Cette proposition de loi ne porte pas principalement sur la fiscalité, qui ne fait l'objet que de huit articles. Je vous exposerai le « demi-maquis » que constitue le code fiscal pour les Français de l'étranger, ou plutôt pour les contribuables non-résidents.
En effet, nous ne disposons pas de bases fiables nous indiquant qui sont les Français de l'étranger. Nous savons fiscalement qui sont les contribuables non-résidents payant des impôts en France, mais sans distinction de nationalité. C'est la même chose pour les résidents. Ce n'est donc pas étonnant, monsieur Bocquet, que l'on ne connaisse pas le nombre de contribuables exilés pour des raisons fiscales... De qui parle-t-on alors ?
En 2018, il y avait 223 674 foyers fiscaux non-résidents, imposés à hauteur de 1,3 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). L'absence de données alimente l'image d'Épinal selon laquelle les Français de l'étranger seraient majoritairement des grosses fortunes exilées en Belgique... Mais cela va du serveur au broker à Londres ! Ces Français n'ont pas le même patrimoine, pas le même revenu, pas la même imposition !
C'est un demi-maquis, car la fiscalité appliquée aux non-résidents est extrêmement complexe pour les particuliers. La direction des impôts des non-résidents (DINR), direction de Bercy, est obligée de répondre presque individuellement à chaque contribuable... Lorsque l'impôt est aussi inintelligible, est-il conforme à la Constitution ?
Les non-résidents ont beaucoup de mal à trouver des interlocuteurs. La DINR, composée de 385 personnes, recrute environ 20 personnes supplémentaires chaque année pour faire face à cette complexité. Il est intéressant de voir que Bercy élabore des règles fiscales complexes pour embaucher du personnel afin de les expliquer...
Un même foyer fiscal peut en outre avoir des revenus de source française et des revenus de source étrangère, par exemple un contribuable peut avoir un conjoint gagnant un salaire dans le pays de résidence. La France s'enorgueillit d'avoir le plus de conventions fiscales au monde. Mais comment comprendre ce que l'on doit payer ici ou là ? Selon la directrice de la DINR, tout nouvel agent des impôts recruté à la DINR met entre six mois et un an pour comprendre ce système. Comment nos concitoyens peuvent-ils alors s'y retrouver ?
Chaque entreprise envoyant nos compatriotes à l'étranger devrait leur fournir la convention fiscale avec une note d'explication - même si, certes, cela ne relève pas de la loi. Les grands groupes ont souvent des avocats spécialisés, mais cette mesure serait aussi très utile dans les PME. La déclaration 2042-C pour la retenue à la source des Français de l'étranger est un document de huit pages, incompréhensible. C'est soi-disant comme pour les résidents, mais tout est différent selon la situation du conjoint, l'origine des revenus... On se croirait dans l'émission Jeux sans frontières, avec Guy Lux qui explique et Gennaro Olivieri qui arbitre... C'est un peu comme cela la fiscalité des Français de l'étranger : on n'y comprend rien, et la DINR doit tout expliquer.
J'en viens à l'examen des articles 23 à 30. Je vous propose des amendements, en liaison avec les auteurs de la proposition de loi, pour sécuriser les dispositifs proposés. Certains articles étaient en effet des articles d'appel, pour montrer à quel point les Français de l'étranger sont maltraités - et le sont encore - par notre code fiscal.
J'ai souhaité examiner les dispositions fiscales proposées avec trois exigences : premièrement, prendre la mesure de la situation particulière des non-résidents, soumis à une obligation fiscale limitée sur leurs revenus de source française et contribuant à l'impôt national sans bénéficier des contreparties - ; deuxièmement, sécuriser juridiquement l'extension de certains dispositifs fiscaux aux non-résidents ; et, troisièmement, garantir une égalité de traitement en particulier entre résidents et non-résidents.
Le sujet majeur de la proposition de loi, ce sont les articles 29 et 30 qui portent sur l'impôt sur le revenu. La réforme adoptée en loi de finances - contre l'avis du Sénat - porte fortement préjudice aux citoyens non-résidents. Lors de l'examen des projets de loi de finances (PLF) pour 2019 et 2020, notre commission avait considéré que la réforme de l'impôt sur le revenu des non-résidents était, pour une large part, injuste, avec des conséquences mal anticipées. J'en veux pour preuve que la réforme a été reportée d'un an !
L'article 29 abroge la réforme de la retenue à la source spécifique sur les traitements, salaires, pensions et rentes viagères à titre gratuit des non-résidents. En 2020 s'applique l'ancien système. En 2021 s'appliquera le nouveau système approuvé par l'Assemblée nationale, sur proposition du Gouvernement. Pour un même revenu, un retraité percevant une pension de 50 000 euros et des revenus fonciers de 10 000 euros aurait payé, en 2020, un impôt de 5 643 euros. Ce sera 14 104 euros en 2021. Ce triplement d'impôt n'est pas anodin, c'est à la limite de la spoliation - d'où la décision du Gouvernement de proposer un moratoire...
