Intervention de Adrien Taquet

Réunion du 3 mars 2020 à 14h30
Congé de deuil pour le décès d'un enfant — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Adrien Taquet :

Monsieur le président, madame la rapporteure Élisabeth Doineau, madame la rapporteure pour avis Catherine Di Folco, mesdames, messieurs les sénateurs, « la pire des prisons, c’est la mort de son enfant ; celle-là, on n’en sort jamais »…

Ces dernières semaines nous ont confirmé, chacun dans notre intimité la plus profonde, lors de nos débats et plus encore lors des échanges que nous avons eus avec des parents, que la question du deuil d’un enfant n’exigeait rien d’autre qu’écoute et humilité.

Avec la ministre du travail Muriel Pénicaud, en amont de la présentation de ce texte, nous avons réuni les associations à plusieurs reprises, nous avons écouté les familles. Nous voulons les saluer, chacune, et les remercier pour le travail qu’elles effectuent depuis de nombreuses années auprès des parents endeuillés : Le Sourire de Lucie, Grandir sans cancer, Naître et vivre, Eva pour la vie, Aidons Marina, l’association Léa, SOS Préma, Apprivoiser l’absence, Mieux traverser le deuil, Empreintes, Jonathan pierres vivantes, Le Point rose ou encore France victimes.

D’aucuns auraient pu redouter les échanges avec ces parents, qui ont vécu l’indicible, l’inconcevable, et craindre la douleur, la dureté de ces vies ainsi exposée, cette réalité ainsi bouleversée. Ce fut en réalité tout le contraire : tout n’aura été que dignité et placidité, doublées, évidemment, d’une extrême sensibilité à l’égard de ce qui s’est joué, de ce qui a été exprimé.

S’il a été une insoutenable dureté lors de ces échanges avec les parents, c’est bien celle qui a consisté à toucher du doigt l’incapacité des pouvoirs publics jusqu’à présent à accompagner, autant que faire se peut, cette absence, sans ajouter à une souffrance déjà omniprésente.

Ainsi, avec, je le répète, beaucoup d’humilité, nous avons tâché d’assumer notre responsabilité de Nation solidaire, d’agir avec l’unique objectif d’aider au mieux les parents, bref, d’imaginer un accompagnement qui soit, tout simplement, digne, c’est-à-dire à la hauteur de la dignité des parents eux-mêmes.

Il était important, tout d’abord, d’allonger la période de répit dont peuvent disposer les parents après le décès de leur enfant. Ainsi, comme la commission en a décidé au travers de l’adoption d’un amendement de Mme la rapporteure, cette période sera désormais portée à quinze jours : sept pris en charge par l’employeur – Muriel Pénicaud l’a rappelé – et huit pris en charge par la solidarité nationale, via la branche famille de la sécurité sociale.

Nous saluons cette évolution, qui permet à la Nation tout entière, aux côtés des entreprises, d’être solidaire avec les parents endeuillés. Cet allongement du congé touchera tous les parents, que ceux-ci soient salariés, agents de la fonction publique, travailleurs indépendants ou non-salariés agricoles. Quant aux demandeurs d’emploi, ils seront, pendant cette période, dispensés de recherche mais continueront de percevoir leurs allocations.

Chacun de nos enfants est différent ; chaque histoire que nous avons nouée avec eux est différente ; chaque douleur est différente ; toutefois, tous les parents endeuillés doivent pouvoir disposer des mêmes garanties de répit, afin de commencer, tout doucement, à faire face à une telle perte.

Cela dit, les échanges que nous avons eus avec les associations ont démontré qu’un autre enjeu existait, qu’il fallait saisir cette occasion pour poursuivre notre réflexion et nos travaux sans nous limiter à la seule question du congé de répit. Il s’agit bien de concevoir un accompagnement global des familles, pour aider celles-ci à faire face, autant que cela est possible, aux questions et aux difficultés nouvelles qui vont s’ouvrir à elles sur le plan administratif, financier et psychologique, mais aussi dans le regard que ceux qui les entourent, que la société portent sur elles.

Ainsi, il fallait également que ce congé de répit s’inscrive dans un cadre élargi prévoyant le prolongement, pendant trois mois, du versement des prestations : les allocations familiales, le complément familial, la prestation partagée d’éducation de l’enfant, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ou encore l’allocation de soutien familial. En effet, l’arrêt, du jour au lendemain, du versement de ces prestations ajoutait une forme de violence supplémentaire à une situation déjà douloureuse.

