Étude sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 - Audition de MM. Jean-Pierre Philibert, président de la FEDOM, Laurent Renouf, directeur des affaires économiques et fiscales, Mmes Justine Bertheau, chargée de mission Pacifique et Mélinda Jerco, chargée de mission Antilles Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon à la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM)
Mes chers collègues, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir aujourd'hui, pour une nouvelle audition sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020, une importante délégation de la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM) conduite par son président Monsieur Jean-Pierre Philibert que je salue et que je remercie pour sa présence.
Monsieur le Président, vous êtes accompagné de Monsieur Laurent Renouf, directeur des affaires économiques et fiscales, et de Mesdames Mélinda Jerco, chargée de mission Antilles Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, et Justine Bertheau, chargée de mission Pacifique.
Nos collègues Vivette Lopez, sénatrice du Gard, Dominique Théophile, sénateur de Guadeloupe, et Gilbert Roger, sénateur de Seine St Denis, ont été désignés rapporteurs de cette étude qui a pour objet de cerner les grandes problématiques au plan européen de cette année cruciale pour nos outre-mer et de mesurer concrètement comment la France fait ou fera entendre sa voix à Bruxelles sur des dossiers les concernant au premier chef.
Je rappelle que nous avons déjà entendu dans le cadre de notre étude le SGAE (Secrétariat général aux affaires européennes), et les représentants d'EURODOM. Avec dix autres collègues, dont le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, nous nous sommes aussi rendus à Bruxelles où nous avons été reçus à la Représentation permanente, au Parlement, et à la Commission. Nous avons aussi échangé avec les représentants des bureaux des RUP installés à Bruxelles et le président du comité exécutif de l'association des PTOM, M. Olivier Gaston.
Nous sommes revenus avec un certain nombre de motifs d'inquiétude sur lesquels nous voudrions échanger cet après-midi avec vous.
Sur le plan budgétaire d'abord, nous observons que la Commission et le Parlement ont fait des propositions très divergentes sur le niveau des contributions destiné au nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027, avec des risques évidents pour les fonds structurels bénéficiant aux régions ultrapériphériques (RUP). Comme nous l'a indiqué M. Younous Omarjee, président de la Commission du développement régional du Parlement européen, la baisse de ces fonds sera extrêmement préjudiciable à la politique de cohésion, d'où un réel risque de « crise institutionnelle ». La France aura donc au Conseil européen un rôle central à jouer.
Sur la question fiscale, nous sommes très attentifs à la reconduction des dispositifs de l'octroi de mer et de la taxation du rhum qui arrivent eux aussi à échéance en fin d'année. Il s'agit de deux dossiers essentiels pour les finances et les économies ultramarines. Nous savons qu'il s'agit également pour vous d'un dossier majeur sur lequel vous avez déjà interpellé le Gouvernement, tout en précisant que vous n'étiez pas hostiles à des évolutions dont certaines seraient nécessaires. Nous attendons bien entendu que vous nous disiez lesquelles, notamment sur le système de taux différentiels. Les services de la Commission nous ont affirmé être très ouverts au maintien de ces dispositifs, mais semblent attendre des documents montrant l'efficacité de ces dispositifs sur le développement et les emplois.
Vous savez qu'une étude a été récemment confiée par la Commission à un cabinet italien et que le Gouvernement français a également commandé un rapport à Mme Corinne Desforges, inspectrice générale de l'administration, sur ce sujet. Ces initiatives doivent aboutir en principe en mars prochain. Vous nous donnerez votre avis sur la multiplication et l'opportunité de ces études.
Enfin, nous mesurons encore mal les effets du Brexit avec d'un côté, la perte de contributions de l'ordre de 12 milliards d'euros, le Royaume-Uni étant un contributeur net, et de l'autre, le financement de nouveaux projets comme le Pacte vert. Avec le Brexit, c'est également la moitié des PTOM qui quitte l'espace européen, et la France restera la seule représentante de l'Union européenne dans le Pacifique, ce qui a des implications géopolitiques.
Nous aimerions vous entendre également sur l'avenir du Fonds européen de développement, le FED, que la Commission souhaite intégrer dans le prochain cadre financier ainsi que sur la nouvelle décision d'association outre-mer (DAO).
Voici quelques-unes des nombreuses questions que nous souhaitons vous poser.
Vous l'avez compris, la Délégation compte porter un regard vigilant et constructif sur les négociations en cours qui auront un impact décisif sur les outre-mer, sans doute pour toute la décennie à venir.
Nous vous avons transmis une trame sur laquelle nous allons vous laisser intervenir librement, puis les rapporteurs et nos collègues vous poseront des questions sur les éléments qui n'auront pas obtenu une réponse suffisante, ou appelant un développement plus complet. Notre séance fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site du Sénat. Monsieur le Président, vous avez la parole.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je vous prie d'excuser Françoise de Palmas, en charge de l'océan Indien, qui connaît très bien ces sujets, et qui est malheureusement retenue ailleurs.
D'un point de vue général, je me félicite que votre délégation se saisisse de cette question. Une constante lors des années passées de la relation avec l'Union européenne, est qu'elle a été souvent mal ou insuffisamment préparée sur les dossiers que nous défendons. Nous avons toujours eu tendance à considérer que le rôle fondateur de la France dans la construction européenne lui donnait une sorte de droit de tirage dès lors qu'elle présentait des dossiers, qu'ils soient bien ou mal présentés.
Nous l'avons vu, Monsieur le Président. Tout d'abord, l'élargissement de l'Union européenne a entraîné la rupture des fronts au sein de l'Union européenne avec un axe des pays du Nord plus libéraux contre les pays du Sud qui ont des RUP pour trois d'entre eux et qui s'appuient sur une solidarité de l'Italie et même de la Grèce. Les ruptures d'équilibre au sein de l'Union européenne nous ont confrontés à des États qui n'avaient pas la même vision sur le rôle fondateur de la France et sur son droit de tirage. Nous avons dû « batailler ferme » pour défendre nos positions.
Il y a deux ans, nous avons constaté lors des évaluations à mi-parcours de dispositifs essentiels pour nos économies, l'insuffisance et la légèreté des études transmises à l'Union européenne en réponse aux légitimes questions sur leur efficacité au titre de la compensation des handicaps. Nous avons été alertés par le fait que l'allongement de la durée de l'aide fiscale à l'investissement, défiscalisation ou crédit d'impôt, ait été votée par le Parlement national, alors que nous n'avions pas le feu vert de Bruxelles faute d'avoir présenté un certain nombre de documents à l'Union européenne démontant que l'article 349 était respecté.
