Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer cet après-midi constitue la dernière étape sur la voie de ce que le Conseil d’État avait qualifié en 2011 de « saut qualitatif majeur » pour la coopération judiciaire européenne.
Le Parquet européen, créé en 2017 par 22 États membres après de longues années de discussion, nécessitait en effet une adaptation de l’ordre juridique national pour pouvoir être pleinement opérationnel. C’est ce à quoi s’attache le présent projet de loi, qui permettra à cette nouvelle instance de s’attaquer, dès la fin de cette année, aux diverses infractions pénales portant préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne, c’est-à-dire à celles qui affectent soit la perception de ses recettes issues de la TVA et des droits de douane, soit l’exécution de ses programmes de dépenses comme les fonds structurels ou les aides de la PAC.
En effet, si le marché unique est un acquis fondamental qui a permis d’élargir considérablement le champ d’action de nos entreprises, force est de constater qu’il a également élargi celui des fraudeurs. Ainsi la fraude transfrontalière à la TVA, très largement pratiquée par des groupes criminels organisés, a-t-elle progressivement atteint des proportions colossales ; elle représenterait chaque année plus de 50 milliards d’euros.
Malgré leurs mérites réels, Eurojust, Europol ou l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) n’ont pas permis d’endiguer ce phénomène, notamment parce qu’ils ne disposent pas des prérogatives nécessaires. Ces prérogatives, le Parquet européen, lui, les aura : il pourra diligenter des enquêtes dans plusieurs États membres, engager lui-même des poursuites et faire accepter par n’importe quelle juridiction nationale les éléments de preuves qu’il recueillera. Il ne sera pas pour autant l’organe excessivement centralisé qu’avait initialement imaginé la Commission européenne. Grâce à l’action du Sénat et de treize autres parlements nationaux pour faire respecter le principe de subsidiarité, le Parquet européen sera organisé selon deux axes clés.
La collégialité, d’une part, assurera la participation d’un représentant de chaque parquet national à la définition de sa politique pénale ; la décentralisation, d’autre part, permettra son ancrage dans les structures et l’ordre juridiques de chaque État membre. Cette solution est à la fois plus équilibrée et plus respectueuse de la souveraineté nationale. Elle ne doit toutefois pas nous conduire à ignorer le défi que représentera l’articulation opérationnelle de cette construction inédite avec les juridictions françaises.
Le dispositif mis en place, notamment autour des prérogatives du procureur européen délégué, vient en effet bousculer, rien de moins, l’ordonnancement traditionnel de notre cadre procédural. La commission des lois, cher président Bas, a apporté des précisions utiles en la matière, mais celles-ci ne rendront pas moins nécessaire l’observation attentive de la façon dont le Parquet européen exercera ses missions dans notre pays.
Le pragmatisme nous invite donc à examiner d’abord, dans les années à venir, son efficacité et sa plus-value, ainsi que son insertion harmonieuse dans le cadre des justices nationales, avant de songer à étendre ses compétences, comme ont d’ores et déjà pu en émettre le souhait la Commission européenne ou le Président de la République française.
Alors que le Parquet européen n’a même pas encore commencé ses travaux, un tel appel est pour le moins prématuré. Dans l’immédiat, je crois plus utile de se concentrer avant tout sur la réussite de cette initiative visant au développement d’une Europe capable de mieux protéger ses intérêts et de lutter plus efficacement contre la délinquance financière.