L'article 30 abroge l'instauration d'un taux minimum de retenue à la source de 30 % sur les revenus annuels supérieurs à la limite supérieure de la seconde tranche du barème de l'impôt sur le revenu. Passer de 20 à 30 % d'imposition double le montant de l'impôt... Nous avions retenu, lors de l'examen du PLF, le retour au taux de 20 %, qui est proposé à nouveau dans cette proposition de loi. Je soutiens pleinement cette disposition, même si elle rapporte moins : la hausse du taux à 30 % ne répondait qu'à un objectif budgétaire, pour compenser l'exonération de cotisation sociale généralisée (CSG) et de contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) pour les non-résidents domiciliés dans un État membre de l'Union européenne. Ce taux minimum s'applique à tous les non-résidents, même à ceux qui résident hors de l'Union européenne : ce n'est pas juste.
Cette proposition de loi soulève quelques difficultés, notamment constitutionnelles. J'ai donc proposé des améliorations, en liaison, là encore, avec ses auteurs.
L'article 23 exonère d'imposition les plus-values de cession des biens ayant constitué la résidence principale des non-résidents jusqu'à leur départ. Tel qu'il était proposé, le dispositif risquait de s'appliquer à tous les non-résidents et potentiellement à ceux ayant plusieurs résidences. Ce n'est pas l'esprit du texte, qui conteste le paiement d'une plus-value sur la résidence principale lorsqu'une personne est mutée à l'étranger - ce qui n'est pas le cas lorsqu'un résident est muté en France ; c'était alors une injustice. Mais le texte avait du mal à faire la différence entre la résidence principale et d'éventuelles résidences secondaires. Je vous propose donc d'étendre à 24 mois calendaires le délai pendant lequel les anciens résidents peuvent bénéficier de l'exonération sur les plus-values issues de la cession de leur ancienne résidence principale, contre un délai compris aujourd'hui entre un an et deux ans.
L'article 25 étend aux non-résidents le crédit d'impôt relatif aux intérêts d'emprunt supportés pour l'acquisition ou la construction d'une habitation principale. Cette mesure, instaurée par Nicolas Sarkozy en 2007, a été abrogée en 2011. Elle n'avait pas été ouverte aux contribuables non-résidents. Il y avait là une injustice. Toutefois, cette mesure n'ayant plus aujourd'hui d'effets pour les résidents, je propose de supprimer cet article, par souci d'égalité.
L'article 27 étend aux non-résidents, pour l'établissement de l'IFI, le bénéfice de l'abattement de 30 % sur la résidence principale. Or cette disposition pose une difficulté constitutionnelle et serait difficilement applicable. J'ai donc proposé de reprendre l'amendement de M. de Montgolfier, adopté par le Sénat dans le cadre du PLF pour 2020, visant à instaurer une règle de minimis pour exclure de l'assiette de l'IFI les participations des non-résidents inférieures à 1 % des droits de vote et du capital de la société.
L'article 28 étend aux non-résidents le bénéfice de l'exonération de taxe d'habitation au titre de leur ancienne résidence principale ou du logement qu'ils s'engagent à occuper comme résidence principale pendant trois ans à leur retour. Cet article comporte, lui aussi, un risque d'inconstitutionnalité au regard du principe d'égalité devant l'impôt. C'est pour cette raison que je propose plutôt d'étendre aux non-résidents ayant été obligés de quitter la France pour des raisons professionnelles le dégrèvement de la majoration de la taxe d'habitation applicable à certaines résidences secondaires. C'est le cas pour les Français mutés hors de l'Hexagone, par exemple en outre-mer. Cette règle s'appliquerait aux résidents obligés de s'expatrier. Sinon, leur résidence devenant une résidence secondaire, ils subissent une majoration de leur taxe d'habitation sur les résidences secondaires dans certaines villes.
Je partage totalement un autre constat des auteurs de la proposition de loi : actuellement, un contribuable non résident n'est pas éligible à l'article 200 du code général des impôts (CGI), à savoir les réductions d'impôts pour dons aux oeuvres. Aux États-Unis, c'est tout le principe de la charity : donner pour être moins prélevé. Actuellement, un expatrié qui paie des impôts en France, n'a pas de réduction d'impôts pour les dons qu'il ferait à la Croix-Rouge française.
L'article 24 étend ainsi aux non-résidents la réduction d'impôt pour dons et versements aux oeuvres listées à l'article 200 du CGI. J'y suis totalement favorable à condition que ces dons ne soient pas de nature à permettre aux non-résidents d'obtenir un avantage fiscal dans leur pays de résidence. C'est un choix logique.
L'article 26 étend aux non-résidents le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui certes va prochainement se transformer en prime. Il est extraordinaire que les non-résidents n'en bénéficient pas, alors que les travaux fournissent le même avantage pour la planète ! Toutefois, j'ai souhaité limiter le bénéfice de ce crédit d'impôt à la dernière résidence principale occupée par le contribuable non résident, afin de ne pas créer d'inégalités entre résidents et non-résidents ; et je propose également de supprimer l'ouverture du CITE aux dépenses engagées pour le logement que les non-résidents s'engagent à occuper pendant trois ans à leur retour. La constatation de cette occupation serait difficilement applicable.
Je ne suis certes pas un spécialiste de la fiscalité des Français de l'étranger, qui touche tous les impôts. Elle n'en demeure pas moins extrêmement complexe.
Enfin, en application du vade-mecum portant sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, notre commission pourrait proposer à la commission des lois de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi les dispositions fiscales relatives à l'imposition sur le revenu des non-résidents ainsi que l'application, pour ce qui concerne ces derniers, de la taxe d'habitation et de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).