Intervention de Jean-Louis Tourenne

Réunion du 3 mars 2020 à 14h30
Congé de deuil pour le décès d'un enfant — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Louis TourenneJean-Louis Tourenne :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des moments de grâce que l’on ne saurait bouder, de grands moments où l’humanité et l’empathie l’emportent sur toute autre considération, au-delà des différences de sensibilité. Dès qu’a été connu le rejet de la proposition de Guy Bricout, nos concitoyens, quel que soit leur statut social ou professionnel, quelle que soit leur appartenance politique ou syndicale, ont exprimé leur incompréhension et leur générosité, une générosité qui se manifeste toujours dans les grands moments et dont il ne faut jamais désespérer.

Ils se sont exprimés par milliers pour dire, avec leur cœur, que la Nation doit apporter à ceux qui sont dans la détresse, à ceux qui souffrent de la plus tragique des séparations, sa sympathie et son soutien, par des actes qui soulagent, qui accompagnent, et qu’elle doit – avec toute la délicatesse nécessaire – prendre en charge tout ce qui, en de tels moments, complique douloureusement le quotidien.

Le passé récent illustre parfaitement combien la Haute Assemblée a souhaité l’adoption d’une législation d’exception pour faire face à des événements qui brisent inexorablement la vie des parents. Je pense à l’adoption, par le Sénat, d’une proposition de loi de Michèle Delaunay, rapportée ici par Jérôme Durain et traduite dans la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours, dite loi El Khomri, par l’instauration d’un congé supplémentaire porté à cinq jours. Je pense également à la proposition de loi de Catherine Deroche, déposée l’année dernière, tendant à prendre en compte les conséquences sociales et économiques, pour une famille, du décès d’un enfant.

Le défi qu’avaient à relever, cette fois, la commission et, plus particulièrement, sa rapporteure n’était pas, tant s’en faut, des plus simples.

Pas simple de donner une suite décente et globale à la proposition de loi transmise sous une forme si édulcorée par l’Assemblée nationale et d’élaborer un texte à la hauteur des attentes !

Pas simple de formuler des propositions issues d’une appréciation globale des situations de détresse, d’élaborer des propositions embrassant la totalité des besoins exprimés ou implicites, tout en évitant deux écueils, celui de la surenchère – particulièrement inopportune et indigne – et celui des bonnes intentions parfois toxiques, qui peuvent être intrusives quand elles viennent bouleverser plus encore une famille désemparée !

Pas simple non plus de prévoir des moyens jugés indispensables en n’ayant aucune latitude pour en assurer le financement et donc en s’exposant à la convocation des articles 40 ou 45 de la Constitution, ces deux enfants d’Anastasie, si souvent opposés à nos propositions et qui donnent parfois la mesure de notre impuissance à changer en profondeur les choses !

Ainsi s’explique l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de notre amendement tendant à l’indexation de l’allocation forfaitaire sur l’évolution du salaire moyen et non sur l’inflation afin d’en préserver la valeur.

La commission des affaires sociales partait du vide installé en lieu et place de la proposition d’origine. En effet, le texte, aseptisé, de l’Assemblée nationale illustrait la volonté de la majorité de mettre un point final à cette ambition, en dénaturant le texte jusqu’à le rendre inopérant. Ne restait, pour les salariés désemparés, que le droit opposable à l’employeur, de prélever une partie des congés ou des RTT.

Ainsi, faute de disposer du pouvoir de créer des recettes, le Sénat risquait de voir repousser toutes ses initiatives. C’est donc tout à l’honneur de la rapporteure que d’avoir négocié avec persévérance et d’avoir obtenu que le Gouvernement garantisse, au travers d’amendements identiques, le financement nécessaire.