Ensuite, un certain nombre de problématiques et de sujets que vous évoquez ne relèvent pas de la compétence de la FEDOM. L'ensemble des dispositifs européens portant sur le sucre, le rhum, l'agriculture et la pêche sont de la compétence d'EURODOM. Nous avons la compétence partagée de l'octroi de mer et la compétence des dispositifs de compensation de nos handicaps structurels avec l'aide à l'investissement, l'aide au fret, les exonérations de charge, etc. Il y avait autrefois la TVA-NPR. Pour nous, un enjeu majeur pour nos économies est la renotification à l'Union européenne de l'ensemble du dispositif contenu dans le RGEC.
Les contacts que nous avons eus laissent craindre que nous ayons quelques difficultés avec la nouvelle Commission européenne, le nouveau Parlement européen et les conséquences du départ de la Grande-Bretagne qui renforcera l'Union européenne vers l'Est avec des préoccupations politiques complètement différentes de celles qui prévalaient autrefois.
Autrefois, la solidarité de l'Union européenne était un axe fort, ce qui permettait aux régions périphériques d'en bénéficier. Les préoccupations de l'Europe évoluent vers des terrains moins économiques et des préoccupations plus nationales. L'ancien Président évoquait un « individualisme de cohabitation ». L'Union européenne pourrait devenir une cohabitation d'individualismes étatiques. Avant que le Parlement européen précédent ne soit reconduit, un certain nombre de dispositions ont été votées. L'ancien commissaire M. Phil Hogan a accepté un certain nombre de ces dispositions qui n'ont malheureusement pas été jusqu'au bout du processus d'adoption.
Il y a des réunions informelles à Bruxelles, et je ne dévoilerai pas de secrets. Il existe un club des amis de la Présidence de l'Union européenne. Ce club extrêmement fermé est seulement composé des ambassadeurs des pays représentés à Bruxelles. Lors d'une réunion, lorsque notre représentant a évoqué avec raison la nécessité de maintenir vis-à-vis des régions ultrapériphériques et des PTOM un regard d'équité pour leur permettre d'assurer nos économies et de les rassurer, le représentant d'un autre pays, qui ne nous avait jusqu'à présent jamais fait défaut, se serait exprimé auprès de notre ambassadeur en disant : « avec vos RUP, cela commence à bien faire ». Ce sentiment d'inquiétude domine. J'espérais que la visite du Président de la République dans un État qui n'est pas favorable aux politiques en direction de nos régions ultrapériphériques permettrait d'améliorer les relations politiques pour nous permettre de bénéficier du maintien de dispositifs spécifiques.
Nous sommes extrêmement inquiets pour un certain nombre de nos filières durant cette longue période qui s'ouvre au cours de laquelle toutes nos aides seront réexaminées par une Union européenne qui a changé de nature et de périmètre, et dont nous espérons qu'elle ne changera pas également de politique vis-à-vis de nos États.
Ce qui est important est que ce qui fonde le développement économique en dehors des filières agricoles, le développement ou la compensation de nos handicaps permanents structurels - aide fiscale à l'investissement, exonérations de charges sociales, taux différentiel d'octroi de mer - parvienne à l'étape de renotification, c'est-à-dire de réexamen. Une partie de ces dispositifs relèvent du RGEC, d'autres de la notification. Le RGEC fait l'objet d'un contrôle a posteriori, mais nous devrons justifier auprès de l'Union européenne les dispositifs d'aides mis en place par la France.
On me dit qu'il est possible, ou qu'il serait envisagé, que le RGEC soit prolongé de deux ans. L'Union européenne se donnerait le temps d'examiner avec les acteurs économiques et les représentations nationales plus tranquillement les choses. Ce serait une bonne chose. Nous attendons un certain nombre d'éclaircissements et de levées d'incertitudes qui pèsent aujourd'hui sur la façon dont la France a interprété le feu vert de la Commission pour mettre en oeuvre ses dispositifs de compensation. Par exemple, nous bénéficions de l'aide fiscale à l'investissement, du crédit d'impôt et des dispositifs de défiscalisation. En 2014, sous l'égide d'un précédent ministre, nous avons évolué d'un régime de défiscalisation, vers son remplacement progressif par un régime de crédit d'impôt.
Nous avons été interrogés sur l'efficacité du dispositif par la Commission qui nous a demandé ce que le crédit d'impôt représentait par rapport à la défiscalisation. Nous n'avons pas été en mesure de répondre, et la Commission n'a pas donné son accord.
Concernant l'aide à l'investissement, nous avions jusqu'en 2014 un certain nombre de dispositions plus souples et notamment une, extrêmement importante, au coeur de nombreux enjeux, l'investissement de renouvellement. Lorsqu'un chef d'entreprise ou qu'une entreprise ultramarine investissait, si elle le faisait dans le cadre éligible de l'aide fiscale à l'investissement, elle pouvait bénéficier de la défiscalisation de cette aide. Aujourd'hui, si elle renouvelle son investissement, normalement l'investissement de renouvellement n'est plus éligible au titre du RGEC, alors qu'il l'était jusqu'en 2014 à condition d'être un facteur d'amélioration de la productivité.
Je prendrai un exemple que chacun pourra comprendre, avec le cas d'une flotte aérienne. Vous renouvelez vos avions et vous ne seriez pas éligible au renouvellement du crédit d'investissement ? Vous imaginez le coût et le surcoût d'une telle disposition pour les compagnies aériennes qui nous desservent.
Nous avons demandé à l'Union européenne des lettres de confort qui ne valent pas blanc-seing juridique. Ce n'est pas gravé dans le marbre. Il faudra lever ces ambiguïtés. Les milieux économiques souhaitent que le Gouvernement français défende l'investissement de renouvellement éligible à une triple condition sur laquelle tout le monde pourra se mettre d'accord. Premièrement, que cet investissement de renouvellement marque un facteur de progrès et de productivité ; deuxièmement, qu'il ait une meilleure signature carbonée.
