Or la position du Conseil d'État est constante.
Dans son rapport public de 2001, consacré aux autorités administratives indépendantes, le Conseil d’État présentait les conclusions suivantes :
« Si les autorités administratives indépendantes méritent d’exercer leur mission en toute liberté, en particulier lorsque des décisions individuelles sont en cause, l’unité de l’État et la cohérence de l’action publique doivent en effet être préservées.
« Cela passe notamment par une présence mieux organisée du Gouvernement auprès de certaines autorités administratives indépendantes. […]
« À mesure que le nombre d’autorités administratives indépendantes s’accroît, il est, en effet, essentiel que le Gouvernement ait la possibilité de faire valoir, au-delà des approches sectorielles, les orientations générales de l’action publique. »
Car c’est bien le Gouvernement qui répond juridiquement et politiquement de l’action de l’État, y compris devant le Parlement, mesdames, messieurs les sénateurs !
Troisièmement, en proposant la création d’une fonction de commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP, le Gouvernement est parfaitement respectueux du droit européen.
L’unique fonction du commissaire du Gouvernement est de présenter aux membres de l’autorité les orientations de la politique du Gouvernement dans le secteur et de leur faire part, le cas échéant, de ses préoccupations et interrogations.
Le commissaire du Gouvernement ne dispose d’aucune prérogative lui permettant de contraindre en quoi que ce soit l’autorité ou ses membres. Il ne peut leur donner aucune instruction. Il ne participe pas aux délibérations. Il se retire lorsque le collège délibère. Il n’est pas issu du service chargé des participations de l’État. Il respecte l’exigence de « séparation structurelle effective » requise par le droit européen.
Une telle proposition est donc parfaitement conforme aux directives européennes, aux termes desquelles les États membres « veillent à ce que les Autorités nationales de régulation exercent leurs pouvoirs de manière proportionnée, impartiale et transparente ».
J’ai donc répondu très longuement. J’ai fait parvenir à chacune et à chacun d’entre vous la lettre que j’ai adressée à Mme Neelie Kroes.
Je vous indique simplement que le Parlement français n’est pas obligé d’obtempérer instantanément à toute injonction et de se laisser dicter son calendrier et ses méthodes ! Je respecte la Commission européenne, qui est gardienne des traités, mais elle n’a pas à influer sur l’ordre du jour de vos délibérations. Là aussi, je vous suggère d’y réfléchir plus avant.
Quatrièmement, la plupart des autorités administratives indépendantes dotées d’un pouvoir réglementaire dans la sphère économique sont d’ores et déjà dotées d’un commissaire du Gouvernement sans que leur indépendance et leur impartialité soient contestées.
Ainsi, la Commission de régulation de l’énergie, l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de contrôle prudentiel et la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui toutes exercent dans des secteurs d’activité où l’État peut être actionnaire, partenaire ou acteur lui-même, sont toutes dotées d’un commissaire du Gouvernement, et nul ne conteste leur indépendance ou leur impartialité !
Mesdames, messieurs les sénateurs, alors que vous vous apprêtez à supprimer l’article 13, avez-vous pour nouvelle doctrine de supprimer également les commissaires du Gouvernement dans toutes les autorités indépendantes chargées d’une compétence économique que je viens d’évoquer ?
D’ailleurs, j’ai noté que Michel Teston n’en était pas loin. Citant de nouveau Mme Neelie Kroes, il a suggéré que la suppression du commissaire du Gouvernement pourrait également concerner la Commission de régulation de l’énergie. Comme je ne suis pas certain d’avoir bien compris sa position, j’aimerais qu’il nous apporte quelques précisions…
Cinquièmement, la loi donne au Gouvernement et à l’ARCEP des pouvoirs réglementaires qui sont de plus en plus imbriqués et qui rendent indispensable un tel dialogue renforcé et quotidien. Je vous donnerai trois exemples, concernant respectivement les fréquences, le déploiement du très haut débit fixe et la protection du consommateur.
D’abord, l’ARCEP propose les conditions d’attribution des fréquences, tandis que le ministre chargé des communications électroniques les fixe par voie d’arrêté.
Ensuite, l’ARCEP définit les conditions techniques et tarifaires pour les déploiements de la fibre optique dans les immeubles anciens, tandis que le ministre chargé des communications électroniques fixe les obligations dans les immeubles neufs. Dans ces conditions, comment pourrions-nous ne pas communiquer et échanger quotidiennement, ce qui est l’objet de la présence d’un commissaire du Gouvernement ?
Enfin, l’ARCEP vient de publier trente mesures relatives à protection du consommateur dont la mise en œuvre relève en grande partie de la loi ou du pouvoir réglementaire du Gouvernement, par exemple les conditions de résiliation des abonnements ou le déverrouillage des téléphones mobiles.
La présence d’un commissaire du Gouvernement est un gage de transparence. Elle permet aux membres du collège de bénéficier d’un avis complémentaire, outre celui des services, qu’il est libre de suivre ou non.
Vous rendez-vous compte de ce que vous voulez empêcher ?
L’objet du dispositif prévu à l’article 13 est simple. Nous voulons que les membres du collège puissent simplement entendre l’avis du Gouvernement ou des fonctionnaires de Bercy ; ensuite, le commissaire du Gouvernement se retire et les membres du collège délibèrent seuls.
Êtes-vous si gênés que le Gouvernement puisse exprimer sa vision sur des sujets auxquels vous êtes tous attachés ? Pourquoi voulez-vous priver le collège de l’ARCEP de la possibilité d’entendre la position du Gouvernement ? Pensez-vous vraiment que l’expression d’opinions différentes remette en cause l’indépendance des décisions ?
Au nom de quel principe l’opinion du Gouvernement, qui assume le moment venu la responsabilité politique des décisions prises – dois-je vous rappeler que l’ARCEP n’aura de compte à rendre ni aux électeurs ni au Parlement ? –, ne devrait-elle pas être présentée aux membres du collège ?
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime avec passion, car il est des procès d’intention que je trouve particulièrement injustes !
D’ailleurs, je suis extrêmement surpris devant certaines positions. Vous savez tous combien les marges de manœuvre de l’exécutif et du législatif sont, compte tenu des règles européennes, de la globalisation et du poids des autorités indépendantes, réduites. Je ne vois pas pourquoi vous voulez aggraver le phénomène en supprimant la possibilité pour le Gouvernement de donner simplement son point de vue, le commissaire du Gouvernement se retirant avant le début des délibérations !