Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les règles de notre procédure pénale ont été adaptées afin de mieux régler certains contentieux pénaux spécifiques dont, en raison de leur nature ou de leur gravité, le traitement justifiait des procédures particulières faisant intervenir des magistrats ou des juridictions spécialisés.
Cette spécialisation fut engagée en 1986 en matière de lutte contre le terrorisme, cette lutte justifiant de donner une compétence nationale spécialisée aux juridictions parisiennes, puis poursuivie par la création de nombreuses autres compétences spécialisées, au niveau national ou interrégional, notamment en matière économique et financière, de délinquance et de criminalité organisées, de santé publique ou de crime contre l’humanité.
Cette exigence de spécialisation a plus récemment conduit à la création du parquet national financier par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, puis du parquet national antiterroriste par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Cette exigence de spécialisation a également conduit à l’adoption du règlement européen du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, afin d’améliorer la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Les principaux objectifs du projet de loi que nous examinons cet après-midi sont ainsi d’adapter notre législation à la création du Parquet européen et de poursuivre l’amélioration des dispositifs actuels de notre droit national concernant la justice pénale spécialisée.
Ce texte appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, la création du Parquet européen s’inscrit dans la perspective de la construction d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Afin de respecter la souveraineté des États en matière judiciaire, son organisation est cependant décentralisée : les procureurs européens délégués, désignés dans chaque État membre, seront chargés de conduire les enquêtes et de représenter le ministère public devant les juridictions de jugement nationales.
Cette organisation décentralisée n’était pas celle qui avait été envisagée par la Commission européenne lorsque celle-ci avait présenté, en 2013, sa proposition initiale de règlement portant création du Parquet européen. Ce projet de la Commission était, à l’origine, très intégré : un procureur unique aurait disposé d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes dans toute l’Union européenne.
Ce projet s’est heurté à la ferme opposition de plusieurs États membres.
En effet, pour la première fois, 14 chambres parlementaires nationales, dont le Sénat français, ont mis en œuvre la procédure dite du « carton jaune » – rien à voir avec le football –, estimant que la proposition de la Commission européenne ne respectait pas le principe de subsidiarité.
Après quatre années de négociation, je me réjouis qu’un compromis ait été trouvé autour de quelques principes : compétence partagée avec les autorités nationales ; organisation collégiale ; désignation de délégués nationaux chargés de conduire les enquêtes dans chaque État membre.
Ce compromis n’a toutefois pas convaincu la totalité des États membres de l’Union européenne, ce qui a justifié de recourir à la procédure dite de coopération renforcée. Y participent 22 États, à l’exclusion de l’Irlande et du Danemark, qui bénéficient d’une clause dite d’« opt-out » dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ainsi que de la Hongrie, de la Pologne et de la Suède, qui ont refusé de s’y joindre.
En deuxième lieu, ce projet de loi, dans son titre II, étend les compétences des parquets nationaux spécialisés, prévoit la création d’un pôle spécialisé dans le contentieux environnemental dans le ressort de chaque cour d’appel, et fixe des règles destinées à régler les conflits de compétences entre juridictions. Ces dispositions ne présentent aucune difficulté.
En troisième et dernier lieu, ce projet de loi comporte des mesures d’adaptation du code de procédure pénale à diverses décisions rendues par le Conseil constitutionnel ou par la Cour de cassation.
Il contient aussi deux mesures de fond : la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les réseaux de transport public et une demande d’habilitation du Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de financement d’un fonds destiné à favoriser une présence équilibrée sur le territoire des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.
Je me félicite de ce que, par ses travaux, la commission ait apporté quelques modifications au projet de loi sans remettre en cause ses équilibres.
Elle a notamment tenu à préciser les règles applicables aux procureurs européens délégués.
Elle a également complété les dispositions relatives à l’interdiction de paraître dans les transports publics, pour rendre cette mesure opérationnelle.
Elle a en outre supprimé la demande d’habilitation que je viens d’évoquer, afin d’autoriser directement les ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir, auprès de leurs membres, des contributions destinées à financer des aides à l’installation ou au maintien des professionnels.
À cet égard, je tiens à saluer la qualité des travaux du rapporteur, notre collègue Philippe Bonnecarrère.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants porte un regard positif sur ce texte, d’autant que la structure du Parquet européen, dans sa conception actuelle, est une victoire du Sénat français !
Il votera donc ce projet de loi à l’unanimité.