Aujourd'hui, si vous investissez dans un matériel de meilleure signature carbonée, ce n'est pas un critère d'éligibilité au crédit d'impôt. C'est le cas des avions. Or, si le remplacement des Airbus s'effectue par les Airbus Néo qui consomment 20 % de carburant en moins, c'est une meilleure signature carbonée !
La troisième condition serait la meilleure protection du salarié sur son poste et son lieu de travail. Une machine qui a la même capacité de production et permet une meilleure protection du salarié nous paraît devoir être également éligible. Ce sujet est extrêmement important pour nous. La plupart des investissements sont souvent des investissements de renouvellement. Nous devons nous battre pour que ces dispositions soient éligibles au crédit d'impôt.
Le deuxième problème est que l'énergie n'est pas éligible à l'aide fiscale à l'investissement. Il y a quelques semaines, le Sénat a pris une position courageuse et s'est battu pour éviter de supprimer la défiscalisation sur le stockage en batterie. C'est une très bonne décision, mais le procédé concurrent des Micro - STEPS n'est pas non plus éligible. Vous imaginez si un signal de l'Union européenne interdisait l'éligibilité de ces dispositifs ambitieux après que la France se soit accommodée d'un certain nombre de pratiques.
Je pense que nous faisons en France une interprétation trop timide de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne. Cet article permet d'aller très loin dans la différenciation. Nous en avons une interprétation a minima comme si nous étions gênés de rappeler que les handicaps permanents nécessitent des mesures dérogatoires.
Il faut rappeler aussi l'exposition au risque climatique. Si certains pensaient que c'était des risques très potentiels, on voit aujourd'hui de quelle manière ces handicaps peuvent affecter une économie. Nous souhaitons que votre délégation et que le Gouvernement français soient très offensifs sur ce dossier.
Le premier dossier est la renotification du taux différentiel d'octroi de mer. Je ne me déroberai pas sur ce sujet extraordinairement sensible. Il l'est pour les élus comme pour les milieux économiques. Tout le monde n'a pas nécessairement la même approche au sein de notre fédération, ou le même point de vue.
Si le Gouvernement ou le Parlement réexamine la question, il le fera, nous n'y sommes pas hostiles. Nous attirons simplement l'attention des parlementaires sur deux aspects extrêmement importants pour nous. Le premier est que cela reste un moyen de financement extrêmement important des collectivités locales à un moment où nous déplorons leur manque de moyens pour payer les entreprises. Que se passerait-il si les collectivités perdaient cette ressource ? Ensuite, il est essentiel pour avoir une production locale, qui est au coeur de l'économie de nos territoires, que nous ayons un dispositif de protection.
Le taux différentiel est important pour nous, car il permet de protéger la production locale. Vous demandez s'il est efficace dans votre questionnaire. Oui, il est efficace, Monsieur le Président. La Guyane a entrepris la révision des listes d'octroi de mer. Il y a eu des réactions contrastées. La production locale se déclare très favorable, la CCI (Chambre de commerce et d'industrie) un peu moins.
Ce matin, je lisais dans la presse une intervention d'un chef d'entreprise distributeur qui soutenait que la révision des listes va augmenter le « panier de la ménagère » en Guyane. L'octroi de mer est une cause de la vie chère. Pour mesurer la complexité de mon propos, il faut prendre en compte que la Guyane a fait le choix d'augmenter la taxe des produits surgelés alimentaires en provenance de métropole. Par exemple, les côtes de porc subiront une augmentation de 5 points.
Monsieur le Président, nous avons des filières porcines excellentes. Il y en a en Guadeloupe. Le principal concurrent de cette filière extrêmement importante est lié aux envois massifs de produits surgelés de même nature que ceux produits en Guadeloupe à des taux non concurrentiels, sur lesquels notre production locale ne peut s'aligner.
L'octroi de mer peut être un régulateur qui permettra de maintenir une filière dont nous avons besoin en produisant des produits de qualité et en assurant des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en milieu urbain. Cet outil poursuit des objectifs totalement différents. Peut-on protéger la production locale ? Oui, je le pense. Voilà les quelques points que je souhaitais développer.
Je vous remercie pour cette introduction. Nous constatons depuis l'arrêt Mayotte la volonté d'intégrer l'article 349 dans les débats préalables. J'ai aussi émis une alerte à la suite de notre rencontre avec le président de la Commission du développement régional du Parlement européen, M. Younous Omarjee.
J'interviendrai après les rapporteurs. Je voudrais connaître votre sentiment sur de nouvelles méthodes de l'Europe qui m'inquiètent un peu. Je vais donner la parole aux rapporteurs.
J'ai deux questions. La première est sur la simplification des formalités européennes et françaises pour les RUP. En Seine-Saint-Denis, nous avons aussi des fonds structurels. Nous disons que nous passons un temps fou à apprendre le « bruxellois », mais une complexification existe aussi via notre administration et notre État.
Ressentez-vous cette complexification ? La craignez-vous dans la phase de renégociation qui se met en oeuvre dans la mesure où, avec le départ des Britanniques, le budget serait plus serré qu'il ne l'était jusqu'à présent ?
En ce qui concerne l'octroi de mer, je vous entends évoquer la production de porc de qualité. Dans l'hexagone, nous savons que des provinces entières sont extrêmement touchées dans ce secteur. Il m'a semblé comprendre que l'octroi de mer pour Bruxelles faisait finalement partie des affaires franco-françaises. Y aurait-il intérêt que nous travaillions conjointement pour trouver un compromis entre Bruxelles et les territoires ultramarins, les acteurs que vous êtes et le Gouvernement français, pour ne plus être dans la crainte sur l'avenir d'un certain nombre d'aides ?
Sur l'octroi de mer, une mission a été confiée à un cabinet italien. Je vous ai vu sursauter. Avez-vous été informé et consulté ? Avez-vous des propositions ? Y voyez-vous une preuve d'efficacité dans le choix de la Commission européenne de diligenter ce genre d'audit ?
Concernant la révision de la taxation d'octroi de mer, n'y a-t-il pas des incohérences de taux entre les territoires ? Quelles sont vos propositions sur l'évolution de l'assujettissement de l'assiette d'octroi de mer de 500 000 à 300 000 euros ? Ne vous semblerait-il pas opportun de revenir au seuil de 500 000 euros, étant donné que la diminution n'a pas semblé efficace ?