C’est dans ce contexte, assurément surréaliste, qu’ont pu sortir du néant des moyens cohérents avec nos ambitions et plus humains, lesquels recueillent notre adhésion pleine et entière. Engagés dans cette volonté commune d’apporter réconfort, soulagement et accompagnement, nous avions déposé des amendements qui, victimes de leur redondance, sont bien entendu devenus sans objet ; du reste, cette redondance illustre parfaitement notre communauté de pensée.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui est approuvé – j’en suis témoin – par tous les interlocuteurs, chefs d’entreprise et associations, invités et entendus par Élisabeth Doineau et par moi-même.

Le congé serait porté à douze jours ouvrés sur trois semaines, sécables en fonction du souhait des salariés.

La prise en charge des frais d’obsèques serait assurée selon un forfait de portée nationale ; ce forfait doit comprendre, selon nous, les frais engagés pour le recours éventuel à des aides à domicile, si la famille en éprouve le besoin.

C’est aussi un geste tout en délicatesse et réaliste que cette disposition de versement prolongé, au-delà du décès, des prestations familiales, disposition destinée à éviter que la rupture soit aggravée par une violence supplémentaire et que l’administration soit conduite à envoyer des courriers intempestifs et brutaux sitôt le décès connu.

On conviendra, par ailleurs, que l’extension de l’ensemble des dispositions proposées jusqu’à l’âge de 25 ans est parfaitement justifiée par le nombre de décès sur la tranche d’âge de 13 à 24 ans, qui représentent 45 % du total.

Mon intention n’est évidemment pas de détailler les propositions de la commission ; cela a été excellemment fait et le document qui nous a été remis est suffisamment explicite et détaillé.

Hélas, la prise en charge de l’accompagnement psychologique a été oubliée par le Gouvernement, malgré ses belles déclarations ! Oubli ou volonté malvenue de réaliser quelques économies ? En tout cas, un amendement judicieux est venu contourner la difficulté du financement par le biais du recours à une expérimentation. Ainsi, puisqu’il faut en passer par un artifice pour combler une lacune, acceptons-en la rédaction.

Sans doute la loi ne peut-elle tout dire, notamment sur l’environnement humain au travail, sur l’intérêt qu’il y a ou non à changer de poste ou à imaginer une reprise modulée. Les accords d’entreprise ou de branche devraient, nous l’espérons, y pourvoir ; les partenaires sociaux sont invités à le faire par l’exemple donné ici.

Il n’est sans doute pas inutile de tirer, de l’incident survenu à propos de ce texte et d’autres, quelques leçons sur notre relation avec le Gouvernement. Il n’est pas sain pour l’équilibre de nos institutions que le Gouvernement veuille s’approprier le monopole des réformes quitte à s’opposer aux propositions du Parlement, au détriment de ceux à qui ces réformes devraient profiter.

Ainsi en est-il allé du vote unanime, réduit à néant par la manœuvre du vote bloqué, de la proposition du groupe CRCE tendant à instaurer une retraite minimale des agriculteurs, fixée à 85 % du SMIC. Trois ou quatre ans ont été perdus et des milliers de retraités ont été écartés du bénéfice d’un tel mécanisme, puisque ce minimum contributif de 1 000 euros est très utilisé pour prétendre que le système à points est juste et solidaire. Or – cela pourrait être risible – c’est l’un des seuls cas où le système actuel est préservé et où, justement, le système à points ne s’applique pas.

L’aide aux aidants de notre collègue Jocelyne Guidez avait été votée à l’unanimité par notre assemblée et repoussée au motif que le Gouvernement allait proposer mieux. Il l’a proposée, mais avec une importante économie de moyens…

Notre pays est au bord de l’explosion. Il n’en peut plus des déclarations grandiloquentes aux effets dérisoires. Il n’en peut plus de l’accroissement des inégalités. Il n’en peut plus de ce mépris affiché à l’égard du Parlement, auquel on présente un projet de réforme du système de retraites plein de trous, sans en révéler le coût monstrueux et les profondes injustices potentielles, et dont on interrompt les débats par un 49-3 brutal, alors qu’il suffisait de se donner le temps.

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