Intervention de Jean-Pierre Philibert

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 février 2020 : 1ère réunion
Étude sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 — Audition de Mm. Jean-Pierre Philibert président de la fedom laurent renouf directeur des affaires économiques et fiscales mmes justine bertheau chargée de mission pacifique et mélinda jerco chargée de mission antilles guyane saint-pierre-et-miquelon à la fédération des entreprises des outre-mer fedom

Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM) :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je vous prie d'excuser Françoise de Palmas, en charge de l'océan Indien, qui connaît très bien ces sujets, et qui est malheureusement retenue ailleurs.

D'un point de vue général, je me félicite que votre délégation se saisisse de cette question. Une constante lors des années passées de la relation avec l'Union européenne, est qu'elle a été souvent mal ou insuffisamment préparée sur les dossiers que nous défendons. Nous avons toujours eu tendance à considérer que le rôle fondateur de la France dans la construction européenne lui donnait une sorte de droit de tirage dès lors qu'elle présentait des dossiers, qu'ils soient bien ou mal présentés.

Nous l'avons vu, Monsieur le Président. Tout d'abord, l'élargissement de l'Union européenne a entraîné la rupture des fronts au sein de l'Union européenne avec un axe des pays du Nord plus libéraux contre les pays du Sud qui ont des RUP pour trois d'entre eux et qui s'appuient sur une solidarité de l'Italie et même de la Grèce. Les ruptures d'équilibre au sein de l'Union européenne nous ont confrontés à des États qui n'avaient pas la même vision sur le rôle fondateur de la France et sur son droit de tirage. Nous avons dû « batailler ferme » pour défendre nos positions.

Il y a deux ans, nous avons constaté lors des évaluations à mi-parcours de dispositifs essentiels pour nos économies, l'insuffisance et la légèreté des études transmises à l'Union européenne en réponse aux légitimes questions sur leur efficacité au titre de la compensation des handicaps. Nous avons été alertés par le fait que l'allongement de la durée de l'aide fiscale à l'investissement, défiscalisation ou crédit d'impôt, ait été votée par le Parlement national, alors que nous n'avions pas le feu vert de Bruxelles faute d'avoir présenté un certain nombre de documents à l'Union européenne démontant que l'article 349 était respecté.

Ensuite, un certain nombre de problématiques et de sujets que vous évoquez ne relèvent pas de la compétence de la FEDOM. L'ensemble des dispositifs européens portant sur le sucre, le rhum, l'agriculture et la pêche sont de la compétence d'EURODOM. Nous avons la compétence partagée de l'octroi de mer et la compétence des dispositifs de compensation de nos handicaps structurels avec l'aide à l'investissement, l'aide au fret, les exonérations de charge, etc. Il y avait autrefois la TVA-NPR. Pour nous, un enjeu majeur pour nos économies est la renotification à l'Union européenne de l'ensemble du dispositif contenu dans le RGEC.

Les contacts que nous avons eus laissent craindre que nous ayons quelques difficultés avec la nouvelle Commission européenne, le nouveau Parlement européen et les conséquences du départ de la Grande-Bretagne qui renforcera l'Union européenne vers l'Est avec des préoccupations politiques complètement différentes de celles qui prévalaient autrefois.

Autrefois, la solidarité de l'Union européenne était un axe fort, ce qui permettait aux régions périphériques d'en bénéficier. Les préoccupations de l'Europe évoluent vers des terrains moins économiques et des préoccupations plus nationales. L'ancien Président évoquait un « individualisme de cohabitation ». L'Union européenne pourrait devenir une cohabitation d'individualismes étatiques. Avant que le Parlement européen précédent ne soit reconduit, un certain nombre de dispositions ont été votées. L'ancien commissaire M. Phil Hogan a accepté un certain nombre de ces dispositions qui n'ont malheureusement pas été jusqu'au bout du processus d'adoption.