Concernant les avis successifs de l'autorité de la concurrence de 2009 à 2019, certaines études universitaires estiment que l'octroi de mer pèse sur les niveaux actuels de prix et pénalise la compétitivité des entreprises. Il conviendrait de chercher les causes des marges pratiquées sur certains produits du territoire. Nous sommes cette année à la croisée des chemins. Pour certains, l'octroi de mer est un outil pour renflouer les caisses, mais aussi à l'origine de la vie chère. Cette question fragilise le dispositif mais à ce jour, nul n'a de solution de remplacement.
Vos questions sont effectivement importantes. Monsieur le Sénateur Roger, la complexité bruxelloise est déjà extrême, mais nous ajoutons la complexité de monter des dossiers. Par exemple, si vous n'avez jamais vu un dossier de demande d'aide au fret, je vous conseille de le faire, car je vous assure qu'il faut un diplôme d'expert-comptable ou de très bons conseils pour le remplir.
J'ai vu des entreprises renoncer à demander cette indemnité car elles étaient incapables de remplir les dossiers. Le montant de l'aide au fret était encore proche de 30 millions d'euros par État en 2013-2014, contre 3 ou 4 millions d'euros inscrits dans la récente loi de finances. La complexité est telle qu'elle était très peu utilisée par les entreprises.
Lorsque nous avons fait l'évaluation de l'aide fiscale à l'investissement et de la défiscalisation, nous l'avons fait sur la base de l'imprimé 2083. Ces imprimés déjà extrêmement complexes sont insuffisants pour répondre aux exigences de la Commission européenne. L'imprimé ne répond pas à des questions essentielles. Par exemple, il ne renseigne pas sur le fait d'avoir, au cours des deux ou trois dernières années, présenté une demande de défiscalisation sur le même type d'investissement. Un grief que nous fait l'Union européenne est le « saucissonnage », un investissement dépassant le seuil d'éligibilité est fractionné pour tenter de le faire passer.
Non seulement nos procédures sont complexes, mais elles sont également insuffisantes. C'est ainsi le cas avec les imprimés 2083 pour l'aide fiscale à l'investissement outre-mer. Nous demandons à ce que ces imprimés soient plus simples et surtout qu'ils aillent à l'essentiel. Bercy ne semble pas y être favorable. Pour démontrer que la défiscalisation permet de répondre aux objectifs de développement de l'emploi, nous avons besoin d'imprimés plus simples et qui posent les bonnes questions.
En ce qui concerne l'octroi de mer, je savais que le sujet serait au coeur de nos débats. C'est un sujet franco-français pour l'Union européenne. On demande à la Commission de nous autoriser à avoir un taux différentiel pour protéger la production locale. L'octroi de mer est un sujet extrêmement complexe, je n'ai pas la compétence pour vous répondre.
L'outil fiscal répond à des logiques différentes : protection de la production locale, financement des collectivités, avec la question de l'impact sur le coût de la vie. Je suis plus nuancé que vous sur la vie chère. En 2012, la loi de régulation économique visait clairement à lutter contre la vie chère, pour essayer de mettre fin à une trop grande complexité de la formation des prix qui était analysée par le Gouvernement comme ayant pour origine une même structure à tous les niveaux en France. En simplifiant, la loi a obligé les entreprises qui s'y sont pliées à ne pas être à tous les bouts de la chaîne de distribution des produits.
Lorsque vous décidez comme la Guyane de protéger la production locale et que vous augmentez la taxation sur les produits surgelés en matière d'alimentation, l'octroi de mer va avoir un effet sur le panier de la ménagère. Mais je considère que protéger la production locale est essentiel, voire plus essentiel.
On me fera sûrement des reproches pour ce que je vais dire. Le blocage des ports français a généré des pénuries dans nos territoires. Par contre, nous avons mesuré l'importance de la production locale. Nous nous sommes rappelé que nous avions des légumes du pays et un certain nombre de productions locales. Nous avons fait grief à la production locale, parfois de façon très véhémente, d'être insuffisamment productrice par rapport aux besoins de la population.
Il faut trouver un équilibre. Si nous n'avions plus de production locale, nous serions pour le coup totalement une économie de comptoir. Nous pouvons organiser un dispositif en important tout et la ménagère y trouvera peut-être son compte, mais réglera-t-on le problème de l'emploi et du développement économique ? C'est un équilibre extrêmement complexe à trouver. Nous n'avons pas la réponse. Un même outil fiscal a des objectifs complètement différents et divergents.
Le seuil d'assujettissement a été effectivement voté en 2015. Cette réforme n'a pas répondu à l'objectif qui était d'avoir plus d'entreprises assujetties et plus de recettes fiscales. La recette fiscale a crû de 5 millions d'euros pour un différentiel fiscal de 300 millions d'euros. Cette réforme n'a pas été anticipée par les acteurs économiques. Elle a conduit à mettre en place une comptabilité distincte pour les PME/TPE. Elle mériterait d'être revue dans le cadre des discussions en cours sur ce sujet. Nous avions proposé en 2016 de porter le seuil de micro entreprise à 2 millions d'euros, lors de la révision du RGEC.
Le président Lurel a été cité par le président de la FEDOM. Souhaite-t-il intervenir ?
Je ferai un rappel historique. Lorsque nous avons décidé de revoir le seuil d'assujettissement des entreprises, nous étions d'accord entre présidents de région. En revanche, nous n'étions pas d'accord sur l'assujettissement possible des services. 164 entreprises en Guadeloupe sur 40 000 assujetties payaient l'octroi de mer. Les chiffres sont les mêmes en Guyane et c'est le cas de 150 entreprises en Martinique. Cette situation donnait l'impression d'une discrimination entre les entreprises. Il y avait peut-être une arrière-pensée de rendement qu'il faut peut-être réexaminer.
La deuxième chose concerne le seuil de 300 000 euros. Une entreprise de service, un expert-comptable ou un salon de coiffure dégageant 300 000 euros de chiffre d'affaires ne payait rien. Elle peut importer et ne rien payer. Il fallait corriger une dissymétrie. Nous n'avons pas été d'accord entre présidents de région.
À l'époque, j'ai eu droit à un article de presse sur la volonté de Monsieur Lurel d'augmenter le coût de la « coupe de cheveux ». À 300 000 ou 500 000 euros de chiffre d'affaires, vous êtes exonérés car il s'agit de services. Or 85 % de la richesse produite dans les Antilles provient des services.
