Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 3 mars 2020 à 14h30
Congé de deuil pour le décès d'un enfant — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Muriel Pénicaud :

Monsieur le président, madame la rapporteure Élisabeth Doineau, madame la rapporteure pour avis Catherine Di Folco, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la perte d’un enfant est une tragédie sans équivalent. Nous avons le devoir d’accompagner le plus et le mieux possible les parents qui sont confrontés à un tel drame. Or, aujourd’hui, à la souffrance des familles s’ajoutent des démarches administratives inextricables, doublées d’inégalités territoriales inacceptables.

Comme vous avez eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, madame la rapporteure, l’émotion suscitée par le sort de la proposition de loi du député Guy Bricout a mis en lumière à la fois l’ampleur et la diversité de ces difficultés. Nous devons et voulons y mettre un terme. Mieux, nous devons bâtir un système protecteur et complet.

Nous devons bâtir un système dans lequel la douleur de la perte d’un enfant est pleinement reconnue par la société. Un système dans lequel les pouvoirs publics apportent, dans la durée, une réponse à la hauteur des besoins de ces familles endeuillées. Des familles qui, pour reprendre les mots d’une association, « ne sont pas toutes égales dans leurs ressources de résilience ».

C’est précisément ce système, ancré sur la solidarité nationale, qu’il vous est aujourd’hui proposé d’adopter.

Il faut souligner que le texte soumis à votre discussion a été considérablement enrichi par rapport à sa version initiale, grâce à un travail de coconstruction inédit, que je salue, et qui s’est matérialisé par le dépôt d’amendements dits « miroir » du Gouvernement.

Loin des polémiques, ce qui nous a toutes et tous guidés, ce qui nous guide collectivement, c’est la volonté de créer le plus rapidement possible des droits nouveaux, simples d’accès, pour soulager concrètement les familles, mais aussi amplifier le travail remarquable d’accompagnement mené par les associations au quotidien.

Je tiens à saluer cet état d’esprit digne, incarné notamment par la démarche constructive de Mme la rapporteure et confirmée par les commissaires aux affaires sociales.

Cette démarche fait écho à la qualité des échanges que nous avons vécus lors des concertations avec les associations et les partenaires sociaux, menées conjointement avec mon collègue Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance.

Ces concertations ont été conduites en étroite collaboration avec la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale et au Sénat, notamment avec Martin Lévrier, que je salue, mais aussi avec les rapporteurs des deux chambres.

Ces concertations s’inscrivent en complémentarité des auditions de la commission, et dans le prolongement des travaux menés en particulier par la sénatrice Catherine Deroche dans le cadre des Assises du deuil que le Palais du Luxembourg a accueillies le 12 avril dernier.

Cette mobilisation sans précédent de toutes et tous a permis de dégager rapidement et clairement un plan d’action complet, constitué d’une pluralité d’axes de natures différentes : législative, réglementaire, administrative et conventionnelle.

Ainsi, cinq axes forts ont marqué cette proposition de loi de leur empreinte : l’instauration d’un congé de « répit » universel ; le renforcement de la protection contre le licenciement ; la fin de l’arrêt brutal des prestations familiales et la création d’un parcours administratif facilité ; la création d’une allocation relative aux frais d’obsèques ; et le renforcement de l’accompagnement psychologique.

Je développerai les deux premiers, tandis que mon collègue Adrien Taquet présentera les suivants.

Le premier est l’instauration d’un congé de deuil pour tous. La douleur insondable de la perte d’un enfant ne doit pas être différenciée en fonction de statuts : salariés, agents publics – en cela, nous partageons l’intention de la rapporteure pour avis Catherine Di Folco –, indépendants, demandeurs d’emploi. Tous bénéficieront désormais de quinze jours ouvrés de congé de deuil dans le cas du décès d’un enfant jusqu’à l’âge de 25 ans.

Au-delà de ce temps, et en fonction de la réaction de chacun, le traumatisme psychologique lié à la perte d’un enfant peut bien sûr pleinement justifier un arrêt de travail pour maladie.

Pour éviter des ruptures dans la prise en charge des parents à ce moment, la proposition de loi prévoit désormais que le délai de carence habituellement applicable pour le versement des indemnités journalières de la sécurité sociale est supprimé pour le premier arrêt survenant dans les treize semaines suivant le décès. Je m’engage à ce que le délai de carence applicable concernant le versement du complément employeur soit lui aussi supprimé dans les mêmes conditions. Je prendrai un décret en ce sens dès l’entrée en vigueur de la proposition de loi.

Le deuxième axe est le renforcement de la protection des salariés et l’amélioration des conditions de leur retour à l’emploi.

Je salue ainsi l’instauration, sur le modèle des dispositions protégeant les mères après un congé de maternité, d’une mesure de protection contre le licenciement pour les salariés pendant un délai de treize semaines suivant le décès de l’enfant.

De même, le maintien du mécanisme de don de jours de repos entre salariés, porté par la députée Sereine Mauborgne et voté à l’Assemblée, permettra d’ouvrir une modalité de concrétisation de l’élan de solidarité qui s’exprime entre collègues lors de ces événements tragiques.

Si les mesures de précision relevant du champ de la négociation ont été écartées de la proposition de loi, je tiens à souligner à cette tribune les attentes fortes exprimées par les associations vis-à-vis des partenaires sociaux, notamment en matière de retour à l’emploi des parents endeuillés.

La mobilisation des partenaires sociaux dans le cadre d’accords d’entreprise ou de branche, constituera un maillon complémentaire à la réponse apportée par l’État, que ce soit en matière de prolongement des aides liées à l’enfant, de création d’une allocation pour les frais d’obsèques ou du renforcement de l’accompagnement psychologique.

Je me réjouis de l’adoption, à l’unanimité de la commission, de ces mesures sans précédent, qui constitueront dès leur promulgation des droits concrets pour les familles endeuillées. Nous porterons ces nouveaux droits à l’échelle européenne.

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