Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la patience est la sagesse de ceux qui en ont le temps » résumait un célèbre romancier canadien.
Si la patience dont il est question est une sagesse, alors je veux croire que le Sénat, dans ce bicamérisme français, en fait notamment preuve lorsqu’il faut faire aboutir une proposition de loi.
Mais surtout, s’il est des personnes dont le temps est compté – un temps devenu si précieux –, ce sont bien ces parents dont l’enfant est parti trop tôt, beaucoup trop tôt… C’est tout le sens du message qu’a souhaité porter notre collègue député du groupe UDI, Agir et Indépendants, Guy Bricout, par son initiative.
En effet, il faut du temps pour faire face à un tel drame, pour assumer les démarches administratives, pour préparer les obsèques et régler les formalités. Oui, il en faut pour accomplir, avec déchirement, les derniers devoirs de parents, ce qui, en cinq jours seulement, n’est pas toujours possible. Sans parler du temps de la douleur.
Que le Parlement se soit saisi d’un sujet – et pas n’importe lequel – qui touche le quotidien de certains de nos concitoyens est important. Toutefois, il eût peut-être été préférable de faire l’économie d’une deuxième lecture à venir, au nom même de cet élément temporel que je viens d’évoquer et pour affirmer, collectivement, un message de soutien rapide à ces parents.
On nous dira que le texte initial n’était pas parfait, qu’il n’optait pas pour le bon financement ou qu’il devait peut-être s’inscrire dans une approche plus globale. Mais, à force de miser sur la globalité, que le Gouvernement prenne garde de ne pas perdre de vue la réalité : il avait la possibilité d’amender ce texte dès la première lecture à l’Assemblée nationale. Un grand hebdomadaire indiquait qu’une députée de la majorité n’y avait pas pensé. Apparemment, elle ne devait pas être la seule, car, lors de la réunion interministérielle du 17 janvier dernier, le Gouvernement non plus n’a pas eu cette idée.
Permettre à des parents frappés par le malheur, désorientés par le choc, parfois laissés dans le désarroi le plus profond, de bénéficier d’un peu plus de temps, voilà un sujet qui ne méritait pas la moindre polémique. Au lieu de cela, la majorité est revenue, en première lecture, sur la mesure phare de cette proposition de loi, en modifiant en commission la rédaction de l’unique article. C’est regrettable pour l’image que cela renvoie du débat parlementaire, pour l’incompréhension que cela a suscité chez les Français, pour des raisons de justice sociale, dans laquelle la République puise ses fondements.
Devant vous, mes chers collègues, je l’affirme : la République, ce n’est pas un slogan ; c’est avant tout une force de conviction !
L’émotion a été grande dans tout le pays. Cette situation a beaucoup choqué. Nous pouvons d’ailleurs saluer le soutien public du Medef. Car, oui, les entreprises ne sont pas étrangères à la douleur de leurs salariés. Ainsi fallait-il attendre un tweet pour que, enfin, le texte suscite une attention nouvelle.
Aussi, la proposition de loi arrivée au Sénat était totalement modifiée et comportait deux articles, bien en deçà des ambitions exprimées initialement.
L’article 1er permettait à un salarié de prendre des jours de congés légaux, ou même des RTT, à la suite du congé de cinq jours. Mais cette possibilité était limitée, car conditionnée à la conclusion d’un accord collectif. Par ailleurs, notre droit positif le permet déjà.
De plus, l’article 2 prévoyait la possibilité de poser des RTT ou d’en faire don. Mais il convient de préciser que le dispositif des RTT ne s’applique pas aujourd’hui, en France, à l’ensemble des salariés.
Dans ces conditions, si cette proposition de loi avait été adoptée en l’état, son effet quantitatif aurait été limité. La commission des affaires sociales du Sénat a veillé, dans un esprit constructif avec le Gouvernement, à enrichir le texte. Ce travail, main dans la main, a porté ses fruits. Je tiens à saluer ma collègue Élisabeth Doineau, rapporteure, pour sa détermination qui a permis de compléter ce texte et de lui donner une envergure tout autre, ainsi que notre collègue Catherine Di Folco, rapporteure pour avis.
Désormais, l’article 1er porte à sept jours ouvrés, à la charge de l’employeur, la durée du congé pour événement familial, en cas de décès d’un enfant de moins de 25 ans. Il crée également un congé de deuil d’une durée maximale de huit jours, pendant lesquels le salarié bénéficierait d’une indemnité journalière de la sécurité sociale. Ces huit jours d’absence seraient fractionnables et pourraient être pris dans l’année suivant le décès de l’enfant.
Cette entraide privé-public est fondamentale, car la solidarité nationale a également un rôle à jouer. Mais surtout, les fonctionnaires – sur ce point, mais aussi sur celui de l’autorisation spéciale d’absence –, les travailleurs indépendants et les non-salariés agricoles sont pris en compte.
Je ne reviendrai pas sur les détails techniques de ces dispositions ou de celles qui tendent à tenir systématiquement compte de l’enfant décédé dans le calcul du RSA. Il s’agit de points majeurs qui permettent à ce texte d’être le plus complet possible.
En outre, une question a été soulevée par notre collègue Catherine Deroche, qui a d’ailleurs été à l’initiative d’une belle proposition de loi portant diverses mesures d’accompagnement des parents en cas de décès d’un enfant mineur, sur le maintien des prestations familiales durant les trois mois suivant le décès de l’enfant. Cette proposition de loi consacre désormais ce droit pour les prestations générales d’entretien de l’enfant – seraient ainsi concernées, par exemple, les allocations familiales et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. L’enfant décédé sera donc considéré, pendant cette période, à la charge effective et permanente de la famille pour apprécier les conditions d’attribution de l’ensemble des prestations servies au foyer, au titre d’un autre enfant – comme l’allocation de rentrée scolaire versée à un autre enfant.
Le choix a été fait d’apporter une mesure de protection contre le licenciement, durant un délai de treize semaines. Si elle peut permettre de favoriser une protection optimale du salarié, alors nous la soutenons.
En ce qui concerne la question du don de RTT, l’article 2 a été réécrit substantiellement. Je salue le fait que ce dispositif de solidarité soit étendu aux agents publics.
De plus, afin de soutenir le revenu des familles endeuillées pendant une période d’exceptionnelle fragilité, la commission a décidé de supprimer le délai de carence applicable au premier arrêt de travail pour maladie survenant dans un délai de treize semaines à compter du décès de l’enfant. Cette mesure, applicable également aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants, s’inscrit dans le bon sens.
Nous le savons, les frais d’obsèques sont très onéreux. Permettre aux parents d’acquitter les frais d’obsèques grâce à une nouvelle allocation forfaitaire, modulée selon les conditions de ressources, c’est le témoignage de la Nation tout entière à ses enfants.
Surtout, c’est un point auquel j’accorde une très grande importance, il est vital que cette solidarité puisse s’exprimer au travers d’un accompagnement psychologique des parents et des frères et sœurs. Je salue la mise en place de cette expérimentation.
Le choc émotionnel ne saurait être exprimé par mes simples mots, tant la situation peut être bouleversante pour une famille entière. Mes chers collègues, madame la ministre, la démocratie sort grandie de faire progresser les droits sociaux pour une République qui rassemble, pour une République plus juste, pour une République fidèle à ses valeurs.
Pour toutes ces raisons, et saluant de nouveau ce travail de collaboration entre le Sénat et le Gouvernement, le groupe Union Centriste votera favorablement ce texte.