L'octroi de mer peut être réformé de diverses manières. Mais le sujet doit être considéré de manière prudente, en tenant compte du financement des collectivités et du coût de la vie qui impacte les ménages. L'Union européenne demande quelle filière l'octroi a sauvé et pour quelle raison une tarification est imposée sur des productions qui n'existent pas dans les territoires d'outre-mer. Il faut mener cette réflexion. L'octroi de mer sera étudié par la commission des finances du Sénat en s'appuyant sur les conclusions de la délégation. Pour le reste, j'aurai l'occasion d'intervenir dans ce cadre, autant que possible.
Je voudrais vous inviter collectivement à être extrêmement prudents. La procédure de renotification du taux différentiel vient d'être lancée. Il ne faudrait pas que nos débats perturbent le dossier auprès de l'Union européenne. Je voudrais que nous obtenions le feu vert sur le taux différentiel pour cinq ans. Si nous nous lançons dans des débats sans fin sur l'octroi de mer, l'Union européenne pourrait nous rappeler à nos devoirs.
Je souhaite vous rassurer s'agissant de la démarche de la délégation. Nous tâchons toujours d'apporter des éclairages et non de la complexification. Nous sommes très attentifs à ce sujet.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, de la confiance accordée à notre délégation pour nous aider dans les démarches que nous entreprenons. Nous avons bien compris vos inquiétudes. Lors de notre déplacement à Bruxelles, le Président de la commission du développement régional du Parlement s'est montré alarmiste sur les risques de baisse du budget de la cohésion pour les RUP. Croyez-vous que le budget sera maintenu malgré la baisse de la PAC ?
On vous sent aussi inquiet étant donné que les priorités de l'Europe glisseraient vers l'Est. Quel est l'état d'esprit de la présidence croate à l'égard des RUP et qu'en attendez-vous ? Quel est le bilan de l'accès des PTOM aux programmes horizontaux sur le précédent cadre financier pluriannuel ? Comment faciliter l'accès des PTOM aux programmes horizontaux, jugés prioritaires par l'Union européenne ?
J'ai confiance dans cette délégation et j'apprécie beaucoup le travail parlementaire. Ce qui se passe au Sénat est extrêmement important étant donné que vous avez le temps de la réflexion. Nous travaillons beaucoup avec votre délégation depuis des années.
La question des normes doit être remise au coeur des débats pour demander à l'Union européenne une adaptation dérogatoire à certaines normes européennes sur notre territoire. Cela me paraît être un aspect extrêmement important. J'ai entendu des ministres dire que dans nos territoires, en Guyane ou ailleurs, la norme ne devait peut-être pas être la même qu'à Nîmes et qu'il fallait de la souplesse. Le travail sénatorial pourrait être très utile pour des évolutions dans ce domaine.
Le commissaire Phil Hogan avait donné son accord pour que la France garde la même part dans une enveloppe du Poséi qui diminuait. Son successeur a tenu les mêmes propos, mais encore faut-il que la France maintienne l'enveloppe Poséi pour nos territoires. La Commission européenne y est prête sous certaines conditions.
Concernant l'accès aux programmes horizontaux, nous avons constaté une grande méconnaissance des programmes existants. Les entrepreneurs se rendant sur place découvrent les programmes existants. Il y a un déficit de publicité sur les programmes et une très grande complexité pour remplir un dossier de demande d'aide. Il est difficile depuis le Pacifique de se rendre à Bruxelles et d'avoir accès à des aides. Il existe des critères d'accès aux programmes qui paraissent aberrants pour les PTOM lointains comme l'obligation de faire de la coopération avec deux autres pays de l'Union européenne. Un PTOM doit coopérer avec deux autres pays pour avoir certaines aides, par exemple la Belgique et l'Italie. Cet indicateur est invraisemblable pour les Néo-Calédoniens ou les Polynésiens.
Un axe de travail serait d'étudier la possibilité de créer des dérogations au vu de l'éloignement et de la complexité à accéder aux programmes. Nous éprouvons des difficultés à bénéficier des différents programmes en raison de leur complexité. La budgétisation entraîne l'application de l'annualité et un dégagement d'office si ce n'est pas consommé dans les temps. Les trois quarts des PME/TPE ne peuvent tout utiliser dans ces délais, ce qui ne leur permet pas de percevoir la même enveloppe. Il convient de faire en sorte que le dégagement d'office ne soit pas annuel, étant donné que cette disposition entraîne l'impossibilité pour les PTOM d'accéder aux programmes.
Nous avons récemment signé une convention de partenariat avec l'OCTA. Nous allons rencontrer d'autres associations pour peser davantage sur les enveloppes et leur répartition. Plus tôt nous nous y prendrons, mieux ce sera. Le fait que le Groenland reçoive la moitié de l'enveloppe des PTOM paraît aberrant. Nous devons effectuer un travail de lobbying pour que l'enveloppe soit répartie plus équitablement. Le fait d'être petit et éloigné ne justifie pas d'avoir 500 millions d'euros à se partager et une somme équivalente à celle versée au Groenland.
Le départ des Britanniques incitera l'Union européenne à diminuer l'enveloppe alors que la Nouvelle-Calédonie reçoit environ 30 millions d'euros sur les 500 millions d'euros du FED, dont la moitié est consommée par le Groenland.
En ce qui concerne l'OCTA, cette organisation sera présidée par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Les préoccupations économiques n'étaient pas au coeur des débats de cette organisation. Mais nous avons obtenu qu'une organisation d'entrepreneurs puisse siéger à l'OCTA. Cette proposition a été retenue et nous nous en félicitons. Nous allons désigner notre représentant à l'OCTA, M. Daniel Ochida. Sur les fonds FED, Mme Justine Bertheau va ajouter un complément sur la manière dont ils sont répartis dans le territoire.
Il appartient à chaque Gouvernement de déterminer la manière dont ils utilisent leurs fonds FED. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie, les fonds FED étaient utilisés durant les deux dernières programmations pour de la formation. Il appartient aux différents acteurs d'aller voir les représentants locaux qui disposent de cette enveloppe afin qu'une ingénierie soit mise en place au niveau local pour aider les entrepreneurs à accéder aux fonds européens. Il faut donc travailler avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie pour qu'une partie de l'enveloppe soit consacrée au soutien pour le montage des dossiers et à la publicité afin que les entreprises accèdent mieux aux différents programmes.