Il y a des réunions informelles à Bruxelles, et je ne dévoilerai pas de secrets. Il existe un club des amis de la Présidence de l'Union européenne. Ce club extrêmement fermé est seulement composé des ambassadeurs des pays représentés à Bruxelles. Lors d'une réunion, lorsque notre représentant a évoqué avec raison la nécessité de maintenir vis-à-vis des régions ultrapériphériques et des PTOM un regard d'équité pour leur permettre d'assurer nos économies et de les rassurer, le représentant d'un autre pays, qui ne nous avait jusqu'à présent jamais fait défaut, se serait exprimé auprès de notre ambassadeur en disant : « avec vos RUP, cela commence à bien faire ». Ce sentiment d'inquiétude domine. J'espérais que la visite du Président de la République dans un État qui n'est pas favorable aux politiques en direction de nos régions ultrapériphériques permettrait d'améliorer les relations politiques pour nous permettre de bénéficier du maintien de dispositifs spécifiques.

Nous sommes extrêmement inquiets pour un certain nombre de nos filières durant cette longue période qui s'ouvre au cours de laquelle toutes nos aides seront réexaminées par une Union européenne qui a changé de nature et de périmètre, et dont nous espérons qu'elle ne changera pas également de politique vis-à-vis de nos États.

Ce qui est important est que ce qui fonde le développement économique en dehors des filières agricoles, le développement ou la compensation de nos handicaps permanents structurels - aide fiscale à l'investissement, exonérations de charges sociales, taux différentiel d'octroi de mer - parvienne à l'étape de renotification, c'est-à-dire de réexamen. Une partie de ces dispositifs relèvent du RGEC, d'autres de la notification. Le RGEC fait l'objet d'un contrôle a posteriori, mais nous devrons justifier auprès de l'Union européenne les dispositifs d'aides mis en place par la France.

On me dit qu'il est possible, ou qu'il serait envisagé, que le RGEC soit prolongé de deux ans. L'Union européenne se donnerait le temps d'examiner avec les acteurs économiques et les représentations nationales plus tranquillement les choses. Ce serait une bonne chose. Nous attendons un certain nombre d'éclaircissements et de levées d'incertitudes qui pèsent aujourd'hui sur la façon dont la France a interprété le feu vert de la Commission pour mettre en oeuvre ses dispositifs de compensation. Par exemple, nous bénéficions de l'aide fiscale à l'investissement, du crédit d'impôt et des dispositifs de défiscalisation. En 2014, sous l'égide d'un précédent ministre, nous avons évolué d'un régime de défiscalisation, vers son remplacement progressif par un régime de crédit d'impôt.

Nous avons été interrogés sur l'efficacité du dispositif par la Commission qui nous a demandé ce que le crédit d'impôt représentait par rapport à la défiscalisation. Nous n'avons pas été en mesure de répondre, et la Commission n'a pas donné son accord.

Concernant l'aide à l'investissement, nous avions jusqu'en 2014 un certain nombre de dispositions plus souples et notamment une, extrêmement importante, au coeur de nombreux enjeux, l'investissement de renouvellement. Lorsqu'un chef d'entreprise ou qu'une entreprise ultramarine investissait, si elle le faisait dans le cadre éligible de l'aide fiscale à l'investissement, elle pouvait bénéficier de la défiscalisation de cette aide. Aujourd'hui, si elle renouvelle son investissement, normalement l'investissement de renouvellement n'est plus éligible au titre du RGEC, alors qu'il l'était jusqu'en 2014 à condition d'être un facteur d'amélioration de la productivité.

Je prendrai un exemple que chacun pourra comprendre, avec le cas d'une flotte aérienne. Vous renouvelez vos avions et vous ne seriez pas éligible au renouvellement du crédit d'investissement ? Vous imaginez le coût et le surcoût d'une telle disposition pour les compagnies aériennes qui nous desservent.

Nous avons demandé à l'Union européenne des lettres de confort qui ne valent pas blanc-seing juridique. Ce n'est pas gravé dans le marbre. Il faudra lever ces ambiguïtés. Les milieux économiques souhaitent que le Gouvernement français défende l'investissement de renouvellement éligible à une triple condition sur laquelle tout le monde pourra se mettre d'accord. Premièrement, que cet investissement de renouvellement marque un facteur de progrès et de productivité ; deuxièmement, qu'il ait une meilleure signature carbonée.