De la même façon, un amendement du sénateur Lévrier tend à prévoir que l’enfant continue, pendant un an, d’être automatiquement pris en compte dans le calcul du RSA et de la prime d’activité.

Ce texte permettra également aux parents qui ne peuvent pas reprendre le travail après un deuil de ne pas subir le délai de carence attaché au congé maladie ; Mme la ministre du travail l’a indiqué.

Le choc induit par le deuil ne doit pas effacer les problèmes financiers auxquels se trouvent confrontées certaines familles pour prendre en charge les frais de funérailles de leur enfant. Des témoignages poignants nous ont permis de réaliser ce que c’était parfois le cas et que seul le soutien des associations permettait de sortir de ces difficultés.

Néanmoins, ce n’est pas le rôle de ces associations ; il revient, là aussi, à la solidarité nationale d’être aux côtés des parents endeuillés ; ainsi, une prestation forfaitaire et universelle sera versée en cas de décès de l’enfant afin de couvrir, notamment, les frais d’obsèques. Le versement de cette prestation sera automatique pour les allocataires des caisses et sera très facile d’accès – sur simple demande – pour les autres. Le montant de cette prestation sera défini dans un décret que nous soumettrons à la concertation.

Les caisses d’allocations familiales (CAF) sont d’ores et déjà pleinement mobilisées pour accompagner les parents, dans le cadre du parcours deuil qu’elles ont mis en place ; elles le resteront évidemment et elles veilleront à alléger autant que possible les démarches administratives qui doivent être accomplies en un tel cas. Je m’y engage personnellement et je sais pouvoir compter sur Vincent Mazauric, le directeur de la Caisse nationale d’allocations familiales, pour mettre tout en œuvre à cet effet, en s’appuyant tant sur le personnel des caisses et les travailleurs sociaux que sur le tissu associatif, dont nous connaissons le rôle indispensable.

Enfin, nous devons également assurer un accompagnement psychologique aux familles touchées par le deuil d’un des leurs.

Le deuil est le drame d’une vie ; il touche non seulement les parents mais aussi l’ensemble de la famille, notamment les frères et les sœurs. Chaque membre de la famille doit pouvoir trouver un soutien approprié. Ainsi, un accompagnement psychologique de plein droit sera proposé, afin que les familles qui le souhaitent puissent bénéficier de l’aide et de l’écoute de professionnels, en fonction de leurs besoins.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à ce texte, grâce au travail sans relâche des associations et grâce aux nouvelles propositions des députés et des sénateurs, nous avons aujourd’hui la possibilité de faire de la France un pays en pointe, dont pourraient s’inspirer certains de nos voisins européens, à commencer par la Belgique, qui débat de ce sujet en ce moment même.

Le député Guy Bricout l’a très bien dit, « il faut du temps pour se reconstruire. […] Cette épreuve est la plus difficile que puisse rencontrer un parent au cours d’une vie. La perte d’un enfant crée un vide, un grand vide. Il faut du temps pour l’apprivoiser, accepter que l’enfant que l’on a aimé ne reviendra plus et réapprendre à vivre ».

Je tiens à remercier sincèrement, une nouvelle fois, les associations de leurs actions primordiales en faveur de tous les parents endeuillés, de leur temps et de leurs propositions, qui inspirent le texte débattu aujourd’hui. Je veux aussi remercier les parlementaires ; tous ensemble, essayons d’apporter le soutien de la Nation à ces familles.

Au-delà, tâchons de sortir ce sujet de l’ombre, car c’est aussi de cela qu’il s’agit, mesdames, messieurs les sénateurs ; par nos échanges, nous contribuons à faire tomber un tabou, celui de la mort d’un enfant ; c’est ce que les familles appelaient de leurs vœux depuis longtemps. Par nos échanges, nous faisons sortir de l’ombre non seulement la question de la mort d’un enfant, mais encore des milliers de familles qui, désormais, peuvent espérer être mieux comprises par ceux qui les entourent.

En effet, nous devons garder toujours en tête quelque chose que nous n’avions peut-être pas perçu, que la société tout entière n’a probablement pas compris : quand on est parent, on l’est pour la vie, par-delà la mort.

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