Je souhaite revenir sur la question du questionnaire relative à l'efficacité de la dérogation fiscale pour le rhum.
Sur la question de savoir si les dispositifs ont permis de préserver des filières, notamment celle du rhum, je rappelle que le taux différentiel a permis de sauver la filière de la cartonnerie en Martinique et Guadeloupe et c'est aussi le cas pour le rhum.
On sait que les enveloppes budgétaires globales, liées au cadre financier, vont diminuer et que, parallèlement, l'Europe a de nouveaux programmes. Cette nouvelle donne va-t-elle responsabiliser davantage les États membres dans l'utilisation des fonds européens ?
Ensuite, l'Union européenne a l'intention de mettre en place un système d'évaluation et de contrôle a posteriori imposant de rembourser les fonds mal utilisés. Cela a été le cas pour la pêche à la Réunion, ce qui soulève des difficultés. Cette méthode qui responsabilise l'État français par rapport aux RUP et PTOM vous convient-elle ? Ne mérite-t-elle pas d'être simplifiée ? Ce besoin d'ingénierie était déjà à l'ordre du jour en 2008. Mais cela n'a pas avancé. Bruxelles gère ses dossiers à sa manière.
Vous avez évoqué la question des normes. Par le passé, la délégation a rédigé un rapport sur l'inadaptation des normes dans le domaine agricole, à l'occasion d'une étude sur la filière sucre des RUP. Lorsque nous avons interpellé Bruxelles, la Commission européenne a répondu au Président du Sénat en soutenant qu'ils étaient particulièrement conscients de la réalité et disposés à adapter ces normes aux réalités.
Les normes agricoles et phytosanitaires sont conçues pour un continent à climat tempéré et non applicables à des îles comme Saint-Pierre-et-Miquelon, avec toutes les conséquences induites.
Nous avons voulu vérifier que la représentation de la France à Bruxelles était suffisamment étoffée. Nous l'avons vu lorsque nous avons reçu les représentations permanentes des régions, celles de la Guyane et de la Guadeloupe, leur connaissance des dossiers et des réalités était exemplaire mais elles sont dotées de peu de moyens. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Vous avez raison de soutenir que quelque chose ne marche pas dans cette organisation. Tout d'abord, l'Union européenne ne connaît pas les territoires d'outre-mer. Elle en a une certaine conception. Le Président Juncker a gardé un souvenir très attachant de la Guyane mais en a une conception extrêmement distancée. On se plaint souvent de notre manque de visibilité en France métropolitaine, mais auprès de l'Europe, la situation est encore plus compliquée.
L'article 349 voudrait dire que la France présente à l'Union européenne des dispositifs d'aide d'État qui permettront de réduire ces difficultés : l'aide fiscale à l'investissement, les exonérations, etc. Nous présentons un programme auprès de l'Union européenne qui doit s'assurer si cette aide est utilisée pour la compensation du handicap et non pour créer des distorsions de concurrence. C'était ce que nous avions avec le dispositif de notification. On devait dire que nous étions dans les clous.
Le RGEC a été présenté comme un dispositif plus favorable étant donné qu'il n'y a pas lieu à notification préalable mais seulement un contrôle a posteriori. Il y a eu des débats épiques pour le plafonner avec un certain nombre de critères (valeur ajoutée, masse salariale, chiffre d'affaires, etc.). Le Président de la République a dû se battre pour obtenir du Président de la Commission européenne que le chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros soit sanctuarisé. Nous avons des handicaps. Comment les compenser ? Nous présentons un programme d'ensemble à Bruxelles qui ne se sent pas concerné par la suite. Or nous avons un dispositif qui nous place sous un contrôle quasi permanent, parfois tatillon, avec les inquiétudes que vous évoquez.
Je ne reviens pas sur les enveloppes. Lorsque deux commissaires se succèdent et prétendent que même si l'enveloppe se réduit et que d'autres programmes doivent être mis en oeuvre, nous reconnaissons que la France doit bénéficier des mêmes montants qu'avant, c'est une bonne nouvelle, mais ce n'est pas rassurant si le Gouvernement n'en fait pas une priorité. En fait-il une priorité, Monsieur le Président ? Les difficultés constatées sur le sucre cette année sont liées au fait que le Gouvernement fait des arbitrages qui ne vont pas forcément dans le sens que nous souhaiterions.
Nous devons peut-être être plus réactifs. Je n'ai toujours pas compris comment nous avons pu céder aux oukases européens qui ont assujetti les grands ports maritimes de Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion à l'impôt sur la société (IS). Ils en étaient dispensés et ont été assujettis au nom du principe de concurrence. La concurrence du grand port de Martinique ne vient pas de Rotterdam ou du Havre, mais éventuellement de Pointe-à-Pitre. Dans les livres saints, on parle de « pusillanimité ». Nous l'avons été au niveau européen sur ce sujet. Nous avons parfois des attitudes extrêmement défensives. Nous sommes amenés à nous battre lorsque nous sommes mis en demeure. La relation à l'Europe devrait être extrêmement différente. Au-delà de l'article 349, la libre autonomie des États doit être garantie.
Sur un certain nombre de sujets, nous devrions être autonomes en termes d'adaptation nationale des normes. Que fait le Gouvernement ? Est-ce qu'il y va ? Non. J'entends les ministres qui s'interrogent sur la nécessité d'adapter les normes à nos territoires. Pour le moment, cela ne bouge pas. Ces décisions auraient pourtant un impact sur la vie chère. Réduire les coûts de construction, ce n'est pas neutre, et nous pourrions le faire avec des normes adaptées.
Si l'enveloppe Poséi reste stable, à charge pour la France d'apporter la preuve qu'elle reste stable a posteriori. Sur les normes, l'Union européenne soutient qu'elle est prête à en tenir compte et demande qu'on lui apporte les éléments utiles. Nous avons peut-être un rôle en tant que parlementaires sur ce sujet, à condition d'un travail en synergie.
Dans le domaine agricole, la prise en compte des filières n'est pas la même. Certaines sont les parents pauvres par rapport aux programmes opérationnels. Vous parlez de l'ingénierie, mais ce n'est pas que cela. Des choix stratégiques ont été effectués. Un nombre croissant de personnes formées et informées tiennent compte des problématiques. Des arbitrages sont effectués, mais pas forcément dans l'intérêt de nos territoires.