Aujourd'hui, si vous investissez dans un matériel de meilleure signature carbonée, ce n'est pas un critère d'éligibilité au crédit d'impôt. C'est le cas des avions. Or, si le remplacement des Airbus s'effectue par les Airbus Néo qui consomment 20 % de carburant en moins, c'est une meilleure signature carbonée !

La troisième condition serait la meilleure protection du salarié sur son poste et son lieu de travail. Une machine qui a la même capacité de production et permet une meilleure protection du salarié nous paraît devoir être également éligible. Ce sujet est extrêmement important pour nous. La plupart des investissements sont souvent des investissements de renouvellement. Nous devons nous battre pour que ces dispositions soient éligibles au crédit d'impôt.

Le deuxième problème est que l'énergie n'est pas éligible à l'aide fiscale à l'investissement. Il y a quelques semaines, le Sénat a pris une position courageuse et s'est battu pour éviter de supprimer la défiscalisation sur le stockage en batterie. C'est une très bonne décision, mais le procédé concurrent des Micro - STEPS n'est pas non plus éligible. Vous imaginez si un signal de l'Union européenne interdisait l'éligibilité de ces dispositifs ambitieux après que la France se soit accommodée d'un certain nombre de pratiques.

Je pense que nous faisons en France une interprétation trop timide de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne. Cet article permet d'aller très loin dans la différenciation. Nous en avons une interprétation a minima comme si nous étions gênés de rappeler que les handicaps permanents nécessitent des mesures dérogatoires.

Il faut rappeler aussi l'exposition au risque climatique. Si certains pensaient que c'était des risques très potentiels, on voit aujourd'hui de quelle manière ces handicaps peuvent affecter une économie. Nous souhaitons que votre délégation et que le Gouvernement français soient très offensifs sur ce dossier.

Le premier dossier est la renotification du taux différentiel d'octroi de mer. Je ne me déroberai pas sur ce sujet extraordinairement sensible. Il l'est pour les élus comme pour les milieux économiques. Tout le monde n'a pas nécessairement la même approche au sein de notre fédération, ou le même point de vue.

Si le Gouvernement ou le Parlement réexamine la question, il le fera, nous n'y sommes pas hostiles. Nous attirons simplement l'attention des parlementaires sur deux aspects extrêmement importants pour nous. Le premier est que cela reste un moyen de financement extrêmement important des collectivités locales à un moment où nous déplorons leur manque de moyens pour payer les entreprises. Que se passerait-il si les collectivités perdaient cette ressource ? Ensuite, il est essentiel pour avoir une production locale, qui est au coeur de l'économie de nos territoires, que nous ayons un dispositif de protection.

Le taux différentiel est important pour nous, car il permet de protéger la production locale. Vous demandez s'il est efficace dans votre questionnaire. Oui, il est efficace, Monsieur le Président. La Guyane a entrepris la révision des listes d'octroi de mer. Il y a eu des réactions contrastées. La production locale se déclare très favorable, la CCI (Chambre de commerce et d'industrie) un peu moins.

Ce matin, je lisais dans la presse une intervention d'un chef d'entreprise distributeur qui soutenait que la révision des listes va augmenter le « panier de la ménagère » en Guyane. L'octroi de mer est une cause de la vie chère. Pour mesurer la complexité de mon propos, il faut prendre en compte que la Guyane a fait le choix d'augmenter la taxe des produits surgelés alimentaires en provenance de métropole. Par exemple, les côtes de porc subiront une augmentation de 5 points.

Monsieur le Président, nous avons des filières porcines excellentes. Il y en a en Guadeloupe. Le principal concurrent de cette filière extrêmement importante est lié aux envois massifs de produits surgelés de même nature que ceux produits en Guadeloupe à des taux non concurrentiels, sur lesquels notre production locale ne peut s'aligner.

L'octroi de mer peut être un régulateur qui permettra de maintenir une filière dont nous avons besoin en produisant des produits de qualité et en assurant des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en milieu urbain. Cet outil poursuit des objectifs totalement différents. Peut-on protéger la production locale ? Oui, je le pense. Voilà les quelques points que je souhaitais développer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion