitez également savoir comment simplifier les formalités, européennes et françaises pour les RUP, afin de permettre un meilleur accès aux fonds européens, et si certaines simplifications ne risquent pas de se faire au détriment de la sécurité juridique.
Il est indispensable que les simplifications proposées par la Commission soient adoptées. Je pourrais donner les exemples des coûts simplifiés, de la disparition des grands projets, de l'autorité de certification, de la revue de performance à mi-parcours, etc.
En particulier, le recours à des coûts unitaires paraît une approche féconde pour laquelle notre région s'est investie pour préparer le post 2020 (5 dispositifs mis en place pour le FSE, deux en construction sur le FEDER).
Les nouveaux dispositifs doivent être validés par la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) ; il importe donc que l'autorité d'audit ait les moyens nécessaires pour assurer cette nouvelle tâche.
Les fonds européens structurels et d'investissement (FESI) demeureront cependant très complexes à mettre en oeuvre en particulier lorsqu'il s'agit d'aides d'État ou de marchés publics où il sera demandé aux autorités de gestion de faire un contrôle exhaustif et encore plus minutieux qu'aucune autorité française ne fait au titre des fonds publics nationaux et locaux.
La région enfin n'a pas connaissance de l'exemple cité, n'ayant pas géré le FEAMP.
En particulier, le recours à des coûts unitaires paraît une approche féconde, et la région s'y est investie : cinq dispositifs ont été mis en place pour le FSE et deux pour le FEDER. Il importe que l'autorité d'audit ait les moyens nécessaires pour assurer cette nouvelle tâche. Les Fonds de soutien à l'innovation (FSI) demeureront complexes à mettre en oeuvre. Quant au FEAMP, ce n'est pas la région qui le gère.
Vous nous demandez si la baisse du taux de cofinancement de 85 à 70 %, envisagée par la Commission européenne, ne risque pas de conduire La Réunion à renoncer à des projets européens.
Nous sommes aujourd'hui à un taux moyen de cofinancement du programme opérationnel du FEDER de l'ordre de 58 % ; il n'y a donc pas de risque à cet égard.
Pour autant, il serait utile qu'il soit relevé puisqu'à ce jour, il est prévu qu'il s'applique axe par axe : aucune compensation n'est prévue entre des axes cofinancés à 50 % et d'autres à 85 %. Un taux de 70 % moyen pourrait être acceptable.
La Réunion est favorable au maintien du taux de 85 %, comme les autres RUP, avec pour objectif de mieux cibler les fonds européens sur certaines actions.
J'en viens à vos questions relatives aux aspects fiscaux.
Vous nous demandez si la région a été consultée par le cabinet italien Economisti Associati, qui réalise pour la Commission une mission d'évaluation sur l'octroi de mer, et par la mission conjointe de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) du gouvernement français sur ce même sujet, et quelle est notre position sur ce dispositif.
La région a été consultée une fois par le Cabinet italien mais n'a eu aucune information depuis sur la mission ou les travaux conduits. Elle n'a pas été informée du contenu de la mission IGF-IGA. Une demande de réunion a été faite pour un entretien technique de deux heures en novembre 2019. Aucun document n'a été demandé à la région, aucun questionnaire ne lui a été adressé et il apparaît que les demandes n'ont été faites qu'auprès des services de l'État.
Sur le fond - et c'est une position constante -, la région soutient ce dispositif comme instrument d'autonomie fiscale des collectivités d'outre-mer et comme instrument de soutien à la production locale.
Bien que la mission IGF-IGA puisse le remettre en cause, elle considère également que, comme toute fiscalité, cet instrument peut ponctuellement soutenir une politique économique, sociale et environnementale. Je peux vous donner les exemples du taux zéro pour les produits de première nécessité, les véhicules électriques, ou de taux élevés pour les véhicules de forte cylindrée.
Vous souhaitez savoir ce que nous pensons de l'argument selon lequel l'octroi de mer participe à « la vie chère » et quels sont les meilleurs exemples à La Réunion justifiant le maintien en l'état de ce régime. Vous nous demandez s'il est possible de le « moderniser », selon le mot du Président de la République.
Il est incontestable que l'octroi de mer participe naturellement à la formation des prix. Les études menées par le Cabinet Lengrand pour la région et le ministère des outre-mer entre 2011 et 2013 montrent cependant que son poids est très faible et inférieur à l'application de la TVA nationale dans les DOM. 80 % de la valeur des produits ont un octroi de mer et un octroi de mer régional inférieur ou égal à 6 %, 5 % à La Réunion.
L'octroi de mer constitue un outil souvent utilisé pour masquer d'autres causes à la formation des prix en outre-mer. C'est son absence de transparence qui pose difficulté car, appliqué sur la valeur Free on board (FOB) et ne taxant donc pas les marges, il ne peut apparaître sur les factures. La région avait d'ailleurs proposé un affichage quand un taux zéro d'octroi de mer est pratiqué.
Le maintien de l'octroi de mer préserve les collectivités d'une ressource autonome mise à mal pour les communes par l'arrêt de la taxe d'habitation, dont il représente entre 20 % et 45 % des ressources.
Pour la région, c'est la première ressource fiscale autonome, la taxe sur les carburants (TSC) étant affectée au transport-mobilité.
Vous nous demandez de citer des exemples de secteurs de production qui ont pu se développer à La Réunion grâce à l'octroi de mer, et si l'exclusion de l'octroi de mer du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), décidée en 2017 par la Commission, a été profitable aux entreprises de La Réunion.
Le secteur agroalimentaire, y compris des boissons, les activités connexes au bâtiment et aux travaux publics (charpentes, peintures) et d'une manière générale l'essentiel du tissu des PMI industrielles, qui souffrent d'une concurrence importante, peuvent maintenir leur valeur ajoutée et leurs emplois grâce à cet outil qui impacte directement le prix de vente et donc l'équilibre de leurs comptes d'exploitation.
En ce qui concerne le lien entre la notification de l'aide et son exemption au regard des règles de concurrence, je rappelle que le règlement général d'exemption par catégories (RGEC) - et ses seuils - n'avait pas été conçu pour y insérer des dispositifs nationaux. Le RGEC porte sur les seules aides dites « transparentes ». C'est l'usage qu'en a fait la France dès 2014 qui a posé des difficultés pour l'appréciation par la DG Concurrence de la comptabilité des aides d'État avec les dispositions du Traité et qui l'a conduite à le placer dans un mauvais dispositif. Son exclusion naturelle a permis de sécuriser les entreprises.
Vous m'interrogez sur l'efficacité des dérogations fiscales sur le rhum pour le développement économique à La Réunion, et sur notre appréciation des modalités de répartition des contingents de rhum à fiscalité réduite. La Réunion est le département d'outre-mer qui produit le plus de sucre, et bénéficie le moins, pour des raisons historiques, des contingents.
S'agissant des effets du Brexit sur les productions des RUP et des risques de concurrence extérieure accrue, La Réunion est consciente et préoccupée par l'impact sur les volets « recettes » et « dépenses » du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Si le Royaume-Uni ferme définitivement l'accès à ses eaux aux pêcheurs européens, il y a un risque de repli des armements européens vers l'océan Indien dans le cadre des accords de pêche.