En ce qui concerne les risques naturels majeurs, très souvent, les entreprises agricoles ne sont pas de grande taille. Malheureusement, compte tenu des risques naturels majeurs, il y a parfois une instabilité de la production dans l'élevage, l'agriculture et la transformation. Il faudrait que l'on puisse travailler davantage en termes d'adaptabilité aux différentes situations des entreprises agricoles.
Il convient de se pencher aussi sur la concurrence. Les directives européennes imposent un certain nombre de normes de la part des professionnels, cela entraîne un surcoût. Leur production est en concurrence avec des filières qui ne répondent pas à toutes les normes de qualité. Il est important d'intervenir pour mettre un terme à la concurrence déloyale des pays qui ne les respectent pas. Il s'agit là de santé et d'environnement. Il faudrait que notre Gouvernement exige qu'une démarche soit engagée. Nous ne pouvons pas mettre des produits qui viennent du Brésil et d'autres pays sur le même plan que les nôtres.
Il faudrait également valoriser notre production de sucre. La France devra se positionner clairement sur la protection de nos entreprises après le Brexit. Une réflexion doit être engagée pour permettre aux entreprises d'outre-mer d'être compétitives, concurrentielles et que les chefs d'entreprise bénéficient d'un arbitrage sérieux et cohérent dans le positionnement de la France.
Certains territoires sont autonomes pour certaines productions, notamment la production d'oeufs, d'autres non. Entre la Guadeloupe et la Martinique, la différence est énorme en matière de production d'oeufs. À Mayotte, nous importons 90 % de poulet du Brésil alors que la production phare est l'aile de poulet. J'ai entendu une histoire à Mayotte sur un homme qui voulait faire de la production maraîchère. Il a éradiqué les souches de bois et commencé une culture maraîchère, a capté l'eau d'une petite rivière. Durant trois ans, il a alimenté le marché dans des conditions extrêmement satisfaisantes. Au bout de deux ou trois ans, le « drone » de la DEAL (Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement) survole sa propriété. L'administration soutient alors que les travaux ont été effectués sans autorisation, les arbres rasés sans autorisation et la rivière détournée sans autorisation. Il a été obligé d'arrêter son activité. Je ne défends pas l'illégalité, mais il faudrait de temps en temps un peu de souplesse.
Ce que vous avez dit est fondamental, Madame la Sénatrice. L'Europe impose de nombreuses normes, notamment au plan phytosanitaire. Nous connaissons les conséquences sur la santé de produits dispersés sans aucune précaution durant de nombreuses années.
Nous avons dans les mêmes territoires la production de bananes la plus sécurisée au monde, celle qui utilise le moins de pesticides, de fongicides et d'herbicides, mais qui ne peut s'appeler biologique pour un certain nombre de raisons. Nous faisons de la banane durable de grande qualité, mais elle n'est pas biologique. Lorsque les producteurs de banane de Martinique et Guadeloupe ont présenté au Salon de l'agriculture avec un stand « la banane antillaise, mieux que bio », ils ont eu un procès retentissant. L'épandage a été interdit. Ils ont vendu le matériel d'épandage à l'Équateur, au Costa Rica, c'est-à-dire des pays qui exportent de la banane biologique en Union européenne !
L'Union européenne, qui impose les normes que nous connaissons, a signé des accords avec un certain nombre de pays. Elle n'a pas aujourd'hui la volonté d'assurer un contrôle de ces produits vendus en Europe et de s'assurer qu'ils aient respecté les normes imposées à nos producteurs. Cette distorsion de concurrence est criante.
J'étais un jour en Martinique sur des stands de Fort-de-France. Je demandais de l'ananas de Martinique. Cette demande relevait de la gageure. Les ananas vendus sur place venaient de pays où ils sont produits avec de nombreux produits interdits dans l'Union européenne. Ce sujet majeur doit être évoqué. Il faut appeler l'Europe à la vigilance quant à la protection des consommateurs vis-à-vis des pays qui lui font de la concurrence déloyale.
Nous avons abordé ce sujet lors des accords avec le Vietnam sur le sucre, ainsi que lors de la signature des accords avec l'Amérique centrale sur la banane. Les préconisations du Sénat ont été très précises sur ce sujet. Nous sommes heureux d'avoir accompli notre travail et d'avoir alerté. En revanche, que faire pour que ce soit davantage suivi d'effet ? Pour nous parlementaires, la balle quitte notre camp lorsqu'elle est transmise au Gouvernement et à Bruxelles. Il y a là un combat à mener entre les États membres. Il y a une concurrence déloyale et peut-être une mise en danger de la santé des consommateurs européens que nous sommes.
À l'intérieur de l'Union européenne, l'État doit imposer son rythme et protéger ses salariés. Nous subissons la concurrence depuis de nombreuses années. Ce n'est pas l'Europe qui génère des difficultés, c'est notre État qui se complexifie. Les dossiers administratifs pour obtenir des aides sont complexes. C'est sur ces sujets qu'il faut se battre : l'État plus protecteur pour les produits qui entrent ; et plus de facilité pour les entreprises d'accéder aux fonds européens.
Il y a eu une proposition du Sénat sur la « surtransposition » des normes européennes. Tout le monde s'accorde à dire que nous contraignons davantage que l'Union européenne. De ce point de vue, je m'étonne que la voix de la France ne soit pas entendue plus fortement pour défendre ses territoires, bien qu'elle soit un contributeur important de l'Union européenne. Les questions de RUP, de normes, etc., devraient être traitées en amont pour que la voix de la France soit défendue au niveau européen.
Lorsque la FEDOM est obligée de faire du lobbying et de rencontrer la Commission pour faire comprendre leurs difficultés à ses agents, c'est le rôle de l'État. La France n'est pas la seule à avoir des régions ultrapériphériques. Il convient de se demander si l'Espagne et le Portugal rencontrent les mêmes difficultés. Nous avons des alliés. Comment faire pour former un bloc entre l'Espagne, le Portugal et la France afin que ces pays constituent des voix fortes au sein de l'Union européenne ?
Enfin, le Royaume-Uni a demandé ou obtenu une période transitoire. Cette demande est compréhensible. Mais comment vouloir que les pêcheurs anglais continuent à prélever leurs poissons durant cette période transitoire en interdisant dès le 3 février la pêche des Français autour de Guernesey ? Ce sujet aurait dû être anticipé. Tous les gouvernants travaillent par réaction. Il faudrait davantage anticiper pour porter plus fortement la voix des territoires.
Nous sommes contraints de reconnaître que l'Europe ne nous connaît pas. À un moment, il faudra avoir une réaction commune pour que l'Union européenne cesse de nous traiter sans nous connaître. À mon sens, il n'y a pas de question plus urgente à traiter. À Bruxelles, j'ai soutenu que mes interlocuteurs ne me connaissaient pas et je les ai invités à venir dans les Antilles. Ils traitaient la pêche, le sujet qui m'intéresse le plus, sans connaître le sujet.
Je suis entièrement d'accord avec les remarques de notre collègue Maurice Antiste. La France surtranspose des réglementations qui deviennent lourdes pour l'outre-mer. Je souhaite poser deux questions. La concurrence entre sucre britannique et d'outre-mer vous inquiète-t-elle après le Brexit ? Êtes-vous favorable à une augmentation du contingent de rhum à fiscalité réduite ? Quelles sont vos recommandations en matière de production de sucre et de rhum après le Brexit ?
Je n'ai aucune compétence sur ces sujets. Nos amis d'EURODOM auraient pu vous répondre. Maurice Antiste, Dominique Théophile et Guillaume Arnell ont raison. L'Europe a ses responsabilités, mais nous devons être cohérents. Bien savoir où nous voulons aller réglera la moitié des problèmes. Nous sommes trop souvent en ordre dispersé. Nous avons travaillé sur le rhum et notamment l'efficacité des dérogations.
Avez-vous été d'une manière ou d'une autre associée ou consultée dans les négociations relatives au nouveau cadre financier pluriannuel ? Avez-vous une relation avec la Représentation permanente à Bruxelles ? Je souhaiterais savoir si vous êtes dans le pôle de concertation.
Nous échangeons parfois avec les la représentation permanente, de manière moins fréquente qu'EURODOM avec eux. Nous n'avons pas d'échange direct avec les principaux acteurs de la négociation sur le cadre financier, mais nous pouvons être amenés à être sollicités. Vous avez posé une question sur le cabinet italien mandaté par la commission européenne. Dès qu'il a commencé ses investigations, il nous a sollicités avant de se rendre sur les territoires et de rencontrer les acteurs locaux pour effectuer un premier tour d'horizon sur l'octroi de mer.
Le cabinet italien doit rendre ses conclusions en mars/avril 2020 à la DG Taxud. Il nous semble ouvert, sans a priori, sans idée préconçue, avec une mission comprenant les taux différentiels, la gestion des différentiels par chaque collectivité, et la possibilité de simplifier ce dispositif. Il ne s'interdit pas d'étudier l'impact de l'octroi de mer sur les prix avec une approche macroéconomique.
Le cabinet a indiqué qu'il ferait un retour en fin de mission et nous l'attendons avec intérêt. Nous avons aussi été auditionnés par l'IGF-IGA dont le périmètre concerne la gestion des différentiels par les régions.
Nous risquons d'envoyer des signaux contradictoires si nous allons trop loin alors que nous sommes engagés dans un processus de renégociation des différentiels. Il y a une contradiction à multiplier les études alors que le calendrier est contraint. Nous sommes sollicités, nous avons de plus en plus de contacts avec les instances européennes. Il y a une volonté de la FEDOM d'explorer ce champ et d'anticiper sur un certain nombre de problématiques européennes. Lors des missions réalisées à Bruxelles en juin 2020, nos interlocuteurs étaient surpris de nous voir et en attente d'autres rencontres. Ils ont dit : « venez nous voir ». Nous avons rencontré des représentants de la DG DEVCO (Direction générale du Développement et de la Coopération internationale), de la Direction générale des affaires économiques et financière, d'Invest UE, l'AFD, etc.
Invest UE entre dans le champ de compétence que nous avons pour les PTOM. Lorsque nous sommes allés en Nouvelle-Calédonie, nous avons rencontré le représentant de l'Union européenne. Je lui ai posé une question très simple : le plan Juncker est-il opérationnel pour les PTOM ? Le représentant de l'Union européenne ne savait pas répondre à cette question simple. En revanche, il est certain aujourd'hui que les PTOM sont éligibles au plan Invest EU (qui se substitue au plan Juncker). Les conditions de ce plan sont cependant particulières : l'UE vient en garantie bancaire et non en investisseur premier. Cette nouveauté était importante, nous avons nommé une directrice des affaires européennes, Mme Florence de Palmas, qui travaille avec Mme Justine Bertheau. Nous avons été trop franco-français jusqu'à présent. Le Pacifique, un axe majeur pour la FEDOM, nous incite à être beaucoup plus présents en étant leur relais et leur porte-parole plus efficacement à Bruxelles.
La Nouvelle-Calédonie avait par le passé une certaine efficacité dans la gestion des fonds européens. La politique de l'Europe vis-à-vis de ses territoires associés que sont les PTOM me semble moins ambitieuse que celle menée vis-à-vis des ACP. Je voudrais vous écouter Madame sur la taxation du rhum et les dérogations.
L'ensemble des études et évaluations réalisées à ce jour confirme que les dérogations constituent des instruments appropriés pour compenser les surcoûts de la filière canne et rhum dans nos territoires. Ces travaux ont tous démontré que cette aide contribue à la solidité de la filière dans son ensemble et ont révélé son caractère structurant dans l'économie d'outre-mer.
Elle ne se manifeste pas par un surenchérissement des prix démesurés. Il apparaît une absence d'effet d'aubaine, notamment pour les acteurs de la grande distribution. Dès lors que nous parlons d'aide, nous pensons effet d'aubaine, mais ce n'est pas le cas. Si ces dispositifs de dérogation fiscale disparaissaient, ce serait catastrophique pour nos territoires. La compétitivité du rhum des départements et régions d'outre-mer serait nécessairement impactée. La concurrence du rhum des pays tiers ne permettrait pas à nos rhumiers traditionnels d'avoir un modèle viable et concurrentiel. Je voulais souligner ce point en réponse à votre questionnaire.
Il me reste à vous remercier pour cet échange. Nous sommes preneurs si vous voulez nous fournir des éléments en complément à ce qui a été dit.
Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour ces échanges toujours fructueux.