Intervention de François Bonhomme

Réunion du 25 février 2020 à 14h30
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 17 juillet 2013, la Commission européenne a déposé une proposition de règlement afin de créer un Parquet européen, avec l’intention de « combler les lacunes du système répressif actuel, qui repose exclusivement sur les efforts nationaux, et d’assurer une plus grande cohérence et une meilleure coordination de ces efforts ».

Or, en la matière, il y a bel et bien urgence à agir. Je rappelle que, entre 2010 et 2017, l’Office européen de lutte antifraude a recommandé le recouvrement de plus de 6, 6 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne. Il a par ailleurs présenté plus de 2 300 recommandations concernant des mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives que devraient prendre les autorités compétentes des États membres et de l’Union européenne.

Je rappelle également que l’Office européen de lutte antifraude ne dispose d’aucun pouvoir de sanction.

La Commission européenne estime quant à elle que la fraude à la TVA pourrait, à elle seule, représenter près de 50 milliards d’euros de pertes par an pour les budgets des États membres de l’Union européenne.

Il n’est pas inutile de rappeler aussi que ce projet de règlement a d’abord été rejeté par de nombreux États membres, dont la France, puisqu’il s’appuyait sur l’idée de créer un Parquet européen incarné par un procureur unique et disposant d’une compétence exclusive pour enquêter sur et poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Cette première proposition s’opposait donc directement au principe de subsidiarité.

À l’issue de nombreuses négociations, c’est finalement en ayant recours au mécanisme de la coopération renforcée que les ministres de la justice français et allemand de l’époque ont fait avancer le texte, via l’idée d’une coopération collégiale sous la forme de procureurs délégués.

Le règlement a été définitivement adopté le 12 octobre 2017, et le nouveau Parquet européen reposera sur deux organes distincts : d’une part, le collège, composé d’un chef du Parquet européen et de procureurs européens ; d’autre part, des chambres permanentes, mises en place par le collège, qui superviseront et dirigeront les enquêtes en décidant notamment des classements sans suite, des procédures de poursuites simplifiées ou des renvois des affaires devant les juridictions nationales.

L’un des enjeux principaux est donc de donner au procureur délégué des compétences qui relèvent en France du seul juge d’instruction.

Le projet de loi donne compétence au procureur européen délégué pour recourir à des actes qui relèvent normalement du juge d’instruction. Il pourra placer la personne mise en cause sous contrôle judiciaire mais ne pourra pas prendre seul des mesures attentatoires aux libertés comme l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou le placement en détention provisoire.

Seul le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur européen délégué, sera compétent pour autoriser ces mesures – cela a été dit.

Enfin, l’ensemble des affaires seront jugées par les juridictions parisiennes, à savoir le tribunal judiciaire et la cour d’appel.

Comme le souligne notre collègue Philippe Bonnecarrère, que je salue, dans son rapport, ce mécanisme équilibré, favorablement accueilli par notre commission des lois, ne peut que satisfaire l’ensemble de nos concitoyens.

Le Parquet européen a également le mérite de rassembler l’ensemble des services de l’Union européenne, que ce soit l’Office européen de lutte antifraude ou l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs.

En effet, Europol pourra être amené à fournir toute information pertinente au sujet des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, et à apporter une aide à l’analyse dans le cadre d’une enquête.

Je note également que ce projet de loi permettra de mieux traiter les infractions environnementales, madame Assassi, puisque trois quarts des procédures aboutissent à des alternatives aux poursuites.

D’ailleurs, la durée des procédures a un impact direct sur les sanctions prononcées, qui n’apparaissent pas toujours dissuasives et à la hauteur des enjeux environnementaux. Selon l’étude d’impact, sur 1 993 personnes physiques condamnées en 2018, seules 27 ont écopé de prison ferme et 954 se sont vu infliger des amendes fermes d’un montant de 1 464 euros en moyenne. Sur 139 personnes morales condamnées en 2017, il n’y a eu que 60 amendes fermes.

Le Parquet européen permet donc de renforcer la construction d’une justice européenne qui permettra à l’Union de se défendre efficacement contre les atteintes à ses propres intérêts.

Selon l’étude d’impact, le Parquet européen devrait récupérer entre 60 et 100 dossiers français par an.

Je salue également le souhait du Gouvernement de faire figurer dans ce projet une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics.

En effet, cette disposition de la loi d’orientation des mobilités (LOM) avait été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

Cette mesure attendue permettra de lutter contre les affaires de vol à la tire ou d’attouchements sexuels commis dans les transports en commun. On ne peut tolérer que, dans une ville touristique comme Paris, le nombre de vols à la tire ait progressé de 40 % entre 2018 et 2019. Pas moins de 31 000 infractions de ce type ont été recensées dans le métro parisien. Chacun sait qu’elles sont le plus souvent commises par des multirécidivistes dont le visage est parfaitement connu des forces de l’ordre sur le terrain, ainsi que du personnel de la RATP. Celui-ci joue d’ailleurs un rôle extraordinaire de prévention, que je salue, en alertant régulièrement les passagers.

C’est donc avec un œil bienveillant que nous examinerons ce projet de loi qui répond à de nombreuses attentes et qu’il est désormais urgent de mettre en œuvre.

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