En tant que rapporteures sur la convergence sociale, nous avons déjà pu analyser la problématique de la coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de l'Union européenne. C'est un enjeu central pour la mobilité des travailleurs européens et c'est d'ailleurs l'une des priorités de la présidence croate.
La directive sur le détachement des travailleurs est entrée en vigueur en juillet 2018, mais la proposition de règlement de décembre 2016, qui tend à réviser le régime de coordination des régimes européens de sécurité sociale fixé dans le règlement de 2004, est toujours en cours de discussion. Elle constitue pourtant le complément indispensable de la directive « détachement des travailleurs », les législations européennes en droit du travail et en droit de la sécurité sociale étant distinctes et autonomes.
En avril 2018, notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne sur la convergence sociale. Nous avions notamment examiné cette proposition de règlement concernant la coordination des régimes de sécurité sociale. Cette résolution a inspiré notre collègue André Reichardt.
S'agissant de la révision du règlement de 2004, la négociation menée chapitre par chapitre a permis de conclure à des orientations générales partielles au Conseil en 2017, suivies d'orientations générales en juin 2018. Le Parlement européen a, quant à lui, adopté le rapport du député Guillaume Balas en décembre 2018. Cependant, les discussions en trilogue ouvertes à l'issue de l'adoption de ce rapport ont échoué. Un nouveau rapporteur a été désigné au Parlement européen et les négociations se poursuivent.
Quels sont les enjeux d'une telle révision ?
La législation en vigueur repose toujours actuellement sur un règlement daté de 2004 et son règlement d'application pris en 2009. Cette législation est aujourd'hui dépassée, en particulier du fait d'une population toujours plus mobile.
Selon les statistiques 2019 d'Eurostat sur la mobilité, 4,1 % des personnes travaillant dans un État membre en 2018 ont la nationalité d'un autre État membre. Par ailleurs, 1,3 millions d'européens résident dans un État et travaillent dans un autre, soit 0,6 % des emplois totaux. En 2018, le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS), qui est notre point d'accueil et de coordination national, enregistrait en tout 797 000 formulaires A1, documents à remplir par l'employeur en cas de détachement, émis ou reçus par la France ; en 2019, ce chiffre s'élevait à près de 977 000. On peut noter qu'en 2018, la France figurait au second rang des États membres en termes de formulaires reçus, donc de détachements de travailleurs sur son territoire, et cinquième en ce qui concerne les formulaires émis, donc les détachements de travailleurs français dans un autre État membre.
Ces travailleurs mobiles se répartissent en travailleurs détachés, travailleurs transfrontaliers, travailleurs migrants mais aussi, et de plus en plus, travailleurs multinationaux, aussi dits pluriactifs.
Depuis 2010, le nombre de formulaires A1 délivrés par les États membres de l'UE-EEE-Suisse dans le cadre d'une situation de pluriactivité est ainsi en constante et nette progression : + 457 % sur la période, soit une évolution annuelle moyenne de 23,4 %. Or la pluriactivité n'est aujourd'hui que mentionnée à l'article 13 du règlement de 2004. Cet article permet de déterminer quel est l'État dont la législation s'applique en cas d'activités d'un salarié dans plusieurs États membres, mais il n'y a aucune considération de durée : toute personne se rendant dans un pays membre, même pour une très courte intervention, devrait ainsi théoriquement faire l'objet d'un certificat A1 déposé par son employeur.
Le travailleur transfrontalier pose par ailleurs une difficulté spécifique. Il se distingue du migrant classique par sa double allégeance nationale : il travaille dans un État et réside dans un autre. Mais le statut de travailleur transfrontalier n'est pas défini de même manière par les services sociaux et par les services fiscaux.
En ce qui concerne la protection sociale, cette définition repose sur deux critères :
- un critère géographique : le travailleur est actif sur le territoire d'un État membre et réside sur le territoire d'un autre État ;
- un critère de temporalité : il retourne dans son État de résidence chaque jour ou au moins une fois par semaine.
La définition fiscale est quant à elle plus restrictive : elle prévoit un critère spatial supplémentaire. Chaque zone frontalière est ainsi déterminée précisément dans chaque convention bilatérale de double imposition, puisqu'il ne s'agit pas là d'une compétence communautaire.
Comme pour les migrants, le principe de base pour la protection sociale du travailleur transfrontalier est l'affiliation à la législation de l'État où il travaille, mais le règlement de 2004 reconnaît aux travailleurs transfrontaliers l'ouverture de prestations supplémentaires dans leur État de résidence, comme par exemple l'accès transfrontalier aux soins de santé.
En ce qui concerne l'indemnisation du chômage, il suffit pour les transfrontaliers d'avoir travaillé un jour dans un État membre pour y être indemnisé, alors que l'indemnisation reste une compétence de l'État de résidence qui supporte dès lors la charge financière de demandeurs d'emploi ayant cotisé dans d'autres États membres. Il existe donc des cas de double affiliation de travailleurs qui bénéficient de prestations chômage dans un État et exercent une activité, souvent réduite, dans un autre.
La révision du règlement de 2004 doit justement simplifier ces dispositions et revenir à une application stricte du principe de l'affiliation à la loi de l'État d'activité pour tous les travailleurs, y compris les frontaliers.
Si la Commission proposait initialement d'appliquer ce principe après 12 mois d'activité dans un autre État membre, la durée retenue pourrait finalement être plus courte et serait de 3 à 6 mois, ce qui devrait limiter les distorsions financières entre cotisations versées et perçues entre États membres, ainsi que les possibilités de fraude.
La question du statut du travailleur transfrontalier est donc aujourd'hui particulièrement complexe et cette complexité peut être source de difficulté pour le travailleur transfrontalier lui-même, ainsi que pour l'administration en charge de la détermination de ses droits. Lors de nos auditions, il est apparu qu'une partie de la fraude sociale constatée était en fait non intentionnelle.
Je laisse la parole à ma collègue pour vous présenter les récentes avancées sur ce dossier et nos propositions concernant le texte que nous soumet notre collègue André Reichardt.