Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au milieu de sujets de préoccupation plus importants, et après deux hommages empreints d’émotion, nous avons à nous prononcer sur plusieurs questions : le Parquet européen, des compléments concernant le PNAT (parquet national antiterroriste) et le PNF (parquet national financier), une juridiction spécialisée en matière d’environnement, l’extension des conventions judiciaires dites d’intérêt public, ainsi que diverses mesures, dont trois sont particulièrement susceptibles de retenir votre attention.
S’agissant du Parquet européen, saluons sa création et apprécions son organisation.
Vous saluerez sa création si vous croyez à la construction européenne, si vous pensez qu’on lutte mieux à l’échelle de l’Union européenne contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, c’est-à-dire, concrètement, contre la corruption et la fraude transfrontalière à la TVA, si vous êtes convaincu que l’Europe n’est pas simplement un marché unique ou une monnaie, mais qu’elle est aussi un État de droit, et que cela a du sens dans un monde qui ne croit plus qu’aux rapports de force.
Vous saluerez son organisation si vous êtes attentif à la souveraineté nationale, en particulier à notre souveraineté judiciaire. Il comportera deux niveaux : à l’échelon européen, un collège de vingt-deux membres et une présidente, afin de coordonner et de superviser les enquêtes, mais pas de magistrature européenne ; à échelon national, deux procureurs européens délégués – ce seront deux magistrats français en détachement – seront chargés du suivi des poursuites à partir du travail d’enquêteurs français avant de se métamorphoser, quittant leur chrysalide de parquetier, en juges d’instruction sous le contrôle du JLD (juge des libertés et de la détention ) et de la chambre de l’instruction, le jugement étant rendu par le tribunal et la cour d’appel de Paris, suivant notre droit et avec toutes les garanties procédurales classiques.
Aussi, ne boudons pas notre plaisir ! Ce texte est une bonne surprise dans ce domaine délicat du régalien. La solution proposée est simple, pragmatique, propre, pour un Parquet européen que nous espérons opérationnel à la fin de l’année.
Deuxième volet : le parquet national antiterroriste et le parquet national financier.
Si vous adoptez ce texte, mes chers collègues, vous clarifierez, avec l’accord de tous les professionnels, le rôle du PNAT en matière d’entraide judiciaire et étendrez sa compétence aux crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation – il s’agit essentiellement des affaires d’espionnage, qui relevaient déjà du pôle antiterroriste de Paris. Quant au PNF, vous étendrez sa compétence aux pratiques relevant de l’entente ou de l’abus de position dominante – vous lui donnerez, en résumé, un outil supplémentaire. Sur proposition du procureur général Molins, vous apporterez la dernière pierre à notre système de résolution des conflits entre juridictions.
J’en viens aux juridictions spécialisées.
Vous accepterez de spécialiser un tribunal judiciaire par ressort de cour d’appel dans le contentieux environnemental, pour les affaires complexes. Ce n’est pas une juridiction nouvelle qui vous est proposée, simplement une juridiction qui connaîtrait d’un peu plus de dossiers et serait, à ce titre, sinon spécialisée, du moins un peu plus spécialisée. En résumé : le bas du spectre sera soumis à toutes les juridictions classiques de vos ressorts, le milieu du spectre confié aux juridictions spécialisées que je viens d’évoquer, le haut du spectre restant de la compétence des deux pôles spécialisés de Paris et de Marseille pour les affaires graves du type Lubrizol, de celle des Julis (juridictions du littoral spécialisées) en matière de pollution maritime et de celle des JIRS (juridictions interrégionales spécialisées) pour les infractions en bande organisée.
L’objectif qui motive la création de ces juridictions spécialisées en matière d’environnement est donc essentiellement pédagogique. La vraie novation réside à mon sens dans l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public au domaine de l’environnement. Cette convention judiciaire d’intérêt public, vous la connaissez bien, depuis la loi Sapin. Vous avez pu mesurer quels effets remarquables étaient les siens, le PNF se saisissant de cet outil dans des affaires de blanchiment ou de fraude concernant par exemple Google, HSBC ou, très récemment, dans un autre cadre impliquant aussi les États-Unis, Airbus.
Si votre objectif est de muscler les peines, cher Joël Labbé, vous avez satisfaction avec la convention judiciaire d’intérêt public, l’amende afférente pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires annuel. Il devient possible également d’imposer un monitoring, c’est-à-dire un plan de mise en conformité.
Si votre crainte est celle d’une absolution discrète des puissants de ce monde, madame Assassi, vous vous féliciterez du niveau très élevé de la sanction, de l’homologation publique de la convention, de sa publication sur les sites internet de la commune et des ministères concernés, c’est-à-dire, en d’autres termes, de l’ajout d’un outil efficace dans la boîte qui est à la disposition de notre justice.
J’en termine avec cette présentation, que je fais à la fois au nom de mon groupe et ès qualités de rapporteur, en évoquant trois mesures diverses.
Si vous adoptez ce texte, mes chers collègues, vous réintroduirez, premièrement, une pratique ancienne des parquets, celle de la réquisition générale, permettant à des OPJ de procéder à des actes évidents, à une condition : le magistrat doit rester le patron de l’enquête de police, l’OPJ devant immédiatement rendre compte de l’ensemble de ses actes.
Deuxièmement, vous créerez une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports collectifs, objet un petit peu original à propos duquel nous avons recherché l’efficacité dans la poursuite de l’objectif qui était visé, à savoir l’inscription des personnes condamnées sur le fichier des personnes recherchées, tout en prévoyant un solide garde-fou en termes de libertés publiques, via l’adaptation de la peine prononcée par le juge aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale.
Troisièmement, concernant les notaires et les commissaires judiciaires, après deux censures par le Conseil constitutionnel, vous donnerez sa conclusion à un débat qui a opposé ceux qui pensent qu’il faut laisser les professions se gérer elles-mêmes et ceux qui pensent, à l’inverse, que l’entre soi n’est pas bon dans la durée. La commission des lois a essayé de trouver un équilibre entre ces positions.
Pour conclure, je confirme que le groupe Union Centriste est favorable à ce texte.